L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Professeur émérite à l’Université de Limoges, président du Centre International de Droit comparé de l’environnement, vice-président de la Commission de droit de l’environnement à l’Union mondiale de la Nature
La création d’un comité sur l’environnement au sein de l’AHJUCAF est un acte fort pour sensibiliser les juges des Cours suprêmes au droit de l’environnement. Au delà des Cours suprêmes et par ricochet cette initiative aura des repercussions et un effet d’entraînement sur toutes les juridictions nationales. Il serait opportun que les juges des cours suprêmes profitent de la création du comité francophone sur l’environnement pour mettre en place dans chaque Etat des comités nationaux des juges sur l’environnement.
Il s’agit là du prolongement et de la mise en oeuvre d’une initiative antérieure du programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) à l’occasion du sommet mondial de Johannesburg. En effet des magistrats du monde entier se sont alors réunis du 18 au 20 août 2002 à Johannesburg lors d’un colloque mondial des juges et ont adopté une série de principes relatifs au rôle du droit et au deloppement durable. Parmi ceux-ci on peut relever :
« Améliorer les capacités de ceux qui s’emploien à favoriser, mettre en oeuvre, développer et appliquer le droit de l’environnement tels que les juges, les procureurs, les législateurs et d’autres intéressés, de façon qu’ils s’acquittent de leurs fonctions en étant bien informés et dotés de compétences, des renseignements et du matériel nécessaire »
« Développer la collaboration aux niveaux sous-régional, régional et mondial dans l’intérêt de tous les peuples du monde ainsi que l’échange d’informations entre les pouvoirs judiciaires nationaux afin qu’ils tirent parti de leurs connaisances, expériences et spécialisations respectives ».
La traduction concrète de ces voeux est la création du comité sur l’environnement à Porto- Novo. Cet événément est aussi la manifestation opérationnelle des intentions exprimées par la Déclaration de Paris du 14 février 2008 lors de la 4° Conférence des ministres francophones de la justice.
Les Ministres de la justice ont affirmé leur détermination à promouvoir « la paix et le développement durable » et « à contribuer à la protection de l’environnement dans le respect des règles pertinentes ». Ils ont insisté sur la mise en oeuvre par les gouvernements et les autorités judiciaires nationales des engagements souscrits en droit international. Ces engagements ont deux effets : proclamer les nouveaux enjeux des systèmes judiciaires dus à l’interaction entre l’internationalisation des normes et le renforcement des droits nationaux, il s’agit de consacrer le dialogue des droits ; organiser l’articulation des compétences entre juridictions nationales et internationales, il s’agit alors du dialogue des juges. Il faudrait y ajouter , particulièrement en matière d’environnement, le nécessaire dialogue des juges avec les administrations. C’est là une condition de l’effectivité du droit de l’environnement comme l’a souligné Mr Djeri Alassani représentant le ministère de l’environnement du Togo. Il est à cet égard heureux de pouvoir constater lors de la présente réunion de l’AHJUCAF la présence de plusieurs représentants des ministères de l’environnement.
Pourquoi les juges sont-ils devenus des acteurs importants du droit de l’environnement ? Tout simplement parce qu’ils sont au coeur de l’effectivité du droit dans un domaine où l’attente de la société est très grande. Jusqu’aux années 1970 il y avait un droit de l’environnement sans qu’on le sache avec des législations sectorielles sur l’eau , les forêts, les parcs. De 1970 à 2000 on assiste à un formidable essor de normes juridiques tant internationales que nationales qui construisent un droit nouveau : le droit de l’environnement , dont la cohérence et la transversalité apparaîtra gràce à l’édiction,dans certains pays , de codes de l’environnement. Depuis 2000 le droit de l’environnement est devenu une réalité de terrain dans la mesure où, devenu adulte , ce droit est en phase de mise en oeuvre. Aussi le juge est-il désormais l’acteur incontournable de son effectivité en complément du rôle des administrations.
Ce droit adulte s’appuie sur trois piliers : la prévention par le droit administratif, la répression par le droit pénal et la réparation par le droit civil. Ces trois piliers sont indissocoables et non exclusifs. Bien entendu mieux vaut prévenir que guérir. On sait que la prévention n’empêche pas les accidents, il faut donc organiser la réparation. De même la prévention ne rend pas tous les citoyens vertueux, il faut donc aussi la repression. Mais la represion a probablement en matière d’environnement plus qu’en d’autres domaines, un effet dissuasif et même éducatif.
Les deux thèmes abordés lors de ce colloque : le droit pénal et l’application du droit international sont complémentaires car le droit de l’environnement ayant pour source principale le droit international, ne peut être effectif au plan national que si ce dernier organise de manière adaptée à la société et aux problèmes d’environnement une repression adéquate. Tirant profit de la richesse des rapports nationaux et des débats, on présentera ci-après quelques reflexions générales.
Le doit pénal de l’environnement, un droit pénal spécial :
On tentera de répondre à trois interrogations soulevées par les uns ou les autres quant à la pertinence du droit pénal de l’environnement pour résoudre les problèmes de la planète.
