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La régulation des pourvois : Exécution préalable et modes de sélection

 

Madame Elisabeth BARADUC

Ancien Président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de France.


L’accès au juge de cassation
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La régulation des pourvois ne peut être dissociée du rôle confié par la loi au juge de cassation. Elle ne sera envisagée ici qu’en matière civile et est en lien direct avec le contrôle de légalité qui est la mission de la Cour de cassation et qui comporte deux aspects :

- Un contrôle de cohérence de la décision qui lui est déférée ou contrôle "disciplinaire".
- Un contrôle normatif qui tend, d’une part, à assurer l’uniformité dans l’interprétation et l’application de la loi et, d’autre part, à combler les lacunes de celle-ci ou à l’adapter aux nécessaires évolutions que commande l’Etat de Droit.

Qui parle de sélection des pourvois pense réduction de leur nombre.
Je n’ai cependant pas conçu le sujet de cette table ronde du seul point de vue quantitatif, car cette conception des modes de sélection m’a paru trop réductrice : certes, la sélection appliquée à la formation du pourvoi permet leur encadrement et leur réduction, mais l’objectif de sélection se poursuit lors du traitement du pourvoi, pour apporter une réponse différenciée selon la question posée au juge de cassation ; la sélection est alors directement destinée à servir la qualité de la justice.

Les modes de sélection qui seront ici envisagés concernent successivement :
- La formation du pourvoi : mode de sélection négatif en ce qu’il limite l’accès au juge.
- Le traitement du pourvoi : mode de sélection positif en ce qu’il est destiné à apporter une réponse appropriée du juge de cassation à la question qui lui est posée.

I - La sélection lors de la formation du pourvoi

Plusieurs critères peuvent être envisagés :

L’enjeu financier du litige :

Le pourvoi ne serait possible que si la demande ayant donné lieu à la décision attaquée porte sur une somme supérieure à un montant déterminé.
Ce système présente l’inconvénient majeur qu’un litige d’un montant modique peut avoir un impact important dans l’ordre juridique et poser une question de principe.

L’autorisation de pourvoi donnée par l’auteur de la décision attaquée :
Cette sélection du pourvoi par celui qui a rendu la décision attaquée présente deux inconvénients. D’une part, dans les pays où elle a été mise en œuvre, cette pratique s’est accompagnée d’une grande réticence du juge du fond à autoriser le pourvoi. D’autre part, elle est un facteur de complexité dans la mesure où elle oblige à organiser un recours contre le refus d’autorisation.

L’exécution préalable de la décision :

Le pourvoi n’étant pas suspensif, la décision attaquée peut et doit être exécutée. La question de savoir si cette exécution préalable est une condition de recevabilité du pourvoi a fait l’objet d’un long débat. Il en est résulté l’abandon d’un tel critère : exiger du demandeur au pourvoi une exécution préalable de l’arrêt qui porte condamnation à son encontre serait la source d’une inégalité dans l’accès au juge de cassation : inégalité entre le demandeur au pourvoi qui est condamné et celui qui est débouté, inégalité tenant aux ressources financières lorsque le demandeur au pourvoi n’a pas les moyens d’exécuter l’arrêt.
Une solution plus souple -adoptée en France- consiste à confier au juge saisi par le pourvoi le soin de décider ou non de l’examiner selon que l’arrêt a ou n’a pad été exécuté (voir infra).

Les ressources financières du demandeur au pourvoi :
L’insuffisance des ressources financières d’un justiciable pour faire appel à un avocat ne peut évidemment lui barrer l’accès au juge de cassation. Afin de respecter le principe de l’égal accès, principe supranational et constitutionnel, un système d’aide juridictionnelle a été mis en place. Il est ainsi conçu en France : l’Etat rémunère le conseil du justiciable, mais lorsqu’il s’agit de former un pourvoi en cassation, un bureau d’aide juridictionnelle, qui n’est pas une juridiction, examine si le pourvoi est susceptible d’être fondé sur un moyen de cassation sérieux. Si tel n’est pas le cas, l’aide juridictionnelle est refusée, à la fois pour ménager les deniers publics et éviter les pourvois dépourvus de fondement.

