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Président de la Cour suprême du Mali
M. M’Barakou TOURE. - Mesdames, Messieurs, après les rapports introductifs de M. Saliou Aboudou, Président de la Cour suprême du Bénin et de l’Honorable Louis Lebel et les deux condensés présentés par M. Jean Dujardin, Procureur Général près la Cour de cassation de Belgique et Mme Elisabeth Baraduc, Ancien Président de l’Ordre des Avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France, nous allons commencer les débats.
Je vous passe la parole.
M. Jean-Marie BURGUBURU. - Je vous remercie, Monsieur le Premier Président de donner la parole aux représentants du Barreau de Cour d’appel et je dis ici clairement que le Barreau de Cour d’appel ne prétend pas le disputer au Barreau de la Cour de cassation, bien au contraire.
Tous mes confrères ne sont pas d’accord, mais je pense qu’il est légitime qu’un Barreau près des Cours suprêmes contribue, non seulement par sa technicité, à faciliter l’examen des pourvois, mais leur introduction ; il permet aussi de réguler peut-être ce nombre de pourvois.
C’est un autre des moyens qui permet d’éviter des pourvois intempestifs ou excessifs.
Il y a un point que nous connaissons, je parle ici pour les plaideurs, le problème des plaideurs qui veulent à tout prix quand même exercer un recours devant la Cour suprême ; ayant perdu ou gagné en première instance, mais ayant surtout perdu en appel, ils se disent qu’ils veulent aller en cassation.
Le rôle de l’avocat à la Cour d’appel est d’essayer de les en dissuader, de leur montrer le caractère vain de leur tentative et, surtout, de leur faire comprendre que la Cour suprême ne jugera pas au fond, sauf dans des cas particuliers comme celui de la Cour de cassation du Tchad ou de la Cour de révision de la Principauté de Monaco où l’on peut, à ce niveau suprême, juger au fond dans certaines circonstances.
Lors de ces pourvois que j’appelle intempestifs, l’avocat à la Cour d’appel se fait parfois mal voir par son correspondant à la Cour de cassation qui lui dit : "Cher confrère, cher ami, le pourvoi n’a aucune chance" et l’avocat de la Cour d’appel répond : "Oui, mais mon client est très pressant, il veut absolument".
Parfois, il veut absolument peut-être pour gagner du temps, parce qu’il ne veut pas exécuter tout de suite, d’où la question de l’exécution préalable des arrêts de Cour d’appel.
La procédure de retrait de rôle, qui permet dans certains cas de ne pas déclarer le pourvoi admissible par cette procédure particulière en cas de défaut d’exécution, présente à mon avis la caractéristique négative suivante.
Si le demandeur au pourvoi est un débiteur condamné à payer, qu’il paye, car il est décidé par le délégué du Premier Président qu’il a les moyens de payer ; mais qu’il paye la créance qu’il a été condamné d’exécuter à un créancier qui, de bonne ou de mauvaise foi, se rendra insolvable. Lorsque l’arrêt d’appel en question ayant condamné ce paiement sera cassé à l’issue d’un pourvoi victorieux, je me retrouverai, moi, conseil d’un client ayant gagné grâce à un avocat à la Cour de cassation et grâce à la sagacité des juges de la Cour suprême et qui, ensuite, pour obtenir le remboursement des sommes qu’il a dû verser pour faire examiner son pourvoi, sera devant une difficulté insurmontable, peut-être même dans un nouveau procès éventuellement voué à l’échec.
Devant une telle situation, quelle est la réponse des juges de cassation ?
Merci.
M. Cheik OUEDRAOGO. - Mon observation porte singulièrement sur la question de l’effet suspensif du pourvoi. Nous savons que, en principe, le pourvoi n’est pas suspensif, mais il y a des exceptions que la plupart des Etats s’accordent à retenir au plan des exceptions : la question de l’état des personnes en matière foncière, par exemple. On admet généralement que le pourvoi en matière foncière est suspensif.
