L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Chercheur spécialisée en Sécurité et Développement (Université du Sussex - Royaume-Uni)
La notion de « Réforme des Systèmes de Sécurité » (RSS) s’est développée et diffusée depuis la fin des années 90 et s’est imposée comme l’une des activités vouées à prévenir les conflits et consolider la paix dans les États en proie à l’instabilité. Cette diffusion des politiques et des pratiques de RSS a donné lieu ces dernières années à des efforts d’élaboration de stratégies globales et de principes directeurs, parmi lesquels notamment les manuels du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE ou les papiers de positionnement de l’Union Européenne et de l’ONU.
Réforme politique par essence, la RSS a pour effet de modifier les équilibres existant entre les acteurs du système de sécurité. Le système de sécurité et sa réforme sont en effet au cœur de la souveraineté des États et de leurs peuples. Ils touchent aussi bien à des fonctions régaliennes qu’aux droits les plus élémentaires des populations. L’approche globale qui prévaut en matière de RSS a notamment pour conséquence d’exiger une coopération et une coordination étroites à la fois entre les différents acteurs qui composent les systèmes de sécurité nationaux et entre les partenaires de la communauté internationale qui cherchent à appuyer leurs efforts de réforme.
L’expertise francophone en matière de RSS est encore insuffisante. Il est aujourd’hui urgent de d’approfondir et de capitaliser les expériences, en vue de faire du monde francophone un espace de gouvernance démocratique des systèmes de sécurité. Les dispositions adoptées par la Francophonie à la faveur des Déclarations de Bamako et de Saint-Boniface, complétées par celle de la Déclaration de Québec, offrent un cadre pertinent pour encadrer les éventuelles interventions de l’OIF en matière d’appui a la reforme des systèmes de sécurité.
Les réseaux institutionnels de la Francophonie, particulièrement les réseaux à vocation judicaire peuvent apporter une contribution majeure à cet immense chantier, dont les derniers coups de force survenus dans un certain nombre d’États francophones, notamment africains, démontrent non seulement l’importance mais aussi l’urgence.
A. Définition du système de sécurité
Les institutions sécuritaires et judiciaires peuvent provoquer des crises violentes lorsqu’elles transgressent les droits de l’Homme, échappent au contrôle démocratique ou pratiquent la discrimination. Un système de sécurité défaillant est source d’instabilité et freine en conséquence le développement. A l’inverse, un système de sécurité voué à assurer le respect de l’État de droit, ayant pour vocation de garantir les droits et les libertés de chaque citoyen et se conformant à l’obligation de rendre des comptes, contribue à la fois à ancrer la démocratie et à prévenir les risques de conflits.
Bien que les définitions du système de sécurité varient, il existe aujourd’hui un large consensus reconnaissant l’importance d’adopter une définition holistique, qui inclut les éléments suivants :
Les acteurs et institutions étatiques assurant la sécurité de manière opérationnelle, telles les forces armées (y compris les gardes présidentielles) et de gendarmerie, les forces de police, les services de renseignements et de sécurité civils et militaires, les forces paramilitaires telles les services des douanes ou des eaux et forets, les services des gardes cotes et de gardes frontières, les unités de réserve ou les unités locales de sécurité (service de protection civile, gardes nationaux) ;
Les organes de gestion de la sécurité, les instances de contrôle et les instances d’information et d’influence auprès de l’opinion publique. Les organes de gestion comprennent le chef de l’État et les organes consultatifs nationaux sur la sécurité, les ministères en charge de la sécurité (Défense, Intérieur, Affaires étrangères), les organismes en charge de la gestion financière (ministère des Finances, services du budget, Trésor), les services d’inspection et les autorités indépendantes (médiateur, commission des droits de l’Homme).Les instances de contrôle incluent le Parlement et ses différentes commissions (commissions de défense, de la sécurité intérieure, des finances, d’enquêtes parlementaires) et les organes de contrôle budgétaire (Cour des comptes). Les instances d’information et d’influence auprès de l’opinion publique incluent les medias et les organismes de la société civile organisée (associations, ONG) ;
Les institutions judiciaires, qui comprennent le Ministère de la Justice, les magistrats, les tribunaux, les parquets, les barreaux, l’administration pénitentiaire, les commissions de défense des droits de l’Homme, les représentants de la justice coutumière et traditionnelle ;
Les acteurs de sécurité non-étatiques parmi lesquels figurent les sociétés de sécurité privées, les armées de libération et les guérillas, les milices des partis politiques, les groupements citoyens d’auto-défense et de vigilance ;
Enfin, de manière croissante, est soulignée l’importance de tenir compte de l’environnement de sécurité, qui renvoie à la fois à l’existence éventuelle de conflits dans les pays voisins (camps de refugies pouvant être utilisés comme base de soutien par un groupe armé), au niveau de circulation des armes légères et de petit calibre, mais aussi à l’état des infrastructures, particulièrement des voies de communication qui conditionnent souvent les capacités de contrôle des territoires nationaux.
