L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Professeure titulaire à la faculté de droit de l’université de Laval
On peut affirmer que l’indépendance de la Justice est consubstantielle à l’État de droit [1] . Le principe de la primauté du droit postule en premier lieu la primauté de la constitution et par conséquent l’existence de limitations à la compétence des organes législatifs et exécutifs. Les normes que ceux-ci adoptent conditionnent à leur tour la validité des autres règles de droit. L’État de droit établit ainsi une pyramide de normes hiérarchisées et interdépendantes. Cependant, les citoyens ne sont soustraits à l’arbitraire étatique [2] que si la séparation des pouvoirs est effective ce qui suppose l’existence d’un contrôle de la validité des actes normatifs adoptés par le législateur et l’exécutif. Le principe de la primauté du droit ne signifie rien dans le concret sans l’existence d’un tel contrôle exercé par un organe étatique distinct du législatif et de l’exécutif et indépendant par rapport à eux. Dans les États qui ont l’usage du français en partage, la juridiction constitutionnelle est parfois conférée à une institution incluse dans l’ordre judiciaire [3] ; plus fréquemment la compétence en matière de contrôle de la constitutionnalité est exercée par des organes qui ne font pas partie de l’ordre judiciaire [4] . Mais dans les deux cas de figure cependant, la nécessité d’assurer l’indépendance des personnes et des institutions qui exercent ce contrôle est la même. Quant au contrôle de la légalité, qu’il soit l’apanage de tribunaux distincts des tribunaux judiciaires ou, au contraire, que ces derniers puissent se prononcer sur la validité des actes administratifs, comme c’est le cas au Canada [5] dans chacun des cas, ce contrôle doit lui aussi être exercé en toute indépendance par rapport au pouvoir exécutif.
Une conséquence implicite de la séparation des pouvoirs réside dans la spécialisation des tâches. Celle du pouvoir judiciaire consiste à « rendre justice » aux citoyens et à « déclarer le droit ».
Bien que dans tous les États démocratiques, la Justice soit un idéal à atteindre celle-ci reste une notion qu’il est difficile sinon impossible de circonscrire ou définir [6]. C’est la perception de certaines injustices qui nous est surtout familière et le jugement de valeur que nous formulons alors est intuitif [7], relatif et circonstanciel. Ainsi, une norme apparaît injuste à l’un en raison de sa teneur et de ses conséquences alors qu’elle semble opportune à un autre. Le relativisme des cultures est évidemment aussi à prendre en compte à cet égard. Que les normes perçues comme injustes soient parfaitement conformes à l’ordre juridique institué est sans pertinence pour certains et il est clair que Droit et Justice ne coïncident pas toujours. Mais la fonction judiciaire n’est pas confrontée à une notion absconse de Justice. Pour rendre justice, le juge applique la loi [8]et sa discrétion est balisée par celle-ci.
Les termes de la loi sont généraux et impersonnels ; la loi établit des catégories de faits et assortit chacune d’elles de conséquences. Par principe, toute personne qui se trouve dans la situation décrite par la loi, est susceptible de se voir appliquer lesdites conséquences. C’est là, la signification du principe de l’égalité de tous devant la loi. Toutefois, il existe nombre de « cas difficiles » pour lesquels il est particulièrement délicat de décider où se situe la frontière entre le respect et le non-respect de la loi [9]. Par ailleurs, la lettre de la loi n’est pas toujours limpide et doit par conséquent être interprétée par le juge [10] . Certes, ce dernier peut errer en droit en interprétant et en appliquant la loi mais il est essentiel qu’aucune considération étrangère aux faits qui lui sont soumis et à la règle de droit applicable ne puisse avoir de pertinence. Le juge, dont la mission est de « dire le droit » dans le cadre d’un litige doit accomplir sa fonction de manière impartiale, sans pression d’aucune sorte, réelle ou potentielle, susceptible de restreindre l’autonomie de sa pensée. Les parties ne doivent pas avoir de motif raisonnable de questionner l’impartialité de la décision qui sera rendue dans le contexte d’un procès qui les concerne ce qui ne manquerait pas de survenir si le juge ne jouissait pas de garanties objectives d’indépendance le mettant à l’abri de toute influence indue. Bien entendu, l’indépendance objective du juge n’assure pas son impartialité dans une cause donnée, mais l’absence de ces garanties, en revanche, peut faire naître chez les parties un doute raisonnable quant à sa neutralité dans le contexte de cette cause.