De plus en plus, certains Etats ont élargi l’assiette de l’effet suspensif du pourvoi pour la raison suivante : imaginez que l’exécution de l’arrêt d’appel risque d’entraîner des conséquences excessives ou irréparables ; on le voit tantôt en matière sociale, tantôt en matière commerciale ou même en matière civile. Imaginez qu’une Cour d’appel, par exemple, rende une décision en violation d’un arrêt rendu par la Cour de cassation et que l’on saurait bien que la jurisprudence de la Cour de cassation est constante en la matière.
Faut-il laisser exécuter une telle décision, alors que l’on sait qu’il y aura de fortes chances que l’arrêt soit cassé en cassation ?
Il existe ainsi des cas où l’exécution est de nature à entraîner des conséquences excessives, voire irréparables. Celui qui a fait exécuter organise son insolvabilité, un cas que l’on retrouve assez fréquemment dans nos pays et, bien sûr, on se trouve devant une situation où il y a un préjudice au profit d’une des parties.
C’est ainsi que les Etats ont arrêté un quantum : lorsque la condamnation porte au-delà d’une certaine somme, le pourvoi serait suspensif, car l’exécution peut entraîner des conséquences irréparables ou excessives.
Des Etats ont introduit la procédure de défense à exécution, exactement comme ce qui se passe au niveau des Cours d’appel. Le Premier Président est saisit par voie de requête et, bien sûr, la conséquence est qu’il y ait d’abord pourvoi et celui-ci risque d’entraîner des conséquences excessives ou irréparables ; certains pays permettent que le Premier Président puisse ordonner le sursis à exécution en attendant qu’il soit traité du pourvoi.
Je souhaiterais avoir l’avis des différents intervenants sur la question.
Vous avez vu ce qui s’est passé au niveau des assurances. Il fallait mettre des garde-fous, car il y avait une telle divergence de jurisprudence entre les juges du fond que, lorsque cette décision a été exécutée, nonobstant un pourvoi en cassation, pour le même préjudice, on versera 40 millions à une des victimes et 5 millions à une autre.
M. M’Barakou A. TOURE. - C’est bien compris.
M. Sergio Essono ABESO TOMO. - Nous avons une seule question à poser à Mme Elisabeth Baraduc et peut-être à M. Jean Dujardin, qui a trait aux effets du recours tout court et du recours devant la Cour suprême.
Nous avons une Cour suprême chez nous ; les procédures civiles de la Guinée équatoriale ont un effet suspensif et un effet improductif. Pour cela, dans notre pratique, cette question n’est jamais posée. Lorsqu’un plaideur demande l’exécution d’un arrêt d’une Cour d’appel, la loi de chez nous dit : s’il y a un recours devant la Cour suprême, la loi oblige à porter une caution, une garantie pour parer aux conséquences qui pourraient résulter de l’arrêt de la Cour suprême.
C’est pourquoi nous aimerions savoir ce qui peut exister dans la législation des autres pays, car la procédure de retrait de rôle ne me paraît pas très satisfaisante pour les deux parties.
S’il faut rendre justice et si la Cour de cassation doit uniformiser l’interprétation de loi, je ne vois pas comment on pourrait exécuter d’abord ou poser comme condition de recevabilité de recours l’exécution d’un arrêt qui, selon le pourvoi, n’est pas encore définitif tant qu’il y a un recours devant la Cour suprême.
Je voulais, dans le même sens, montrer la disconformité avec le deuxième critère de Mme Baraduc sur l’auteur de la décision attaquée. Elle a dit qu’il y a souvent refus d’autoriser le recours.
En Guinée, avant le recours devant la Cour suprême, nous avons des recours préparatoires devant la Cour d’appel qui a rendu la décision. Il faut interposer un recours préparatoire du recours devant la Cour suprême. C’est la Cour d’appel qui effectue un premier contrôle, mais pour ne léser aucune des parties, notre loi prévoit la plainte devant la Cour suprême.
Si la Cour d’appel refuse d’admettre le recours devant la Cour suprême, obligatoirement, l’avocat de la partie interpose une plainte devant le Président de la Cour suprême qui peut, administrativement, ordonner au Président de la Cour d’appel d’admettre le pourvoi.
