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La procédure de contrôle de la constitutionnalité des lois : Une procédure rudimentaire au regard des droits processuels fondamentaux

 

Monsieur Wassim MANSSOURI

Professeur à la Filière Francophone
Faculté de Droit - Université Libanaise
Avocat au Barreau de Beyrouth


La mise en œuvre des droits fondamentaux par les règles de procédure


Lorsque le président Ghaleb Ghanem m’a demandé de participer à cette conférence, il m’a bien spécifié que mon intervention devait se cantonner à 12 minutes m’exposant les raisons de cette durée et qui peuvent être résumées par les nécessités de réglementation de cette conférence et le nombre des interventions qu’elle comporte.

Mais, je me suis demandé si ceci ne portait pas atteinte aux droits essentiels des auditeurs !? Ou bien la limitation du temps de façon aussi spécifique et claire et l’égalité voulue entre les participants constituent deux conditions essentielles à la réalisation de la justice : la précision et l’égalité ?

Certes, le président Ghanem a été plus que juste à notre égard que ne l’a été le législateur lorsqu’il a déterminé les règles procédurales d’application nécessaire devant le conseil constitutionnel !

Comme il est bien admis, le conseil constitutionnel libanais, suivant les pas de son homologue français, a deux rôles à jouer : le premier rôle et le plus important, est celui de surveiller le respect de la constitutionnalité des normes juridiques ayant valeur et force de loi, le second rôle s’étend à la surveillance de la légalité des procédures relatives aux élections parlementaire et présidentielle.

Il est évident que chacun de ces deux rôles a des racines différentes et le conseil constitutionnel, lorsqu’il s’occupe du respect de la légalité des élections parlementaires ou présidentielles, joue le rôle d’un juge des particuliers et non d’un juge constitutionnel, c’est pourquoi nous allons nous contenter de l’étude des règles procédurales et élémentaires relatives au rôle constitutionnel du conseil.

Il est à remarquer tout d’abord que les modifications introduites à la loi de création du conseil constitutionnel et à son règlement interne n’ont malheureusement pas englobé ou inclus les règles procédurales afin de permettre leur simplification ou leur éclaircissement ; la volonté du législateur s’est retournée ces dernières années et de façon limitative, à la procédure de désignation des membres de ce conseil, ainsi qu’aux conditions de qualification. Et ce qui est resté immuable dans ce domaine, alors même qu’elle n’était pas prévue initialement, est la division des membres du conseil en fonction des différentes confessions religieuses existantes dans le pays (moitié musulmans, moitié chrétiens et une parité entre les deux religions). Quant aux modifications effectuées, elles concernaient exclusivement les modalités de nominations des membres, et en conséquence, des spécificités ainsi apportées, le pays s’est constamment vu confronté à un retard dans l’application des différentes modifications réalisées ce qui a eu pour conséquence de perturber la nomination effective des membres en pratique .

Enfin, est-il acceptable que toutes les modifications notées n’aient, à aucun moment, été tentées d’élargir le champ de saisine du conseil constitutionnel ? Est-il acceptable qu’il n’y ait même pas eu un débat sur la possibilité de donner au Citoyen le droit de contester la constitutionnalité d’une loi qui va lui être appliquée ?

Revenant à notre sujet, nous allons essayer d’éclaircir la procédure suivie par le conseil constitutionnel (première partie) pour ensuite, en extraire les lacunes (deuxième partie).

Première partie : La nature rudimentaire des procédures suivies

S’il est admis de parler du caractère rudimentaire d’une procédure devant une institution nouvelle, il ne le serait plus si ce service existe déjà depuis plus d’une quinzaine d’années.

Tel est le cas du conseil constitutionnel. Plusieurs mesures de mise à jour ont été entreprises le concernant, or ces mesures n’ont en rien modifié ou amélioré ou éclairé son fonctionnement malgré le fait que cette nécessité est devenue inévitable concernant la prise de décision du conseil lui-même et l’opinion dissidente.

Si la nature du conseil constitutionnel n’a pas été précisée par la loi de création de 1993 (n˚250/93), un autre texte de loi datant du 30 Octobre 1999 a consacré le caractère juridictionnel du conseil , en stipulant dans son article premier et de façon claire et non équivoque, que « le conseil constitutionnel constitue un organe constitutionnel indépendant à caractère juridictionnel ».

