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Chef de la Section de la coopération internationale, Bureau du Procureur, Cour Pénale Internationale
Le terme « exécution » est employé comme un terme générique pour signifier la traduction d’une règle ou d’une décision juridictionnelle dans la réalité sociale. Elle est qualifiée spontanée ou volontaire lorsque le destinataire de la norme ou de la décision accepte, sans réticence, d’en réaliser les prescriptions. L’exécution est forcée lorsqu’elle s’impose par la coercition au sujet de droit réfractaire à son application. La critique fondamentale adressée au droit international public consiste justement à dénoncer « la faiblesse de ses mécanismes d’exécution ».
Les décisions des juridictions internationales sont elles obligatoires ?
Les États exécutent-ils spontanément ces décisions ?
Comment les y contraindre en cas de nécessité ?
Quel est l’impact des décisions internationales sur des autres différends ?
Y a-t-il un effet préventif ?
Ce sont quelques-unes des questions auxquelles il sera répondu au long de cette étude.
Le thème qui est été proposé est très vaste, l’expression « décisions internationales » engloberait toutes les décisions des juridictions internationales. Il inclut les décisions de la Cour Internationale de Justice, des tribunaux spéciaux, ad hoc de Yougoslavie et du Rwanda, des tribunaux internationalisés (les tribunaux spéciaux pour la Sierra Léone, des Khmers rouges, pour le Liban), des chambres spéciales pour le « Timor Oriental », pour les crimes de guerre de Bosnie-Herzégovine, ou de poursuites au Kosovo, également, des tribunaux internes au nom de la compétence universelle et enfin celle de la cour pénale internationale. Il pourrait également concerner d’autres juridictions compétentes pour connaître des questions civiles, commerciales, maritimes etc. Ou bien même, dans le domaine de l’arbitrage international.
Tout d’abord, notre propos va se limiter à l’examen de l’effet et l’exécution des décisions de la Cour Pénale Internationale. Nous allons notamment mettre l’accent sur les activités du Bureau du Procureur (BdP).
Création de la Cour Pénale Internationale
L’idée de punir les responsables de violations du droit de la guerre n’est pas apparue soudainement : les juridictions pénales contemporaines s’inscrivent dans un courant de pensée ancien et marchent sur la voie tracée par les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo.
L’histoire de la justice pénale internationale a commencé en 1872 . Cependant, les tentatives successives d’établissement de tribunaux internationaux n’ont cessé de se heurter à un impératif prévalent à l’époque de l’État-Nation : la souveraineté Étatique.
Il faut donc attendre Nuremberg pour que le concept de justice pénale internationale réapparaisse et prenne corps. Après l’ampleur des crimes perpétrés par le régime nazi lors de la seconde guerre mondiale, et les exactions massives commises à cette même époque par les forces japonaises, les deux tribunaux de Nuremberg et Tokyo furent mis en place pour juger les responsables de ces crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ils ont, pour la première fois, concrétisé une implication concrète de plusieurs États dans la répression pénale des crimes commis et ont constitué une véritable impulsion.
Ce n’est qu’en décembre 1989 que l’Assemblée générale prie la Commission du droit international (CDI) de reprendre ses travaux sur la création d’une cour criminelle internationale. En 1993 et en 1994 , le Conseil de Sécurité de l’ONU établit deux tribunaux ad hoc pour réprimer les crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocides des conflits en ex-Yougoslavie et au Rwanda.
En 1994, la CDI a remis à l’Assemblée générale un projet de statut et a recommandé à l’Assemblée générale de convoquer une conférence afin de négocier un traité établissant la cour pénale internationale. Enfin, c’est la conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations Unies réunie a Rome du 15 juin au 17 juillet 1998 qui a finalement adopté, par 120 voix pour, 7 contre, et 21 abstentions, le statut portant création d’une Cour pénale internationale. Le 1er juillet 2002, le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) est ratifié par 60 États et, est entré en vigueur. La CPI est devenue opérationnelle au mois de Juillet 2003. A ce jour, 111 États se sont obligés envers la CPI en ratifiant le Statut de Rome .
Comment la problématique de l’exécution des décisions se manifeste dans le cadre de la CPI ?
La CPI, en tant que juge de la violation du droit humanitaire international, a rendu de nombreuses décisions (I), mais elle ne dispose pas de moyens pour assurer elle même, où par le recours à la puissance publique, à l’exécution de ces décisions (II). Cependant, pour donner une plus grande efficacité à la justice internationale, à la lumière des techniques exécutives mises en place dans le cadre de certaines juridictions , la CPI a élaboré toute une stratégie, dans le domaine de la coopération internationale, en vue de donner force et effets à ces décisions et d’accroître l’impact de ses travaux (III).
Voilà le contenu de cette contribution à vos travaux auxquels le BdP est très honoré de participer.
A. Les principes du statut et l’organisation de la CPI
La CPI est une institution judiciaire, créée pour prévenir et gérer la violence à grande échelle. Le système de Rome a été conçu à partir du constat d’échec des moyens utilisés par le passé pour faire cesser la violence et les conflits (amnisties ou exils dorés pour les dictateurs, partage du pouvoir avec des criminels de masse). Le but était de mettre fin à l’impunité pour ces crimes qui, nous en étions convaincus, ne devaient jamais se reproduire, mais qui se répètent encore et encore. En vertu du Statut de Rome, ces crimes sont considérés comme des menaces pour la paix et la sécurité dans le monde et la phrase « plus jamais ça » qui répondait à une obligation morale envers les victimes est désormais devenue une obligation juridique.
Nous avons établi un ensemble de règles qui améliorent la « calculabilité », avec un nouveau cadre légal, transparent et prévisible, qui garantit avec certitude que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale seront punis. C’est le concept de base, la pierre angulaire du système pénal international : la primauté du droit comme gage de protection. Les États parties sont sous la protection du Statut de Rome.
La CPI est plus qu’une cour ; c’est un système de justice pénale international complet auquel 111 États ont souscrit à ce jour.
Avec le Statut de Rome, le droit positif a été codifié en un texte détaillé. Les États ont réaffirmé le devoir qui leur incombait de poursuivre les pires criminels, indépendamment de leur qualité officielle ; une cour indépendante, impartiale et permanente a été créée et investie de l’autorité d’intervenir chaque fois qu’un État refuse d’entamer de véritables poursuites tout en incitant chaque État à assumer ses propres responsabilités au nom de la justice internationale.
De plus, les rédacteurs du Statut de Rome ont clairement reconnu le lien intrinsèque entre justice et paix. Comme indiqué dans le préambule, en mettant un terme à l’impunité des auteurs des crimes les plus graves, la Cour se dote des moyens nécessaires à la prévention de tels crimes, ayant ainsi un effet dissuasif.
Deux principes se dégagent du Statut : le principe de la complémentarité et celui de la coopération.
Les États parties au Statut de Rome se sont engagés d’une part, à mener des enquêtes et à engager des poursuites à propos des crimes de masse relevant de leur compétence et d’autre part, à prévenir la commission de tels crimes. Ils ont accepté que la CPI prenne l’initiative de se substituer à eux s’ils ne parvenaient pas à mener des enquêtes et à engager des poursuites en bonne et due forme.
Telle est la définition du principe de la complémentarité.
Les États parties se sont aussi engagés à coopérer avec la Cour, dès lors qu’elle décide d’intervenir et quel que soit le lieu de l’intervention. La Cour peut donc compter sur la coopération de la police des 111 États parties pour faire appliquer ses décisions. Ce principe de coopération avec la Cour n’est d’ailleurs pas un vain mot. Il est véritablement mis en pratique, comme en témoigne la remise par la République démocratique du Congo de trois de ses ressortissants à la Cour ou encore l’exécution en une journée du mandat d’arrêt contre Jean-Pierre Bemba, l’ancien vice-président de la RDC, par la police belge.
La CPI, « permanente et indépendante reliée au système des Nations Unies », est composée de 18 juges, répartis en trois chambres (la chambre préliminaire, la chambre de première instance et la chambre d’appel), leur personnel, un Bureau du Procureur où travaillent 300 personnes et le Greffe qui compte aussi 500 personnes de 80 nationalités différentes. Son siège est à La Haye (Pays-Bas).
Le BdP, dirigé par le Procureur, Luis Moreno-Ocampo, qui a pris ses fonctions le 16 juin 2003, a pour mandat de enquêter en toute indépendance sur les crimes relevant de la compétence de la Cour, c’est-à-dire le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, et à poursuivre en justice les auteurs de ceux-ci, sur la base d’une politique pénale bien élaborée. En menant des enquêtes et des poursuites, le BdP contribue à la réalisation de l’objectif général de la Cour, à savoir mettre fin à l’impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes qui sont les plus graves, et contribue ainsi à la prévention desdits crimes.