Trois jours après, l’avocat de la partie est obligé d’interposer le recours devant la Cour suprême ; c’est la pratique de chez nous.
Pour finir, nous avons des types de recours en cassation, le recours après un arrêt définitif de la Cour suprême, mais aussi ce que l’on appelle un recours (?) parce que, dans la pyramide judiciaire de la Guinée Equatoriale, nous avons la Cour suprême, les Cours d’appel, les tribunaux de première instance, les tribunaux de district et les tribunaux traditionnels.
Dans un recours en matière traditionnelle interposée devant un tribunal traditionnel, l’appel est fait devant le juge de district et, après, ont fait un saut devant la Cour suprême.
M. Saad MOUMMI. - Je voudrais revenir sur la procédure de retrait que je trouve intéressante à plus d’un titre, d’autant plus qu’elle n’existe pas encore dans le système juridique marocain.
Tout à l’heure, M. le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris a soulevé une question que je trouve particulièrement intéressante. Je me place sur un autre plan : le délégué du Premier Président doit vérifier les moyens financiers que pourrait avoir ou ne pas avoir le demandeur au pourvoi.
Comment doit-il s’y prendre ? Quid dans l’hypothèse où il organiserait frauduleusement son insolvabilité ? Jusqu’où peut aller le pouvoir d’investigation du délégué du Premier Président ?
M. Placide LENGA. - Devant la multiplicité des législations en présence, je me permets d’intervenir sur l’accès au juge de cassation en soulignant particulièrement la question du sursis à l’exécution de la décision attaquée.
Depuis l’institution de notre Cour suprême en janvier 1962, cette question a soulevé et soulève encore de nos jours de graves controverses. Je présume que cette difficulté est commune à de nombreuses Cours suprêmes qui connaissent tout aussi bien cette question de sursis à exécution de la décision attaquée.
Bien entendu, le principe est que la saisine du juge de cassation n’a pas d’effet suspensif, c’est constant.
Par conséquent, l’exécution de la décision attaquée peut être poursuivie tant que le pourvoi reste pendant, mais chez nous, en République du Congo, à Brazzaville, notre code de procédure civile, commerciale, administrative et financière permet des exceptions qui sont autant de dérogations accordées aux parties. Notre Cour peut, sur simple requête du demandeur, avant de statuer sur le fond du pourvoi, ordonner qu’il sera sursis à l’exécution de l’arrêt attaqué lorsque cette exécution est susceptible d’entraîner un préjudice irréparable.
Je suis heureux que l’un des intervenants tout à l’heure ait souligné cette notion particulière.
L’exercice du pouvoir donné par notre code de procédure civile, commerciale, administrative et financière est à l’origine chez nous d’une importante construction prétorienne. Nous avons précisé, en particulier, que la requête du sursis doit être l’accessoire du pourvoi et qu’elle doit être jointe à la requête du pourvoi au fond.
Cette question du sursis doit son intérêt à son caractère toujours actuel et à la difficulté de saisir la notion de préjudice irréparable. Le préjudice irréparable est le seul élément que notre Cour suprême prend en considération pour ordonner le sursis en question.
L’absence d’une définition légale du préjudice irréparable explique les hésitations de notre jurisprudence depuis toujours.
Le sujet mérite une approche objective exempte de passions partisanes dans un domaine particulièrement sensible et nous croyons que notre appartenance à la famille francophone du droit nous permettra d’éviter des égarements certains dans ce domaine particulièrement important.
Un autre point, dont nous n’avons pas tellement parlé, présente chez nous une difficulté majeure : nous avons établi que les parties ne peuvent pas, par elles-mêmes, défendre directement et personnellement leurs intérêts devant la Cour suprême. Elles doivent constituer avocat absolument, mais malheureusement, il n’existe pas encore un corps d’avocats à la Cour suprême spécialisé pour cela.
On s’est demandé comment faire ?
