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La force obligatoires des conventions internationales de droit économique et communautaire

 

Monsieur Jean-Marie NTOUTOUME

Président de la Cour de Justice de la CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique centrale)


Le juge de cassation et les conventions internationales
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Je vous remercie, Monsieur le Président. Je voudrais remercier tous les congressistes d’avoir accepté la participation de la Cour de justice des Etats d’Afrique centrale pour faire une communication sur la force obligatoire des conventions internationales de droit économique et communautaire.

Nous avons voulu circonscrire notre intervention sur le droit de la CEMAC et illustrer cette communication, du fait de la jeunesse de notre Cour, en nous appuyant essentiellement sur la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, tout simplement parce que cette cour est notre source d’inspiration, la nôtre n’ayant pas encore une jurisprudence en la matière, puisque nous fonctionnons seulement depuis 2001.

Le thème que je vais présenter ne paraît pas simple à aborder, d’autant qu’il évoque des conventions internationales, qu’il renvoie au droit économique et qu’il interpelle le droit communautaire.

L’expression "convention internationale" est large et complexe. Elle fait appel aux traités de coopération, de confédération, d’intégration, etc., l’engagement des Etats variant en fonction de la finalité de chaque type de convention.

L’expression "droit économique" suscite des divergences entre tenants d’une conception limitée, centrée sur l’intervention de la puissance publique et partisans d’une conception élargie faisant place à l’entreprise, divergences aujourd’hui contestées au profit d’une troisième tendance axée sur les rapports entre agents économiques.

Ceci étant, le droit économique peut se définir comme constituant les règles de conduite applicables à l’ensemble des activités d’une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des biens et services.

L’expression "droit communautaire" est susceptible de confusion en raison de son caractère évolutif. Aussi, il apparaît réducteur de ramener sa définition au seul droit européen, bien que, en raison de l’ancienneté de celui-ci, les autres communautés (OHADA, UEMOA, CEMAC) puissent s’en inspirer.

Le droit communautaire ne peut-il pas se définir comme étant la somme des règles qui régissent la structure, les compétences et les activités d’un regroupement d’Etats à vocation économique et sociale ?
La construction de la Communauté s’inscrit naturellement dans un objectif d’intégration économique, de libéralisation des activités de production, de distribution et de consommation des biens et services. Cet objectif est mis en œuvre grâce à un système complexe et élaboré des règles fiscales, sociales, économiques et financières.

La Communauté peut, aux fins de renforcer cet objectif, conclure des conventions internationales, entre autres dans le cadre du droit économique. Le traité ne précise pas très souvent leurs conditions d’entrée en vigueur ni leur statut dans l’ordre juridique communautaire.
Cependant, la Cour de Luxembourg énonce que ces accords font partie intégrante, à partir de leur entrée en vigueur, de l’ordre juridique communautaire.
Les conventions internationales de droit économique s’intègrent dans le droit communautaire au niveau inférieur du droit originaire, c’est-à-dire du traité, et au niveau supérieur du droit communautaire dérivé, c’est-à-dire les règlements, les décisions, etc.
Le droit économique généré par les conventions internationales apparaît alors comme une composante, un adjuvant du droit communautaire. Comme l’ensemble des normes communautaires, il ne constitue pas un droit extérieur ou étranger.
Il doit plutôt être perçu comme un droit propre de chacun des Etats membres, tout autant que le droit national avec cette particularité qu’il couronne la hiérarchie des textes normatifs de chacun d’eux.
Les conventions internationales de droit économique bénéficient de la force spécifique de pénétration du droit communautaire dans l’ordre juridique des Etats membres, qui se caractérise par :
- Son applicabilité immédiate.
- Son applicabilité directe.
- Sa primauté sur toute norme nationale.

