Renforcer l'entraide, la coopération
et la solidarité entre les institutions judiciaires

A propos

L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.

Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.

PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.

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Introduction générale par M. Jean-Louis GILLET, secrétaire général de l’AHJUCAF

 

Catherine Pauchet

Assistant de l’AHJUCAF


Ce qu’est une déontologie. Pourquoi une déontologie, pourquoi une déontologie des juges, et pourquoi un congrès sur une déontologie des juges ?

I. La déontologie serait, au sens premier, comme une « science des devoirs » (Littré), le « discours sur ce qu’il faut faire », et, selon une définition plus détaillée (Larousse) « l’ensemble des règles et des devoirs qui régissent une profession, la conduite de ceux qui l’exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs clients ou le public ».
On voit donc, d’une part, qu’elle est de l’ordre du normatif, définissant des obligations dont l’absence de respect peut être fautif, d’autre part qu’elle vise à organiser ces obligations en systèmes cohérents et dotés d’une justification, et enfin qu’elle a tendance à adopter comme périmètre de ces systèmes de normes des ensembles de nature professionnelle, qui précisément fournissent à ces obligations leur justification. On parle ainsi par exemple de la déontologie médicale, de la déontologie policière, de la déontologie des experts-comptables ou de celle de telle ou telle autre profession. On ajoute qu’elle régit des comportements – ceux des membres de la profession – envers des interlocuteurs intéressés à son exercice, et on distingue parmi ces interlocuteurs d’une part un cercle étroit (celui des « clients », ou encore des usagers) constitué des personnes qui, de cette profession, attendent quelque chose de ponctuel (une prestation, un comportement, une attention et des soins s’agissant du médecin, un jugement s’agissant du juge), et d’autre part un cercle plus large (un « public », qui peut globalement attendre de la même profession un comportement général, propre à alimenter une confiance, une sorte de crédit public, lié au rôle social que l’on prête à ladite profession. On dira par exemple que les juges doivent être pondérés, objectifs et indépendants).
Se construit ainsi l’idée d’un corps d’obligations pesant sur un ensemble humain déterminé mettant en œuvre un savoir-faire, des compétences, et qui lui impose de ne les mettre en œuvre que dans le respect de règles garantissant une acceptation sociale, une cohérence bénéfique, cela se manifestant dans un certain comportement. On voit bien que la déontologie est une émergence visible d’autres corps de normes, parfois générales et du niveau de la morale ou de l’éthique (pourquoi pas de la religion), parfois spéciales et du niveau des lois ou des connaissances techniques. Ces normes doivent être respectées, en parallèle ou en priorité. Et la déontologie s’ajoute à elles. On voit en d’autres termes que toujours l’exercice d’une profession oblige à quelque chose de particulier, outre ce à quoi obligent les autres normes s’adressant au citoyen ou simplement à l’homme. C’est là l’essence, parfois prestigieuse et parfois très humble, de la déontologie. Il est des déontologies modestes, proches de la simple conscience professionnelle, que les intéressés pratiquent sans le savoir, il en est de plus prestigieuses, propices à la réflexion, aux interrogations ou à la recherche. Leur fonction est toujours, au fond, d’orienter les pratiques professionnelles vers la satisfaction d’un intérêt collectif et vers une sauvegarde de la confiance publique. Toujours, la déontologie dicte au professionnel l’orientation de son comportement à la fois pour la satisfaction d’un intérêt personnel bien compris et articulé à des valeurs d’intérêt général, et aussi pour l’accomplissement de devoirs de conscience, mais de conscience appliquée à l’exercice professionnel. C’est pourquoi le philosophe britannique Jeremy Bentham, inventeur du terme, pouvait dire -et c’était le titre de son ouvrage posthume paru en 1834- qu’elle était, avec une pointe à la fois d’éthique et de positivisme utilitaire, une « science de la morale ». Elle est par nature le produit d’une réflexion professionnelle. Mais elle est volontiers reprise, énoncée ou sanctionnée, nous le savons, par le droit donc par la puissance publique. Pour la replacer dans un cadre concret, adoptons comme définition finale cette proposition que toute déontologie est un ensemble de règles destinées à encadrer l’exercice d’une profession, quelles que soient les conditions de cet exercice, dans les relations des professionnels entre eux, comme dans leurs relations avec les tiers, clients, employeurs ou usagers, et avec les institutions. J’emprunterai à ce stade à un auteur reconnu en la matière, M Bernard Beignier, le rapprochement qu’il fait de la déontologie avec la chauve-souris de la fable. Comme l’animal disait : « Voyez mes ailes, je suis oiseau, voyez mon corps, je suis un rat », la déontologie peut soutenir : »Voyez mes perspectives, mes directives, mon propos , je suis la morale, voyez la forme, les autorités qui m’édictent, les sanctions qui assortissent mon respect, je suis du droit »