La réponse est naturellement positive mais sous conditions. Le droit pénal est ici indispensable mais il ne faut pas tout en attendre. En effet la politique de l’environnement exige d’abord des actions importantes et suivies d’éducation, de formation et de sensibilisation à l’environnement. L’environnement n’est pas une affaire qui ne relèverait que de l’Etat. C’est un problème collectif qui doit se traduire par un devoir de chacun de protéger l’environnement comme le proclame la Constitution française depuis 2005 ( art. 2 de la Charte constitutionnelle de l’environnement).
De plus l’environnement nécessite une gestion participative et incitative qui peut être en conflit avec la repression. Ce n’est pas la carrotte ou le bâton , mais beaucoup de carrottes et peu de bâtons. Le droit de l’environnement doit être adapté aux besoins de subsistance des populations à travers les services essentiels, ce qui implique une stratégie d’aide plus que de repression.
Enfin les politiques d’environnement impliquent le recours à la médiation ou à la transaction pour être à terme efficaces. Certes la transaction doit être bien encadrée judiciarement pour ne pas devenir abusive. L’affectation du produit des amendes à des actions précises de restauration de l’environnement est préférable à une mauvaise transaction.
Le droit pénal de l’environnement doit s’efforcer d’être dissuasif grâce à de nouveaux mécanismes pédagogiques. Pour protéger l’environnement il faut comprendre les enjeux individuels et collectifs qui sont attachés aux politiques d’environnement.
Cette question de l’autonomie doit être envisagée par rapport au droit pénal général et par rapport à l’administration. Il est tout à fait significatif que l’ouvrage de référence principal et unique en la matière de Dominique Guihal est l’oeuvre d’un magistrat et s’intitule , non pas droit pénal de l’environnement , mais « droit repressif de l’environnement » , abordant à la fois le droit pénal spécial et les sanctions administratives.
Deux questions juridiques importantes doivent ici être évoquées.
Lorsque le droit pénal de l’environnement réprime seulement la violation d’un règlement administratif, dispose-t-on vérutablement d’un droit pénal de l’environnement efficace ? Ne faut-il pas en plus une incrimination autonome et globale visant les pollutions en général ?. On trouve ainsi en France et au Maroc le crime de terrorisme écologique. Mais ses éléments constitutifs sont étroitement rattachés au terrorisme et ne couvrent pas le crime écologique ordinaire. C’est pourquoi de plus en plus de pays (Brésil ou Espagne, par exemple) instituent le crime ou délit écologique consistant en la destruction d’un élément du patrimoine naturel. Doit alors être résolue la question technique et accessoire de savoir si cette infraction autonome doit figurer dans le code de l’environnement ou dans le code pénal.
L’autonomie est également en cause en ce qui concerne la délicate question de savoir si le respect des autorisations administratives constitue un fait justificatif qui exonère l’auteur de l’infraction de sa responsabilité pénale ? Une politique exigente en matière d’environnement doit à tout prix totalement autonomiser le repression pénale car les normes imposées par l’administration sont loin de garantir une absence de pollution.
On doit distinguer l’organisation de la repression et la nature de la repression.
La repression des atteintes à l’environnement doit faire l’objet d’une organisation particulière. Le parquet doit être spécialisé et formé à prendre des initiatives de poursuites sans attendre les plaintes individuelles. Les atteintes à l’environnement sont des agressions qui affectent la collectivité dans son ensemble, même si certaines personnes sont particulièrement affectées. Les ONG ont un rôle social d’alerte et doivent pouvoir se constituer partie civile pour toute atteinte à l’environnement ou au milieu naturel comme au Gabon ou en France.
Pour que le repression soit facilitée il doit exister un corps de contrôle formé et travaillant en liens étroits avec le parquet. Il peut s’agir d’une police de l’environnement comme à l’île Maurice ou d’un organisme ad hoc comme en France depuis 2004 avec l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé.
Se pose la question de la juridiction compétente : le juge pénal ordinaire ou un juge spécial pour l’environnement ? En France depuis 2001 le tribunal de grande instance du littoral maritime s’est vu attribuer une compétence spécialisée en droit des pollutions maritimes.
Quant à la nature de la repression, c’est probablement là que l’imagination doit être la plus fertile. Il est certain que la peine de mort n’est pas de nature à résoudre sur terre les problèmes d’environnement. Les sanctions réparatrices accompagnées d’actions éducatives et pédagogiques sont seules à même de contribuer efficacement au respect du droit de l’environnement. Divers types de peines complémentaires ou de substitution sont possibles : la confiscation du profit patrimonial résultant de l’infraction comme en Belgique et, plus souvent utilisée dans plusieurs pays, la publication de la condamnation dans les journaux. On sait qu’aujourd’hui les entreprises sont particulièrement soucieuses de leur image de marque, aussi toute contre publicité dans les journaux va à l’encontre des efforts de marketing écologique.