Donc, il est légitime de s’attendre à ce que les procédures à suivre respectent les principes procéduraux, que ce soit du point de vue de la clarté ou de l’exactitude.

Or, il s’avère que dans la réalité, il en est autrement. Les règles susvisées se limitent essentiellement à l’obligation de saisine, du respect des délais et à la nomination du rapporteur .

La loi impose que la saisine soit signée par les personnes ayant la compétence en la matière c’est-à-dire, selon l’article 19 de la constitution, les trois Présidents (Présidents de la République, du parlement et du Conseil des ministres), dix députes et les Chefs des différentes confessions religieuses légalement reconnues. En ce qui concerne ces derniers leur action est toutefois exclusive aux questions relatives aux statuts personnels, à la liberté de pratique des religions et à l’éducation religieuse. Ceci signifie que le demandeur ne peut se faire représenter par un avocat car la demande ainsi introduite est de nature constitutionnelle et le mandat y est non reconnu. D’autre part, la jurisprudence a rejeté la possibilité de rétractation de l’action une fois qu’elle a été introduite car elle est vue comme la représentation d’un droit constitutionnel et non d’un droit personnel .

Quant aux délais d’introduction de la saisine elle-même, elle se cantonne à 15 jours, courant à partir de la publication de la loi visée au Journal Officiel ou par un tout autre mode de publication légalement prévu, sous peine de rejet en la forme de celle-ci. Et si cette théorie semble en apparence claire, le conseil constitutionnel en a pourtant donné une interprétation large dans son arrêt du 3 avril 1996 lorsqu’il a fixé le début du délai à la réception par l’assemblé parlementaire des articles du J.O, comme s’il voulait par là même éviter toute possibilité de confusion concernant la date de parution du journal et de ses annexes .

En droit libanais, la saisine doit nécessairement contenir les normes légales dont l’inconstitutionnalité est relevée ainsi que les dispositions illégales. Cette exigence de motivation est une spécificité du droit libanais qui n’est nullement imposée en droit français.

Ce qui vient d’être relaté démontre l’influence prévalant au Liban des règles de procédures normales devant le conseil constitutionnel : le défaut de motivations, la non désignation des articles contraires à la constitution et aux principes généraux constitutionnels peut entrainer le rejet de la saisine et justement, cette procédure est semblable à celle suivie devant les tribunaux de droit commun !

Une chose appuie de même cette conclusion : c’est l’exigence d’adjonction d’une copie de la loi contestée à la saisine et la multiplicité de ces copies en fonction du nombre des membres présents.

Le greffe du conseil constitutionnel fonctionne de façon similaire à celui des tribunaux de droit commun, de même, il n’exerce aucune surveillance sur la légalité de la saisine ou la légalité de son introduction (vis-à-vis de son paraphe) car c’est une question qui relève exclusivement du conseil.

Après enregistrement de la demande, le président du Conseil (ou son vice-président en cas d’absence) invite le conseil à se réunir de suite, pour pouvoir décider de la nécessité de suspendre l’exécution du texte de loi objet de la saisine.

Et au cas où la loi est suspendue, la décision, ainsi prise, sera publiée au Journal Officiel et notifiée aux trois présidents.

Un rapporteur est nommé par le président du conseil constitutionnel parmi ses membres. Son rapport doit être rédigé dans un délai de 10 jours à compter de la date de sa nomination, en exposant les faits, les points de droit ainsi que la solution proposée. Ce rapport gardant un aspect confidentiel.

Et d’après les règles de droit, « le président du conseil doit informer les différents membres du contenu de ce rapport une fois émis et les inviter à siéger dans les 5 jours pour discuter de la demande. La session restant ouverte jusqu’à la prise d’une décision à ce sujet ».

Enfin, la décision est rendue en délibéré dans un délai maximal de 15 jours, signée conjointement par le président et les membres présents et enregistrée dans un registre spécial maintenu par le président. Toutefois selon la loi créatrice du conseil, et bien que le règlement intérieur n’en dise mot, La décision doit être rendue à la majorité de 7 au moins de ses membres.