Cette définition élargie du système de sécurité est fondée sur le constat qu’aucune institution de sécurité ne fonctionne en vase clos
B. Définition de la reforme du système de sécurité (RSS)
A la définition large du système de sécurité répond une approche globale des réformes à entreprendre pour améliorer son fonctionnement : l’expérience démontre en effet qu’il convient d’adopter une approche stratégique, qui articule l’ensemble des réformes engagées dans les différents secteurs.
La réforme des systèmes de sécurité vise à améliorer la capacité des pays partenaires à pourvoir à la sécurité de l’État comme de ses populations. Elle a ainsi pour vocation de répondre à l’éventail des besoins de sécurité d’une société donnée, dans le respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits de l’Homme, grâce à la promotion d’une gouvernance responsable, transparente et efficace des acteurs qui contribuent à façonner l’environnement sécuritaire d’un État et de sa population.
La RSS contribue directement à l’ancrage d’une gouvernance fondée sur la démocratie et le respect de droits de l’Homme. De par la restauration de la confiance qu’elle engendre, elle favorise l’instauration d’un climat favorable à la reconstruction et en conséquence propice au développement. C’est en ce sens que la RSS est un processus politique et non pas une simple activité technique. Le soutien à la réforme des appareils de sécurité excède donc largement le seul cadre des activités de coopération plus traditionnelles, centrées sur la défense, la police, le renseignement ou la justice. La RSS implique de dépasser l’approche sectorielle traditionnellement retenue afin de développer une approche concertée et holistique qui prenne en considération les interactions et les interdépendances existant entre les différents secteurs d’un système de sécurité. Il est ainsi important de distinguer l’assistance visant à renforcer l’efficacité et les moyens opérationnels des forces de défense et de sécurité de l’assistance vouée à améliorer la gouvernance du système de sécurité, bien que toutes deux participent de la RSS.
Un certain nombre d’État et d’organisations internationales ont d’ores et déjà adopté un cadre conceptuel définissant leur approche de la RSS. Le comite d’aide au développement (CAD) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a donné une impulsion dès avril 2004 en proposant un cadre de référence international définissant les principes clés de la RSS, dans le cadre des lignes directrices « Réformes des systèmes de sécurité et gouvernance : principes et bonnes pratiques ». Ce premier document a été complété ultérieurement par le Manuel de mise en œuvre intitulé « Soutenir la sécurité et la justice », qui propose des modalités d’action concrètes pour les pays partenaires mais aussi pour les bailleurs. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a présenté le 12 juillet 2005 la RSS comme un volet essentiel des processus de consolidation de la paix dans les environnements post-conflits. En réponse à la demande exprimée par le Conseil de sécurité et par le Comite spécial des opérations de maintien de la paix de l’Assemblée générale, le Secrétaire général de l’ONU a remis le 23 janvier 2008 un rapport sur l’approche des Nations Unies en matière de RSS : « assurer la paix et le développement : le rôle des Nations Unies dans l’appui à la réforme du secteur de sécurité ». Ce rapport, dont le Conseil de sécurité a pris note le 12 mai 2008, souligne notamment l’importance d’un partenariat avec les organisations régionales. La Commission de consolidation de la paix place également la RSS au centre de son action tandis que le PNUD multiplie les programmes de développement comportant une dimension RSS. Dans le cadre de l’Union européenne (UE), la Commission a publié en mai 2006 une communication intitulée « Réflexion sur l’appui apporté par la Commission européenne à la reforme du secteur de sécurité » tandis que le Comite politique et de sécurité (COPS) a adopté en juillet 2006 le « Concept de l’Union européenne pour un soutien à la RSS en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ». Les organisations régionales africaines, aussi au niveau continental (Union africaine) que dans celui des organisations sous-régionales (CEDEAO ; CEEAC notamment) sont en train d’élaborer leurs propres documents de doctrine en matière de RSS. Enfin, à la suite du Royaume-Uni, la France vient de rédiger sa propre doctrine en matière de RSS.
