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L’exécution des décisions civiles : L’expérience française

 

Monsieur Jean-Louis GILLET

Secrétaire général de l’AHJUCAF


L’exécution des décisions de justice dans l’espace francophone


Exécuter c’est, selon Littré, « mettre à effet, mener à accomplissement ». En présence d’une décision de justice, il s’agit de faire passer dans la réalité ce en quoi elle consiste et qu’énonce son dispositif. Quand la décision est d’ordre civil et concerne donc des intérêts privés auparavant antagonistes, cette démarche peut s’entendre de deux façons, du moins quand l’ordre public n’est pas en cause : Une conception stricte considère que la disposition prise, avantageant l’un aux dépens de l’autre, doit absolument s’appliquer, comme elle est énoncée. Une conception qui serait souple considère que la même disposition est un élément parmi d’autres, dans un rapport de forces économique, social, ou simplement humain qui la dépasse et à la résultante duquel elle contribue plus ou moins fortement. « Vous êtes condamné, payez-moi » ou « vous êtes condamné, vous devez me payer à moins que je vous en dispense, discutons de cela ». Dans les deux cas la décision porte ses effets, et parce qu’elle est civile elle les porte souvent dans la mesure ou le décide la partie gagnante.

Il en est évidemment autrement, la transaction est bien sûr exclue et la partie gagnante perd son rôle moteur, lorsque la question tranchée se rattache à des droits indisponibles ou à des valeurs telles que leur atteinte constitue une infraction pénale, auquel cas l’exécution doit être évidement pure et simple. Pensons par exemple à l’état des personnes ou à la condition des mineurs en danger . Pensons surtout, de façon générale, à tous les domaines dans lesquels le droit pénal, appliqué notamment à l’initiative du Ministère public vient en appui des décisions civiles par l’incrimination et la répression des agissements qui peuvent consister précisément dans la non-exécution de telles décisions, telles les infractions d’abandon de famille, les atteintes à l’autorité parentale, la non-représentation d’enfant mineur. Pensons également aux modalités de contrôle judiciaire ou de mise à l’épreuve appliquées par les juridictions d’instruction et pouvant consister dans l’exécution d’obligation résultant de condamnations civiles telles celles de nature alimentaire.

Pensons enfin à la particulière matière, pourtant civile, de l’assistance éducative, domaine d’action du juge des enfants, cadre de mesures de placement ou de mesure d’assistance concernant les mineurs en danger, qui sont exécutées en substance à la diligence de l’autorité judiciaire elle-même et de ses collaborateurs voués à la protection judiciaire de la jeunesse

Ceci rappelé, l’expérience, la longue expérience française en matière d’exécution des décisions civiles foisonne en aspects très traditionnels, nourris dans l’ensemble du principe selon lequel le procès, même achevé, est la chose des parties, et en aspects plus nouveaux, dont il faut reconnaître qu’ils sont inspirés par l’office prêté aux juges, le tout étant immergé dans des normes de procédure qui conditionnent l’exécutabilité même des décisions et dans un tissu normatif porteur d’effets essentiels, qui soutient l’exécution lorsqu’il la considère comme un droit fondamental de celui qui a gagné son procès ou au contraire la tempère lorsqu’il y voit une menace à des droits fondamentaux détenus par celui qui a perdu. La Fontaine, sur l’exécution, disait deux choses dans ses Fables : « Le sage, quelquefois, fait bien d’exécuter, avant que de donner le temps à la sagesse d’examiner le fait » et « Ne faut-il que délibérer, la cour en conseillers foisonne ; est-il besoin d’exécuter, l’on n’y rencontre plus personne ». Disons simplement que des principes apparemment simples soutiennent le système français (I) mais que leur application ne va pas sans difficultés (II).