II. Qu’en est-il alors d’une déontologie des juges ? Au regard de la nature et des fonctions d’une déontologie, on voit très vite comment se caractérise l’ensemble que nous constituons. Nous exerçons à la fois une profession, un office et un pouvoir. Ces trois volets de ce que nous sommes génèrent chacun des devoirs dont le tissu peut constituer notre déontologie. Ne pas satisfaire à ces devoirs ou les ignorer, ou à plus forte raison les transgresser, sera commettre ce qu’il faut bien appeler des manquements ou des fautes au regard de ce qui peut être notre déontologie. Voyons cette profession, cet office et ce pouvoir.
Il est très simple de commencer par la profession. Elle consiste à trancher des litiges selon le droit, en l’appliquant avec discernement et bon sens. C’est de cela que le juge est le technicien. Il ne sera pas étonnant qu’il ait en conséquence comme devoir de connaître le droit et d’actualiser toujours ses connaissances, de tout faire pour le comprendre et le faire comprendre, de savoir recueillir et interpréter les prétentions des uns et des autres, d’être disponible à la saisine des justiciables, d’être cohérent dans ses appréciations. S’il ne remplit pas ces conditions, son travail ne sera pas fait. Des devoirs simples en résultent, en rapport étroit avec ce qu’on pourrait appeler une appropriation, par les juges, des règles de leur art, à la manière de tout professionnel consciencieux..
Il est déjà plus complexe d’aborder le deuxième cercle, celui de l’office. Il consiste à offrir au citoyen justiciable un recours contre les risques que font peser sur lui les rapports de force, les inégalités de fortune et de culture, à être un agent non seulement savant et avisé mais accessible et ouvert, doté selon les nécessités d’humilité ou d’autorité, proche ou distant selon l’heure, disant le droit mais veillant aussi à son accessibilité et à sa mise en œuvre. D’autres devoirs en résultent sûrement, au nombre desquels ceux se rattachant à l’impartialité, à l’évidente intégrité et à la sauvegarde de la confiance, à la délicatesse ou à l’autorité. Horizon infini, aussi, que celui du comportement ou du langage, pour cet office consistant finalement à faire passer dans les faits l’État de droit.
Vient alors, bien sûr, notre participation au pouvoir de l’État, quand ce n’est pas aux prérogatives d’une structure supra-étatique. Nous avons à porter à la fois le témoignage de la puissance publique et celui de notre indépendance, car la puissance publique est ce qui nous autorise à juger et l’indépendance ce qui, nous l’espérons, nous fait accepter des populations justiciables. En très gros, l’une et l’autre construisent notre indispensable légitimité et préfigurent notre responsabilité. Devoirs subséquents innombrables sur les terrains de la réserve, de la discrétion, du civisme, peut-être plus simplement du courage. C’est pour cela qu’à cette profession très particulière de juge il faut sûrement une déontologie particulière, qui soit la projection, sur le terrain du comportement, de valeurs particulières.