En raison de son mandat, le BdP comprend trois divisions. La Division des enquêtes est principalement chargée de procéder aux examens préliminaires et à l’instruction des enquêtes. A cet égard, le Statut exige du BdP qu’il étende l’enquête pour pouvoir couvrir à la fois les faits à charge et les faits à décharge, insistant sur sa responsabilité consistant à s’efforcer d’établir la vérité dans chacune des affaires. Le rôle de la Division des Poursuites consiste à représenter le BdP lors des affaires portées devant les différentes Chambres de la Cour. La Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération analyse les situations déferrées et autres informations soumises à l’attention du Procureur et s’occupe également d’obtenir les accords de coopération nécessaires pour la bonne conduite des activités du Bureau.
Compétence de la CPI
La compétence rationae materiae de la Cour englobe catégories de crimes, considérés comme les « crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale » (Art. 5) : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre. Pour le crime d’agression la Cour n’exercera sa compétence à l’égard de ce crime que lorsque sa définition aura été donnée conformément aux Articles 121 et 123.
Rationae temporis, seules les infractions commises après l’entrée en vigueur du statut, le 1er juillet 2002, ou plus tard si un État est devenu partie au Statut après son entrée en vigueur (Art. 11 et 24).
Rationae personae, encore, mais aussi rationae loci, la Cour ne peut exercer sa compétence que si le crime a été perpétré sur le territoire d’un État partie (ou au bord d’un navire ou d’un aéronef immatriculé dans un tel État) ou si la personne accusée du crime est un ressortissant d’un État partie (Art. 12). Toutefois, comme une exception, un État qui n’est pas Partie au présent Statut peut aussi, par déclaration déposée auprès du Greffier, consentir à ce que la Cour exerce sa compétence à l’égard du crime dont il s’agit (Art. 12(3). En outre, la limitation de compétence est écartée lorsque le crime est déféré au Procureur par le Conseil de Sécurité de l’ONU (Art. 13(b) - pour un premier exemple, v. la Résolution 1593 du Conseil, du 31 mars 2005, au sujet de crimes de guerre commis au Darfour, Soudan).
Enfin, comme indiqué, dans tous les cas, la compétence de la Cour n’est que subsidiaire : fondée sur le préambule qui stipule que la Court est « complémentaire des juridictions pénales nationales », la Cour n’est pas compétente lorsqu’une « affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites » (Art. 17).
La nature complémentaire de la CPI, en effet, l’efficacité de la CPI ne devrait pas se mesurer au nombre d’affaires présentées devant la Cour, mais plutôt à l’absence de procès devant elle, qui est la conséquence du fonctionnement efficace des systèmes nationaux et marque son principal succès.
Le principe de complémentarité représente la volonté expresse des États Parties de créer une institution dont le champ d’action est global tout en respectant la souveraineté première des États en matière de compétence pénale. Par ailleurs, ce principe répond à un souci d’efficacité et d’efficience, dans la mesure où les États ont, en général, plus facilement accès aux éléments de preuve et aux témoins.
Ici, il convient de noter que le concept de complémentarité comporte deux dimensions connexes :
1) le critère de recevabilité, conformément à l’article 17. Il s’agit d’un aspect purement judiciaire qui ne relève que du juge. L’évaluation de la recevabilité concerne l’attribution d’une affaire à une cour donnée. Il s’agit notamment de vérifier si un État a engagé de véritables procédures à propos des crimes les plus graves relevant de la compétence de la Cour et à l’encontre des personnes portant la plus lourde part de responsabilité.
L’examen de la recevabilité d’une affaire ne revient pas à évaluer la qualité d’un système judiciaire national dans son ensemble. Comme prévu par l’article 17 du Statut de Rome, le Bureau doit vérifier si les affaires retenues ou susceptibles de l’être ont fait ou font l’objet d’une enquête ou de poursuites par l’État concerné.
Le Bureau s’attèle d’abord à déterminer si l’affaire en question a fait l’objet d’une enquête ou de poursuites à l’échelle nationale et, le cas échéant, il tente d’établir si les procédures engagées par l’État en question sont entachées de nullité du fait de l’absence de volonté ou de l’incapacité de cet État à mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites. Si les procédures nationales ne concernent que des auteurs de crimes dont la responsabilité est minime ou se focalisent sur les crimes de façon isolée en dehors du contexte dans lequel ils ont été commis, le Bureau ne les considèrera pas comme des obstacles à une intervention de sa part.
2) L’approche positive de la complémentarité, l’une des politiques du Bureau du Procureur, est l’un des quatre principes fondamentaux de la Stratégie en matière de poursuites . Elle trouve son fondement juridique notamment dans les objectifs affichés dans le préambule et à l’article 93-10 du Statut et vise à encourager activement la mise en place de procédures nationales qui s’appuieraient sur des réseaux nationaux et internationaux tout en participant à un système de coopération internationale.
Il ne s’agit pas de donner à la Cour ou au Bureau la mission d’évaluer ou de réformer des systèmes judiciaires nationaux. Ce travail incombe en effet à d’autres instances judiciaires. Il s’agirait plutôt, selon les termes du Professeur Carsten Stahn d’une « répartition des tâches » dans un objectif commun : l’ouverture de poursuites à propos des crimes commis à grande échelle.
Étant donné l’éventail des responsabilités incombant au Procureur en vertu du Statut, lesquelles exigent une interaction précoce et plurielle avec les États et la société civile, le Bureau apparaît comme le principal vecteur de la mise en œuvre d’une complémentarité positive. Il s’agit notamment pour lui de rendre publiques ses activités comme prévu par l’article 15 afin de favoriser la tenue de procédures nationales et la coopération conformément à l’article 93-10, et de mobiliser des « réseaux de ressource externes » (au sein desquels le Bureau joue le rôle d’« intermédiaire »). Aucune de ces actions ne nécessite de gros moyens. Le Bureau ne doit pas donner directement des avis juridiques, dans la mesure où cela pourrait compromettre des procédures ultérieures engagées par la CPI, ou accorder une aide directe au renforcement des capacités, puisqu’il n’est pas une agence de développement.
La Cour peut exercer sa compétence à l’égard d’un crime visé à l’Article 5, conformément aux dispositions du présent Statut :
si une situation dans laquelle des crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie ;
si une situation dans laquelle des crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par le Conseil de sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ; ou
si le Procureur a ouvert une enquête sur le crime en question en vertu de l’Article 15.
Dans les deux premiers cas, le Procureur examine les renseignements disponibles et, à moins de conclure qu’il n’y a pas de base raisonnable pour le faire, il ouvre une enquête. Avant d’ouvrir une enquête de sa propre initiative, il reçoit et analyse des renseignements fournis par diverses sources dignes de foi. S’il conclut qu’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, il demande à la chambre préliminaire de l’y autoriser. D’autre part, un État qui n’est pas partie au Statut peut déposer une déclaration en vertu de laquelle il accepte la compétence de la Cour dans une affaire donnée. Ce type de déclaration prévu par l’article 12-3 n’entraîne pas automatiquement l’exercice de la compétence de la Cour mais il constitue le fondement juridique nécessaire à l’ouverture d’une enquête par le Procureur conformément à l’article 15 ou au renvoi d’une affaire par un État Partie.
Les enquêtes du Procureur s’étendent à tous les faits et éléments de preuve pertinents pour évaluer la responsabilité pénale. Le Procureur enquête tant à charge qu’à décharge et respecte pleinement les droits de l’accusé.
Pendant une enquête, chaque situation est assignée à une chambre préliminaire. Celle-ci est responsable des aspects judiciaires de la procédure. Entre autres fonctions, elle peut, à la demande du Procureur, délivrer un mandat d’arrêt ou une citation à comparaître s’il y a une base raisonnable pour croire qu’une personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour. Une fois que la personne recherchée a été remise à la Cour ou s’est présentée volontairement devant la Cour, la chambre préliminaire tient une audience de confirmation des charges sur lesquelles reposera le procès.
Après la confirmation des charges, l’affaire est assignée à une chambre de première instance composée de trois juges. Cette chambre est responsable de la conduite d’une procédure équitable et diligente dans le plein respect des droits de l’accusé. L’accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie au-delà de tout doute raisonnable par le Procureur. Il a le droit de se défendre lui-même ou de se faire assister par un conseil de son choix. Les victimes peuvent également participer à la procédure directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants légaux.
À l’issue de la procédure, la chambre de première instance rend son jugement, en acquittant ou en condamnant l’accusé. Si l’accusé est déclaré coupable, la chambre prononce une peine pouvant aller jusqu’à 30 ans d’emprisonnement ou, si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient, la réclusion à perpétuité. La chambre de première instance peut également ordonner l’octroi de réparations aux victimes.
A. Un rôle unique pour les victimes
Le Bureau du Procureur est convaincu que les victimes apportent un éclairage unique et indispensable aux activités de la CPI et qu’elles contribuent à l’équité et à l’efficacité des procès. Les victimes ont joué un rôle déterminant dans la création de la Cour et lui donnent aujourd’hui encore une véritable impulsion. Contrairement à ce qui se passe dans les autres tribunaux pénaux internationaux, les victimes ne sont pas les objets passifs de la justice internationale mais plutôt des intervenants actifs au regard du Statut de Rome qui reconnaît leur participation comme un droit et non un privilège accordé au cas par cas.