Tant qu’il y avait des avocats français, il n’y avait pas de problèmes particulièrement compliqués. Ce sont des personnes qui, au fond, avaient une connaissance sûre de leur profession, dans les délicatesses de l’art professionnel, de véritables artistes comme il s’en trouve en France.
Seulement, après les indépendances, ils ont atteint la limite d’âge nécessaire et ils sont repartis chez eux ! En ce moment, nous nous retrouvons avec de jeunes compatriotes avocats dont la formation n’est pas tout à fait assumée dans les conditions que l’on peut estimer convenir et...
M. le PRESIDENT. - Monsieur le Président, sans vous interrompre, si nous pouvons passer à l’essentiel.
M. Placide LENGA. - …et pour aller autant que possible dans les conditions qui conviennent, nous avons exigé que les membres du Barreau qui viennent à la Cour suprême au moins réussissent à faire un total de huit ans d’ancienneté au Barreau pour représenter les parties à la Cour suprême. Je tenais à donner ces précisions.
M. Ibrahima GUEYE. - Je pense que le droit d’accès au juge de cassation doit être apprécié non seulement par rapport à la mission essentielle de la Cour de cassation, mais également par rapport au droit du justiciable d’être jugé dans un délai raisonnable.
En effet, actuellement, nous assistons à de plus en plus de pourvois dus à diverses raisons ; on gouverne actuellement dans un monde en désintégration.
Face à cet encombrement, une juridiction de cassation peut-elle élaborer une jurisprudence stable, claire et cohérente à l’appui des aléas nécessairement préjudiciables à la règle de droit ?
Je pense que la réflexion doit se diriger dans trois directions : le problème de l’accès, libre et incontrôlé ; on doit aussi se demander si toutes les parties doivent confier conseil devant le juge de cassation, avec le problème de la rupture de la légalité devant la Cour de cassation. Se pose également le problème la réalisation de l’accès à la Cour de cassation.
M. Abdellah M. HAIDARA. - Je voulais avoir l’avis de l’assemblée sur le problème de pourvoi de rôle. Au Mali, lorsqu’un juge outrepasse ses pouvoirs ou lorsqu’une décision au pénal ne respecte pas les règles, le Ministre de la justice peut prescrire au Procureur général d’introduire un recours devant la chambre compétente de la Cour suprême.
Ce genre de recours n’est pas enfermé dans un délai, autrement dit le Ministre, un an après, peut demander qu’une décision soit déférée devant la chambre compétente de la Cour suprême.
Cela ne constitue-t-il pas à la longue une sorte de frein à la sécurité juridique qui doit être rattachée aux décisions de justice ? Ce pourvoi existe-t-il toujours partout ? Qu’en pensez-vous ?
M. MOUMMI- Des motions peuvent être suggérées lors de la sélection de formation de pourvoi, le dossier doit être non admissible et sans motivation.
Ne trouvez-vous pas cela contraire au principe même du procès équitable et à la fonction de juge de cassation, surtout ce juge qui doit rendre son jugement motivé ?
M. Seydou BA. - Ma question porte sur la procédure de non-admission et je m’adresse à Mme Elisabeth Baraduc. Je me pose des questions concernant les effets de cette décision de non-admission et sur la nature de cette décision.
J’ai cru comprendre que Mme Elisabeth Baraduc a dit que ce n’était pas un arrêt, si une décision n’était pas motivée et que, pourtant, cela mettait fin à l’instance.
A la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA, nous avons une procédure assez semblable, une procédure sommaire. Le règlement de la Cour prévoit que, lorsque la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est manifestement incompétente pour connaître du recours ou lorsque celui-ci est manifestement irrecevable ou non fondé, elle peut à tout moment rejeter ledit recours par voie d’ordonnance motivée.
Dans notre cas, il s’agit d’une ordonnance et la décision doit être motivée.
Je m’interroge sur la décision que la Cour de cassation française rend lorsqu’il s’agit de non-admission.