Les mesures de réparation en nature sont à développer surtout en ce qui concerne les préjudices à l’environnement ou préjudice écologique. Celui-ci est désormais reconnu dans plusieurs législations , indépendamment du préjudice aux personnes et aux biens. Ainsi en est-il de l’art. 4 de la Charte constitutionnelle française sur l’environnement, de la directive sur les responsabilité environnementale de l’Union européenne et de plusieurs conventions internationales. Le juge français admet désormais la nécessité de réparer le préjudice écologique comme l’a manifesté le tribunal correctionnel de Paris dans son importante décision du 16 janvier 2008 sur l’affaire de l’Erika.
Un exemple intéressant de repression pédagogique en matière d’environnement peut être donné avec l’expérience brésilienne d’une chambre d’environnement à Manaus, où le juge s’est vu reconnaître par la loi la possibilité de condamner l’auteur d’une infraction à l’environnement à suivre des cours sur l’écologie, la faune , la flore et le droit de l’environnement et à payer la publication de brochures éducatives sur l’environnement pour distribuer au grand public, dans les écoles et dans les entreprises.
L’influence des conventions internationales sur le droit national :
On a vu l’importance qu’avaient aujourd’hui les conventions internationales comme sources du droit national.
Les problèmes juridiques d’incorporation au droit national et d’opposabilité aux tiers sont encore non résolus de façon satisfaisante et ne permettent pas véritablement de garantir la pleine efficacité du droit international de l’environnement.
On assiste toutefois à une réelle évolution que l’on peut illustrer à travers quatre constats.
1. le juge national est de plus en plus garant du respect du droit international
Independamment des questions souvent très théoriques différenciant le monisme et le dualisme, le constat principal résulte d’une certaine tendance à ouvrir plus facilement l’accès à la justice en admettant le recevabilité de moyens relatifs au droit international de l’environnement. La justiciabilité du droit de l’environnement devient une réalité sous la pression , probablement de la déclaration de Rio de 1992 et de la Convention d’Aarhus proclamant ce droit d’accès aux tribunaux pour l’environnement. Ceci implique de faciliter l’accès aux traités grâce à leur publication dans la langue nationale. Le juge national devient ainsi le principal interprète du droit international. Il est alors le garant de la cohérence et de la compatibilité entre les divers conventions internationales qui ne sont pas soumises entre elles à un régime de hiérarchie juridique. Lea question se pose de savoir si le respect du droit international constitue une question d’ordre public soulevée d’office par le juge ?
Une illustration récente du juge national garant du respect du droit international peut être tirée d’une décision du juge suprême de Colombie dans un arrêt du 23 janvier 2008 annulant une loi sur les forêts pour violation de la convention 169 de l’OIT faute de consultation des populations indigènes
2. la repression pénale sur l’environnement tend à s’internationaliser
Le tribunal pénal international pour l’ex yougoslavie dans un jugement du 18 mars 2004 a considére que le bombardement de Dubrovnik inscrite au patrimoine mondial de l’humanité au titre de la Convention de l’UNESCO était une attaque contre l’histoire et le patrimoine de la région mais aussi contre le patrimoine culturel de l’humanité ce qui aggravait le crime commis en violation des lois de la guerre.
Au plan régional le CJCE en septembre 2006 a consacré le droit pénal européen comme nécessaire à l’effectivité du droit matériel de l’environnement conscrant ainsi l’autonomie du
droit pénal de l’environnement dans le cadre des traités européens.
On assiste par ailleurs à une profusion de mécanismes internationaux quasi juridictionnels à travers les « compliance committee » ou comité de suivi et de surveillance du respect des conventions sur l’environnement, qui certes n’ont pas de compétence de repression , mais qui contribuent en douceur et avec pédagogie au bon respect du droit de l’environnement.
3. tendance à engager la responsabilité des entreprises :
La directive communautaire de 2004 sur la responsabilité environnementale est un premier pas d’internationalisation. La généralisation des mécanismes plus ou moins informelles de reconnaissance d’une responsabilité sociale des entreprises (RSE) incluant les responsabilité vis à vis de l’environnement, contribue à généraliser des reflexes et des procédures qui contribuent , certes encore modestement, à une prise en compte de l’environnement dans la gestion des entreprises et dans la fabrication des produits (écoproduits).
4. tendance à engager la responsabilité de l’Etat pour violation d’une convention internationale :
Jusqu’alors la responsabilité internationale des Etats ne pouvait être engagée que devant la Cour internationale de justice ou devant un tribunal arbitral dans le cadre d’un conflit inter-étatique. A l’avenir est possible l’engagement de la responsabilité de l’Etat devant une juridiction nationale pour violation d’une convention internationale dans le cadre d’une action déclenchée par une personne privée comme une ONG d’environnement. Le conseil d’Etat français a admis la responsabilité de l’Etat du fait d’une loi contraire à une convention internationale (CE Ass. Gardelieu, 8 février 2007) et depuis 1991une jurisprudence communautaire admet la responsabilité de l’Etat du fait de l’exercice d’une fonction juridictionnelle si un juge a méconnu une convention internationale.
Ainsi un dialogue des droits entraine nécessairement un dialogue des juges, et à l’image des droits de l’homme, le droit de l’environnement par son caractère mondialisé et popularisé ne pourra que contribuer à renforcer les tendances évoquées ci-dessus.