La participation des victimes est une des politiques défendues par le Bureau dès lors que toutes les conditions posées par le Statut sont remplies. Les questions d’ordre administratif ou matériel (telles que le nombre de victimes) exigent des solutions pratiques et ne constituent pas en soi un obstacle à la participation.
Le rôle des victimes revêt différentes formes au regard du Statut, à commencer par le dépôt de renseignements à propos de crimes conformément à l’article 15 et l’envoi de représentations écrites défendant leurs intérêts. Le Bureau favorise une interaction directe avec les victimes et les associations de victimes à toutes les étapes de ses activités et de façon continue durant toute la procédure : de l’examen préliminaire, en passant par l’enquête, la phase préliminaire, le procès jusqu’à la phase des réparations.
Pour les besoins de la participation à la procédure conformément à l’article 68-3, le Bureau accepte les demandes dès lors que les critères pertinents sont respectés. Ces critères comprennent la définition du statut de victime au sens de l’article 85 ; la preuve que le demandeur a un intérêt personnel dans la procédure en question ; la pertinence de la participation des victimes à ce stade précis de la procédure ; et l’assurance que les conditions de cette participation ne seraient ni préjudiciables ni contraires aux exigences d’un procès équitable et aux droits de la défense. Il faut noter, en outre, que le Bureau a adopté une définition extensive des victimes incluant les personnes qui sont directement ou indirectement les victimes de crimes.
Lors de la phase préliminaire et de celle du procès dans une affaire donnée, le préjudice dénoncé par le demandeur doit être lié aux accusations alléguées. En revanche, au stade des réparations, le Bureau accepte les demandes de personnes ou d’entités qui ne sont pas liées aux accusations pour lesquelles les accusés seront finalement condamnés.
S’agissant des modalités de participation au titre de l’article 68-3, qu’il faille procéder à une évaluation au cas par cas, le Bureau estime qu’il conviendrait de présenter, dans la mesure du possible, une synthèse des modalités générales en la matière afin d’écarter toute incertitude et de garantir une certaine cohérence pour les victimes elles-mêmes.
Tout au long des phases préliminaires et de première instance, l’accusé, le Procureur ou l’État concerné peuvent interjeter appel de décisions rendues par les chambres, comme le prévoit le Statut. Celui-ci prévoit également que le Procureur et l’accusé peuvent interjeter appel du jugement ou de la peine prononcée par la chambre de première instance. Les représentants légaux des victimes, la personne condamnée ou les propriétaires de bonne foi de biens affectés par des ordonnances de réparation peuvent aussi former des recours contre ces ordonnances. Tous les appels sont tranchés par la Chambre d’appel, composée de cinq juges.
La CPI a mis en place une procédure adaptée et des concepts juridiques innovants pour préserver l’intérêt supérieur de la justice, garantir les intérêts des victimes et lutter contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves.
B. Des enquêtes et des poursuites ciblées
La Stratégie en matière de poursuites du Bureau du Procureur repose sur le principe d’enquêtes et de poursuites ciblées, à partir d’un nombre restreint d’événements. Cela permet au Bureau de mener efficacement ses enquêtes, de limiter le nombre de personnes menacées en raison de leurs liens avec le Bureau et de proposer des procès rapides tout en cherchant à couvrir tout le spectre de la criminalité. En principe, les événements seront choisis de manière à offrir un échantillon représentatif des faits les plus graves et des principaux types de poursuites. Cette manière de sélectionner les événements et les accusations en cause constitue l’une des mesures prises pour faire face aux enjeux de la sécurité.
Lorsque le Bureau ne procède ni à des enquêtes ni à des poursuites dans une affaire donnée, cela ne signifie pas pour autant que l’impunité est de mise. Comme il a été expliqué précédemment, la CPI vient soutenir les efforts nationaux et plaide constamment pour l’adoption de mécanismes nationaux visant à enrayer l’impunité. De même, conformément à cette politique de complémentarité « positive », le Bureau défend une approche globale de la lutte contre l’impunité alliant ses propres actions quant aux crimes les plus graves et aux personnes qui en portent la responsabilité la plus lourde, et des poursuites nationales à l’encontre des autres responsables présumés. Dans cette optique, il œuvre de concert avec la communauté internationale pour s’assurer que des mécanismes favorisant la manifestation de la vérité et la réconciliation voient le jour et contribuent aussi à prévenir une reprise de la violence. Comme indiqué dans le préambule du Statut, l’objectif final consiste à mettre en place un système international garantissant l’exécution de la justice pénale pour les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale, reposant sur l’action conjuguée des autorités nationales et internationales et à prévenir ainsi la commission de nouveaux crimes.
A. Les analyses préliminaires en cours au Bureau du Procureur
L’analyse préliminaire constitue la première phase de l’action du Bureau du Procureur menée en vue de déterminer si une enquête devrait être ouverte. C’est la meilleure occasion, ou en tout cas la première, dont dispose le Bureau pour encourager l’ouverture de procédures nationales dans la mesure où le Procureur exerce un pouvoir discrétionnaire quant au choix des situations justifiant l’ouverture d’une enquête. Il s’agit d’une phase au cours de laquelle le Bureau détermine si les critères posés par le Statut sont réunis pour qu’une enquête soit ouverte. Premièrement, la compétence : il convient de déterminer si la Cour peut exercer sa compétence dans une situation donnée et si des crimes relevant de sa compétence ont été commis. Deuxièmement, la recevabilité : il convient d’établir si de véritables procédures ont été ou sont engagées par les autorités nationales à l’égard de ces crimes tout en tenant compte de leur gravité. Et troisièmement, il convient de déterminer si l’ouverture d’une enquête n’irait pas à l’encontre des intérêts de la justice (à ne pas confondre avec l’intérêt de la paix, qui relève d’autres institutions politiques, notamment du Conseil de sécurité de l’ONU).
Nous déterminons s’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête à partir de ces trois éléments, indépendamment de la manière dont les enquêtes ont été déclenchées. Le renvoi d’une situation par un État Partie ou par le Conseil de sécurité n’oblige pas le Procureur à ouvrir une enquête.
Lors de cette phase, le Bureau évalue activement toutes les informations émanant de sources multiples concernant les crimes présumés, y compris les “communications” fournies par des personnes ou des parties concernées, comme le prévoit l’article 15 du Statut. Le déclenchement d’un examen préliminaire ne signifie pas qu’il débouchera automatiquement sur l’ouverture d’une enquête. Le BdP a analysé la situation au Venezuela et les activités des ressortissants de 25 États membres actifs en Irak. Dans ces cas précis, le Bureau a finalement décidé de ne pas ouvrir d’enquête. Pour l’instant, le Bureau procède à des examens préliminaires à propos de situations en Colombie, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, en Géorgie, en Palestine et en Guinée.
1. Afghanistan
Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analysait cette situation en 2007, examen qui porte sur des crimes présumés relevant de la compétence de la Cour qu’auraient perpétrés tous les acteurs concernés. Le Bureau a rencontré des responsables afghans en dehors du pays, de même que des représentants de diverses organisations. Il a envoyé plusieurs demandes de renseignements au Gouvernement afghan, mais n’a pas encore reçu de réponse à ce jour.
2. Colombie
Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analysait cette situation en 2006, examen qui porte sur des crimes allégués relevant de la compétence de la Cour et sur des enquêtes et des poursuites menées en Colombie à l’encontre des auteurs présumés des crimes les plus graves, de chefs paramilitaires, de femmes et d’hommes politiques, de chefs de guérilla et de membres des forces armées. Le Bureau s’intéresse également à des allégations faisant état de réseaux internationaux qui viennent en aide aux groupes armés auteurs de crimes en Colombie.
3. Géorgie
Le Bureau a annoncé officiellement qu’il analysait cette situation le 14 août 2008, Le Ministre Géorgien de Justice a effectué une visite au Bureau du Procureur, tandis que la Russie, qui n’est pas partie au Statut, lui a fait parvenir 3817 communications. Le 27 août 2008, le Procureur a sollicité des gouvernements Russe et Géorgien qu’ils lui communiquent certaines informations, ce qu’ils ont tous deux fait. Des représentants du Bureau se sont rendus en Géorgie en novembre 2008 et en Russie en mars 2010.
