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PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
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Premier Président honoraire de la Cour de Cassation
Membre du Conseil Constitutionnel
Professeur à la Faculté de droit
et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph
Au gré des évolutions doctrinales et jurisprudentielles, les termes « libertés publiques » ont cédé la place à ceux de droits fondamentaux.
Ainsi le Conseil constitutionnel français parle de droits fondamentaux ayant une valeur constitutionnelle, il s’est occupé d’ailleurs de les déterminer et de les énumérer.
La doctrine, de son côté, en se demandant quel était le critère à adopter pour dire d’un droit ou d’une liberté qu’ils sont « fondamentaux » a posé un certain nombre de conditions à savoir :
Les libertés fondamentales sont celles inhérentes à l’homme et à ses droits et elle les a classées par rapport à leur source et à leur place dans l’ordonnancement juridique en y ajoutant celles qui bénéficient de garanties spéciales.
Ainsi tout ce qui garantit l’exercice d’une liberté a été considéré comme fondamental.
Le droit à la justice dans le cadre de la procédure du contentieux électoral s’inscrit évidemment ici dans le cadre de la mise en œuvre des droits fondamentaux.
Rappelons que ce contentieux a été pendant assez longtemps l’apanage des assemblées parlementaires elles mêmes qui étaient compétentes pour en connaître.
« Le soin de statuer elles-mêmes sur la validité des opérations électorales relative à leurs membres et sur la régularité de la situation de ceux-ci en matière d’éligibilité » semble avoir été la règle nous dit M. Jean-Pierre Camby avant l’avènement, en France, de la Ve république et complète en citant Eugène Pierre que cela « découle naturellement du pouvoir conféré aux chambres de statuer sur l’admission de leurs membres ».
Il en a été ainsi également chez nous avant la révision, en 1990, de l’article 19 de notre Constitution qui institua un Conseil Constitutionnel statuant en matière de contentieux électoral.
Dans notre thèse sur le Moutasarrifiat du Mont-Liban, nous avions même relevé une décision prise, en 1911, par le juge unique du Metn (Mikhaël Eid El-Boustany) rejetant la requête de Nasri Bey Lahoud contre l’élection au poste de membre du Conseil administratif de ce caza de Khalil Akl Chedid affirmant que ce genre de contentieux doit relever de l’assemblée à laquelle ce membre appartient.
Soumis à des aléas et à des contestations politiques le système n’était pas exempt toutefois de critiques assez sérieuses. Ainsi le doyen Georges Vedel jugera sévèrement certaines décisions intervenues en France en 1952.
Au Liban, des élections de 1922 à 1992, la Chambre des députés n’a invalidé, durant soixante dix ans, aucun mandat de député.
Les choses ont frôlé parfois un certain humour comme, à l’occasion des élections reconnues par tous comme entachées de fraude et de corruption, celles de 1947.
A l’issue de ces élections, le Président de la commission des invalidations à la Chambre des députés, Sami Bey Es-Solh, ne pût retenir pour ne pas invalider le mandat du député Amine Nakhlé (le poète bien connu) que le fait pour ce dernier d’être le fils de l’auteur de l’hymne national libanais.
Réplique d’Edouard Honein dans le journal « Saout el –Ahrar » de Camille Youssef Chamoun quelques jours plus tard : « heureusement que Wadih Sabra (qui mit le même hymne en musique) n’avait pas, à son tour, un fils friand de députation ».
Aujourd’hui que la France et le Liban confèrent à leurs conseils constitutionnels respectifs le soin de gérer le contentieux électoral, nous nous placerons à ce niveau pour parler de ce contentieux, tout d’abord dans le cadre de la qualification de l’action à entreprendre pour obtenir l’invalidation et de sa place dans le cadre des conditions requises par les principes des procès équitables et en examinant également les limites de l’action et les difficultés qui pourraient éventuellement l’entraver.
Nous pouvons affirmer de prime abord que l’action en invalidation, contrairement à l’action pour contrôler la constitutionnalité de la loi qui constitue un recours objectif à l’encontre de la loi incriminée, est une action à caractère contradictoire avec, en prime, des pouvoirs inquisitoriaux accordés au juge.
Du côté du contradictoire nous savons que cet aspect de la procédure requiert une parfaite égalité de moyens entre les plaideurs.
Cette égalité est généralement accordée par la loi elle-même qui laisse les mêmes moyens de réponse et de défense aux deux parties qui s’opposent : chaque pièce du dossier devant être notifiée au demandeur et au défendeur afin de faire l’objet d’un débat public et absolument contradictoire même dans les détails les plus infimes.
La loi prévoit, en général, le délai au cours duquel l’action doit être introduite, les pièces à présenter et les délais accordés aux deux parties pour en débattre.
Les règles générales de la preuve y sont strictement appliquées mettant à la charge de celui qui avance une preuve le soin de l’étayer et à celui contre qui elle est produite de pouvoir librement la contredire et ce dans les limites requises par la procédure.