III. Alors pourquoi, en mars 2013, un congrès autour du thème d’une déontologie des juges ? Il est des raisons auxquelles on pense comme à des évidences et il en est d’autres.
Les raisons évidentes tombent sous le sens.
Il s’agit d’abord de la nécessité toujours actuelle, ardente, impérieuse, de détecter, de prévenir, de combattre, d’éradiquer partout la corruption et la compromission sous toutes leurs formes, y compris les formes larvées se dissimulant sous les apparences des solidarités ou réseaux divers. Manquement suprême aux obligations déontologiques et risque suprême qui guette celui qui s’éloigne des obligations et précautions déontologiques. Rapport à l’argent ou rapport aux honneurs, cette rampe visqueuse est de celles qu’il est dans l’honneur des juges d’éviter, de dénoncer, de détruire. La déontologie des y aide par la distinction claire qu’elle permet de faire entre la complicité ou la connivence qui corrompent ou risquent de corrompre et la simple et normale connaissance entre personnes ou entre groupes qui ne font qu’humaniser les rapports, y compris les rapports d’autorité. Ceux qui comme moi ont eu l’honneur de participer au dernier congrès, tenu à Cotonou, de l’Association des hautes juridictions africaines francophones ont eu la chance de débattre de ces points de façon approfondie et fructueuse.
Il s’agit ensuite de la récurrente mais très actuelle question du maintien de la fermeté et du crédit de l’autorité judiciaire, en d’autres termes de sa légitimité, au milieu du désordre d’autres institutions publiques, à vocation politique ou administrative. Du bonheur de pouvoir être crédité d’un comportement impeccable, clair et constant dans un environnement qui peut l’être moins parce qu’il est exposé aux tentations de l’instabilité, de la démagogie, de l’autoritarisme ou du renoncement. En dépendent sûrement la capacité de nos juges à prendre en compte et à gérer la prodigieuse diversité juridique et culturelle qui caractérise nos pays et qui est une des valeurs poursuivies par la Francophonie.
Viennent ensuite des raisons qui se trouvent en filigrane de tous nos travaux de juges : Comment faire pour que la procédure disciplinaire qui est la gardienne de la déontologie laisse intacte l’indépendance juridictionnelle qui nous caractérise, et cette règle peut-elle connaître des limites ou exceptions ? En France on a vu une procédure disciplinaire entrer dans la connaissance de la façon de mener une instruction, et l’on constate que la plupart des doléances adressées au Conseil supérieur de la magistrature en application de dispositions récentes par des justiciables prétendant déplorer le comportement d’un magistrat au regard de la déontologie se plaignent en réalité (et sont don rejetées) du contenu même d’une décision juridictionnelle.
Comment, aussi, régir, assainir et irriguer par les droits fondamentaux du procès les procédures propres à garantir le respect des obligations déontologiques, comment répertorier pour les affirmer ces obligations, comment et pourquoi définir les manquements commis, et comment associer ces deux mondes logiquement étrangers l’un à l’autre que sont le manquement déontologique qualifiable de faute et la désolante mais très différente insuffisance professionnelle, comment nous débarrasser des faveurs et népotismes en tous genres qui piétinent la rigueur déontologique ?
J’en oublie bien sûr, mais peut-être nos cinq ateliers, eux, n’oublieront-ils rien ou presque. Nous les avons déclinés comme vous le savez, ils distinguent ou proposent de distinguer cinq niveaux complémentaires d’analyse :

1. La place et le contenu d’une déontologie dans les dispositifs ,normatifs s’imposant au juge
2. La question de savoir s’il faut codifier la déontologie
3. La coexistence et les rapports de la déontologie du juge et de la déontologie des autres
4. La vigilance en matière déontologique sous les angles de la prévention et de la sanction
5. La déontologie dans le recrutement, l’avancement et la carrière des juges.
Vous vous répartirez entre eux selon les options formulées lors de votre inscription et ils vous attendent (pour 15 heures, puis pour 16h30) sûrs du fonctionnement que leur permettront votre efficace participation et les vigilantes diligences de leurs animateurs et rapporteurs, déjà éclairés par les pertinentes réponses apportées par vos juridictions au questionnaire de fond diffusé par votre secrétariat général préalablement à ce congrès. Les rapports d’ateliers à entendre demain ’de 9h 30 à 11h 30) pourront ensuite se rassembler et se synthétiser dans l’intervention finale de notre rapporteur général (à 11h 30) .