4. Palestine
Le 22 janvier 2009, l’Autorité nationale palestinienne a déposé auprès du Greffier une déclaration au titre de l’Article 12(3) du Statut de Rome qui autorise les États non parties à accepter la compétence de la Cour. Le Bureau du Procureur analyse actuellement les éléments en rapport avec sa compétence, notamment les questions de savoir tout d’abord si la déclaration d’acceptation de la compétence de la Cour répond aux prescriptions du Statut, ensuite si des crimes relevant de la compétence de la Cour ont été commis et enfin si des procédures nationales sont menées à l’égard des crimes présumés. Une délégation de l’Autorité nationale palestinienne ainsi que des représentants de la Ligue des États Arabes se sont rendus à la Cour les 15 et 16 octobre 2009 afin de déposer un rapport présentant des arguments en faveur de la capacité de l’Autorité palestinienne à déléguer sa compétence à la CPI. Le 11 janvier, en réponse à une demande de l’ONU, le BdP lui a adressé une lettre sur ses activités récentes dans le cadre des suites données au rapport Goldstone. Le 3 mai, il a publié un « Résumé des observations visant à déterminer si la déclaration déposée par l’Autorité nationale palestinienne répond aux prescriptions du Statut de Rome ». Aucune décision n’a encore été prise sur la question.
5. Côte d’Ivoire
La Cour a compétence à l’égard de la situation en Côte d’Ivoire en vertu d’une déclaration que le Gouvernement ivoirien a déposé le 1er octobre 2003 au titre de l’Article 12(3) et par laquelle il accepte la compétence de la Cour à compter du 19 septembre 2002. Les crimes les plus graves, y compris des cas présumés de violences sexuelles à grande échelle, ont ‘té commis entre 2002 et 2005. Les 17 et 18 juillet 2009, de hauts représentants du Bureau du Procureur se sont rendus à Abidjan.
6. Guinée
Le 14 octobre 2009, le Bureau a confirmé que la situation en Guinée faisait l’objet d’un examen préliminaire. La Guinée est un État partie au Statut de Rome depuis le 14 juillet 2003. En conséquence, la Cour Pénale Internationale a compétence à l’égard des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou du crime de génocide pouvant être commis sur le territoire de la Guinée ou par ses ressortissants, y compris les meurtres de civils et les violences sexuelles. Conformément à l’article 15 du Statut de Rome, le Bureau du Procureur a pris connaissance d’allégations graves concernant les événements survenus le 28 septembre 2009 à Conakry. Les 12 , 13 et 15 janvier 2010, de hauts représentants du Bureau se sont entretenus avec le Président Compaoré du Burkina Faso, médiateur pour le groupe de contact sur la Guinée, et le Président Wade du Sénégal afin de veiller à ce que ces derniers soient pleinement informés de la progression des activités du Bureau. Du 15 au 19 février 2010, le Bureau a envoyé en Guinée une mission dirigée par la Procureure adjointe, dans le contexte de ses activités liées à l’examen préliminaire de la situation. Du 19 au 21 mai, des représentants du BdP se sont rendus à Conakry, afin de discuter des avancées réalisées depuis la dernière mission. Les autorités guinéennes ont assuré le Cour de leur entière coopération.
B. Les situations devant les juges
Au cours des cinq dernières années le BdP a ouvert des enquêtes à propos de cinq situations - la République Démocratique du Congo, le Nord de l’Ouganda, le Darfour au Soudan, la République Centrafricaine, et plus récemment la République du Kenya, conformément aux critères mentionnés par le Statut comme indiqué ci-dessus.
1. Situation en République démocratique du Congo (RDC)
Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la part des autorités de la RDC en avril 2004. Le Bureau du Procureur a ouvert son enquête en juin de la même année en se concentrant sur l’Ituri, où les principaux groupes armés avaient commis les crimes les plus graves.
Quatre mandats d’arrêt ont été délivrés, à l’encontre des dirigeants de l’UPC Thomas Lubanga Dyilo et Bosco Ntaganda, et de ceux du FNI et de la FRPI Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui. Le procès contre Thomas Lubanga Dyilo s’est ouvert le 26 janvier 2009. L’ouverture du procès de MM. Katanga et Ngudjolo Chui a eu lieu le 24 novembre 2009. Bosco Ntaganda est toujours en fuite. En septembre 2008, le BdP a annoncé l’ouverture d’une enquête dans les deux provinces du Kivu.
2. Situation en Ouganda
Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la part des autorités ougandaises en janvier 2004. Le bureau du Procureur a ouvert son enquête en juillet de la même année. Cinq mandats d’arrêts ont été délivrés à l’encontre des plus hauts dirigeants de l’Armée de résistance du Seigneur (ARS) : Joseph Kony, Vincent Otti (qui aurait été tué en 2007 sur les ordres de Joseph Kony), Okot Odhiambo, Raska Lukwiya (tué le 12 août 2006 et dont le mandat d’arrêt a de ce fait, été levé) et Dominic Ongwen. Ces mandats n’ont pas encore été exécutés. Depuis 2008, l’ARS aurait tué plus de 1500 personnes, en aurait enlevé plus de 2 250 et en aurait contraint bien plus de 300 000 à se déplacer rien qu’en RDC. En outre, au cours de l’année écoulée, l’ARS a déplacé plus de 80 000 personnes et en a tué près de 250 dans le Sud du Soudan et en République Centrafricaine.
3. Situation au Darfour (Soudan)
Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la part du Conseil de Sécurité de l’ONU en mars 2005. Le Bureau du Procureur a ouvert son enquête en juin de la même année. Trois mandats d’arrêts et une citation à comparaître ont été délivrés, à l’encontre d’Ahmad Harun et Ali Kushayb, d’Omar Al Bashir et de Bahar Idriss Abu Garda. Les trois mandats d’arrêts n’ont pas encore été exécutés.
L’Accusation a fait appel de la décision rejetant les accusations de génocide contre le Président Al Bashir rendue par la Chambre à la majorité. Le 3 février, la Chambre d’appel a jugé que le rejet des chefs de génocide contre le Président Al Bashir constituait une erreur de droit.
M. Abu Garda a comparu de son plein gré devant la Cour en exécution de la citation à comparaître qui lui avait été adressée . Il a été autorisé à quitter les Pays Bas à l’issue de sa comparution initiale qui a eu lieu le 18 mai 2009. L’audience de confirmation des charges des charges a eu lieu du 19 au 30 octobre 2009. Le 8 février 2010, la Chambre Préliminaire a rendu une décision par laquelle elle rejetait les charges. Le 15 mars, le BdP a déposé une demande d’autorisation d’interjeter appel de cette décision, que la Chambre préliminaire a rejetée le 23 avril. Le BdP entend présenter des éléments de preuve supplémentaires.
4. Situation en République centrafricaine (RCA)
Cette situation a fait l’objet d’un renvoi de la part des autorités centrafricaines en décembre 2004. Le Bureau du Procureur a ouvert son enquête en mai 2007. Un mandat d’arrêt a été délivré à l’encontre de Jean-Pierre Bemba Gombo pour des crimes commis en 2002 et 2003. L’audience de confirmation des charges a eu lieu du 12 au 15 janvier 2009. Le 15 juin de la même année, la Chambre préliminaire II a rendu sa décision relative à la confirmation des charges. Le 18 septembre, l’affaire a été renvoyée devant la Chambre de première instance III. L’ouverture du procès est prévue pour le 5 juillet 2010. Les 27 et 28 avril, la Chambre de première instance a tenu une audience sur l’admissibilité. Dans le même temps, le Bureau continue de s’intéresser de près aux allégations de crimes commis depuis la fin 2005.
5. Situation au Kenya
En février 2008, le Bureau a annoncé officiellement qu’il analysait les violences postélectorales de décembre 2007 et janvier 2008. Le 09 juillet, le Groupe d’éminentes personnalités de l’Union Africaine a annoncé qu’il allait remettre au Bureau du Procureur une enveloppe sous scellés contenant une liste de personnes qui seraient impliquées et des pièces justificatives que son Président Kofi Anan, avait lui-m6eme reçues de la Commission Waki. Le 5 novembre, le Procureur a informé le Président Kibaki et le Premier Ministre Odinga que selon lui, des crimes contre l’humanité avaient été commis et leur a rappelé son devoir d’intervenir en l’absence de procédures nationales.
Le Président, tout comme le Premier Ministre, se sont engagés à coopérer avec la Cour. Le 26 novembre, le Procureur a demandé à la Chambre préliminaire II l’autorisation d’ouvrir une enquête insistant sur le fait que 1220 personnes avaient été tuées que des centaines avaient été violées, que des milliers de viols avaient été commis, que 350 000 personnes avaient été déplacées de force et que 3561 avaient été blessés dans le cadre d’une attaque généralisé ou systématique lancée contre la population civile. Le 31 mars, la Chambre préliminaire a autorisé le Procureur à ouvrir une enquête sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis lors des événements survenus entre le 1er juin 2005 et le 26 novembre 2009. Pour la première fois depuis le début de l’enquête, le Procureur s’est rendu au Kenya du 8 au 12 mai.
