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Justice et élaboration de la norme M. Alain LACABARATS Président de chambre maintenu en activité à la Cour de cassation de France

 


Justice et élaboration de la norme
M. Alain LACABARATS
Président de chambre maintenu en activité
à la Cour de cassation de France

La formulation impérative de ce principe, prévu par l’article 12 du code de procédure civile, révèle la caractéristique du système judiciaire français, fondé sur la prééminence de la loi, et illustre les limites du rôle du juge, investi d’une mission d’interprétation et d’application de celle-ci.
Le jugement en équité est, en principe, interdit ( 2e civ., 10 juillet 2014, pourvoi n° 13-19498 : “l’équité n’est pas une source de droit” ).
Certes, dans l’exercice de ses prérogatives, le juge crée du droit, en adaptant la loi à des situations particulières, dès lors qu’il est impossible de tout prévoir par la voie législative, mais, pour reprendre l’analyse d’un juriste américain du début du XXe siècle, le “droit fabriqué par les juges est un droit secondaire et subordonné au droit confectionné par le législateur” ( Benjamin N. Cardozo, “La nature de la décision judiciaire”, Dalloz, collection Rivages du droit, 2011, page 27 ).
Dans ce contexte, le rôle de la Cour de cassation française, qui doit veiller à l’unité d’application de la loi, est, aux termes de l’article 604 du code de procédure civile, de “censurer la non-conformité du jugement [que le pourvoi attaque] aux règles de droit”.
On observera à cet égard que ce n’est pas la référence à la “loi”, votée par le Parlement, qui émerge de cette disposition : la notion de “règles de droit” est nécessairement plus large, pour comprendre celles qui, dans le domaine interne, auraient une autre source, mais aussi les principes juridiques issus de traités internationaux régulièrement ratifiés par la France.
On s’aperçoit alors immédiatement que des conflits peuvent naître entre différentes sources du droit, de sorte que le juge, qui tient de l’article de l’article 4 du code civil, non seulement le pouvoir, mais surtout le devoir, de juger les litiges qui lui sont soumis, va être contraint d’opérer entre les règles invoquées par les parties une conciliation qui, dans certains cas, le contraindra à privilégier l’une au détriment de l’autre.
A ce point de vue, deux questions principales méritent d’être examinées : celles du juge confronté, soit à la Constitution de l’Etat ( I ), soit aux traités internationaux ( II ).
I - Le juge et la Constitution
La Constitution est, en droit interne, la norme suprême.
Cette suprématie s’est traduite pour le juge français de deux manières :
L’absence de contrôle de la Cour de cassation sur toute norme de valeur constitutionnelle. (Cass., Ass. Plen., 2 juin 2000, pourvoi n° 99-60274) ;
L’absence d’appréciation par la Cour de cassation de la conformité des lois à la Constitution (1re civ., 20 mai 2009, n° 08-10576).
Mais cette réserve du juge dit “ordinaire” à l’égard de toute forme de contestation de la Constitution ou des normes qui seraient critiquées pour contrariété aux principes constitutionnel, relevant en principe de l’appréciation du Conseil constitutionnel, ne signifie pas que cette charte fondamentale de l’Etat est absente des décisions du juge, lorsque celle-ci se révèle nécessaire à la solution d’un litige.
En réalité, la Constitution sert fréquemment de fondement juridique à la décision du juge (A), lequel s’est en outre, dans une époque récente, approprié la dimension constitutionnelle du droit ( B ).
A - Le règlement des litiges par l’application des normes constitutionnelles
Dans un nombre significatif d’hypothèses, le juge fonde ses décisions sur des principes constitutionnels directement issus du bloc de constitutionnalité ou de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel.
Sans entrer dans le détail de cette question, il suffit d’illustrer le propos par quelques exemples, où la Constitution est visée par le juge :
- Pour rappeler le principe de la hiérarchie des normes, l’article 55 de la Constitution consacrant la primauté des traités internationaux ratifiés par la France ( Soc., 15 décembre 2010, n° 08-45242 : rappel, au visa de ce texte, de la primauté des traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés par la France, pour faire prévaloir, contre des dispositions nationales instaurant le contrat dit “nouvelles embauches”, celles de la Convention n° 158 de l’O.I.T. ; 1re civ., 25 avril 2006, n° 02-17344 : visa du même texte de la Constitution, outre les principes régissant les immunités de juridiction et d’exécution, pour poser en principe que “si les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies s’imposent aux Etats membres, elles n’ont, en France, pas d’effet direct tant que les prescriptions qu’elles édictent n’ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou transposées ; [...] à défaut, elles peuvent être prises en considération par le juge en tant que fait juridique” ).
Mais la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne face à des dispositions de valeur constitutionnelle (Cass., Ass. Plen., 2 juin 2000, précité).