La RSS implique des réformes structurelles et de long terme afin de stabiliser durablement le système sécuritaire d’un pays. La synthèse des différentes doctrines énumérées ci-dessus permet d’identifier comme suit les objectifs poursuivis dans le cadre de la RSS :
Établir une gouvernance démocratique et transparente du secteur de sécurité dans le respect des droits de l’Homme et de l’État de droit ;
Améliorer les capacités des institutions de sécurité et de justice et la qualité des services qu’elles fournissent grâce au renforcement du professionnalisme, de la compétence et de l’éthique des forces de leurs agents ;
Répondre aux besoins de sécurité de l’État comme des populations ;
Assurer l’appropriation locale des reformes ;
Développer des stratégies plurisectorielles supposant à la fois la coordination des réformes engagées dans chacun des secteurs du système de sécurité et la coordination étroite de l’aide apportée par les bailleurs internationaux .
Un processus RSS ne peut être engagé sans l’accord explicite des autorités de l’État concerné. La RSS est un processus inclusif qui impose à la fois l’appropriation par les autorités nationales et par les autres acteurs du système de sécurité (Parlementaires, société civile organisée, …).
L’existence de systèmes de sécurité dont les acteurs développent des pratiques éthiques, professionnelles et transparentes concourt à l’évidence à la démocratie, à la prévention des conflits, au soutien de l’État de droit et au respect des droits de l’Homme que la Charte de la Francophonie se fixe comme objectif prioritaire d’aider à instaurer et à développer. Les Déclarations de Bamako et de Saint-Boniface comportent quant à elles un certain nombre de dispositions de nature à offrir un cadre à l’investissement de l’OIF dans les questions relatives à la RSS.
A. La Déclaration de Bamako
La réforme des systèmes de sécurité peut participer à la consolidation de l’État de droit, à la gestion d’une vie politique apaisée, à l’intériorisation de la culture démocratique et au plein respect des droits de l’Homme que la Déclaration de Bamako s’est fixé comme objectif de promouvoir.
1. RSS et démocratie
Le constat établi par le Chapitre I de la Déclaration de Bamako sur le caractère mitigé du bilan en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme dans l’espace francophone se révèle particulièrement valable en ce qui concerne les systèmes de sécurité. En effet, le bilan des pratiques des systèmes de sécurité des États francophone comporte indéniablement des acquis : consécration constitutionnelle de la répartition des compétences entre l’exécutif et le législatif, mise en place d’organes de contrôle des institutions de défense et de sécurité, extension des pouvoirs des Parlements en matière de défense, émergence d’organisations de la société civile exerçant un droit de regard sur les questions de sécurité , traitement plus libre par les medias des questions de défense et de sécurité, décentralisation de la prise de décision.
Force est pourtant de constater que ce bilan reste en demi-teinte et contraint à s’intéresser aux nombreuses lacunes qui perdurent : non respect des dispositions prévues par les Constitutions et autres lois fondamentales en matière de répartition des compétences entre les différentes institutions, coups d’état ou tentatives des militaires de renverser les gouvernements civils élus démocratiquement, mutineries, violations des droits de l’Homme par les forces de défense comme par les forces de sécurité, immixtion des forces armées dans la sécurité intérieure au détriment des forces de police, absence de respect de la procédure pénale, arrestations arbitraires ou à caractère politique, crainte inspirée aux populations par les forces armées et de police.
La séparation des pouvoirs, la soumission à la loi de l’ensemble des institutions et acteurs en charge de la sécurité ainsi que le respect du libre exercice des libertés, mis en avant par le Chapitre II de la Déclaration (alinéa 2), constituent les fondements élémentaires et indispensables d’un système de sécurité démocratique.
L’alinéa 1 du Chapitre III de la Déclaration plaide pour que l’engagement démocratique de la Francophonie se traduise par des propositions et des réalisations concrètes : le soutien au fonctionnement démocratique des appareils de sécurité peut permettre de décliner cet engagement dans un domaine spécifique et ainsi contribuer à approfondir l’ambition de favoriser une progression constante vers la démocratie dans le monde francophone.