C. Les décisions rendues par la CPI
La Cour pourra prononcer des peines que le Statut fixe lui-même : un emprisonnement de « trente ans au plus » ou un emprisonnement à perpétuité « si l’extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient » (Art. 77(1)) ; peuvent s’y ajouter une amende fixée selon les critères prévus par le règlement de procédure et de preuve et la confiscation des profits et des biens tirés du crime (Art. 77(2) - sur les modalités de la fixation des peines, v. aussi Art. 77, 78 et 110 du Statut et les règles 145, 146, 223 et 224 du règlement de procédure et de preuve (RPP)).
La cour n’a pas encore rendu des décisions sur le fond, pour le moment, dans aucune des situations ci-dessus évoquées. Cependant elle a rendu de multiples décisions conservatoires ou provisoires et des mandats d’arrêts . Au total 2736 décisions ont été rendues dont 2566 par les chambres et 170 par la présidence.
Parmi les 2566 décisions des chambres, 1377 sont publiques, 921 sont confidentielles et 98 sont sous-scellées et parmi les 170 décisions de la présidence, 103 sont publiques et 67 confidentielles. Dans ce nombre de décisions des Chambres, il faut compter les 13 mandats d’arrêts - dont huit
n’ont toujours pas été exécutés - et 3 mandats de comparution.)
A la différence des systèmes judiciaires nationaux ou des Tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo, la CPI n’a pas été dotée par son Statut d’un appareil coercitif lui permettant de mettre en œuvre ses décisions sur le territoire des États. Qu’il s’agisse de l’arrestation et du transfert d’individus, d’enquête ou de saisie, la CPI dépend entièrement de la coopération des États, des organisations internationales et régionales ainsi que de la société civile internationale. La force du système de Rome repose donc sur la possibilité d’un partage des responsabilités et d’une action conjuguée entre la Cour et les juridictions nationales. Ceci est d’autant plus vrai que le Bureau ne poursuit que les personnes portant la plus lourde responsabilité dans la commission de crimes internationaux.
Les décisions présentement rendues par la Cour peuvent être classées en quatre catégories ;
les décisions de pure administration, notamment celles prises par la Présidence
les décisions de pure procédure, elles préparent et organisent les procédures, veillent à la mise en état et au respect des droits des parties au procès
les mandats d’arrêts et les mandats de comparution
les mesures conservatoires et provisoires.
Les première et deuxième catégories de décisions ne présentent pas un intérêt majeur dans la cadre de cette étude comme, l’exécution est assurée par la Cour, dans la cadre des mesures de pure administration, ou bien, par les parties au procès, dans le cadre des mesures de pure procédure édictées prises par les juges, pour assurer la mise en état des affaires et le respect des droits des participants.
En revanche, comment sont exécutés les décisions portant mandats d’arrêts ou de comparution ainsi que les mesures conservatoires ?
Mais nous pensons qu’avant cela, il ya un intérêt théorique majeur, même si la Cour n’a pas encore rendu de décision sur le fond, dans le sens d’une condamnation, de voir, comment seraient exécutées les peines d’emprisonnement qu’elle serait amenée, à prononcer.
A. L’exécution des peines d’emprisonnement
Cette étude sur les peines d’emprisonnement, noyau dur des jugements de condamnation, en l’absence d’une pratique de la CPI ne peut avoir qu’un caractère exploratoire. Le sujet de l’exécution des jugements prononcés par la CPI a ceci de particulier, qu’il s’inscrit clairement dans le cadre du droit international, en raison de la nature internationale de la juridiction.
Il emprunte également des spécificités liées à la matière en cause, le droit pénal, et au fait que le jugement n’est pas rendu entre États, ni d’ailleurs entre un État et un individu.
“Ce sont les États qui fournissent l’oxygène dont le Tribunal a besoin.”
Le Statut de Rome a détaillé le régime de l’exécution, auquel le chapitre X (Articles 103 à 111) est exclusivement consacré. Le régime de l’exécution représente bel et bien une modalité de la coopération des États avec la CPI. En effet, la distinction opérée par les auteurs du Statut entre ces deux chapitres s’explique en raison du souci des auteurs de définir un régime de l’exécution moins contraignant, moins “vertical”.
Ici, il importe de préciser le cadre général des jugements (A), avant de considérer le principe de l’acceptation par les États de se porter volontaires (B).
1. Considérations sur l’autorité des décisions de la CPI
Sur le fond, les effets des décisions prises par la CPI dépendent de la qualification de l’acte en cause. Il semble peu douteux que les décisions sont des actes juridictionnels internationaux : les juges tranchent un différend, à savoir la question de culpabilité ou non d’un individu soupçonné de crimes internationaux, par application du droit international, et selon une décision revêtue du caractère obligatoire et définitive. Les travaux préparatoires du Statut de Rome, de même que les documents internes adoptés pour la coopération avec la CPI confirment que cette qualité n’a jamais été discutée par les délégations étatiques.
Deux questions classiques et récurrentes concernent la problématique des effets des arrêts internationaux, celle ayant trait à la reconnaissance de l’autorité de chose jugée d’une part, celle d’autre part relative à la force exécutoire du jugement.
a. L’obligation de reconnaître et d’exécuter les jugements de la CPI
Lors de la rédaction du Statut de Rome plusieurs formules ont ensuite été proposées, mais finalement les délégations ont considéré que l’Article 105 (I) du Statut, stipulant que sous réserve des conditions qu’un État a éventuellement formulées comme le prévoit l’Article 103(1)(b), la peine d’emprisonnement est exécutoire pour les États parties, qui ne peuvent en aucun cas la modifier, était suffisante.
L’acte de reconnaissance ne saurait avoir aucun effet constitutive, car le jugement a dès son prononcé, au regard de l’ordre juridique des États ayant reconnu la compétence de la CPI, soit en adhérent au Statut (Art. 12.1) - autorité de chose jugée, celle-ci étant la conséquence du caractère juridictionnel de l’acte en cause. La reconnaissance est automatique ; les décisions sont efficaces de plein droit dans les ordres internes. On rejoint ainsi la distinction entre reconnaissance et exécution connue dans le cadre du régime conventionnel des effets des jugements étrangers, mais ce qui est exceptionnel vis-à vis des jugements étrangers - l’effet automatique de chose jugée indépendamment de l’exequatur - est la règle pour les jugements internationaux.
Automatique, l’autorité relative de chose jugée de tels jugements, implique leur caractère définitif. Il est intéressant de constater que beaucoup d’États ont désigné une autorité spécifique chargée de l’exécution des peines et interlocutrice du tribunal international (souvent le ministère de la Justice ou le ministère des Affaires Étrangères), alors que le Statut de Rome n’imposait une telle obligation formelle que dans le cadre des demandes de coopération internationale et d’assistance judiciaire du chapitre IX du Statut. Cette formalité devrait éviter une inexécution ou mauvaise exécution de l’arrêt (notamment des retards) en raison des différentes autorités qui pourraient ou devraient intervenir, législatives, exécutives, judiciaires, ou, sur un autre plan, fédérales et fédérées.
L’immutabilité du jugement implique également qu’il ne peut être remis en cause que par les voies légalement ouvertes, à savoir la voie d’appel admise pour la CPI et le recours plus classique en révision dans les conditions strictement définies. Le caractère définitif de l’arrêt empêche tout État de recommencer le procès sur ce qui a été jugé. Enfin, le jugement a également per se valeur probante.
b. La force exécutoire des jugements de la CPI
En vue de l’exécution forcée, les jugements de la CPI doivent-ils être soumis à une procédure d’exequatur au même titre que les jugements étrangers (allant jusqu’à vérifier la compétence du tribunal international), ou à une procédure allégée d’exécution quasi-automatique se limitant à un contrôle formel du jugement.
Dans le cadre d’un jugement international, la sentence est rendue au nom d’une entité internationale de laquelle l’État d’exécution n’est pas étranger. Cette différence fondamentale justifie, à notre avis, que l’on admette que les jugements internationaux sont revêtus de l’exequatur automatiquement.
Le refus de l’apposition de la formule exécutoire n’entraînerait pas une violation par l’État de l’obligation d’exécuter le jugement et l’engagement de sa responsabilité internationale.
B. L’acceptation de l’exécution des jugements : un régime largement favorable aux États
Le régime de la CPI est fondé sur le principe du double consentement de l’État. En fait, les États peuvent, dans des limites assez larges dans le cadre du Statut de Rome, poser des conditions à leur acceptation.
1. Le principe du double consentement
Le principe est que les États sont libres de faire connaître leur disponibilité, en général, puis au cas par cas lorsqu’ils sont saisis d’une telle demande par la Cour ; la ratification du Statut de Rome ne vaut pas acceptation automatique d’être État d’exécution, contrairement au régime retenu pour les peines d’amende et les mesures de confiscation, et en dépit d’une proposition initiale en ce sens, tant les obligations imposées semblent lourdes.
L’Article 200(5) RPP de la CPI prévoit la possibilité pour les États de signer des accords bilatéraux « en vue d’établir un cadre pour la réception des personnes qu’elle a condamnées », en précisant que « ces arrangements sont conformes au Statut » . Ce principe du double consentement, d’autant que l’État n’a pas à motiver le refus au cas par cas d’être désigné, a été jugé comme une disposition essentielle par les autorités nationales.