- Pour garantir la protection des droits et libertés des personnes, en ce qui concerne, soit les libertés individuelles, soit les libertés collectives.
L’article 66 de la Constitution fait ainsi partie des normes constitutionnelles les plus fréquemment visées par la Cour de cassation, pour rappeler les pouvoirs et devoirs des juges judiciaires, gardiens de la liberté individuelle ( par exemple : 2e civ., 22 mai 1996, n° 95-50012 et 1re civ., 31 janvier 2006, n° 04-50093,, sur les vérifications incombant au juge judiciaire en cas d’interpellation et de placement en rétention administrative d’un étranger en situation irrégulière ).
Les décisions appliquant la Constitution dans le domaine des libertés collectives sociales sont tout aussi importantes :
Pour le droit de grève : Soc., 2 juin 1992, n° 90-41368, selon lequel le juge ne peut substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications professionnelles formulées.
Pour le principe de la liberté syndicale ( Soc., 2 juin 2010, n° 08-43277, se référant à la “liberté garantie par la Constitution qu’a tout homme de pouvoir défendre ses intérêts par l’action syndicale”).
Pour le droit à la santé et au repos (Soc., 26 septembre 2012, n° 11-14540 : “Le droit à la santé et au repos est au nombre de exigences constitutionnelles”).
A la lumière de ces quelques illustrations, il n’est guère douteux que la jurisprudence de la Cour de cassation est déjà imprégnée des principes découlant des textes formant le bloc de constitutionnalité.
L’ouverture du droit, pour les justiciables, de contester la conformité à la Constitution de textes législatifs déjà promulgués par des questions prioritaires de constitutionnalité ( QPC ) n’en a pas moins provoqué une évolution qu’il convient d’analyser.
B - La QPC : vers un approfondissement de l’application des normes constitutionnelles par le juge
Les années récentes se caractérisent, d’une part par un élargissement du spectre des normes constitutionnelles auxquelles la Cour de cassation fait référence, d’autre part par une véritable appropriation par la Cour de la constitutionnalité du droit privé.
1- L’élargissement du spectre des normes constitutionnelles appliquées
Outre les textes mêmes relevant du bloc constitutionnel, la Cour de cassation s’appuie désormais régulièrement sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, dont l’autorité à l’égard des pouvoirs publics et de l’ensemble des juridictions est garantie par l’article 62 de la Constitution.
Ainsi, la 1re chambre civile a-t-elle pu justifier une décision de rejet de la demande d’autorisation de mariage formée par une personne en curatelle par application de l’article 460 du code civil, ce texte ayant été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil citée par la Cour ( 1re civ., 5 décembre 2012, n° 11-25158 ).
C’est par le même mécanisme de référence à une décision déterminée du Conseil constitutionnel que la chambre sociale a , par une nouvelle jurisprudence, précisé les conditions d’opposabilité à l’employeur du mandat d’un salarié protégé, pour une cause de protection extérieure à l’entreprise ( Soc., 14 septembre 2012, n° 11-21307 ), ou encore s’est prononcée sur les prérogatives des syndicats représentatifs ( Soc., 10 novembre 2010, n° 09-72856 ).
Une approche identique a été adoptée par la 2e chambre civile afin de déterminer les préjudices réparables pour un salarié victime d’un accident de travail imputable à une faute inexcusable de l’employeur (2e civ, 4 avril 2012, n° 11-15393).
Il convient néanmoins de souligner que, dans son travail d’investissement du champ constitutionnel, la Cour de cassation ne s’est pas bornée à une simple transposition mécanique de ces normes, textuelles ou jurisprudentielles.

2- L’appropriation par la Cour de cassation de la constitutionnalité du droit privé
Cette appropriation s’est manifestée, au fil du temps, de diverses manières :
a - L’interprétation de la Constitution
Allant au-delà du règlement des litiges par référence aux normes constitutionnelles prises en tant que telles, la Cour de cassation a, de manière exceptionnelle, interprété directement certaines dispositions de la Constitution (Cass., Ass. Plen., 10 octobre 2001, n° 01-84922 : “L’article 68 [de la Constitution] doit être interprété...” ).
b - L’appréciation de la portée d’une décision constitutionnelle.
Plus fréquente est la détermination par la Cour de cassation du sens d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel, par exemple :
- Pour délimiter sa portée ( 2e civ., 4 avril 2012, n° 11-10308 : le caractère forfaitaire de la rente due à la victime d’un accident du travail n’a pas été remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 “qui ne consacre pas le principe de la réparation intégrale du préjudice causé par un tel accident” ; 1re civ., 15 décembre 2011, n° 10-27473, qui analyse une décision du Conseil constitutionnel pour déterminer si certains de ses motifs en sont le soutien nécessaire et doivent à ce titre bénéficier de l’autorité absolue prévue par l’article 62 de la Constitution).