Le constat établi par la Déclaration de Bamako selon lequel « la démocratie et le développement sont indissociables » (Chapitre III, alinéa 3) correspond très clairement au diagnostic établi par les lignes directrices du CAD de l’OCDE, qui considère que « la sécurité est fondamentale pour faire reculer la pauvreté et assurer la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ». (cf. Chapitre II lignes directrices OCDE).
En outre, dans la mesure où la démocratie se juge avant tout à l’aune du respect scrupuleux et de la pleine jouissance par les citoyens de tous leurs droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, les acteurs du système de sécurité (principalement les forces de police et les magistrats) doivent avoir pour première mission de veiller à ce que les citoyens puissent jouir de ces droits en toute liberté.
Enfin, l’alinéa 5 du point 3 de la Déclaration de Bamako condamne sans équivoque les coups d’État et autres tentatives de prise de pouvoir par les armes ou quelque autre moyens illégal. L’une des vocations de la RSS est de développer la soumission et la loyauté des forces armées au pouvoir civil et démocratiquement élu.
2. RSS et État de droit
Le soutien de la Francophonie à la RSS peut s’inscrire très clairement dans le droit fil des engagements pris par la Francophonie en matière de consolidation de l’État de droit, tels que consignés dans le Chapitre IV de la Déclaration. Chacun des six principes énoncés dans le point A.IV trouve en effet une application dans le domaine de la RSS :
La définition d’un cadre institutionnel clair pour encadrer les missions des forces de défense et de sécurité, mettant particulièrement l’accent sur la séparation des pouvoirs et sur la prééminence des civils, participe du renforcement de la capacité et de l’indépendance des institutions de l’État de droit (alinéa A.1) ;
Il revient aux institutions parlementaires d’assurer le contrôle démocratique et la supervision des forces de défense et de sécurité. Travailler à garantir l’exercice par les parlementaires de leurs prérogatives en la matière et développer les moyens dont ils disposent pour ce faire peut contribuer à soutenir le renouveau de l’institution parlementaire, énoncé à l’alinéa A.2 ;
l’indépendance de la magistrature et la promotion d’une justice efficace et accessible, mis en relief à l’alinéa A.3 de la Déclaration seront confortées par les reformes du secteur judiciaire visant à mettre sur pied une justice impartiale et responsable, de services de poursuite efficaces, de procédures d’instruction transparentes ;
L’abandon de la culture du secret (qui suppose une gestion opaque) au profit de celle de la confidentialité (qui suppose une gestion associant certains organes de contrôle) constitue également un axe majeur des processus de réforme du système de sécurité. Le soutien à cet axe relève à l’évidence de la mise en œuvre du principe de transparence consigné à l’alinéa A.4 de la Déclaration ;
la transparence budgétaire et l’obligation de rendre compte de l’utilisation des crédits consentis aux forces de défense et de sécurité constituent le fondement d’une gestion saine du système de sécurité et renvoie à la généralisation et à l’accroissement du contrôle exercés par des institutions impartiales (telles les cours des comptes) sur tous les organes et institutions maniant des fonds publics, que l’aliéna A.5 de la Déclaration appelle de ses vœux ;
Enfin, un certain nombre de programmes RSS sont impulsés par des organisations régionales et sous-régionales, en vue de développer la capacité des acteurs de sécurité à faire face à des conflits ou à des phénomènes sécuritaires qui tendent à s’étendre hors des frontières. Le soutien à ces programmes régionaux s’inscrit dans la volonté de la Francophonie d’appuyer l’action des institutions mises en place dans le cadre de l’intégration et de la coopération régionale, consignée dans l’alinéa A.6.
3. RSS et vie politique apaisée
Un axe important de la RSS consiste à améliorer les capacités de la société civile à surveiller les politiques et les pratiques sécuritaires et judiciaires du gouvernement, notamment en renforçant le cadre réglementaire dans lequel la société civile opère mais aussi en développant des relations de confiance entre les acteurs de sécurité et cette société civile. La construction de larges groupes civils de soutien à la RSS est en accord avec la recommandation de l’alinéa C.17 du Chapitre IV qui incite à faciliter l’affirmation de la société civile, y compris les ONG, les medias et les autorités morales traditionnelles, comme acteurs à part entière d’une vie politique apaisée. La garantie de la liberté de la presse et des medias à traiter des questions ressortissant à la sécurité ainsi que l’amélioration de la couverture médiatique de ces questions, participent aussi de la promotion de la liberté de la presse, mise en avant à l’alinéa C.18.