En contrepartie, la Cour choisit l’État chargé de l’exécution (parmi les États ayant fait la déclaration de principe de leur disponibilité), et peut, dans le cadre du Statut de Rome modifier librement l’État d’exécution pour le transfert de condamné vers un autre État ; cette liberté de choix est tout de même assez limitée, puisque la Cour doit tenir compte des principes de répartition équitable, ce qui semble vérifié en pratique de la réaction de l’État suggéré (qui peut décliner l’offre), et de l’avis de l’individu.
Il est pertinent de relever que le condamné n’ a effectivement pas été oublié dans cette procédure, ce qui est important compte tenu des conditions d’emprisonnement très variables d’un état à un autre ; un tel droit paraît légitime sur le fondement de l’égalité de traitement face à l’exécution de la peine, mais il ne garantira pas à lui seul, une telle égalité. La Règle 203 RPP pour la CPI prévoit la possibilité d’observations du condamné quant aux choix de l’État d’exécution, avec le droit à un interprète et le droit de « disposer des délais et des moyens nécessaires pour préparer la présentation de ses observations ». Ajoutons que l’Article 104(2) du Statut de Rome lui confère la faculté de demander à tout moment le changement de l’État d’exécution. De même, selon la Règle 210 RPP relative à la « Procédure applicable en cas de changement d’État chargé de l’exécution », « 1. Avant de décider de designer un autre État chargé de l’exécution, la Présidence peut (…) b) examiner les observations écrites ou orales du condamné et du Procureur ». Il est certain que le condamné aura tendance à choisir l’État d’exécution le plus favorable pour l’exécution de sa peine - celui qui accordera par exemple des remises de peine plus facilement - ou surtout celui avec lequel il a le plus de liens.
2. Un double consentement conditionné par l’État
Il n’est donc pas surprenant que la possibilité pour l’État de conditionner son accord ait été expressément inscrite dans le Statut de Rome : l’Article 103(1)(b) énonce que « lorsqu’il déclare qu’il est disposé à recevoir des condamnés, un État peut assortir son acceptation de conditions ». L’idée était d’encourager les États à héberger des prisonniers, sans avoir par exemple à modifier leur constitution (en prévoyant par exemple le libre exercice du droit de grâce), et plus généralement de ménager leurs susceptibilités. Ce même Article 103(1)(b) ajoute que ces conditions « doivent être conformes aux dispositions du présent chapitre », ce qui devrait être négocié au moment de l’accord bilatéral. La Règle 200(2) RPP permet au Président de la Cour de ne pas inscrire un État « sur la liste visée au paragraphe 1 a) de l’Article 103, si elle n’approuve pas les conditions dont cet État assortit son acceptation. » De même, la Règle 200 (3) RPP stipule que si l’État peut modifier à tout moment les conditions de son acceptation, « toute modification ou tout ajout doivent être confirmés par la Présidence ». La Règle 200(5) RPP CPI réitère le principe de conformité des accords bilatéraux avec le Statut. Cependant, la CPI, dans sa composition de jugement n’aura pas en principe à statuer sur la légalité des conditions posées par un État, puisqu’il n’a pas à connaître des questions liées à l’exécution de la peine.
A. État des lieux
Comme montré par le résumé des situations, jusqu’à ce jour, 3 demandes d’arrestation et de remise émises par la Cour ont été exécutées, et trois personnes ont donné suite à une citation à comparaître .
En revanche, 8 mandats d’arrêt et les demandes respectives en cours n’ont pas encore été exécutés :
4 pour la situation en Ouganda,
3 pour le Darfour, Soudan,
1 pour la République Démocratique du Congo.
La Cour dépend des États pour l’arrestation et la remise de ces suspects. Elle a émis des requêtes pour la coopération dans l’arrestation et la remise de ces individus. Ces requêtes obligent les États Parties au Statut de Rome. En parallèle, la Cour renforce sa coopération avec les États, les Nations Unies et les autres acteurs afin de s’assurer de tous les soutiens nécessaires. Malgré tous ces efforts, les 8 mandats d’arrêts n’ont pas encore jusqu’à ce jour été exécutés.
Conformément à son mandat qui consiste à mobiliser les efforts en vue des arrestations, le BdP a développé une stratégie vers et des recommandations à l’usage des États et organisations internationales. Ce sera expliqué plus en détail à la troisième partie.
En ce qui concerne les mesures conservatoires portant en particulier sur le gel et saisies des avoirs des inculpés ont en général été exécutées par les États.
Le chapitre IX du Statut de Rome définit le cadre juridique des différentes formes de coopération internationale et d’entraide judiciaire. Pourtant, depuis que la Cour est devenue opérationnelle, les défis nés de la coopération se sont multipliés et représentent l’un des enjeux fondamentaux des activités de la Cour.
B. Obligation de coopérer
Conformément à l’Article 86 du Statut de Rome, les États Parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. De plus, la Cour peut inviter tout État Non Partie au Statut à prêter son assistance au titre du chapitre IX sur la base d’un arrangement ad hoc ou d’un accord conclu avec cet État ou sur toute autre base appropriée (Art. 87(5)(a)).
Si un État Partie n’accède pas à une demande de coopération émanant de la Cour, d’après l’Article 87(7) du Statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l’Assemblée des États Parties ou au Conseil de sécurité lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie. Également, si un État Non Partie au Statut de Rome, mais ayant conclu avec la Cour un arrangement ad hoc ou un accord, n’apporte pas l’assistance qui lui est demandée en vertu de cet arrangement ou de cet accord, suivant l’Article 87(5) (b), la Cour peut en informer l’Assemblée des États Parties, ou le Conseil de sécurité lorsque c’est celui-ci qui l’a saisie.
C. Importance de la coopération judiciaire pour le BdP
Dans le cadre de ses activités d’enquête et de poursuite, l’assistance judiciaire est essentielle pour le BdP. Jusqu’à ce jour, il a présenté 588 demandes d’entraide judiciaire à 37 États Parties et 10 États Non Parties au Statut de Rome.
En ce qui concerne en particulier les demandes concernant l’aspect financier des enquêtes, notamment les avoirs, depuis 2008 jusqu’à ce jour le BdP de Procureur a fait en tout 27 demandes d’entraide judiciaire à 11 États différents, par lesquelles les États ont été requis d’adopter des mesures coercitives dans ce domaine.
Les objets de ces demandes d’entraide sont diverses, notamment la transmission des documents bancaires, l’identification et audition des personnes travaillant pour certaines sociétés / banques, le gel des biens et des avoirs, l’identification, perquisitions et de saisies des biens et les informations de la télécommunication .
IV. Cas particulier de l’exécution par un état non partie au Statut et la question des immunités
Le Statut n’impose aucune obligation de principe aux États Non Parties en matière de coopération. Pour autant, plusieurs dispositions dans le Statut peuvent être considérées comme invitant ces États à coopérer.
Comme indiqué, l’Article 12(3) par exemple indique qu’un État non partie au Statut peut accepter la compétence de la Cour à l’égard d’une situation spécifique .
De même, les États Non Parties au Statut ont la possibilité de coopérer sur la base de toute base appropriée avec la Cour. L’Article 87(5) prévoit ainsi que la Cour « peut inviter tout État non partie à prêter son assistance au titre du présent chapitre sur la base d’un arrangement ad hoc ou d’un accord conclu avec cet État ou sur toute autre base appropriée ». Lorsqu’un tel arrangement est conclu, l’État s’engage à coopérer pleinement avec la Cour selon les termes de l’accord.
Qu’en est-il de l’exécution des décisions de la CPI au sein d’un État Non Partie, et qui n’a pas signé un tel arrangement ou accord avec la Cour et à défaut de toute autre base appropriée ?
L’Article 27 du Statut de Rome stipule que le Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
La question a été soulevée par le mandat d’arrêt récemment délivré à l’encontre du Président Soudanais Al Bashir :
Des ce cas particulier, la Cour est compétente en vertu de la résolution 1593 du Conseil de sécurité (2005), adoptée conformément au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui a déféré la situation au Darfour (Soudan) à la CPI et conformément à l’Article 13(b) du Statut de Rome. Par conséquent, la Cour est compétente.
L’Article 27 ne fait aucune distinction entre le renvoi d’un État ou du Conseil de sécurité ou les communications de personnes, ni entre les situations concernant les États Parties ou les États Non Parties - il s’applique lorsque la Cour est compétente. Ainsi, l’Article 27 s’applique à la situation au Darfour.
L’Article 98(1), qui stipule que « la Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des États ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un État tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité », ne s’applique pas dans le cas particulier.