M. Charles DJACAMAN. - Ma question porte sur l’exposé de M. Jean Dujardin, Procureur général près la Cour de cassation de Belgique. L’appartenance de notre droit à la famille romano-germanique fait que les règles de forme sont séparées des règles de fond. La recevabilité du pourvoi implique le respect de certaines formalités ou formes, comme vous l’avez souligné.
Il me semble que les conditions de forme trop exigeantes ou la saisine trop stricte de la Cour de cassation constitue un handicap à la fonction de régulation du droit de la Cour de cassation ou même met en péril sa mission essentielle de formation du droit.
C’est la première remarque.
Deuxième remarque : dans votre exposé, vous avez dit que la critique que suppose le pourvoi en cassation et que doit expliciter le mémoire en cassation n’est en effet admissible devant le juge de cassation que pour autant que le point de droit sur lequel porte le litige ait été jugé définitivement et en dernier ressort, de telle manière qu’aucun juge du fond n’ait à y revenir.
A mon sens, vous n’avez pas tenu compte du fait que la Cour de cassation, sauf pour certaines affaires spéciales, sur le premier recours, ne juge pas le fond de l’affaire. Elle renvoie en près cassation devant une autre juridiction du fond.
J’aimerais avoir vos éclaircissements sur ce point.
M. Mohamed MECHRYA. - Je vais intervenir sur deux points. Le premier concerne le sursis à exécuter pour le Premier Président de la Cour de cassation.
En Tunisie, le pourvoi en cassation ne suspend l’exécution de la décision attaquée que si cette décision a ordonné la destruction d’une pièce arguée de faux ou d’annulation.
Si elle a prononcé un divorce, si le jugement attaqué a déclaré la nullité d’un mariage, si la décision attaquée a imposé à l’Etat une main levée d’une saisie pratiquée par l’Etat pour le recouvrement des dettes, ce sont des décisions qui prennent d’elles-mêmes cette possibilité de n’être pas exécutées tant qu’il y a un pourvoi en cassation ; mais la loi a donné aussi pour le Premier Président de la Cour de cassation un pouvoir d’appréciation dans d’autres cas qui ne sont pas énoncés dans la première alinéa de l’article 194 de la loi tunisienne : la demande dans les cas de jugement où, si on l’exécute, on risque de créer une situation irréversible.
Cette situation irréversible est toujours laissée à l’appréciation souveraine du Premier Président de la Cour de cassation.
Dans les cas où il y a une obligation de payer des sommes d’argent dans ce jugement, la pratique du pourvoi en cassation doit consigner le montant déjà mentionné dans ce jugement attaqué.
Ce sursis à exécuter ne doit pas dépasser un mois, donc même si la chambre de la Cour de cassation n’a pas statué sur l’affaire, le jugement attaqué peut être exécuté, le délai imparti étant d’un mois seulement.
Ma deuxième observation concerne le problème de régulation. En Tunisie, nous n’avons pas cette possibilité. Toutes les décisions rendues en dernier ressort sont susceptibles d’être pourvues en cassation ; la seule possibilité est en cas d’adjudication en termes de vente immobilière. Ces jugements ne sont pas susceptibles d’appel, mais seulement de nullité.
En réalité, il s’agit d’un contrat de vente, de la phase finale d’une exécution n’ayant pas tous les effets d’un jugement. C’est pourquoi les juges aux adjudications ne sont pas susceptibles d’appel ni de cassation.
M. le PRESIDENT. - Avez-vous une question concernant la régulation ?
M. Mohamed MECHRYA. - Non...
M. le PRESIDENT. - Puisque, en Tunisie, la législation ne prévoit pas la régulation, ce
n’est donc pas la peine de développer le cas de la Tunisie.
M. Mohamed MECHRYA. - J’ai terminé, mais nous sommes là pour entendre l’expérience de toutes les Cours de cassation.
M. M’Barakou A. TOURE. - Les deux conférenciers vont répondre aux différentes questions.
M. Jean DUJARDIN. - En faisant la synthèse de toutes les questions posées, je constate que des questions sont récurrentes et sont assez importantes pour tous nous préoccuper, notamment le problème de l’effet suspensif du pourvoi en cassation.