4. RSS et promotion d’une culture démocratique intériorisée et plein respect des droits de l’Homme
Les processus de RSS visent à disposer de forces de défense et de sécurité à la fois compétentes et professionnelles : cet objectif est loin de supposer uniquement la maitrise de savoir-faire techniques mais implique également que l’action des forces soit guidée par les exigences éthiques de respect de la démocratie. L’enseignement traditionnel des Conventions de Genève et du droit international humanitaire dans les écoles militaires doit être complété par des formations sur la sécurité humaine et les droits de l’Homme. Une telle instruction participe de la promotion au sein des forces armées et de police de la culture démocratique intériorisée par le biais de l’éducation et de la formation, ainsi que le préconise le point D du Chapitre IV de la Déclaration. Des forces de défense et de sécurité professionnelles doivent également être exemptes de toute accusation mettant en doute la probité de leur comportement : les manquements au respect des droits de l’Homme et toute exaction commise par des militaires, gendarmes, policiers, agents de renseignement, douaniers doit entrainer l’adoption systématique de sanctions exemplaires, qui se situent dans le droit fil de la lutte contre l’impunité préconisée au point D.22 du Chapitre IV de la Déclaration, conformément aux poursuites prévues par les instruments juridiques internationaux, au premier rand desquels le Statut de Rome.
La lutte contre les appareils de sécurité mono-ethnique et l’encouragement au respect de la diversité ethnique et religieuse dans le recrutement des effectifs des forces de défense et de sécurité, garantes du fonctionnement pluraliste du système de sécurité, est en accord avec l’engagement de la Francophonie d’œuvrer en faveur des membres des groupes minoritaires, notamment ethniques et religieux (point D.24 du Chapitre IV).
B. La Déclaration de Saint-Boniface
La RSS est un instrument qui vise à instaurer une architecture sécuritaire rénovée. La RSS s’étend sur un large spectre et a vocation à être mise en œuvre dans les pays relativement stables tout comme dans les pays en situation de post-conflit. La RSS apparaît donc comme un volet essentiel de la prévention des crises comme de la sortie des conflits. En ce sens, il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans l’agenda adopté dans le cadre de la Déclaration de Saint-Boniface qui affirme la détermination à « concrétiser l’ambition d’une Francophonie qui, au cours de la décennie 2005-2014, entend valoriser son approche et ses acquis au service de la prévention et du règlement des conflits tout en accompagnant résolument les efforts de la communauté internationale visant à construire un système international plus efficace, rénové dans ses structures, ses mécanismes et ses normes ».
Par le point 41 de la Déclaration de Saint-Boniface, l’OIF a ainsi pris l’engagement de participer activement aux débats en cours dans les enceintes internationales et régionales sur la prévention des conflits, le maintien et la consolidation de la paix ainsi que sur la sécurité humaine : la RSS est aujourd’hui un concept discutée et promu dans l’ensemble des enceintes internationales impliquées dans les questions de sécurité.
5. RSS et sécurité humaine
Le concept de RSS est fondé sur une définition élargie de la sécurité, selon laquelle celle-ci ne renvoie pas uniquement à la préservation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’État et moins encore à la défense de la stabilité du régime en place. Elle englobe également la sécurité physique et le bien-être matériel des populations, assurées de vivre a l’abri de la peur comme de la faim. La vocation première de la RSS est ainsi d’œuvrer à ce que les systèmes de sécurité soient centrés sur l’être humain. Dans un esprit comparable, la Déclaration de Saint-Boniface engage l’OIF à sauvegarder la sécurité humaine (point 13) tandis que le point 43 réaffirme l’intérêt des notions et des normes relatives à la sécurité humaine et à la responsabilité de protéger. La définition de la sécurité qui sous-tend la RSS rejoint donc largement celle que met en avant la Déclaration de Saint-Boniface qui, tout en soulignant dans ses points 1, 2 et 3 l’attachement de la Francophonie au respect de l’intégrité territoriale, de l’indépendance politique, de la souveraineté des États et du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, insiste sur la responsabilité qui incombe à chaque État de protéger les civils sur son territoire ou à la communauté internationale d’y pourvoir lorsque les autorités nationales se révèlent défaillantes ou complices.
