L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Au Canada, la police et la justice recourent de plus en plus fréquemment à la preuve d’ADN ou génétique, tant pour faciliter l’identification des malfaiteurs que pour écarter les suspects. De par sa nature, la preuve génétique doit être présentée au tribunal et être interprétée par des témoins experts en la matière. Dans l’arrêt R. c. Terceira, [1999] 3 R.C.S. 866, la Cour suprême du Canada a donné des indications sur la mesure dans laquelle la fiabilité de cette preuve doit être démontrée avant qu’elle puisse être admise et soumise au juge des faits.
Dans une brève décision, la Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Ontario et souscrit à ses motifs. L’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, publié à (1998), 38 O.R. (3d) 175, a été rédigé par le juge Finlayson, qui a conclu à l’admissibilité des témoignages d’experts sur des théories ou techniques scientifiques nouvelles — ce qu’était encore l’analyse des empreintes génétiques au moment du procès dans cette affaire — dans les cas où le juge est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que cette preuve est suffisamment fiable pour être soumise au jury (ou au juge des faits).
Pour satisfaire à ce critère de fiabilité, il faut démontrer que les assises scientifiques de la preuve sont valables, soit parce qu’elles sont acceptées dans les milieux scientifiques, soit parce que leur fiabilité a été démontrée conformément à la méthodologie utilisée pour les valider. Il y a lieu de distinguer entre le fait d’apprécier la fiabilité de la méthodologie et celui de décider de l’opportunité de l’appliquer dans les circonstances d’une espèce donnée. Une fois que le juge est convaincu que la technique est généralement acceptée dans les milieux scientifiques, l’application de cette technique aux faits de l’espèce relève généralement du jury.
Fait révélateur, le juge Finlayson a rejeté l’argument préconisant l’application d’une norme plus rigoureuse à la preuve d’identification génétique qu’aux autres types de témoignages d’experts en matières médico-légales. Il a reconnu qu’il faut examiner soigneusement toute preuve d’expert pour s’assurer que sa force probante l’emporte sur les préjudices qui pourraient découler de son utilisation si le jury était amené à croire cette preuve plus fiable qu’elle ne l’est en réalité. Il n’est toutefois pas nécessaire d’appliquer ce critère de manière plus stricte lorsqu’il s’agit de preuves génétiques. Le fait que la Cour suprême a accepté ce raisonnement a indiqué qu’elle était disposée à permettre la présentation en preuve de témoignages d’experts en matière d’analyses génétiques. Aujourd’hui, les « analyses génétiques » ne sont plus considérées comme une nouvelle technique scientifique et sont utilisées de plus en plus couramment dans les procès criminels.
Une autre question en litige dans l’affaire Terceira était le bien-fondé de la présentation, en qui concerne les probabilités de « correspondance génétique », d’éléments de preuve utilisant des nombres extrêmement élevés. La seule chose que l’analyse génétique permet d’établir avec une certitude absolue, est que le matériel génétique d’un suspect ne correspond pas aux substances corporelles prélevées sur les lieux du crime ou autrement liées au crime. L’identification positive d’un suspect à partir d’une preuve génétique repose toujours sur des probabilités. Si l’analyse montre qu’il y a « correspondance » entre l’échantillon générique du suspect et l’échantillon prélevé sur les lieux du crime, le témoin expert doit expliquer les résultats en faisant état de la possibilité que cette correspondance ne soit que le fruit du hasard et en précisant qu’elle n’indique pas que les substances corporelles trouvées sur les lieux du crime proviennent effectivement du suspect. Généralement, les probabilités qu’une correspondance relève du hasard sont extrêmement faibles. Dans l’affaire Terceira, divers experts les avaient chiffrées à une contre 1 500 et une contre 1,8 millards.