S’y ajoute le rôle inquisitorial du juge qui a le loisir, à l’instar du juge d’instruction, de mener son enquête en convoquant et en écoutant les témoins qu’il juge devoir entendre, en demandant aux autorités et notamment au ministère de l’intérieur de mettre à sa disposition les procès-verbaux notamment ceux des bureaux électoraux et des commissions chargées de la vérification de la régularité des votes exprimés.
Dans ce cadre doivent être apportées par exemple les pièces justificatives et les témoignages concernant les interventions, les pressions éventuelles ou les éléments pouvant constituer un délit de corruption sous toutes ses formes.
Ces pouvoirs, aussi étendus qu’ils soient, ont toutefois leurs limites découlant parfois des prescriptions de la loi elle-même et le plus souvent des circonstances qui ont accompagné le déroulement des élections.
Ainsi la loi libanaise interdit par exemple au Conseil Constitutionnel de rechercher un élément de corruption intervenant plus de trois mois avant la date des élections et de s’en tenir en matière de dépenses électorales aux rapports d’experts fournis à la commission chargée de superviser les élections.
Ajoutons ici que le délit de corruption est l’un des plus difficiles à prouver étant donné que le témoignage apporté en la matière par celui qui en a été l’objet où la victime l’incrimine au même titre que son corrupteur pour autant qu’il a accepté d’être corrompu par lui.
A la différence de l’action pénale qui appelle une sanction pénale appropriée en dehors du contentieux électoral stricto sensu, le Conseil Constitutionnel, aussi bien France qu’au Liban, obéit dans son examen du contentieux électoral à des principes que l’on peut résumer par ce qui suit :
Le juge électoral ne nomme pas de députés, il régularise l’opération électorale.
Par conséquent, il ne suffit pas qu’il s’assure de la présence d’irrégalités, il faut également qu’il soit prouvé que ces irrégularités ont eu une influence sur les résultats du scrutin sauf s’il s’agit d’irrégularités tellement graves qu’elles atteignent la sincérité du scrutin en entier.
Dans ces conditions le Conseil Constitutionnel libanais a invalidé par exemple quatre mandats de députés (y compris celui d’un ministre en exercice) lors de son examen du contentieux électoral consécutif aux élections de 1996.
La matière étant éminemment à caractère politique, les critiques concernant les décisions relatives au contentieux électoral obéissent aux aléas des considérations partisanes, partielles et partiales le plus souvent.
Ainsi lors des décisions du Conseil Constitutionnel libanais consécutives au contentieux des élections de 2009 je continue à être questionné ici et là par des gens qui relèvent l’existence de douze mille voix relevant d’une seule communauté qui auraient été l’objet d’inscriptions supplémentaires dans une certaine circonscription. Quand je leur réponds qu’après vérification, le Conseil Constitutionnel s’est rendu compte qu’il ne s’agissait que d’inscriptions intéressant quelques six cents personnes seulement appartenant à plusieurs communautés et n’ayant eu aucune influence sur l’issue d’un scrutin où la différence en voix entre les listes en présence se comptaient par milliers ils ont de la peine à me croire, les journaux ayant fait un tel tapage autour de la question ne prenant en considération que certains intérêts d’ordre politique et partisan et les intéressés, croyant que cela pouvait leur être utile, ayant bruyamment manifesté dans la rue alors qu’ils ont été incapables de produire devant les juge des éléments prouvant leurs allégations.
Ceci ne veut pas dire que le contentieux électoral, maintenant confié à un juge électoral, demeure à l’abri de toute critique surtout lorsque ce dernier oublie que toute considération d’ordre politique doit être bannie devant lui et que c’est pour cela qu’on a déchargé les chambres de ce genre de contentieux.
A plus forte raison lorsqu’il fait fi des principes premiers du contentieux électoral comme celui de la primauté des règles de la régularité du scrutin qui empêchent de nommer purement et simplement des députés comme cela a été fait une fois chez nous à propos des résultats d’une élection partielle qui ont vu le Conseil Constitutionnel renvoyer chez eux deux candidats ayant recueilli plus de trente quatre mille voix chacun en faveur d’un troisième qui n’en avait totalisé qu’un peu plus de mille cinq cent voix.
Toutes les acrobaties qu’on a essayées pour pouvoir le justifier sont évidemment restées vaines. Certaines vérités ayant le mérite d’être évidentes envers et contre tout.
Sans vouloir offenser qui que ce soit, cela me rappelle ce que j’avais écrit en introduisant la Constitution libanaise pour un Recueil des Constitutions des pays arabes édité en 2000 par le Cedroma (Centre d’études des droits du monde arabe).
« Cette institution qui a déjà effectué un bon démarrage sera toujours tributaire du choix judicieux de membres qui par leur caractère et leur compétence continuent à lui assurer une indispensable indépendance ».
Cela vaut évidemment pour tous les temps et tous les pays aussi bien pour assurer le contrôle de la constitutionnalité des lois que pour juger le contentieux électoral.