Il est à rappeler que les sessions du conseil ne peuvent être légales que par la présence d’au moins huit de ses membres .

La décision, quant à elle, doit respecter certaines conditions de forme :

- Outre le nom des membres ayant participé à la prise de décision,
- L’indication des pièces essentielles du dossier,
- Elle doit contenir de façon claire les normes législatives, constitutionnelles ou les principes constitutionnels applicables,
- Ainsi que les circonstances de faits et de droit relatives à l’arrêt

La décision sera notifiée au requérant ainsi qu’aux trois présidents et publiée au Journal Officiel.

Il est à noter que les membres ayant voté contrairement à la décision prise peuvent publier leur contestation . Cette aptitude a suivi une certaine évolution dans la mesure où les textes légaux antérieurs interdisaient la publication de l’opinion dissidente, et le membre, quoique réfractaire, en signant la décision était assimilé à l’approbateur.

Ces règles procédurales peuvent paraître d’apparence claire, mais en application, il s’est révélé une certaine insuffisance empêchant la compatibilité de ces normes à l’exigence de minutie et de clarté justement voulues.

Deuxième partie : Le caractère inadapté de la procédure

Les normes relatives au conseil constitutionnel ne donnent de réponses précises concernant certains points essentiels. Ces lacunes ont été révélées par la pratique notamment en ce qui concerne le délai à respecter pour la prise de décision, les procédures à suivre par le rapporteur, ainsi que les mesures à suivre par le conseil constitutionnel lui-même.

1) Les délais de prise de la décision

Comme il a déjà été noté, le rapporteur doit émettre son rapport dans un délai de 10 jours. Le conseil doit rendre sa décision dans un délai maximal de 15 jours . L’importance du calcul de ce délai est un élément fondamental car l’article 30 du règlement intérieur stipule que « si le conseil ne rend pas sa décision en annulation dans le délai susvisé, le texte de loi visé sera considéré comme légal ».
Et c’est justement les termes « dans le délai susvisé » qui posent problème :
En réalité, l’article 21 de la loi de création du conseil paraît plus clair car il précise un délai de quinze jours au Conseil pour rendre sa décision, délai qui, une fois écoulé, immunise le texte de loi contesté. En contre partie, le texte du règlement est plus ambigu car il renvoie à un délai, sans le spécifier : est-ce le délai de 15 jours donné au conseil ou la totalité du délai prévu par la loi, c’est-à-dire le délai de 10 jours donné au rapporteur et le délais de 15 jours donné au conseil ?
Si on voulait plus de minutie, quelle serait la date de commencement du délai de 15 jours, est-ce la date de dépôt du rapport par le rapporteur, la date de notification de la première session aux juges ou la date de l’ouverture effective de cette dernière ?
Qui de plus surveille le respect de ce délai si le travail du conseil est justement confidentiel ?
En outre, la loi ne donne aucune clarification concernant des points procéduraux essentiels : par exemple, qu’advient-il si le rapporteur dépasse le délai qui lui est alloué pour rendre son étude ? Le texte de loi devient-il valable et le délai vu comme écoulé ?
Quel est le délai admis et acceptable entre la rédaction du rapport et sa notification au conseil ? Doit-on se référer à la théorie du délai raisonnable ? Et quel est ce délai dit raisonnable, 5 jours, plus, moins ?

Le conseil constitutionnel est confronté de même à d’autres problématiques : la question se pose notamment concernant le délai légal à prendre en considération entre la date du dépôt de la saisine et la prise de la décision de suspension de la loi. Par référence à la loi de création du conseil et son règlement intérieur , on remarque l’utilisation du terme « une fois la demande introduite ». Que signifie cette annotation ? Quel est le délai dans ce cas ? Par ailleurs, comment compter cette période ? Les jours fériés, les fins de semaines, les congés judiciaires font-ils parti de ce calcul ?
Même si la date du rapport est secrète, est-il permis au conseil lorsque le rapport est rendu avant la fin du délai qui lui est alloué, de cumuler les jours restant au délai qui lui est proprement imparti ?
Toute cette ambigüité dans la procédure éloigne celle-ci de la compatibilité voulue avec les principes généraux nécessaires au domaine procédural et il convient de procéder aux modifications nécessaires dans ce sens.
On note en tout cas que le conseil, dans sa décision No 2/ 96 , ayant été confronté à une insuffisance des textes procéduraux spécifiques, s’est référé au code de procédure civile dans son article 6 relatif aux règles générales d’application des délais.
Si cette solution est possible et apte à suivre, il est à noter que les autres points posant controverse restent à régler. Il est vrai qu’en pratique, le conseil a toujours rendu ses décisions avant l’écoulement du délai de 15 jours intégrant ainsi ces questions au domaine de l’hypothétique.
Plusieurs années se sont écoulées et aucune décision n’a été rendue concernant la constitutionnalité d’une norme législative et toutes les questions ainsi soulevées n’ont pour but que de voir évoluer le travail du conseil compte tenu de la nécessite fondamentale et de l’importance essentielle de sa tâche.

