L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Magistrat, chargé de mission Relations internationales
Cour de cassation française
Compte tenu du temps très court qui m’est imparti pour traiter ce vaste sujet des droits fondamentaux face à la procédure pénale, je poserai immédiatement les questions essentielles :
Quels sont les droits fondamentaux concernés,
Comment les mettre en œuvre,
Comment garantir leur respect concret.
En procédure pénale, ce sont ceux de la personne mise en cause mais également ceux de la victime. Ce sont des droits antagonistes qui se télescopent :
Ceux de la personne mise en cause, présumée innocente tant qu’elle n’a pas été condamnée, qui ne peut être condamnée que par référence à des incriminations précises et à des peines déterminées.
Son premier droit est la sûreté : absence de toute atteinte arbitraire à sa liberté sous forme d’arrestation, puis de détention
C’est également le droit d’être soustrait à la vengeance privée d’une victime, d’où la garantie d’une procédure maîtrisée par la puissance publique
C’est enfin le droit de combattre l’accusation (pouvoir de s’en défendre, décision motivée que l’on peut contester par l’exercice de voies de recours)
Ceux de la victime qui a subi un dommage et en réclame réparation, non seulement par l’allocation de dommages-intérêts mais également, par la sanction pénale qui sera infligée à la personne condamnée, laquelle sanction si elle reste entre les mains de la puissance publique, devient indispensable à la victime pour faire son deuil ou se reconstruire.
Se dégage alors la nécessité de définir les moyens de mettre en œuvre ces droits fondamentaux, et s’agissant de la personne mise en cause, deux moyens : sa sûreté et sa défense.
A. La sûreté
Deux grands principes ont inspiré le droit européen :
1-définir de façon stricte et restrictive les situations dans lesquelles il peut être porté atteinte au droit fondamental : c’est le mécanisme d’autorisation exceptionnelle à interpréter de façon stricte. C’est l’article 5 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
2-accompagner ses restrictions de garanties :
C’est l’information de la personne concernée, des raisons de sa privation de liberté, des causes factuelles et juridiques des accusations portées contre elle dans une langue comprise par elle (garde à vue, contrôle ou vérification d’identité, procédure d’extradition).
C’est également le recours :
au niveau particulier des personnes privées de liberté pour être conduites devant un magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires présentant des garanties suffisantes d’indépendance et d’objectivité et ce, afin de bénéficier d’un procès équitable débouchant sur un jugement dans un délai raisonnable sauf à être libéré, ce qui implique que le magistrat concerné en ait le pouvoir
au niveau général, de toute personne privée de liberté devant pouvoir exercer un recours pour contester la légalité de la mesure devant un tribunal indépendant statuant à bref délai
B. La défense
C’est l’aspect pénal du droit à un procès équitable. Ce droit à la défense tel que l’envisage la CSDH connaît des formes diverses.
droit d’être informé qui concerne toutes les phases de la procédure y compris la phase policière, information faite immédiatement après le début de la procédure
droit de disposer du temps, des facilités et des moyens de défense (accès aux pièces de la procédure, respect d’une certaine contradiction, droit au silence y compris pendant la phase policière (prohibition de toutes les formes de torture physique ou morale)
droit à l’assistance d’un défenseur
droit au double degré de juridiction (ce n’est qu’en 2000 qu’est intervenu l’appel des décisions de la Cour d’assises) et à l’indemnisation en cas d’erreur judiciaire.
Il existe deux voies : la voie traditionnelle : celle des sanctions ; et la voie nouvelle : celle de la prévention des atteintes futures.
A. Les sanctions
La première sanction est la nullité. Il est impératif que la procédure atteinte par une irrégularité pour non respect d’un droit fondamental ne puisse pas porter ses effets, et qu’elle soit ainsi impuissante à permettre la mise en œuvre, à l’égard de la personne en cause, du droit pénal et de la peine qu’il énonce. L’acte accompli sous l’empire de cette irrégularité est donc annulé et se pose alors la question des conséquences de cette annulation sur la situation concrète de la personne. Quand l’acte a concouru à la privation de liberté, cette conséquence est la mise en liberté.
La deuxième sanction est la réparation. Dans la philosophie européenne (art 5-5 de la CSDH), la personne victime d’une détention ou d’une arrestation dans des conditions irrespectueuses de ses droits, a droit à une réparation, une compensation financière. C’est le cas en droit français, mais dans une toute autre optique, de l’indemnisation des détentions provisoires suivies de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement.
La troisième sanction peut être le nouvel examen de l’affaire quand elle a été jugée au fond conformément à la loi interne mais en violation des droits fondamentaux, que cette loi interne méconnaissait elle-même. Le code de procédure pénale français prévoit par exemple ce nouvel examen lorsque la France a été condamnée par la Cour de Strasbourg pour jugement dans des conditions irrespectueuses des droits fondamentaux. C’est dans un tel cas la cour suprême qui, après avoir dans un premier temps jugé en appliquant la loi interne que la décision prise ne devait pas être cassée, juge dans un second temps qu’elle doit l’être.
