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Débats sur la protection de l’indépendance de la justice

 

Madame Maria do Ceu SILVA MONTEIRO

Président de la Cour suprême de Guinée-Bissau

Monsieur Sergio ESONO ABESO TOMO

Président honoraire de la Cour suprême de justice de Guinée équatoriale


L’indépendance de la justice
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Modérateurs : Monsieur Sergio ESONO ABESO TOMO, président de la Cour suprême de justice de Guinée équatoriale et Madame Maria do Ceu SILVA MONTEIRO, président de la Cour suprême de Guinée-Bissau.

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En son nom propre et au nom de Maria do Ceu Silva Monteiro, Monsieur Abeso Esono Tomo se joint aux félicitations adressées aux organisateurs de ce Congrès. Il salue la richesse des débats et des expériences échangés, dont il note l’intérêt majeur pour l’ensemble des pays membres de l’Ahjucaf et en particulier pour la Guinée équatoriale qui a connu un processus de décolonisation et de démocratisation difficiles dans sa quête de stabilité et de démocratie.

Les questions qui ont suivi ces exposés ont notamment porté sur la nature juridique des codes déontologiques, compte tenu de l’imprécision relative de cette notion et des nombreuses réalités qu’elle recouvre et sur l’initiative canadienne de gestion de la rémunération des juges par un organe tiers, qui permet de réduire l’approche conflictuelle ou intéressée de ce dossier. Invité à développer cette expérience, l’Honorable juge Lebel est tout d’abord revenu sur le rôle du juge, en estimant que ce dernier ne sort pas de sa fonction quand il ne fait pas que dire le droit, mais qu’il le crée par les interprétations et les développements qu’il peut lui donner ainsi que par les décisions qu’il rend. Il considère ainsi que la fonction judiciaire va au-delà de la simple expression du droit, dont elle tient compte de l’évolution. S’agissant de la commission d’étude de la rémunération des magistrats, il souligne que sa création prend sa source dans la constitution du Canada et surtout dans les principes fondamentaux non écrits mais exigeants de l’indépendance judiciaire.

Il indique que cette commission, créée par un arrêt de la Cour suprême de 1997, est composée de membres nommés par l’Etat et par la magistrature et qu’elle est présidée par une personnalité reconnue. Chargée de proposer la rémunération et des autres avantages, elle fait des recommandations à l’attention du pouvoir exécutif, qui ne peut les écarter que pour des motifs précis. Il précise néanmoins que si ce mécanisme fonctionne de façon globalement satisfaisante, sa création a rencontré des résistances et s’est faite par à-coups.

Par ailleurs, évoquant les notions de déontologie et d’éthique que ce débat touche, l’Honorable juge Lebel fait observer que certaines provinces canadiennes ont élaboré des codes de déontologie alors qu’au niveau fédéral il n’existe qu’un recueil de principes de déontologie ; toutefois, ces corpus ne sont pas des codes pénaux, qui interdiraient tout ce qui n’y est pas inscrit, mais ils se fondent sur la discipline de chaque juge. Au-delà des textes, il constate que, dans la pratique, les menaces, les pressions ainsi que l’ouverture d’enquêtes en vue de sanctions disciplinaires ont souvent conduit à la démission des personnes visées avant le terme de la procédure de révocation. Dans le domaine du recrutement des juges, il indique qu’au-delà des textes, son pays, longtemps marqué par le communautarisme ainsi que par les divisions religieuses et linguistiques dont il fallait nécessairement tenir compte, a évolué vers une approche privilégiant un autre équilibre et un autre objectif principal, à savoir celui de l’égalité hommes-femmes.

Prenant la parole, Monsieur le Premier président Driss Dahak estime que la Justice du troisième millénaire n’est plus celle du deuxième millénaire et qu’il s’agit donc de trouver les nouvelles orientations et le sens de l’évolution qu’elle doit suivre. Il note par ailleurs que si la Justice est considérée comme le « troisième pouvoir », dans les faits, d’une part elle applique les lois élaborées par le pouvoir législatif et d’autre part, la mise en œuvre de ses décisions relèvent du pouvoir exécutif. Face à cette forme d’assujettissement aux deux autres pouvoirs qui soulève la question de l’indépendance réelle de la Justice, il estime que le principe de la séparation des pouvoirs doit être réexaminé en vue de garantir davantage cette indépendance de la Justice. Evoquant les garanties d’indépendance demandées au juge du siège et non du parquet, il tient à souligner que le bon fonctionnement du parquet est tout aussi indispensable dans la mesure où il est déterminant pour la mise en œuvre correcte de l’ensemble du suivi de la procédure engagée à son niveau.

A cet égard, il insiste pour inclure également dans la réflexion le rôle et le statut des officiers de police judiciaire et des autres auxiliaires de Justice, s’agissant notamment de leur rémunération qui doit tout autant que pour les juges les mettre à l’abri des pressions. Pour ce qui est de la protection matérielle et du budget, il affirme qu’il n’y a pas de Justice convenable avec un budget faible et plaide pour la mise en place d’un organe indépendant pour élaborer le budget, pour éviter les pressions et les conflits.

Il partage, en outre, les propos visant la mise en place voire le renforcement d’un volet psychologique et philosophique dans la formation des juges ; il suggère en particulier d’introduire un examen psychologique. Faisant observer, à cet égard, que la démocratisation de l’accès à la formation peut aussi soulever des problèmes de niveau de sélection et surtout d’équilibre psychologique, qui constitue un aspect très important de l’exercice de la Justice, il appelle à affiner davantage la sélection et la formation. Face au constat qu’il n’existe pas de système parfait et au fait que l’indépendance totale est difficile à atteindre, il affirme qu’il n’y a pas de théorie générale de protection de l’indépendance des juges et que la recherche de cet objectif doit se fonder sur l’examen des différentes expériences pratiques.

En écho à cette conclusion de Monsieur le Premier président Driss Dahak, il a été demandé d’élaborer une synthèse des pratiques utiles constatées en vue d’en faire des exemples de références juridiques dont chacun pourrait s’inspirer.

Par ailleurs, s’agissant des obstacles à l’indépendance de la justice, un intervenant a souligné que la magistrature est un service public en concurrence avec les autres fonctionnaires qui veulent chacun un statut particulier, dont l’obtention dépend du rapport de force de chaque catégorie avec le pouvoir exécutif. Il faut donc que les magistrats trouvent les arguments de poids qui fassent valoir leur situation particulière, dans le cadre de leur pleine intégration à la fonction publique. Il a également appelé à la mutualisation de la formation et à développer les échanges entre les cours en vue de l’harmonisation des pratiques et du renforcement de la qualité de la justice.

Sur la question de savoir si le juge dit ou fait le droit, Monsieur Gabor Szeplaki-Nagy indique que cette nuance dépend de l’approche envisagée, « faire le droit » relevant plutôt d’une conception anglo-saxonne tandis que « dire le droit » s’inscrit dans une approche d’unicité jurisprudentielle. Il peut cependant y avoir des conflits entre les deux approches et entre des juridictions d’un même pays qui s’opposent sur l’interprétation.

En concluant ces échanges, Monsieur le Premier président Sakho constate une évolution marquée par le renforcement de la séparation des pouvoirs et non plus une vision jacobine où la justice relève de l’exécutif. Il affirme que le juge n’a pas vocation à légiférer ou à exécuter les décisions, et que sa mission consiste uniquement à dire le droit ; c’est dans cette perspective que le pouvoir judiciaire doit être une sphère d’autonomie, conformément à la loi.

 
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