La nature de la décision attaquée :

C’est le dispositif de la décision attaquée qui constitue le meilleur critère de sélection quant à l’accès au juge de cassation.
La décision attaquée doit être rendue en dernier ressort et mettre fin pour partie à la procédure, c’est-à-dire avoir épuisé la juridiction du juge sur la question de droit que conteste le pourvoi.
Sont donc insusceptibles de pourvoi ou tout au moins de pourvoi immédiat :

- les décisions purement avant-dire droit,
- les décisions qui ne mettent pas fin à l’instance, par exemple, parce qu’elles écartent une exception de procédure ou tout autre incident ou fin de non recevoir,
- les décisions qui prononcent uniquement des mesures provisoires.
Ces modes de sélection appliqués à la formation du pourvoi ont pour objet de restreindre leur nombre.

Les modes de sélection du traitement du pourvoi qui vont maintenant être envisagés relèvent du juge de cassation lui-même et concernent les modalités selon lesquelles le pourvoi va être examiné.

II - La sélection du traitement du pourvoi

Ces modes de sélection peuvent porter sur l’examen du pourvoi ou sur le traitement de celui-ci.

A - Les modes de sélection relatifs à l’examen du pourvoi

Le retrait du rôle :

Le recours en cassation étant une voie de recours extraordinaire, il ne fait pas obstacle, en principe, à l’exécution de la décision attaquée. Bien plus, cette exécution est un droit du défendeur au pourvoi qui bénéficie du titre exécutoire que constitue l’arrêt attaqué.
Pour faire respecter ce droit et assurer la protection de la partie qui a gagné devant le juge du fond, la Cour de cassation, saisie à cet effet, peut décider de retirer du rôle des affaires à juger un pourvoi qui lui est déféré lorsque l’arrêt n’est pas exécuté.
Le défendeur au pourvoi peut ainsi saisir la Cour de cassation d’une demande de retrait du rôle lorsque l’arrêt d’appel n’est pas exécuté.
Saisi d’une demande en ce sens, le délégué du premier président, par une décision qui n’est pas juridictionnelle, apprécie si l’exigence imposée au demandeur de s’acquitter des condamnations prononcées contre lui entraîne des conséquences manifestement excessives au regard de son droit d’accès au juge de cassation.
Si le demandeur est en mesure d’exécuter les condamnations prononcées contre lui, le pourvoi n’est pas examiné tant que l’arrêt n’est pas exécuté.
Si la situation financière du demandeur au pourvoi ne lui permet pas d’exécuter et qu’ainsi l’exigence d’une exécution préalable – totale ou partielle- constituerait une mesure entravant l’accès effectif du requérant au juge de cassation, le pourvoi sera examiné alors même que l’arrêt n’est pas ou pas totalement exécuté. Ce mode de sélection des pourvois examinés est aujourd’hui mis en œuvre en France dans des conditions qui ménagent à la fois le droit du créancier d’obtenir l’exécution du titre exécutoire dont il bénéficie et le droit du demandeur au pourvoi d’accéder au juge de cassation.

B - Les modes de sélection relatifs au traitement du pourvoi

Une fois le pourvoi intégralement instruit et l’instruction contradictoire achevée, les modalités selon lesquelles le pourvoi va être examiné sont proposées par le rapporteur plus particulièrement en charge du dossier au sein de chaque chambre et en fonction de la réponse qu’il estime approprié d’apporter au pourvoi.
Cette sélection va donc s’effectuer au regard du contenu des écritures, du caractère sérieux ou non du pourvoi et de la nature du contrôle disciplinaire ou normatif auquel la Cour de cassation est invitée et de l’importance de la question posée.