En vertu des travaux préparatoires qui ont abouti à la rédaction du Statut, la Cour n’est pas tenue d’obtenir une levée de l’immunité pour qu’un État Partie lui remette un chef d’État ou de gouvernement ou encore un diplomate d’un autre État Partie. Cette interprétation de la levée de l’immunité s’applique de la même manière lorsque la Cour exerce les pouvoirs que lui confère une résolution du Conseil de sécurité adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui impose que tout État non partie coopère pleinement avec la CPI.
Étant donné que l’article 27 est applicable en l’occurrence, le Président Al Bashir ne bénéficie d’aucune immunité. Il n’y a donc pas d’obligations conflictuelles au regard du droit international.
A. Difficultés rencontrées dans la pratique
Comme indiqué, qu’il s’agisse de l’exécution des décisions, en particulier l’arrestation d’individus, la CPI dépend entièrement de la coopération des États et des organisations internationales et régionales.
En outre, si le Statut prévoit une obligation générale de coopérer, des difficultés d’ordre politique et logistique se posent dans la pratique.
A titre d’exemple, trente pays africains ont ratifié le Statut de Rome, faisant de l’Afrique la région la plus représentée à l’Assemblée des États parties avec 23% des ratifications.
La coopération avec l’Union africaine et les États d’Afrique est particulièrement importante aux yeux de la Cour, puisque toutes les situations dont elle est saisie concernent des États d’Afrique.
De ce fait, il y a eu une perception selon laquelle l’Afrique est devenue le « laboratoire » de la CPI et du droit international, répandue au sein des milieux académiques, militants et juridiques africains, perception amplifiée par le politique, suite à la requête du Procureur aux juges, dans la situation au Darfour, de lancer un mandat d’arrêt contre Président Al Bashir. Les chefs d’État et de gouvernement des États d’Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP), la Ligue Arabe et l’Union Africaine ont officiellement appelé à la suspension des actions de la Cour pénale internationale contre le Président, pour laisser les efforts politiques et diplomatiques résoudre la situation au Darfour. Ils demandent que soit appliqué l’Article 16 du Statut aux termes duquel enquêtes et poursuites peuvent être suspendues pendant une année dans une affaire, si le Conseil de Sécurité fait une demande en ce sens à la Cour en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
De la même manière, suite au lancement de mandats d’arrêt contre Ahmad Harun et Ali Kushayb dans la même situation, l’Ambassadeur du Soudan aux Nations Unies avait déclaré que le Procureur avait pour objectif d’« anéantir le processus de paix » au Darfour en décidant de poursuivre un officiel du Gouvernement de Khartoum . La communauté internationale, après avoir appelé de ses vœux l’examen de la situation au Darfour par la CPI, semble faire écho aux propos de l’Ambassadeur en négligeant de coopérer pleinement à l’arrestation et au transfert d’Ahmad Harun et d’Ali Kushayb, craignant qu’un tel transfert ne fasse avorter les négociations visant à un déploiement d’une force de sécurité de l’ONU.
Le 25 mai 2010 la Chambre préliminaire a rendu sa décision informant le Conseil de sécurité de l’ONU de l’absence de coopération de la part de la République du Soudan. Dans sa décision publique, la Chambre a considéré « que l’obligation qu’a la République du Soudan de coopérer avec la Cour découl[ait] directement des dispositions de la Charte des Nations Unies et de la résolution 1593 […] », et que « toutes les mesures possibles [avaient été prises] pour obtenir la coopération de la République du Soudan ». La Chambre a conclu que « la République du Soudan n’a[vait] pas rempli ses obligations de coopération découlant de la résolution 1593 quant à l’exécution des mandats d’arrêt délivrés par la Chambre à l’encontre d’Ahmad Harun et d’Ali Kushayb », et précisé que « cette décision [était] sans préjudice des autres décisions et mesures qu’elle pourrait prendre dans le cadre d’autres affaires se rapportant au Darfour », avant d’ordonner au Greffier de communiquer « la[dite] décision au Conseil de sécurité par l’intermédiaire du Secrétaire général de l’ONU afin que le Conseil prenne toute mesure qu’il juge appropriée »
.
B. Les stratégies du BdP pour inviter à une meilleure coopération des états
Comme indiqué, le Statut de Rome a créé plus qu’une Cour. Il a créé un système d’échanges entre les États, la société civile, les organisations internationales et cette Cour, fondé sur un principe central : la coopération.
Le Chapitre IX du Statut de Rome impose à ses États parties l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène. Pour autant, le Procureur ne peut ordonner la coopération mais simplement la solliciter .
Selon l’Article 86 du Statut, « les États Parties coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu’elle mène pour les crimes relevant de sa compétence ».
Lorsqu’une situation est déférée à la Cour par un État dans lequel un crime a été commis, la Cour a l’avantage de savoir que l’État a la volonté politique de coopérer sur son territoire tel qu’exigé par le Statut. Puisque l’État, de son propre gré, a fait appel à la compétence de la Cour, le Procureur peut être confiant sur le fait que les autorités nationales aideront à l’enquête et accorderont les privilèges et les immunités nécessaires, et qu’il fera bénéficier de la protection nécessaire aux enquêteurs et aux témoins. De la même manière, si un renvoi est effectué par un État tiers qui n’est pas impliqué dans les crimes présumés, le renvoi indique un soutien, de la part de cet État, à l’égard de l’implication de la Cour.
La coopération est l’un des cinq objectifs majeurs identifiés dans la Stratégie en matière de poursuites du Bureau du Procureur pour la période 2009-2012.
Il convient de noter ici, que le Bureau cherchera, tout comme les autres organes de la Cour, à garantir la bonne mise en œuvre des recommandations relatives à la coopération figurant dans les rapports et les résolutions de l’Assemblée des États parties, et notamment dans le Rapport du Bureau sur la coopération adopté en décembre 2007.
C. Lois d’application
En collaboration avec le Greffe, des ONG et d’autres intervenants, le BdP encouragera l’adoption de telles lois, de manière à ce que les États parties puissent eux‐mêmes engager des poursuites pour les crimes relevant du Statut de Rome et coopérer avec le Bureau et l’ensemble des organes de la Cour. En règle générale, le BdP ne cherche pas à conclure d’accords de coopération judiciaire avec les États et s’en remet au Statut de Rome et à la législation nationale.
D. Appui diplomatique et soutien du public
La priorité du BdP dans toutes les situations sera de veiller à ce que les États et les organisations internationales soutiennent son action spécifique dans le cadre d’une politique à mettre en œuvre dans les ministères et les différentes directions (justice, affaires étrangères, défense, développement, relations avec l’ONU et autres représentations multilatérales, etc.) depuis la phase de surveillance d’une situation jusqu’à l’arrestation d’individus faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour. Les questions liées à cette dernière devront être intégrées aux activités des États et des organisations.
Le BdP a désigné en son sein des points focaux chargés de renforcer les voies de transmission avec des organisations internationales et spécialisées. Le BdP organisera régulièrement des réunions de travail et des réunions de hauts responsables avec ces organisations et enverra des délégations sur place afin de mieux faire comprendre son action et de s’assurer que ses activités sont davantage prévisibles. Il s’appuiera pour ce faire sur le travail réalisé par les bureaux de liaison à New York et à Addis Abeba.
E. Mobilisation des efforts déployés en vue de l’arrestation et de la remise des personnes visées par les mandats d’arrêt ou des citations à comparaître
Conformément à son mandat qui consiste à mobiliser les efforts en vue des arrestations, le BdP a défini des recommandations à l’usage des États, à savoir :
a) Éviter tout contact qui ne serait pas essentiel avec les personnes qui tombent sous le coup d’un mandat d’arrêt décerné par la Cour, et lorsque de tels contacts s’avèrent nécessaires, d’abord tenter de passer par des personnes non recherchées par la Cour ;
b) Lors de réunions bilatérales ou multilatérales, militer activement en faveur de l’application des décisions de la Cour, prôner la coopération avec celle‐ci et exiger, le cas échéant, l’arrêt immédiat des crimes commis ;
c) Contribuer à la marginalisation des fugitifs et prendre des mesures visant à empêcher que de l’aide humanitaire ou des fonds destinées aux pourparlers de paix soient détournés au profit de personnes tombant sous le coup d’un mandat d’arrêt ; et
d) S’efforcer de collaborer à la planification et à l’exécution de l’arrestation de personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt délivré par la Cour, notamment en fournissant un appui opérationnel ou financier aux pays désireux de mener de telles opérations mais n’en ayant pas les moyens.
Le BdP donnera suite à ces lignes directrices et approfondira le dialogue qu’il entretient avec les médiateurs chargés de pourparlers de paix, comme cela fut le cas au Kenya, en République centrafricaine et au Soudan. L’objectif de ce dialogue est de veiller à ce que ces derniers intègrent dans leurs activités le mandat indépendant de la CPI, excluent des accords de paix et des accords politiques toute amnistie pour les auteurs de crimes visés par le Statut de Rome et garantissent la bonne exécution des décisions des chambres de la Cour, ce qui conduira à l’isolement et à l’appréhension des individus qu’elle recherche.
