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PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Justice et élaboration de la norme
M. Sébastien GRAMMOND,
Professeur de droit civil à l’Université d’Ottawa, Canada
Introduction
Tendance générale à une plus grande acceptation du pluralisme juridique ; notamment comme instrument pour améliorer les relations entre les peuples autochtones et l’État
Exemples de reconnaissance des systèmes juridiques autochtones :
o Dispositions constitutionnelles (ex. : Afrique du Sud, Colombie, Canada)
o Instruments internationaux (Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ; Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail)
o Action autonome du juge (tradition coloniale britannique, Canada)
Peut-on faire confiance au juge de l’ordre étatique pour reconnaître les systèmes juridiques autochtones ? Un certain nombre de difficultés peuvent être évoquées à l’aide d’exemples canadiens, ainsi que des avenues de solution
1. L’ignorance du juge étatique
À la différence du pluralisme découlant des phénomènes transnationaux, le droit dont il est question ici prend des formes qui ne sont pas toujours reconnaissables pour un juriste formé aux traditions occidentales
L’ordre juridique autochtone peut être composé d’histoires ou de légendes qui ne sont pas directement prescriptives, de valeurs qui ne déterminent pas entièrement la conduite à suivre dans un cas donné, de processus de résolution des conflits...
Exemple de la Loi sur la faune et la flore du Nunavut
Même lorsque les systèmes juridiques autochtones sont rédigés sous forme d’un code de règles, la prudence est de mise ; il faut s’interroger sur les conditions de rédaction ; et la lecture de ces règles ne peut être complètement isolée d’une immersion dans la culture qui les sous-tend
2. Le pouvoir du juge étatique
Le juge étatique peut être saisi de litiges dans lesquels deux interprétations opposées du contenu d’un ordre juridique autochtone sont mises de l’avant (exemple des affaires reliées aux « élections coutumières » des communautés autochtones canadiennes)
Face à un tel désaccord, le juge étatique peut être tenté de s’en remettre à des experts pour identifier la « vraie » coutume, mais le risque est alors de favoriser ceux qui se présentent comme adhérant à la tradition historique, au détriment de ceux qui veulent faire évoluer la coutume
Au contraire, le juge étatique peut être tenté d’appliquer des concepts de démocratie majoritaire propres aux sociétés occidentales
De tels conflits s’inscrivent souvent dans un processus d’évolution de la coutume et de transformation au sein des sociétés autochtones
Il n’y a pas de manière objective de déterminer quelle version de la coutume est « authentique », « vraie », etc.
En retenant les prétentions de l’une des parties, le juge se trouve à faire un choix politique entre les factions en cause, et il est probable qu’il effectue ce choix en se fondant sur des prémisses philosophiques occidentales, par exemple la démocratie majoritaire
3. L’assimilation par le juge
Le juge qui reconnaît une situation juridique issue de l’ordre autochtone a ensuite tendance à la faire cadrer dans le moule des institutions juridiques d’inspiration occidentale
Exemple de l’adoption autochtone, souvent assimilée à l’adoption plénière des sociétés occidentales, qui coupe tout lien avec les parents biologiques
4. Les solutions
La meilleure solution pour assurer l’intégrité des ordres juridiques autochtones est de reconnaître le pouvoir de certains représentants des peuples autochtones de dire le droit autochtone et de certifier une situation juridique découlant de l’ordre juridique autochtone
Deux exemples provenant du nord du Canada :
o la reconnaissance de l’adoption coutumière par les lois de deux territoires ; le juge étatique n’a donc pas à chercher à définir le droit autochtone et ne construit pas une jurisprudence à ce sujet ; les juges de ces territoires ont aussi conclu que les conséquences de l’adoption étaient régies par le droit autochtone, mais il n’existe pas de mécanisme pour faire certifier ces conséquences ; le projet de loi québécois sur ce sujet permet aussi à l’autorité autochtone de certifier les conséquences de l’adoption en droit autochtone, ce qui règle le problème
o les systèmes de détermination de l’identité inuit dans les traités conclus au Nunavut et au Nunavik : le droit canadien réfère directement aux « us et coutumes des Inuit » quant à cette question, mais met en place une procédure rigide que les autorités autochtones doivent suivre ; de plus, les gouvernements ont consenti à ce système après que les Inuit aient divulgué l’essentiel des règles qu’ils entendaient appliquer et qu’ils aient convaincu les gouvernements que ces règles n’étaient pas discriminatoires.