Le traitement des pourvois non sérieux : la procédure de non-admission :

Lorsque le pourvoi en cassation est manifestement irrecevable ou non fondé sur un moyen de cassation sérieux, le rapporteur a la possibilité de proposer son orientation vers une formation de trois magistrats composant la chambre à laquelle le pourvoi a été attribué et de suggérer une décision de non-admission. La décision de non admission est pris par la Chambre concernée.
Cette procédure en vigueur devant la Cour de cassation depuis le 1er janvier 2002 est très voisine de celle que connaît le Conseil d’Etat depuis 1987.
La décision de non-admission n’est pas motivée et ne comporte donc aucune approbation de la solution adoptée par la Cour d’appel : c’est pour cette raison qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un arrêt (qui suppose une motivation) ; mais d’une décision qui met cependant définitivement fin à l’instance en cassation.
Une telle proposition du rapporteur est transmise aux avocats des parties qui ont la possibilité de la contester lorsqu’elle est manifestement le résultat d’une erreur.
Utilisée communément par toutes les chambres de la Cour de cassation dans des proportions variables (environ 30 à 40 % des pourvois), la non-admission concerne indistinctement les pourvois qui mettent en cause le contrôle disciplinaire et ceux qui suggèrent un contrôle normatif : dans cette dernière hypothèse, la non-admission n’est envisagée que si la question posée a déjà été résolue par la Cour de cassation et qu’elle n’entend pas changer sa position.

Le traitement des pourvois mettant en œuvre des moyens disciplinaires :

Il faut d’emblée indiquer qu’il n’y a pas de frontière entre les moyens disciplinaires et ceux invitant à un contrôle normatif : certains moyens disciplinaires présentent en réalité un caractère normatif ; tel est le cas du défaut de réponse lorsqu’il s’agit de savoir si des conclusions sont opérantes ; il en va de même du moyen de dénaturation lorsque l’acte en cause est une clause type qu’on trouve dans une multitude d’actes.
De même, la Cour de cassation se donnant la faculté de requalifier les moyens, elle peut préférer censurer sous un visa d’apparence disciplinaire, alors que la solution est normative.
La distinction peut donc apparaître artificielle, mais elle m’a semblé pertinente pour les besoins de l’exposé.
L’orientation vers une formation qui juge le pourvoi par une décision motivée est toujours proposée lorsque le rapporteur envisage une cassation ; elle l’est aussi lorsqu’il envisage de rejeter le pourvoi, mais qu’il importe de faire savoir l’intensité du contrôle que la Cour de cassation entend opérer sur la motivation du juge du fond.

Le traitement des pourvois invitant à un contrôle normatif :
Lorsque le pourvoi invite la Cour de cassation à contrôler l’application uniforme de la règle de droit, à régler une question nouvelle, à combler une lacune de la loi ou encore à assurer l’adaptation de celle-ci aux évolutions de la société, une première sélection de tous les pourvois qui posent la même question apparaît nécessaire.
Ce regroupement des pourvois, première étape du mode de sélection de leur traitement, ne peut être réalisé que par la mobilisation d’outils informatiques et d’une indication claire donnée par l’auteur du pourvoi de la question posée. Cette indication est donnée par une fiche qui accompagne le mémoire ampliatif qui développe les moyens de cassation.

Le traitement du pourvoi est toujours laissé à l’initiative du rapporteur qui peut proposer de le juger par une formation de trois magistrats ou par une formation de section ou de plénière de chambre. Le président de la chambre à laquelle le pourvoi a été attribué a bien entendu la possibilité de décider de la formation qui le jugera.
L’élargissement du débat pour mesurer les conséquences sociales, économiques, humaines et faire apparaître l’enjeu de la décision à intervenir apparaît parfois souhaitable, en favorisant par exemple les interventions (soumises au débat contradictoire) des personnes ou organismes susceptibles d’enrichir la discussion.

La réunion d’une assemblée plénière ou d’une chambre mixte est laissée à l’initiative du premier président ou de la chambre saisie qui se prononce par un arrêt non motivé, mais il s’agit là de questions qui seront examinées par la troisième table ronde.

On constate ainsi que les modes de sélection et de traitement des pourvois ont pour objectif de décourager l’usage perverti du droit d’accès au juge de cassation pour préserver la spécificité de la Cour régulatrice du droit ; les différents modes de sélection participent en définitive très étroitement de la qualité des décisions rendues.

 
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