6. RSS et prévention des conflits
Un système de sécurité non-respectueux des principes démocratiques et des droits de l’Homme porte en germe des risques de conflits : la détection en amont des pratiques abusives des forces de défense et de sécurité et le soutien à des mesures visant à les corriger peut permettre de limiter leur potentiel belligène. Les points 4, 5 et 6 de la Déclaration de Saint-Boniface insistent sur la volonté de conforter l’action préventive de la Francophonie initiée par la Déclaration de Bamako tandis que le point 8 invite l’OIF à consolider ses capacités d’analyse en s’appuyant sur les réseaux d’information et de concertation ainsi que sur les réseaux de l’Agence universitaire de la Francophonie, afin de poursuivre les réflexions sur les causes et les facteurs de conflictualité. De telles dispositions sont tout à fait en accord avec l’approche de la RSS consistant à mener une démarche exploratoire afin de détecter en amont les pratiques des acteurs et institutions sécuritaires susceptibles d’attiser les tensions au sein d’une société donnée.
7. RSS et consolidation de la paix
Le point 10 de la Déclaration met l’accent sur la volonté de l’OIF de mettre à profit son expérience en matière d’accompagnement des processus de sortie de crise et de transition et l’appelle à systématiser sa démarche dans ce domaine. Si la RSS a avant tout une vocation préventive, elle trouve bien entendu sa principale application dans les environnements post-conflictuels.
L’OIF affirme aux points 13 et 15 sa volonté de travailler de manière concertée avec la Commission de consolidation de la paix de l’ONU : or, celle-ci est appelée à s’investir sans cesse davantage dans les processus de RSS - comme elle le fait déjà au Burundi, en Sierra Leone et en Guinée Bissau - en coopération avec le DOMP et le PNUD. Dans ces cadres, la RSS participe très clairement des processus de réconciliation nationale. Les pays qui émergent de conflits ont souvent pour priorité la mise en place de nouvelles institutions sécuritaires et judiciaires : en effet, dans les situations post-conflit, l’urgence immédiate impose d’assurer la sécurité physique des populations. Les accords de paix, lorsqu’ils comportent des mesures relatives à la RSS, facilitent l’émergence d’un espace politique dans lequel seront mises en œuvre les décisions difficiles de la réforme, telles la restructuration des forces armées, l’intégration en leur sein des anciens combattants rebelles démobilisés ou encore la mise en place d’une justice transitionnelle. A plus long terme, la construction d’une paix durable passe par une approche stratégique qui appréhende la RSS comme une partie intégrante de la planification des programmes de stabilisation, voués à favoriser le développement.
Les points 16 et 17 de la Déclaration réitèrent la volonté exprimée par la décision d’Antanarivo visant à assurer la participation des pays francophones aux opérations de maintien de la paix (OMP). Le développement des capacités des appareils de défense à mener des opérations de maintien de la paix fait partie des mesures de restructuration envisagées dans le cadre de la RSS, particulièrement lorsque ces processus sont menés en lien avec les organisations régionales et sous-régionales qui s’investissent dans le maintien de la paix (Union africaine, CEDEAO, CEMAC, CEEAC par exemple). La formation des armées mais aussi des forces de police et de gendarmerie aux OMP constitue ainsi un axe important de la RSS dans un certain nombre de pays. Il s’avère également que certains pays disposant d’un appareil de sécurité professionnel (aussi bien terme d’opérationnalité que d’éthique du comportement) ont largement développé les compétences de leurs forces de défense et de sécurité au maintien de la paix : la formation au maintien de la paix fait donc figure d’élément stabilisateur des forces armées. Les formations au respect des droits de l’Homme et à la sécurité humaine dispensées dans le cadre du programme français RECAMP et du programme canadien PAIM ont largement contribué à la diffusion de ces principes auprès des forces armées africaines. Les formations au maintien de la paix, qui mettent particulièrement l’accent sur la nécessité de protéger les civils, particulièrement les femmes contre les abus sexuels, contribuent à améliorer le comportement des militaires et des policiers, conformément aux objectifs de la RSS. Le programme RECAMP quant à lui accorde désormais une part de plus en plus importante à la RSS dans le cadre des séminaires qu’il organise. Enfin, les misions de paix de plus en plus intégrées mises en place par les Nations Unies cherchent a assurer la continuité entre la gestion à court terme des crises et la gestion à long terme des programmes de développement dont relève la RSS.