M. le Bâtonnier Burguburu a commencé par une question gênante, mais ce problème réel ne concerne pas particulièrement le Ministère public, mais le juge.
Cela concerne-t-il le juge de cassation ? Voilà la question qui se pose généralement.
Sans vouloir anticiper sur les questions dirigées plus spécifiquement à l’égard de Mme Baraduc, je dirai que, en ce qui concerne notre pays, l’effet suspensif n’est pas admis au civil et il l’est au pénal, même lorsque cela concerne la décision civile rendue par le juge pénal.
Pourquoi cette différence ? L’intérêt général est en cause dans les affaires pénales et il ne l’est pas dans les affaires civiles, les intérêts privés étant plus concernés.
Ma réponse très prudente dans ce domaine consiste à dire qu’il faut bien envisager quel est l’effet dévolutif du recours en cassation. L’effet dévolutif a pour conséquence de saisir la Cour de cassation exclusivement dans un problème de contrôle de légalité d’une décision, sans s’attacher particulièrement au problème de son exécution. Le recours étant exercé, la décision est attaquée sur un point de droit et la partie qui a obtenu une décision avantageuse peut passer à l’exécution.
La pratique ne me permet pas de répondre, car je suis assez loin du juge de la pratique.
La partie passet-elle impunément sans vergogne, sans hésitation à l’exécution avec les risques qu’elle encourt ?
Je ne crois pas qu’il y ait là, selon la pratique, un danger particulier, mais les praticiens du droit que sont les avocats pourront mieux répondre à cette question.
Quant à la question plus précise de Me Jean-Marie Burguburu : quelle est la réponse du juge de cassation à une telle question ? je vous dirais qu’il n’en a point, je dirais presque que ce n’est pas son problème ; son problème étant un contrôle de légalité et de régularité, il apporte sa réponse à ce point de droit.
Si le rejet du pourvoi est prononcé, le problème ne se pose pas.
S’il y a cassation, le juge nouveau à qui l’affaire sera renvoyée statuera sur la question et la partie qui est passée à l’exécution encourt en effet de gros risques.
Au pénal, l’effet suspensif fait que ce problème ne se pose pas.
Je passe à cet égard la parole à Mme Elisabeth Baraduc.
Mme Elisabeth BARADUC. - Sur la question de l’effet suspensif qui est un problème déterminant, il serait important que nos états respectifs délimitent clairement les matières dans lesquelles le pourvoi est ou non suspensif. A partir du moment où la loi le dit, les choses sont assez claires.
Les difficultés commencent lorsque la loi ne précise rien et, en principe, lorsque le pourvoi n’est pas suspensif.
Il y a trois solutions :
Soit on exige comme condition de recevabilité de la voie de recours l’exécution, ce qui est drastique ; si ce n’est pas exécuté, le pourvoi n’est pas recevable, ce qui ne me paraît pas la bonne solution.
Deux autres réponses sont possibles :
Celle apportée par le Conseil d’Etat français, qui est une procédure de sursis à exécution, c’est-à-dire que le juge de cassation serait saisi d’une requête en quelque sorte annexe -et j’ai cru entendre que plusieurs pays connaissent ce système- et le juge examine alors si le pourvoi est apparemment sérieux et si l’exécution entraînerait un préjudice difficilement réparable. Si c’est le cas, le juge ordonne qu’il soit sursis à l’exécution.
Celle de la Cour de cassation française, une autorisation donnée au demandeur au pourvoi de ne pas exécuter l’arrêt si l’exécution entraîne des conséquences manifestement excessives. En réalité, le but est le même : ne pas priver le justiciable d’un accès au juge, parce qu’il ne peut pas exécuter.
Pour répondre à la question de mon ami Jean-Marie Burguburu, en ce qui concerne le retrait du rôle, qui est le pouvoir donné au juge de cassation français de ne pas examiner un pourvoi, si l’arrêt n’est pas exécuté, tout est au possible en matière de retrait de rôle, c’est très souple.