La défense soutenait qu’il était abusif de citer au jury des chiffres comme une chance contre 1,8 milliards, parce que de telles données statistiques étourdiraient les jurés par leur certitude absolue et les rendraient incapables d’apprécier par eux-mêmes divers éléments de preuve relatifs à la culpabilité ou à l’innocence de l’accusé. La défense affirmait que les témoins experts devaient se borner à évoquer de façon qualitative la probabilité d’une correspondance attribuable au hasard, en employant des termes comme « faible » ou « peu probable ». Le juge Finlayson (et la Cour suprême du Canada) ont rejeté cette thèse, jugeant que le fait d’exprimer numériquement les probabilités était une indication plus précise et que de telles données pouvaient être interprétées de façon autonome par un jury ayant reçu des directives appropriées. Dans l’affaire Terceira, le juge du procès avait pris soin de dire aux jurés de [traduction] ne pas « se laisser impressionner par de gros chiffres » et d’apprécier la preuve génétique au même titre que tous les autres éléments de preuve circonstancielle qui avaient été présentés.
Il n’a pas eu division au sein de la Cour suprême du Canada sur cette question. Le pourvoi a été entendu par sept des neuf juges de la Cour, qui ont confirmé à l’unanimité l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans l’ensemble du milieu juridique ainsi que dans la population, l’utilisation de la preuve génétique est très peu controversée. Son utilité et sa précision comme outil d’enquêtes sont largement reconnues.
Dans bien des cas, la preuve génétique a permis d’innocenter des personnes qui avaient à tort été déclarées coupables, notamment dans trois cas qui ont fait couler beaucoup d’encre au Canada, les affaires David Milgaard, Guy-Paul Morin et Thomas Sophonow. En conséquence, le public a une perception très favorable de l’utilisation des analyses génétiques dans les enquêtes criminelles et tant le ministère public que les avocats de la défense reconnaissent son utilité dans la recherche de la vérité.
En revanche, les méthodes qu’emploient les responsables de l’application de la loi pour obtenir des suspects des échantillons en vue des analyses génétiques constituent toutefois une question un peu plus controversée. En effet, les besoins des enquêteurs doivent être mis en balance avec les droits et libertés individuels protégés par la Constitution canadienne. Un élément de preuve génétique recueilli en violation de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, par suite d’une fouille, d’une perquisition ou d’une saisie « abusive », n’est pas admissible au procès. La Cour suprême du Canada qualifie ce genre de preuve de « preuve obtenue en mobilisant l’accusé contre lui-même », c’est-à-dire de preuve émanant de l’accusé lui-même et faisant partie des éléments de preuve recueillis contre lui. De tels éléments de preuve obtenus de façon inconstitutionnelle ne sont pas admissibles dans les procès criminels, parce que leur utilisation rendrait le procès inéquitable. Certains s’inquiètent également des violations possibles du droit à la protection de la vie privée que pourrait entraîner l’utilisation à mauvais escient des échantillons recueillis pour analyse médico-légale, par exemple si on se servait à des fins illégitimes des renseignements qu’ils ont permis d’obtenir.
Le gouvernement a modifié le Code criminel et y a inséré des dispositions permettant d’obtenir un mandat autorisant le prélèvement, pour analyse génétique, d’échantillons de substances corporelles d’une personne. La demande de mandat est instruite ex parte par un juge de la cour provinciale. La Couronne (la poursuite) doit remplir plusieurs conditions assez strictes pour obtenir un tel mandat. Le Code précise également que constitue une infraction criminelle le fait d’utiliser les échantillons prélevés à d’autres fins que la réalisation d’analyses génétiques dans le cadre d’une enquête relative à l’infraction visée par le mandat. Certaines cours d’appel provinciales ont confirmé la constitutionnalité des dispositions concernant ces mandats. En mars 2003, la Cour suprême du Canada a entendu un appel contestant la constitutionnalité de certains aspects de ces dispositions et elle a mis l’affaire en délibéré.