Il apparaît par ailleurs qu’un certain nombre de processus RSS menés dans des pays francophone se sont heurtés à un certain nombre de difficultés du fait de l’absence de maitrise de la langue française par les experts déployés. Le plus souvent, ces mêmes experts ne maitrisaient pas non plus les spécificités propres aux systèmes sécuritaires francophones, particulièrement les particularités des forces de gendarmeries et des systèmes juridiques de tradition romano-germanique. Conformément au point 19 de la Déclaration de Saint-Boniface qui insiste sur l’importance de sensibiliser à la nécessité de maitriser la langue de communication en usage dans le pays du déploiement d’une OMP, il convient également que l’OIF fasse valoir l’importance de déployer des personnels maitrisant le français dans les processus RSS : l’identification et la mise sur pied d’un vivier d’experts francophone, aptes à être déployés dans des missions RSS sous l’égide de l’ONU, de l’UE, de l’UA ou d’une organisation sous-régionale, apparaît comme nécessaire.
La Déclaration de Saint-Boniface en son point 22 affirme également son appui au Programme d’action pour prévenir, combattre et éradiquer le commerce illicite des armes légères et de petit calibre (APLC) et appelle les États membres de la Francophonie à renforcer leur coopération en la matière. Le point 34 engage la Francophonie à faciliter les processus DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion) dans les pays sortant de conflit, particulièrement les programmes visant à la réintégration des enfants soldats dont l’enrôlement est condamné au point 32. La plupart des programmes de contrôle des APLC ainsi que les programmes DDR impliquent la collaboration avec les différents acteurs des systèmes de sécurité : les programmes ALPC et DDR sont des points d’ancrage potentiels importants pour la RSS et vice versa. La synchronisation des programmes de réduction du nombre d’armes, souvent eux-mêmes liés aux programmes de DDR, avec la réforme de chacun des secteurs de sécurité et de défense est cruciale pour la réussite d’un processus SSR.
8. RSS et participation de la société civile
L’apport des femmes est conçue comme indispensable pour le succès des processus RSS. L’approche RSS est ainsi particulièrement attentive au rôle des femmes aussi bien à leur participation sur une base d’égalité à la gestion et à la mise en œuvre des politiques de défense et de sécurité qu’ à leur contribution à la supervision de ces politiques, notamment dans le cadre des activités déployées en ce sens par la société civile organisée. Cette importance accordée par la RSS au rôle des femmes est tout à fait en accord avec les points 35, 36 et 37 de la Déclaration de Saint-Boniface qui mettent l’accent sur le rôle et la participation des femmes dans les mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits.
Le point 38 de la Déclaration affirme, tout comme la Déclaration de Bamako, le rôle central que les medias, acteurs très importants dans les mécanismes de contrôle des forces de défense et de sécurité, sont appelés à jouer dans la prévention des conflits, notamment dans les processus de d’observation, d’évaluation, d’alerte précoce et de réconciliation.
C. La Déclaration de Québec
La Déclaration de Québec adoptée en octobre 2008, a très clairement engagé les Chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie à « s’impliquer dans les débats relatifs à la RSS », confirmant ainsi le rôle majeur que la Francophonie est appelée à jouer.
Afin de donner corps à ce mandat, l’OIF a élaboré sa propre doctrine qui situe résolument l’intervention de l’Organisation comme une contribution à la « gouvernance démocratique des systèmes de sécurité ».
L’OIF a par ailleurs réfléchi aux moyens de mobiliser les compétences et expertises de ses 14 réseaux institutionnels en vue de promouvoir la gouvernance démocratique dans les différents secteurs qui composent les systèmes de sécurité.