I - L’APPLICABILITE IMMEDIATE DU DROIT COMMUNAUTAIRE DANS L’ORDRE JURIDIQUE DES ETATS MEMBRES

Le droit international retient le principe selon lequel les Etats sont obligés de respecter les traités qui les lient en les faisant appliquer par les organes législatifs, exécutifs et judiciaires, sous peine d’engager leur responsabilité à l’égard des Etats envers lesquels ils se sont obligés.
Toutefois, celui-ci ne fixe pas les conditions dans lesquelles les dispositions des traités doivent être intégrées dans l’ordre juridique des Etats membres pour être appliquées par leurs organes et juridictions.
Sur ce point, deux conceptions doctrinales s’opposent : l’une est dite dualiste et l’autre moniste. Ces concepts sont à peu près maîtrisés par chacun d’entre nous.

Pour le courant dualiste appelé aussi transformiste, les ordres juridiques nationaux et l’ordre juridique international étant séparés, le droit international ne peut recevoir application dans le droit des Etats membres qu’après avoir obéi à la procédure de réception en droit interne, c’est-à-dire après avoir été transformé en norme nationale, généralement en une loi, ou encore après y avoir été introduit par une formule juridique qui en opère la réception. Ici, la norme internationale subit une véritable transformation de nature, il y a nationalisation du traité.

Pour le courant moniste, le droit est un ensemble de normes qui peuvent être soit nationales, soit internationales. Le traité international s’applique en tant que tel dans l’ordre juridique national sans réception ni transformation dans l’ordre juridique interne des Etats parties du traité, sous réserve de sa ratification et de sa publication.
S’agissant du droit communautaire, la Cour des communautés européennes, dans l’arrêt Costa, énonce : "En instituant une communauté de durée illimitée, dotée d’attributions propres, de la personnalité, de la capacité juridique... et, plus précisément, de pouvoirs réels issus d’une limitation de compétences ou d’un transfert d’attributions des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes".
Il résulte de cet arrêt que le droit communautaire postule le monisme et en impose le respect par les Etats membres.

Le droit dérivé n’échappe pas à l’applicabilité immédiate. Celle-ci se déduit à la réception globale et anticipée dans la loi de ratification du traité ; c’est-à-dire que la loi de ratification, en introduisant le traité dans l’ordre juridique interne, a également introduit naturellement tout le droit dérivé qui en découlerait.

Ainsi donc, les règlements, les décisions, les directives, les accords externes bénéficient, comme l’ensemble du droit communautaire, de l’applicabilité immédiate dans les Etats membres par le seul effet de leur publication au Journal Officiel de la Communauté.

II - L’APPLICABILITE DIRECTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

L’applicabilité directe, appelée aussi effet direct du droit communautaire, est concrètement le droit pour toute personne de demander au juge de lui appliquer traités, règlements, directives ou décisions communautaires. C’est aussi l’obligation pour le juge de faire usage de ces textes, quelle que soit la législation du pays dont il relève, pour peu que ce pays soit membre de la Communauté.
La lecture des différents traités communautaires laisserait croire que seuls les règlements pouvaient être susceptibles d’effet direct. La Cour de justice des Communautés européennes en décide autrement en faisant valoir qu’il existe dans le système des traités une prescription en faveur de l’effet direct. C’est d’ailleurs ce que l’arrêt Van Gend et Loos a décidé lorsque la Cour a été sollicitée pour se prononcer sur l’applicabilité directe sur l’article 12 du traité de la CEE, selon lequel "les Etats membres s’abstiennent d’introduire entre eux de nombreux droits de douane… et d’augmenter ceux qu’ils appliquent dans leurs relations commerciales mutuelles", sans faire aucune mention des particuliers.
La Cour retient que "l’objectif du traité de la Communauté Européenne… est d’instaurer un marché commun dont le fonctionnement concerne directement les justiciables de la Communauté" ; dès lors, le traité constitue plus qu’un accord qui ne créerait que des obligations mutuelles entre les Etats contractants. "La communauté constitue un nouvel ordre juridique… dont les sujets sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants".
La Cour fonde sa décision sur la nature particulière du traité instituant la CEE. Pour elle, le fondement de l’application directe réside dans la spécificité même de l’ordre juridique communautaire.
Par souci d’uniformité d’application du droit communautaire, la Cour de justice a été amenée à fixer les critères d’une norme communautaire. Elle reconnaît l’effet direct "dans tous les cas où les dispositions apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises".
La portée pratique du principe de l’applicabilité directe varie en fonction des différentes catégories des normes communautaires. Il faut distinguer l’applicabilité directe dans l’ordre interne des règles imposées par le traité, c’est-à-dire le droit primaire, et celles des règles de droit dérivé.