En 1999, la Gendarmerie royale du Canada a établi une banque nationale de données génétiques à son quartier général d’Ottawa. Cette banque est composée d’un fichier des condamnés et d’un fichier de criminalistique. Le fichier des condamnés contient le profil d’identification génétique des contrevenants qui ont été déclarés coupables de crimes graves. Le fichier de criminalistique renferme les profils d’identification génétique établis à partir d’éléments de preuve recueillis sur les lieux de crimes. Des banques de données analogues existent aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Norvège, en Finlande, en Belgique et au Danemark. La banque nationale de données génétiques risque de soulever certaines questions d’ordre constitutionnel touchant au respect de la vie privée, mais, jusqu’à maintenant, aucune n’a encore été soumise à la Cour suprême du Canada.
Les techniques de surveillance électronique — ou écoute électronique — sont employées depuis longtemps dans les enquêtes criminelles au Canada. Cette technologie peut donner lieu à de graves atteintes à la vie privée. La Cour suprême du Canada a à maintes occasions été appelée à se prononcer, en matière d’écoute électronique, sur les tiraillements que suscitent, d’une part, la nécessité de lutter contre la criminalité et, d’autre part, la protection du droit à la vie privée garanti par la Constitution. La Cour suprême a élaboré une abondante jurisprudence sur cette question. L’arrêt le plus récent de la Cour en matière d’écoute électronique — R. c. Araujo, [2000] 2 R.C.S 992 — a été rendu le 14 décembre 2000 et rédigé par le juge Louis LeBel. Dans cette affaire, la Cour a fait un survol des principes applicables et de certaines des décisions antérieures.
En 1990, dans l’arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, la Cour suprême a jugé que l’interception électronique de communications par un agent de l’État, sans autorisation judiciaire préalable, constitue une fouille, une perquisition ou une saisie abusive au sens de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être utilisés au procès contre la personne qui est la source des communications, étant donné qu’ils proviennent de l’accusé lui-même et constituent, de ce fait, une « preuve obtenue en mobilisant [ce dernier] contre lui-même » et dont l’utilisation rendrait le procès inéquitable. Dans l’arrêt Duarte, la Cour a souligné les risques que la surveillance électronique porte atteinte à la vie privée des citoyens. Le juge Gérard La Forest, qui s’exprimait au nom de la Cour, a fait observer que « si l’État était libre de faire, à son entière discrétion, des enregistrements électroniques permanents de nos communications privées, il ne nous resterait rien qui vaille de notre droit de vivre libre de toute surveillance. La surveillance électronique est à ce point efficace qu’elle rend possible, en l’absence de réglementation, l’anéantissement de tout espoir que nos communications restent privées ».
À la suite de l’arrêt Duarte, le législateur a inséré dans le Code criminel des dispositions permettant de demander ex parte à un juge l’autorisation de recourir à l’écoute électronique au cours d’une enquête criminelle. Les critères à respecter pour obtenir cette autorisation sont énumérés au paragraphe 186(1) du Code, qui précise que l’autorisation peut être donnée si le juge est convaincu, d’une part, que son l’octroi servirait au mieux l’administration de la justice et, d’autre part, que d’autres méthodes d’enquête ont été essayées et ont échoué, ou ont peu de chance de succès, ou que l’urgence de l’affaire est telle qu’il ne serait pas pratique de mener l’enquête relative à l’infraction en n’utilisant que les autres méthodes d’enquête. Les éléments de preuve obtenus grâce à la surveillance électronique ne sont admissibles que si l’autorisation est conforme aux dispositions de cet article. Si l’autorisation a été accordée irrégulièrement, les éléments de preuve ont été obtenus illégalement. Des modifications apportées au Code criminel ont introduit, au paragraphe 186 (1.1), un critère moins exigeant en ce qui concerne les actes de gangstérisme et les infractions de terrorisme. La Cour n’a pas encore été appelée à se prononcer sur la constitutionnalité et l’interprétation de ces modifications.