B. Prévention des atteintes futures
La procédure pénale est en général une matière relevant de la loi et ses règles ont la force correspondante échappant ainsi au contrôle juridictionnel auquel sont soumis de simples règlements. Que faire si la loi interne semble permettre des atteintes aux droits fondamentaux ?
Une première piste d’ordre jurisprudentiel. La Cour de cassation écarte régulièrement la loi interne pour viser tel article de la CSDH.
Une seconde piste d’ordre constitutionnel
Les constitutions intègrent volontiers les droits fondamentaux dans leurs dispositions, souvent dans leurs préambules, et il appartient alors au juge constitutionnel de censurer les lois qui les ignoreraient. En France, la question a connu un renouvellement considérable avec la mise en place de la procédure dite de la question prioritaire de constitutionnalité.
La question prioritaire de constitutionnalité est issue de la réforme du 23 juillet 2008. Elle offre, à une partie à une instance en cours, la possibilité de contester devant une juridiction la constitutionnalité d’une disposition législative. En matière pénale, elle permet aux personnes de demander l’annulation des actes qui sont, selon eux, contraires à la constitution, pour méconnaissance de leurs droits fondamentaux.
Deux exemples de QPC qui sont d’actualité.
Le premier exemple porte sur le droit à la présence de l’avocat dès la première heure de garde de vue qui fait débat en France depuis quelques mois. Il s’agit d’un droit fondamental reconnu par la Cour européenne des Droits de l’Homme notamment dans l’affaire Salduz c. Turquie de 2008, où la Cour européenne rappelait le caractère exceptionnel des restrictions à la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue, toute restriction devant être justifiée par des « raisons impérieuses » .
A l’occasion d’un pourvoi formé en mai 2010, une QPC a été portée devant la Cour de cassation donnant lieu à une décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 , aux termes de laquelle le conseil a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions du CPP dont l’article 63.4 sur la présence de l’avocat. Le Conseil considère que « […] l’article 63.4 [CPP] ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat […] ». A cette occasion, le Conseil constitutionnel a enjoint au législateur d’abroger ces textes au plus tard le 1er juillet 2011. La France doit d’autant plus réagir qu’elle a été condamnée par la Cour européenne dans l’affaire Brusco .
Qu’en est-il de la conventionalité de ce texte ? Par trois arrêts du 19 octobre 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation a statué sur la conventionalité des dispositions du Code de procédure pénale relatives à la garde à vue et notamment celles portant sur les modalités d’intervention de l’avocat. Elle les a déclarés incompatibles avec les exigences de l’article 6 de la CSDH, considérant que celui-ci ne subordonne pas le respect de cette obligation de présence d’un avocat à la nature du crime ou du délit reproché, mais pose une règle de protection à caractère général.
Néanmoins, il est important de souligner que cette solution ne prendra effet que lors de l’entrée en vigueur de la loi devant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, modifier le régime juridique de la garde à vue ou, au plus tard, le 1er juillet 2011.
C’est dans ce contexte que, demain, l’assemblée plénière de la Cour de cassation examinera quatre affaires renvoyées devant elle par la 1ère chambre civile dont l’un des points de droit examinés est la conventionalité de l’article 63.4 du CPP, relatif à la présence de l’avocat dès le premier stade de la garde à vue précédant des mesures de rétention administrative d’étrangers.
Autre exemple d’actualité puisque la décision du conseil constitutionnel doit être rendue demain : la motivation des décisions de condamnations prononcées par une Cour d’assises.
La motivation des décisions des juridictions répressives est une condition de leur légalité et, plus généralement, de leur conformité aux exigences du procès équitable. Selon la jurisprudence de la CEDH, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent, dont la connaissance, pour la personne condamnée, constitue la condition d’un exercice utile des recours existants . L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce. L’exigence de motivation doit aussi s’accommoder de particularités de la procédure.
Le 13 janvier 2009, la CEDH a considéré, dans son arrêt Taxquet c. Belgique que la Cour de cassation de Belgique avait violé l’article 6-1 de la Convention, en se bornant à faire sienne la motivation d’une cour d’assises qui avait répondu à des questions formulées de façon vague et générale.
En France également, la décision de la cour d’assises sur la culpabilité de l’accusé est exprimée par les réponses faites par la Cour et le jury (en Belgique en revanche, il s’agit du seul jury), guidés par leur intime conviction (c’est la formule contenue dans l’article 353 du code de procédure pénale), aux questions posées, réponses qui tiennent lieu de motifs.
La question prioritaire de constitutionnalité a alors été posée. Dans des arrêts du 19 janvier 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a renvoyé la question devant le Conseil constitutionnel qui se prononcera donc demain.
Voici, survolée, la question des droits fondamentaux face à la procédure pénale. L’accent a été mis sur les droits de la personne mise en cause, présumée innocente, puisque c’est bien le traitement dont elle est l’objet qui est le plus révélateur du respect des droits individuels et de sa combinaison avec les nécessités de l’ordre social.