I. Des principes simples soutiennent l’expérience française

L’exécution, en dehors des situations où elle laisse place à l’autorité publique comme rappelé précédemment pour des motifs tirés des valeurs supérieures en cause, appartient en général aux parties. Il existe -on pourrait dire néanmoins - un juge de l’exécution

A. Dire que l’exécution appartient aux parties signifie que l’exécution se fait à leur initiative et qu’elle est conduite par elles.

a. On a souvent du mal à faire admettre au profane que la puissance publique ne prenne pas l’initiative de l’exécution des décisions de son juge et laisse à la partie bénéficiaire du jugement, sauf les exceptions déjà citées, les peines et soins de sa mise en application. La matière du droit des voies d’ exécution ne fait que regrouper les procédés légaux coercitifs auxquels peut avoir recours celui qui, en raison notamment d’une décision de justice, est créancier d’une personne qui n’exécute pas spontanément son obligation. La grande loi du 9 juillet 1991 accompagnée du décret du 31 juillet 1992, textes maintes fois modifiés, constitue actuellement la charte de ce droit, qui régit les mesures dont le créancier peut bénéficier et qui portent sur les biens meubles du débiteur, celles portant sur les immeubles résultant aujourd’hui de l ’ordonnance du 21 avril 2006 et du décret du 27 juillet 2006 . Il est possible de classer les degrés des moyens toujours ouverts à un créancier : incitations à l’exécution par des moyens de pression tels l’astreinte ou la sanction pénale de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité, utilisation de la procédure règlementée de recouvrement amiable, mesures conservatoires telles la saisie conservatoire ou les diverses sûretés judiciaires. Lors qu’intervient la décision de justice définitive, titre exécutoire par excellence, le créancier accède à l’exécution forcée, notion laissant une place à l’intervention de la force publique..

b. Il appartient alors à la partie intéressée de conduire cette exécution forcée au moyen des mesures prévues par la loi : Saisie-vente des meubles corporels, de droit commun ou spéciales telles celles des récoltes sur pied, des biens placés en coffre-fort ou des véhicules terrestres à moteur, saisie-attribution portant sur des créances de sommes d’argent, paiement direct ou même recouvrement public des pensions alimentaires, saisie des rémunérations, saisie enfin des immeubles. Faisons une place à part à cette mesure spéciale que constitue l’expulsion, mesure destinée à obliger un débiteur à libérer un local. Le droit des voies d’exécution règle les détails de ces procédures, détails dans lesquels le présent exposé n’entrera pas.
Faisons mention ici de l’aspect particulier que revêt dans le dispositif français l’exécution des mesures d’instruction ordonnées par le juge civil, régime dans lequel les articles 154 et suivants du code de procédure civile laissent au juge un rôle moteur, l’initiative des parties étant cependant prévue quand la matière s’y prête et leur éventuelle carence pouvant être porteuse de conséquences notamment sur le terrain de l’administration de la preuve à leur charge.

B. Il existe néanmoins un juge de l’exécution

Né le 9 juillet 1991, institué dans l’article L 213-5 du code de l’organisation judiciaire, partie intégrante du tribunal de grande instance. Il connaît selon l’article L 213-6 des « difficultés relatives aux titres exécutoires » (telles bien sûr les décisions de justice), des « contestations qui s’élèvent à propos de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit » étant précisé « à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions judiciaires ». Ce juge se trouve ainsi en aval du procès civil de base et devant lui, selon une procédure spéciale et qui se veut simplifiée, peut s’ouvrir comme un procès secondaire, sa compétence territoriale étant, au choix de celui qui le saisit, celle du lieu où demeure le débiteur ou celle du lieu de la saisie. Il autorise aussi les mesures conservatoires, connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre, statue éventuellement sur les conséquences dommageables qu’auraient les mesures, liquide les astreintes si le juge les ayant prononcées est resté saisi ou s’est réservé la liquidation, octroie les délais de grâce.

Voici la matière de l’exécution et notamment de l’exécution des décisions de justice dotée d’un dispositif autonome de règlement des litiges auquel elle peut donner naissance, la portée de ce dispositif, initialement organisée en matière mobilière, étant généralisée à la matière immobilière, le rôle du juge de l’exécution étant organisé autour de l’épisode essentiel de la procédure de saisie des immeubles que constitue l’audience dite d’orientation et le jugement qui lui fait suite.

Restent les difficultés rencontrées pour l’application de ce dispositif.

II. Les difficultés rencontrées tiennent essentiellement d’une part à la décision à exécuter et d’autre part aux personnes concernées par l’exécution.