L’affaire Araujo portait sur l’interprétation du par. 186(1) et sur le cadre d’analyse permettant d’évaluer après coup la décision du juge accordant une autorisation d’écoute électronique en vertu de ces dispositions législatives. Les faits concernaient une enquête menée, en Colombie-Britannique, sur un réseau de trafic de cocaïne à Vancouver et dans le Lower Mainland. Après avoir enquêté sur certains des suspects par d’autres méthodes de surveillance, les policiers étaient arrivés à la conclusion que la surveillante électronique était le seul moyen efficace de venir à bout des tactiques de contre-surveillance et de recueillir des preuves permettant d’inculper les têtes dirigeantes du réseau. Les policiers ont présenté une demande sollicitant l’autorisation d’effectuer de l’écoute électronique. La demande était appuyée d’un affidavit souscrit par un agent de la GRC, qui s’était en grande partie fondé sur les renseignements que lui avaient fournis les responsables de certains indicateurs de police. L’affidavit était entaché d’erreurs d’importance d’ordre technique, dont le policier avait subséquemment constaté l’existence sans toutefois en aviser ses supérieurs ou le ministère public. Ces circonstances ont ébranlé sa crédibilité et le juge de première instance a conclu, pour cette raison, que les motifs invoqués pour obtenir le mandat étaient insuffisants.
Ne souscrivant pas à l’opinion du juge de première instance, la Cour suprême du Canada a jugé que, malgré les lacunes de l’affidavit, les éléments de preuve invoqués au soutien de la demande étaient suffisants et démontraient que l’écoute électronique était le seul moyen raisonnable et pratique de mener l’enquête et de traduire en justice les dirigeants du réseau de trafic de stupéfiants. La Cour a souligné que les critères établis dans la loi doivent être appliqués en tenant compte de la réalité et du bon sens et en évitant de soumettre les organismes chargés de l’application de la loi à des exigences impossibles, sans pour autant négliger le rôle de gardien des droits constitutionnels que les tribunaux sont appelés à jouer. La demande ne peut être accueillie que s’il existe des motifs raisonnables et probables suffisants pour justifier pareille atteinte à la vie privée. Le juge saisi d’une telle demande doit s’assurer que l’autorisation en question ne sert pas à mener des enquêtes à l’aveuglette. Le juge LeBel a fait observer que les principes régissant les autorisations d’écoute électronique « pourraient affecter significativement le droit de certains Canadiens à la protection de leur vie privée ».
La Cour suprême a souscrit au dispositif de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui avait infirmé le jugement de première instance, mais elle n’a pas retenu le critère juridique appliqué par la Cour d’appel. Celle-ci avait estimé qu’il fallait examiner la demande d’autorisation globalement, en tenant compte des erreurs entachant l’affidavit, et se demander s’il existait néanmoins suffisamment d’éléments de preuve justifiant d’accorder l’autorisation demandée. La Cour suprême a jugé qu’il fallait appliquer un critère plus rigoureux et que la démarche suivie par la Cour d’appel pourrait « amener les tribunaux à autoriser, dans d’autres circonstances, des atteintes injustifiées au droit à la vie privée ». Le juge siégeant en révision doit examiner soigneusement les éléments invoqués au soutien de la demande d’autorisation, en restant conscient que des droits constitutionnels sont en jeu, et se demander s’il existe suffisamment d’éléments de preuve fiables pour justifier l’octroi de l’autorisation.
La Cour a également formulé quelques conseils sur la façon de rédiger les affidavits appuyant les demandes d’autorisation d’écoute électronique, rappelant l’obligation qu’a l’auteur d’une demande d’autorisation ex parte d’exposer de manière complète et sincère les faits substantiels. La Cour a expliqué que les affidavits en question doivent être complets, clairs et concis et que les avocats et les policiers doivent résister à la tentation d’induire le juge en erreur en utilisant certaines formulations stéréotypées ou en omettant stratégiquement certains éléments. Idéalement, il serait bon d’obtenir des affidavits des personnes qu’ont la connaissance la plus directe des faits en cause.