- L’applicabilité directe du droit primaire :
Certaines dispositions des traités créent des droits et des obligations pour les particuliers et les entreprises, mais à l’égard des seuls Etats membres. Elles peuvent être invoquées contre les autorités publiques d’un Etat, mais non dans un litige privé.
D’autres dispositions enfin ne sont pas applicables directement devant les juridictions nationales ; il s’agit des dispositions fixant les objectifs du marché commun, de celles portant sur le principe de subsidiarité, de celles portant sur le respect des obligations communautaires par les Etats membres, de l’application des règles de concurrence, etc.

- L’applicabilité directe des dispositions du droit dérivé :
Les citoyens communautaires peuvent-ils valablement fonder leurs demandes devant les juges nationaux sur un droit qu’ils prétendent tenir d’un acte communautaire de droit dérivé ?
Il est nécessaire de distinguer, d’une part, le cas des règlements et décisions adressées aux personnes privées et, d’autre part, les directives et les décisions adressées aux Etats.
Du fait de leur applicabilité directe, les règlements et les décisions peuvent faire l’objet de recours devant les juridictions nationales en vue de leur entière application.
A la suite de l’évolution de sa jurisprudence, la Cour retient que l’effet et l’invocabilité directe d’une directive ne peut jouer que si ses dispositions sont claires et précises. Il faut aussi que ces dispositions soient inconditionnelles.

III - LA PRIMAUTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

Le principe de la primauté du droit communautaire vise à répondre au problème des conflits qui peuvent surgir entre le droit communautaire et les droits nationaux. Devant le silence des traités, c’est la Cour de justice des Communautés Européennes qui, en 1964, consacre solennellement dans l’arrêt Costa c/ Enel le principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national contraire, qu’il soit antérieur ou postérieur.

Les conséquences de la primauté du droit communautaire ont été élucidées par la Cour de justice européenne. D’après la jurisprudence Simmenthal, les règles communautaires d’effet direct "en tant que telles font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres" doivent être appliquées malgré l’éventuelle préexistence ou l’adoption ultérieure d’une loi nationale incompatible.

Cet arrêt fixe le principe selon lequel la règle nationale incompatible au droit communautaire est inapplicable et prescrit aux autorités nationales et spécialement au juge national l’obligation de la laisser inappliquée, même si le droit national lui interdit de le faire.
L’application du principe de primauté du droit communautaire est considérée comme primordiale à l’efficacité du système juridique communautaire, car il se présente comme "une condition existentielle" du droit communautaire dans la mesure où ce droit ne saurait exister, en tant que tel, qu’à la condition de ne pas pouvoir être mis en échec par les droits nationaux.

La primauté bénéficie à toutes les normes communautaires primaires comme dérivées directement, applicables ou non, et s’exerce à l’encontre de toutes les normes nationales, administratives, législatives et même constitutionnelles, parce que l’ordre juridique communautaire l’emporte dans son intégralité sur les ordres juridiques nationaux. L’ordre juridique communautaire l’emporte sur l’intégralité de l’ordre national. Cette primauté est inconditionnelle dans la mesure où le droit communautaire ne tire pas sa suprématie d’une quelconque concession de la part du droit des États, mais se fonde sur sa nature intrinsèque.

En conclusion, il résulte de la jurisprudence, tant du Conseil d’Etat que de la Cour de cassation, l’affirmation de la force obligatoire du droit économique et communautaire sur les normes nationales, force obligatoire qu’elle tire de la primauté que les États membres de la Communauté ont librement consentie aux règles régissant les domaines relevant de la Communauté.

Le sujet est vaste, mais le temps imparti est court. Je vous remercie pour votre aimable attention.

 
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