F. Coopération et assistance renforcées de la part des États
Le BdP continuera à développer ses voies de communication avec les États parties ou non, afin de renforcer toute forme de coopération et d’assistance judiciaire, comme le prévoit le chapitre IX du Statut de Rome. Une base de données relative aux demandes d’assistance permet au BdP de suivre l’évolution de la situation en la matière.
Le BdP s’efforcera en priorité de faire aboutir rapidement ses demandes de visa présentées en urgence pour des témoins ou des tiers afin de procéder à des entretiens préliminaires ou de recueillir des dépositions et ses demandes d’informations de nature financière.
G. L’influence de la Cour
Les spécialistes et les professionnels du droit pénal tendent à focaliser leur analyse sur les jugements définitifs, l’équité de la procédure et les arguments juridiques de la Cour. Ce sont certes des éléments importants. La CPI doit en effet se montrer exemplaire dans tous ces domaines. Le respect total des droits de toutes les parties concernées est la pierre angulaire de la crédibilité de la Cour. Ainsi les juges ont-ils ordonné la suspension de la procédure dans l’affaire Lubanga. Le Procureur avait informé les parties que certains documents en sa possession pouvaient être déterminants pour la Défense, mais qu’ils ne pouvaient pas être divulgués parce qu’ils avaient été obtenus sous le sceau de la confidentialité. Le Procureur a alors proposé d’autres options. Finalement, une solution a été trouvée et le procès a pu reprendre. Ce qu’il faut retenir ici, c’est que les juges étaient prêts à mettre un terme au premier procès intenté par la Cour et à libérer M. Lubanga plutôt que de transiger sur l’équité du procès et que le Procureur était prêt à perdre sa première affaire plutôt que de renoncer à ses obligations de transparence vis-à-vis de la Défense et à son devoir de confidentialité à l’égard de ses informateurs.
Cependant, la qualité irréprochable et l’équité des procédures ne suffiront pas. L’efficacité de la Cour réside dans son rayonnement mondial. Seul un nombre restreint d’affaires pourra être porté devant notre Cour au fil des ans, mais ces affaires et les jugements qui seront rendus auront un retentissement au moins dans les 111 États parties au Statut de Rome, voire même dans des États non parties. C’est ce que nous appelons l’« influence » de la Cour, en référence à un article écrit il y a trente ans par Mnookin et Kornhauser intitulé Bargaining in the Shadow of the Law . Utilisé d’abord dans le contexte du droit de la famille et des affaires de divorces, ce concept de l’influence explique comment une décision de justice rendue dans une affaire donnée peut avoir des répercussions sur d’autres affaires. Cela se traduit par la négociation d’accords et le règlement de différends sans qu’il soit nécessaire d’intervenir judiciairement par la suite : les affaires sont alors résolues « sous l’influence de la loi ». On pourrait considérer de tels changements d’attitude comme la principale influence exercée par la Cour.
Dans le contexte de la CPI, les premiers effets de cette influence se font ressentir petit à petit. En Colombie, les procureurs, les tribunaux, les parlementaires et les responsables de l’exécutif, craignant que la CPI ne puisse exercer sa compétence, ont fait des choix politiques en faisant appliquer la loi « Justice et Paix » visant à poursuivre les principaux auteurs de crimes.
Avant même qu’un jugement ne soit rendu dans l’affaire Lubanga, la question du recrutement des enfants a déclenché des débats dans des pays éloignés comme la Colombie, un État Partie, ou encore le Sri Lanka et le Népal, deux États non parties. Radhika Coomaraswamy, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les enfants et les conflits armés a expliqué lors de son témoignage en tant qu’expert dans l’affaire Lubanga, à quel point elle comptait sur cette tribune pour mener sa campagne partout dans le monde et obtenir la libération d’un plus grand nombre d’enfants . C’est un pas en avant. Alors que le champ géographique de la Cour est déjà très large, la vitesse de propagation et l’ampleur de son influence dépendront d’autres acteurs et de l’intégration de leurs efforts dans une stratégie globale en faveur de la justice internationale. Dans cette perspective, les chefs politiques et militaires, les diplomates, les médiateurs, les organisations non gouvernementales, les victimes et les citoyens ordinaires ont tous un rôle à jouer.
Les dirigeants politiques sont de plus en plus enclins à ostraciser les personnes recherchées par la Cour. Le Président Al Bashir est devenu un fugitif : il ne peut voyager librement dans les États parties de la CPI. Ainsi, l’Afrique du Sud a informé le Président Al Bashir qu’il était invité à la cérémonie d’investiture du Président Zuma mais qu’il serait arrêté dès son arrivée dans le pays. L’Ouganda, le Nigéria et le Venezuela ont pris des mesures du même ordre. M. Lula, le Président du Brésil et M. Kirchner, le Président de l’Argentine, ont refusé de côtoyer le Président Al Bashir lors d’un sommet Amérique du Sud-Pays arabes. Le président Sarkozy a repoussé et déplacé un important sommet France-Afrique plutôt que de courir le risque de le rencontrer dans un couloir. La Turquie, un État non partie a pris soin d’annuler sa participation lors d’une réunion de l’Organisation de la Conférence islamique à Ankara. De même, en ce qui concerne la situation en Guinée, le Maroc a refusé de garder le Président Dadis Camara sur son territoire parce qu’il ne voulait pas abriter un suspect potentiel de la CPI. Le Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, a contacté notre Bureau pour vérifier si un mandat d’arrêt avait été lancé contre Dadis Camara avant d’accepter de le recevoir.
Partout dans le monde, les armées revoient leurs normes opérationnelles, leurs modes d’entraînement et leurs règles d’engagement pour les adapter au Statut de Rome. C’est de cette façon que l’on parviendra à éradiquer la violence. La loi fait la différence entre un soldat et un terroriste. En même temps, les militaires doivent aider la Cour en s’engageant à arrêter les personnes qui menacent la sécurité régionale. Dans le cas de Joseph Kony par exemple, son arrestation pourrait être plus efficace qu’une campagne militaire conventionnelle contre l’ARS.
Les conciliateurs et les médiateurs doivent aussi adapter leurs méthodes et leurs moyens d’action en respectant les limites prescrites par la loi. Les médiateurs doivent désormais prendre en compte les faits dévoilés par la preuve judiciaire et respecter le nouveau cadre légal. Le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon a émis en avril 2009 des consignes très strictes exhortant tous les médiateurs à toujours respecter l’action de la CPI. Une telle position ne limite pas le champ d’action des médiateurs ; au contraire, elle leur donne la possibilité de mettre au point de nouvelles stratégies plus sophistiquées pour mener à bien des négociations. Il doit exister une solution médiane entre le bombardement des responsables de crimes à grande échelle et la politique de la main tendue à leur égard.
Le rôle des victimes dans l’établissement du projet de la CPI a été déterminant. Notre Cour est la leur. Elles participent à ses activités de plusieurs façons. Certaines l’ont saisie, d’autres ont accepté de témoigner. Leur douleur et leurs souffrances constituent autant de preuves contre les accusés. Chacune d’elles a son rôle à jouer pour mettre un terme à l’impunité des crimes de masse et pour renforcer la légitimité du système dans son ensemble.
Enfin, les citoyens et les institutions de la société civile qui, à travers le monde, ont joué un rôle clé dans l’adoption du Statut de Rome en 1998, gardent une place de choix dans sa mise en œuvre. La Coalition pour la Cour pénale internationale sert de plateforme à de nombreuses organisations de la société civile en faveur de la justice internationale, comme en témoigne ’ONG Invisible Children, qui a mené avec succès une campagne auprès du Congrès américain en faveur de la Loi sur le désarmement de l’ARS et la reprise du nord de l’Ouganda de 2009. La campagne « Justice pour le Darfour », qui a rallié à elle plusieurs ONG, est un autre exemple de l’influence que peuvent exercer les citoyens.
Tous les acteurs susmentionnés contribuent à l’élargissement de l’influence exercée par la Cour et son ampleur dépend des actions qu’ils entreprennent.
Après sept années d’exercice, le système de Rome est en mouvement. Les analyses et les enquêtes avancent, les procès débutent et les perspectives de développements institutionnels et judiciaires se multiplient. Le nombre de ratifications augmentent de manière constante et régulière. De nouveaux États font confiance et légitiment ainsi davantage l’existence de la Cour.
Pour autant les difficultés liées à l’exécution de ces décisions, notamment des mandats d’arrêts auxquelles fait face la CPI sont réelles. Il faut, dans tous les cas, renforcer la coopération des États en matière d’exécution des mandats d’arrêt.
En tant que magistrats, nous savons que seul le respect de la loi assoira l’autorité et la légitimité de la Cour. La Cour peut contribuer à mobiliser les efforts déployés à l’échelle internationale et appuyer les coalitions qui regroupent les partisans de telles arrestations, mais ce sera en fin de compte aux États parties, qu’il reviendra de prendre la décision d’appliquer la loi.