- Pour constater que la qualification donnée à un acte par le Conseil constitutionnel n’en n’exclut pas une autre (Soc., 31 mai 2012, n° 11-10762 : La C.S.G., “imposition de toute nature” selon le Conseil constitutionnel, revêt également la nature de cotisation sociale, au sens d’un Règlement européen appliqué par la Cour ).
c - Le contrôle de la constitutionnalité de la loi
Cette appropriation des normes constitutionnelles va-t-elle jusqu’à contredire l’incompétence traditionnellement affirmée du juge judiciaire en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois ?
La Cour de cassation répond toujours négativement, lorsqu’il lui est demandé d’écarter une disposition légale pour non-conformité à la Constitution :
Même si l’inconstitutionnalité, au vu notamment des décisions antérieures du Conseil constitutionnel, est évidente, la Cour de cassation refuse toujours au juge judiciaire d’en écarter lui-même l’application (3e civ, 8 juillet 2011, n° 11-40025, pour une loi antérieure au texte identique codifié et déjà déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel).
Mais si les citoyens peuvent désormais contester la conformité des lois à la Constitution en posant, dans le cadre des litige dans lesquels ils sont engagés pour l’application de ces lois, une QPC, ils ne peuvent saisir directement le Conseil constitutionnel et doivent soumettre la question au juge et c’est, en dernière analyse, à la Cour de cassation, pour les litiges relevant de la compétence des juridictions judiciaires, de déterminer s’il y a lieu à saisine du conseil constitutionnel, seul compétent pour déclarer une loi non conforme à la Constitution.
Dans l’exercice de son rôle de “filtre” en matière de QPC, la Cour de cassation doit apprécier le “caractère sérieux” de la question.
Elle doit donc exercer un contrôle de fond sur la disposition critiquée, de sorte que c’est seulement s’il existe un doute raisonnable quant à la conformité du texte à la Constitution qu’il y aura lieu de saisir le Conseil constitutionnel pour faire trancher la difficulté.
Et la Cour, lorsqu’elle dénie à une Q.P.C. tout caractère sérieux, opère parfois un véritable jugement de constitutionnalité, avec des formulations qui pourraient se trouver dans des décisions du Conseil constitutionnel ou qui en sont directement inspirées :
(1re civ, 14 mai 2013, n° 13-10109 ; Soc., 5 juin 2013, n°12-27478 ; 3e civ., 11 juillet 2013, n° 13-11429 ; Com., 5 septembre 2013, n° 13-40034 ; 2e civ., 5 septembre 2013, n° 13-40037).
Il convient néanmoins d’insister sur le fait que le juge judiciaire reste privé du pouvoir de refuser d’appliquer une loi pour une éventuelle contrariété à la Constitution.
Mais, lorsque sont en cause des dispositions de traités internationaux, ses prérogatives sont bien plus importantes.
II - Le juge et les traités internationaux
Il est possible qu’à l’origine, les droits et libertés définis par les conventions internationales aient été conçus dans une perspective verticale, comme un ensemble de prérogatives susceptibles d’être invoquées contre l’Etat.
Mais l’idée d’une diffusion horizontale de ces droits s’est progressivement inscrite dans la pratique des juridictions, avec d’ailleurs l’aval du Conseil constitutionnel :
Le juge, saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne, doit faire “ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige” (Conseil constitutionnel, 12 mai 2010, décision n° 2010-605).
La Cour de cassation avait énoncé un tel principe pour la première fois dans un arrêt Jacques Vabre de sa chambre mixte du 24 mai 1975 ( pourvoi n° 73-13556 ) soulignant que le droit de la Communauté européenne s’intègre à celui des Etats membres et s’impose à leurs juridictions qui doivent le faire prévaloir sur les textes de droit interne, fussent-ils postérieurs.
Et ce qui est vrai pour le droit de l’Union l’est également pour celui de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention), applicable également par n’importe quel juge au nom de la prééminence du droit conventionnel.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi décidé, dès 1976, que “La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...] ayant été régulièrement ratifiée, a force de loi en France” (Crim., 30 juin 1976, n° 75-93296).
Et l’une des premières applications de la Convention à l’un de ses domaines essentiels, celui de la liberté d’expression, résulte d’un arrêt de la 1re chambre civile du 31 janvier 1989 ( n° ) qui, pour censurer un arrêt de cour d’appel ayant en référé prononcé une mesure de saisie de publication sur le fondement de l’article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, se fonde explicitement sur l’article 10 de cette Convention et la nécessité de respecter la proportionnalité de la mesure par rapport aux droits et libertés en conflit.