FRANCOPOL (réseau francophone international de formation policière) pour soutenir les processus de réforme des forces de police, dont le rôle doit devenir de plus en plus important si l’on entend mettre en terme à la militarisation de la gestion de l’ordre publique, qui caractérise encore aujourd’hui nombre de pays africains francophones ;
L’AISCCUF (Association des institutions supérieures de contrôle ayant en partage l’usage du français) peut contribuer à favoriser la transparence dans la gestion des finances publiques qui doit caractériser le système de sécurité au même titre que les autres secteurs.
Le REFRAM (Réseau francophone des régulateurs des medias) peut contribuer à accroitre le contrôle public et le professionnalisme dans le traitement des questions de sécurité ;
L’AOMF (Association des Médiateurs et Ombudsmans de la Francophonie) peut aider à réfléchir aux moyens d’assurer la médiation des demandes sociales exprimées par les personnels des forces de défense et de sécurité ;
L’AFCNDH (Association francophone des Commissions nationales de promotion et de protection des Droits de l’Homme) peut apporter son concours aux actions de sensibilisation des forces armées et de sécurité aux Droits de l’Homme.
Il convient ici d’insister particulièrement sur la contribution qui peut être faite par les réseaux institutionnels francophone à vocation juridique : l’implication de réseaux institutionnels tels l’ACCPUF (Association francophone des Autorités de protection des données personnelles) ; AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) ; AAHJF (association africaine des hautes juridictions francophones), Section francophone de l’AIPP (association internationale des procureurs et poursuivants ; CIB (Conférence internationale des barreaux de tradition juridique commune) ; RF2D (Réseau francophone de diffusion du droit) ou l’Association du notariat francophone, permettra de créer les liens indispensable entre la réforme des systèmes de sécurité et la réforme de la justice.
Il est en effet de plus en plus unanimement reconnu que la gouvernance démocratique des systèmes de sécurité exige l’existence d’un système juridique et judiciaire impartial, indépendant et responsable ainsi que des services de poursuite efficaces.
Il est cependant très important de veiller à ne pas fondre de manière intégrale les processus de réforme de la justice dans les processus de réforme du système de sécurité. Il faut cesser de croire que l’approche RSS peut intégrer tous les aspects de la réforme de la justice. Il est en revanche important de mener de manière étroitement coordonnée la réforme d’un certain nombre de volets qui relèvent à la fois du secteur de sécurité et du secteur de justice. En lien avec la réforme des autres secteurs qui composent les systèmes de sécurité, la réforme du secteur de justice doit ainsi en priorité viser :
l’amélioration du fonctionnement de la justice pénale (services de police et le système pénitentiaire). Il est nécessaire d’améliorer le professionnalisme de certains agents de sécurité en l’occurrence les policiers et les gendarmes qui constituent un levier important de la justice au titre de leur qualité d’auxiliaires de justice notamment en matière pénale ;
le renforcement du rôle des institutions juridiques et judiciaires dans le contrôle des institutions sécuritaires (particulièrement en ce qui concerne l’utilisation du pouvoir coercitif de l’État selon les limites appelés par le respect des libertés individuelles et des droits de l’Homme) ;
l’amélioration de la gestion et de l’administration du système judiciaire, y compris celui pénitentiaire. De ce point de vue, il est important d’œuvrer en faveur de la réduction de l’incarcération et de la simplification de la procédure civile ;
la promotion de la sécurité juridique, liée aux questions de droit de propriété (notamment foncière) qui non seulement sont fondamentaux pour la protection des Droits de l’Homme et dont les violations sont en outre à l’origine d’un grand nombre de conflits. De ce point de vue, le rôle du notariat apparait particulièrement important l’harmonisation des pratiques traditionnelles avec le système juridique et judiciaire formel dans certains pays de l’espace francophone, notamment en Afrique.
Il convient de ne pas réduire les processus de réforme du secteur de justice (RSJ) à ces seuls aspects fondamentaux certes, mais d’avoir bien conscience que ceux-ci qui ne constituent que l’un des volets des processus de réforme de la justice. Il convient en effet d’être extrêmement vigilant pour que l’étroit et indispensable lien existant entre réforme des systèmes de sécurité et réforme de la justice ne se traduise pas par la sécurisation pure et simple de cette dernière, qui se traduirait sinon par l’abandon, du moins par la marginalisation de réformes judiciaires essentielles sans lien avec le secteur de sécurité mais néanmoins essentielles pour assurer l’indépendance de la magistrature et un accès équitable à la justice.