Si le demandeur estime que, en exécutant l’arrêt, il prend le risque de ne pas pouvoir retrouver ensuite cette somme, parce que le défendeur au pourvoi va organiser son insolvabilité ou être dans l’impossibilité ensuite de restituer cette somme, il appartient à l’avocat de la partie de dire au juge de retrait de rôle : "Attention, dans une telle hypothèse, je ne pourrai plus récupérer ce que vous allez m’obliger à payer. Je vous demande donc soit d’accepter une consignation, soit d’accepter une caution bancaire, soit de vérifier que, le défendeur ayant organisé son insolvabilité, je ne pourrai jamais récupérer cette somme et que l’obligation que vous me feriez, à moi demandeur, d’exécuter l’arrêt, entraînerait pour moi des conséquences manifestement excessives."
Si c’est le cas et si l’avocat est bon, le pourvoi ne doit pas être retiré du rôle.
La procédure de non-admission donne lieu à ce que j’ai appelé une décision, car il me semble difficile de considérer que ce soit véritablement un arrêt. Je reconnais que cela en a exactement les mêmes effets, en ce sens que la décision de non-admission qui est rendue par une formation de trois juges met fin à la procédure de cassation.
Quant à savoir si cette décision méconnaît ou non les exigences d’un procès équitable, je voudrais dire deux choses.
Premièrement, la procédure de non-admission à la Cour de cassation est très "emprunteuse" de la procédure mise en vigueur devant le Conseil d’Etat français depuis 1987.
D’autre part, la question a été posée à la Cour européenne qui, comme toujours à Strasbourg, fait une balance et une sorte de bilan entre les avantages et la nécessité pour une juridiction de cassation de se cantonner à un contrôle très particulier, qui est le contrôle de légalité, à la fois un contrôle de cohérence et un contrôle normatif, donc un bilan entre la nécessité pour le juge de cassation d’assurer la régulation de ces pourvois et le droit d’accès au tribunal et au juge de cassation.
Comme toujours, le bilan est établi au coup par coup et, là aussi, c’est à nous, avocats, de jouer notre rôle. Si, encore une fois, nous estimons que l’orientation vers la non-admission est vraiment une aberration, nous pouvons le dire et il nous arrive d’obtenir que le dossier passe dans une formation de jugement.
La non-admission est contrariante pour l’avocat et pour le justiciable, mais je ne crois pas que l’on puisse dire que, a priori et dans son principe, elle soit contraire au procès équitable.
L’Honorable Louis LEBEL. - Sur la question de la non-admission des pourvois, je travaille à l’intérieur d’un système qui prévoit l’obligation préalable d’obtenir l’autorisation de pourvoi et qui dépend évidemment d’une culture juridique différente, mais finalement, nous ne concevons pas cette procédure comme une atteinte à l’équité des rapports entre les parties, parce que la décision de non-admission ou de rejet de la demande d’autorisation repose essentiellement sur une appréciation de la qualité du pourvoi, des moyens proposés et de l’importance générale de la question pour le système.
Je ne vous dirai pas que les avocats sont totalement satisfaits de cette situation, mais cela permet quand même de cibler les pourvois importants et d’assurer une gestion ordonnée des affaires de la Cour.
M. Jean DUJARDIN. - Le septième intervenant posait la question pertinente de l’excès de pouvoir et du pouvoir dans l’intérêt de la loi, en disant que c’est un frein à la sécurité juridique.
Je me permettrai de répondre que, bien au contraire, ce n’est pas un frein, mais un accroissement de sécurité juridique.
Dans le cas d’excès de pouvoir, c’est sur dénonciation, sur ordre du Ministre de la justice qu’une décision est dénoncée, car elle est contraire à la loi ; on l’annule pour ne pas laisser subsister l’erreur, à l’inverse d’une condamnation avec sursis dont on n’a pas déterminé la durée ou une condamnation par défaut à charge de quelqu’un qui n’a pas été régulièrement averti ou une personne condamnée pour un fait prescrit.