2) Les procédures suivies par le rapporteur

D’autres critiques apparaissent concernant les procédures à respecter par le rapporteur.
Les textes législatifs ne prévoient que l’obligation de remise du rapport dans le délai de 10 jours. Aucun autre texte ne clarifie les mesures à suivre dans le cadre de cette compétence alors que le rapporteur peut avoir besoin de documents officiels, d’interprétation de textes légaux, de l’écoute d’une partie spécifique…

Que seraient la valeur et l’avenir du travail du rapporteur et du délai imparti si l’une des administrations prenait son temps pour répondre à une demande de communication de documents considérés comme fondamentaux pour la prise de la décision ?

Qu’en serait-il s’il avait besoin de plus amples investigations ? Qu’en serait-il s’il ne respectait pas le délai ainsi alloué ? Que pourrait-il faire et pendant quel délai si l’administration refuse de coopérer avec lui ?

Quelles sont les possibilités offertes au rapporteur ? Étant donné qu’il travaille seul, sans équipe et qu’aucun texte ne lui accorde le pouvoir de se faire aider.

Ici aussi il est vital que la loi apporte les clarifications nécessaires.

3) Les procédures suivies par le conseil lui-même

Là aussi, il n’existe aucun texte concernant les démarches à suivre par le conseil dans la prise de ses décisions, de l’intervention de ses membres, de l’administration de ses sessions…

De même, aucun texte sur la possibilité de comparution des parties en cas de nécessité, que ce soit suite à leur demande ou à la demande du conseil. Si le conseil a un véritable pouvoir juridictionnel, il serait logique de respecter le principe du contradictoire et le texte de base ne fait aucune référence ni aux procédures, ni aux devoirs de respect d’un tel principe !

Dans tous les cas, l’inexistence de spécificité pourrait constituer un élément positif pour le conseil lui permettant de mettre en place de façon personnelle les mesures procédurales les plus appropriées à la bonne marche du système.

Une dernière remarque découle de l’article 20 de la constitution libanaise qui note que « les décisions et jugements judiciaires sont pris au nom du peuple libanais ». Or, jusqu’à nos jours, le conseil constitutionnel, qui est une vraie juridiction, n’a jamais pris ses décisions sous cet en-tête, une incorrection qu’il faut absolument voir et corriger.

En conclusion, les lacunes ou les ambiguïtés citées plus haut reflètent malheureusement l’hésitation assez apparente de l’acceptation de cette institution. Depuis la création de cette institution de contrôle, prévue à l’article 19 de la constitution en 1990, on a assisté à une procrastination de la mise en place du premier texte de loi qui n’a eu lieu qu’en 1993, de la nomination des membres qui ne s’est effectuée que deux années plus tard, de l’absence du conseil lui-même pour différentes raisons malgré l’affirmation par lui de multiples principes fondamentaux protecteur du Citoyen et de la Nation.

Aujourd’hui, on a assisté à un renouveau du conseil constitutionnel, et on invite les parties ayant compétence à le saisir à exercer leur droit, en espérant que ceci sera vu comme un aveu de la nécessite de l’intervention judiciaire pour appuyer ou réfuter un texte de loi, car l’Etat qui ne respecte pas ses juges ne respecte pas ses Citoyens et se trouve incompétent, cherchant une tutelle.

Je vous remercie de votre attention

 
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