Je me permettrai pour terminer de présenter et de remercier les personnes ayant accepté de structurer les cinq ateliers à titre de conducteur des débats ou d’animateurs ou encore de rapporteur.

Pour le premier atelier,
comme président et rapporteur M. le Premier président Nouhoum TAPILY, président de la Cour suprême du Mali depuis 2011 après y avoir été vice-président, membre du bureau de l’AHJUCAF, maître en droit privé et riche d’une expérience dans les juridictions de Sikasso, Mahina et Tombouctou, et comme animateur M le Professeur Christophe ALBIGES, docteur et professeur à l’Université de Montpellier 1, Codirecteur du laboratoire de droit privé, responsable de master 2 et directeur des études de l’Institut d’études judiciaires, notamment co-animateur en 2010 à cette université d’un colloque sur le thème « Les déontologies des professions du droit, quel avenir ? »

Pour le deuxième atelier, comme président et rapporteur, Marcel SERREKOISE-SAMBA, premier vice-président de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA
et comme animateur, M le Professeur Rémy CABRILLAC, professeur agrégé des facultés de droit depuis 1991, spécialisé en droit civil et droit comparé à l’Université de Montpellier 1, spécialiste internationalement reconnu en matière de théorie du droit et de codification

Pour le troisième atelier, comme président et rapporteur M Antoine DAHER, président de chambre à la Cour de cassation du Liban, membre du Conseil supérieur de la magistrature,
comme animateur M le Président Paul MAFFEI, président de section à la Cour de cassation de Belgique, spécialiste de droit privé, fiscal et pénal, président de la chambre néerlandaise du Conseil national de discipline de Belgique et vice-président du Comité consultatif des juges européens.
Et comme intervenant M Ramzi JOREIGE, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth.

Pour le quatrième atelier, comme Président et animateur M le Premier président Ousmane BATOKO, président de la Cour suprême du Benin et président de l’Association africaine des hautes juridictions francophones, spécialiste en administration locale, gouvernance démocratique et gestion des collectivités locales, plusieurs fois ministre jusqu’en 2003, enseignant de droit public en université, membre du Conseil supérieur de la Magistrature et vice-président de la Commission nationale de gouvernance du mécanisme africain d’évaluation par les pairs.
Et comme second animateur et rapporteur M le Professeur Fabrice HOURQUEBIE, Professeur agrégé de droit public à l’Université de Bordeaux 4, spécialiste du pouvoir et des organes juridictionnels, Directeur-adjoint du Centre d’études et de recherches comparatives sur les constitutions, les libertés et l’État, responsable de master 2, Expert justice auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Pour le cinquième atelier, comme président et rapporteur M le Premier président Papa Omar SAKHO, président de la Cour suprême du Sénégal, ancien président de l’AHJUCAF, titulaire en alternance entre 1999 et 2006 des hautes fonctions de directeur des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice et de directeur de cabinet du garde des sceaux ministre de la justice,
et comme animateur M le juge Bernard CORBOZ, juge au Tribunal fédéral suisse depuis son élection en 1990, auparavant et depuis 1973 magistrat à Genève comme substitut puis juge d’instruction, puis juge au tribunal de première instance puis à la Cour de justice, enfin procureur général de Genève en 1985 et pendant cinq années. M le juge CORBOZ assure l’AHJUCAF de sa collaboration en matière de diffusion du droit.
Notre rapporteur général sera M Rachid SADQUI, conseiller à la Cour suprême du Maroc, en charge des relations internationales.

Je vous remercie infiniment de votre attention et vous souhaite de fructueux travaux.

 
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