Le pourvoi dans l’intérêt de la loi, sans qu’il faille des injonctions du Ministre de la justice, est pour obtenir l’annulation d’une erreur de droit et cette décision n’a aucune autre portée doctrinale en ce qu’elle ne change en rien le sort des parties. L’affaire est jugée, mais il ne convient pas qu’une erreur de droit soit maintenue dans un arrêt de la Cour de cassation.
Loin d’aller contre la sécurité juridique, ces techniques particulières exceptionnelles sont des garanties supplémentaires de sécurité juridique.
Dans la question posée par le Premier Président de Haïti, apparaissaient les termes : règle de forme, règle de fond, recevabilité, condition extrême, trop de rigueur.
Trop de rigueur constitue, dites-vous, un handicap à la fonction régulatrice du droit.
Par des conditions de forme, certaines questions échappent à la censure de la Cour de cassation. Par exemple, au pénal, n’existe pas l’exigence absolue d’une précision quant aux griefs et l’indication d’une disposition pénale, parce que le contrôle est fait d’office par la Cour de cassation et par le Parquet près la Cour de cassation. Nous avons donc une garantie supplémentaire qui est donnée, j’en conviens, seulement au pénal.
Au civil, ce n’est pas le cas. La rigueur stricte fait que la non-recevabilité intervient même avant qu’une question de fond ait été bien posée, mais elle a été mal posée sur les conditions de forme.
N’est-ce pas malheureusement la réponse indispensable et incontournable à l’accroissement considérable des pourvois ? C’est dire aux avocats du Barreau de cassation qui sont indispensables dans les recours en matière civile : "Votre exigence, votre collaboration directe et importante en amont des pourvois en cassation constituent, par la rigueur aussi, une garantie pour l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation".
Mme Elisabeth BARADUC. - Je souhaiterais ajouter une chose sur le concours qu’apporte aux justiciables le Parquet de la Cour de cassation. Dans ces procédures de non-admission qui sont assez douloureuses pour nos clients et lorsque l’avocat à la Cour de cassation est obligé de manifester son désaccord quant à l’orientation proposée vers une décision de non-admission non motivée, nous nous tournons toujours avec beaucoup de confiance et beaucoup de secours vers l’avocat général en charge du dossier. Nous lui transmettons une note en l’appelant au secours, en lui demandant de nous aider à faire sortir le dossier de cette voie qui, manifestement, n’est pas la bonne.
Je pense que c’est, là aussi, l’honneur du Barreau que de susciter une réaction de la part des membres de cette Cour pour essayer d’éviter ce qui s’apparenterait finalement à une erreur d’orientation, mais qui serait très grave pour le justiciable.
M. le PRESIDENT. - Merci. Nous arrivons au terme du débat.
Ces interventions ont soulevé des problèmes ayant trait à la nature et au contenu de la décision, des problèmes ayant trait aux moyens invoqués, à la partie, des problèmes de forme qui ont trait à la signification, à la déclaration du pouvoir et aux délais. Ensuite, Mme Elisabeth Baraduc a évoqué le flux de pourvoi, notamment la sélection dans la forme et sur le fond, ainsi que les critères ayant trait à l’exécution préalable.
Puis, a été posée la question du traitement même du pourvoi et des différents critères dégagés. Les questions tournaient autour du sursis à exécution, de la régulation des décisions et de la question de délai pour le pourvoi du Ministre de la justice.
Evidemment, ces questions ont appelé des réponses, mais naturellement, elles sont tellement importantes et denses que, pour entrer en profondeur et donner des réponses satisfaisantes, il faut aller au-delà du temps qui nous a été imparti.
Lors de prochaines rencontres, il serait peut-être souhaitable de ne pas surcharger les programmes. Une heure est vraiment insuffisante et, pour répondre à toutes les questions posées en profondeur dans la réflexion, je pense qu’il faut aller au-delà.
Les personnes ont essayé, autant que faire se peut, de répondre, mais naturellement on n’apportera pas des réponses satisfaisantes à toutes les questions. Les discussions vont continuer, des solutions seront proposées et, naturellement, ce sera enrichi pour les uns et les autres.
Je vous remercie.