A. S’agissant des décisions, se posent le problème de leur caractère exécutoire même et celui de leur portée

a. La question du caractère exécutoire est bien balisée par les règles de procédure. Le jugement est, dit l’article 501 du code de procédure civile, exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée, après que l’article 500 a précisé que passait en force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif. Le caractère exécutoire résulte de l’épuisement des voies de recours suspensives (opposition, appel ou rares cas de pouvoirs suspensifs) par rejet lorsqu’elles sont exercées ou par expiration du délai ouvert pour les exercer, ou encore par acquiescement. Le pourvoi en cassation n’est pas en général suspensif.
Il reste, et c’est la difficulté, que la décision peut être assortie de l’exécution provisoire, soit de droit ( c’est le cas des ordonnances de référé, de certaines dispositions des décisions prud’homales relatives notamment aux salaires, de certaines décisions relatives aux procédures collectives et de celles prises en matière alimentaire et d’autorité parentale dans les procédures de divorce) soit des suites d’une décision spéciale du juge. Cela génère la complexité bien connue des dispositifs procéduraux relatifs à l’aménagement ou à l’arrêt, prévu à l’article 524 du code de procédure civile de l’exécution provisoire ordonnée ou même de droit, par référence pour la première et depuis longtemps aux conséquences manifestement excessives qu’aurait une telle exécution et pour la seconde, depuis seulement 2004, en outre, aux manquements qu’aurait commis le juge au principe de contradiction ou à son office tel que défini par l’article 12 du même code.

b. La question de la portée de la décision a obligé la 2ème chambre de la Cour de cassation à définir et à encadrer, de façon finalement assez large mais incessamment discutée, la compétence qu’a le juge de l’exécution pour comprendre, interpréter et souvent clarifier la décision à exécuter, sur les terrains de l’identification du créancier, de celle du débiteur, de la vérification du caractère liquide et exigible de la créance, le tout en s’appuyant, dans l’ambiguïté d’un dispositif, sur les motifs de ladite décision. Mentionnons pour finir qu’un arrêt du 18 juin 2009, très commenté, a reconnu au juge de l’exécution alors dans sa dix-huitième année, revenant sur un avis formulé dans l’enfance du même juge le 16 juin 1995, le pouvoir de trancher les contestations relatives à la validité même du titre exécutoire (il s’agissait d’un acte de cautionnement notarié) ou des droits et obligations qu’il constate (ce qui est « le fond du droit »), mais soulignons que ce revirement ne concerne pas les titres exécutoires particuliers que constituent les décisions de justice, décisions que l’article 8 du décret du 31 juillet 1992 interdit formellement au juge de l’exécution de modifier.

B. Il nous resterait évidemment à aborder les difficultés tenant aux personnes concernées par l’exécution, anciennes parties au litige tranché par la décision à exécuter, huissiers agents de l’exécution engagée, éléments de la force publique appelés à y prêter la main.

a. S’agissant des parties et de leur situation respective, l’outil central de réflexion est la notion de conséquences manifestement excessives d’une exécution provisoire, outil complexe mais légitime, étroitement lié au lancinant problème du procès équitable, de l’accès au juge et au recours - droits fondamentaux s’il en est - et de la proportionnalité des atteintes admissibles. Cet outil est en France au centre des textes et débats sur l’arrêt des exécutions provisoires en cas d’appel, et depuis 2005 sur la radiation des appels en cas de non exécution des décisions déférées exécutoires par provision comme depuis beaucoup plus longtemps sur le retrait du rôle ou la radiation des pourvois en cassation faute d’exécution des décisions attaquées.

b. Disons pour terminer un mot du rôle important des huissiers, de leur place éminente, sur le double terrain de la rigueur et de l’humanité, dans une exécution dont ils sont les agents essentiels comme ils sont les agents, le plus souvent, de la notification qui est le préalable de toute exécution, enfin des éléments de la force publique présumée devoir prêter son concours à l’exécution forcée, concours dont le refus par les autorités administratives compétentes pour les motifs qui leur sont propres est, chacun le sait, générateur de responsabilité publique.

Je vous remercie de votre attention et de votre écoute.

 
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