Le rôle du juge national à l’égard des textes internationaux applicables sur son territoire revêt ainsi un double aspect d’application de ces normes ( A ), voire d’éviction des normes internes contraires ( B ).
A - L’application de normes internationales
Dans le système de la Convention comme dans celui du droit de l’Union, le juge national doit être tenu pour “le juge de droit commun” des principes qui en résultent. Cette charge, clairement assignée au juge par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, implique de ne pas se contenter de l’application faite par ces juridictions de telles normes et de s’en approprier le sens pour les mettre directement en œuvre, soit exclusivement, soit en concours avec des normes de droit interne, pour, en quelque sorte, renforcer l’autorité et l’efficacité de celles-ci.
C’est dans cet esprit que, notamment, la Cour de cassation a fondé exclusivement sur les dispositions de l’article 6§1 de la Convention des décisions posant le principe de la motivation impartiale des jugements (2e civ. 14 septembre 2006, n° 04-20524) ou celui de loyauté dans l’administration de la preuve en matière civile ( Cass., Ass. Plen., 7 janvier 2011, n° 09-14667), ou sur les articles 5 et 5§1 de la même Convention le droit à réparation de ses préjudices pour la personne hospitalisée sans son consentement dans des conditions irrégulières (1re civ., 23 juin 2010, n° 09-66026 ).
B - L’éviction des normes internes
Le juge doit néanmoins aller plus loin, puisqu’il dispose aussi du pouvoir de régler les éventuels conflits susceptibles d’affecter les rapports entre les normes internationales et les règles du droit national.
La prééminence des premières découle, en France, de l’article 55 de la Constitution, comme le rappellent assez régulièrement les arrêts de la Cour de cassation (par exemple : 1re civ., 25 avril 2006, n° 02-17344 ; Soc., 15 décembre 2010, n° 08-45242).
Ce principe de prééminence permet au juge, d’abord de s’assurer, lorsqu’elle est contestée, de la conformité d’un texte national aux normes supra-nationales ( 3e civ., 16 mars 2011, n° 09-69544, à propos de la limitation des possibilités d’indemnisation en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique ), ou de lui donner une interprétation éclairée par des dispositions de textes européens et compatible avec celles-ci ( 1re civ., 5 février 2014, n° 12-25748, appliquant un texte du code de la consommation, “interprété à la lumière” d’une Directive ).
Mais la prééminence donne aussi et surtout au juge le droit d’évincer l’application d’un texte de droit interne, contraire aux engagements internationaux de la France.
Par application de ce principe, et parmi de nombreux exemples, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé non conformes à la Convention les dispositions de droit interne n’assurant pas la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue d’une personne soupçonnée, ni lors de ses interrogatoires ( Cass., Ass., plen., 15 avril 2011, n° 10-17049 ).
A aussi été écartée, comme non conforme au droit de l’Union européenne, une disposition de la charte du football professionnel restreignant la liberté de circulation de jeunes joueurs formés dans un club (Soc., 6 octobre 2010, n° 07-42023).
Plus récemment, a également été écartée, comme constitutive d’une “ingérence injustifiée dans l’exercice du droit au respect dû à la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”, l’application de l’article 161 du code civil, pour le prononcé de la nullité du mariage d’un beau-père avec sa bru, dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de 20 ans ( 1re civ., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-26066).
Sans qu’il soit nécessaire de multiplier les exemples, il convient d’ajouter que ce pouvoir d’éviction vise aussi, s’il y a lieu, les textes de lois jugés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil l’a précisé lui-même dans sa décision précitée du 12 mai 2010 :
“ L’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements [ internationaux ] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution”.
Il est en définitive indéniable que les juges contribuent de manière essentielle à la mise en œuvre des normes juridiques applicables aux litiges qu’ils ont pour mission de résoudre.
Ils tiennent leur légitimité de la Constitution elle-même et des textes internationaux consacrant la séparation des pouvoirs comme une exigence essentielle des sociétés démocratiques.
Mais séparation des pouvoirs ne signifie pas absence de dialogue entre le juge et les autres institutions : quel que soit le champ d’action du juge judiciaire, confronté à l’application des textes internationaux comme des normes de l’ordre constitutionnel, la construction d’une “politique jurisprudentielle” ne peut être menée efficacement qu’avec le concours des Hautes cours en charge de tels contentieux dont elles sont les premiers interprètes.
Il n’est plus concevable, dans un système juridique moderne, d’agir sans se préoccuper des orientations données aux questions posées par les autres ordres juridictionnels.
Au-delà de la recherche de sécurité juridique, c’est un constat de bon sens qui doit justifier l’instauration d’un dialogue permanent entre ces institutions, nationales et européennes, pour parvenir à l’instauration d’un Etat de droit conforme aux attentes des justiciables.

 
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