Les juges doivent non seulement être indépendants mais être perçus comme indépendants. Par ailleurs, il existe un rapport étroit entre l’indépendance d’un juge pris individuellement et celle du tribunal où il siège. Si la cour ou le tribunal n’est pas indépendant des organes exécutifs pour ce qui est essentiel à l’exercice de sa juridiction, le juge qui y exerce ses fonctions ne peut être lui-même perçu comme étant indépendant ce qui est susceptible de soulever des craintes raisonnables de partialité dans le contexte de toutes les affaires dont il connaît.
L’indépendance des juges et des tribunaux n’est pas un privilège octroyé dans leur intérêt propre mais elle leur est garantie dans l’intérêt des justiciables et elle est nécessaire pour maintenir la confiance du public dans l’impartialité de l’administration de la justice. C’est en fin de compte la perception de l’indépendance de la justice, qui contribue à donner à la fonction judiciaire sa légitimité ; elle est la condition essentielle du respect et de l’acceptation des décisions judiciaires par les justiciables.
Notre propos n’est pas de faire l’inventaire des mesures concrètes qui, dans chacun des pays de la Francophonie assurent l’indépendance de la justice mais plutôt de faire état des interventions externes, par rapport aux juges et aux tribunaux, susceptibles de la compromettre (1). Par ailleurs, si l’indépendance objective du juge est en étroite relation avec l’impartialité dont il doit faire preuve dans le contexte d’un litige, les deux notions sont toutefois distinctes. La deuxième partie de notre propos sera consacrée aux interventions externes qui sont susceptible de compromettre, dans les faits et dans la perception du public, l’impartialité des magistrats et des tribunaux (2).
Le degré d’indépendance dont bénéficie la magistrature varie selon les États ; il dépend en effet très étroitement de la réalisation plus ou moins achevée de l’État de droit [11]. Dans les pays qui ont rompu avec le système communiste et ont adopté le système politique de la démocratie pluraliste, l’administration de la justice a été remodelée lors de la transition et en vue de leur intégration dans le Conseil de l’Europe [12].
Ainsi, la nécessité de rompre avec le passé en instaurant des mécanismes et institutions propres à assurer l’indépendance de la Justice, conformément aux exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [13] a conduit à la création de conseils de la magistrature, qui indépendamment de leur appellation respective, ont en commun d’exercer leurs compétences relativement à la sélection des juges, au déroulement de leur carrière et à l’application des règles disciplinaires auxquelles ceux-ci sont assujettis.
Certains États ont subi une influence importante de modèles étrangers. C’est le cas des pays de l’Afrique francophone sub-saharienne [14], du Maroc ainsi que de Madagascar où l’organisation de la justice reste largement inspirée du modèle français. En Haïti, depuis 1804, date de l’indépendance, le système judiciaire, calqué lui-aussi sur le modèle français, est resté pratiquement inchangé jusqu’à nos jours. Au Canada et à l’Île Maurice, l’empreinte laissée par le colonisateur britannique est restée très marquée dans le domaine de l’Administration de la justice ; dans ces deux États ainsi qu’au Cameroun, la common law constitue une source de droit importante. Dans d’autres pays, tels que le Mali, le Maroc et le Sénégal, l’Islam a une influence déterminante. Au Canada et en Suisse, l’administration de la justice est aussi conditionnée par le fédéralisme.
Dans plusieurs des États qui ont en partage l’usage du français, l’indépendance des tribunaux découle de l’énoncé du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. La proclamation de indépendance du « pouvoir judiciaire [15] » ou de la « Justice [16] », devrait alors logiquement signifier non seulement l’indépendance des institutions judiciaires, mais aussi l’indépendance des personnes qui exercent le « pouvoir judiciaire » ou qui rendent la justice. Les constituants ont cependant parfois choisi de mentionner spécifiquement, outre l’indépendance du pouvoir judiciaire ou de la Justice, que les juges ne sont soumis qu’à la constitution et à la loi [17]. Dans certains pays, la constitution fait mention des éléments fondamentaux de l’indépendance des juges ; c’est notamment le cas de la constitution française et de la constitution belge qui traitent de l’inamovibilité de certains magistrats [18] ou du mode de nomination de ceux-ci [19].
Il est évidemment souhaitable que l’indépendance de la justice soit garantie au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, c’est-à-dire dans la constitution [20]. Les termes utilisés par celle-ci pour désigner la Justice sont évidement très significatifs de la place qu’elle occupe au sein de l’appareil étatique. La constitution de Madagascar, celles de la Moldavie et de la Suisse font mention de l« autorité judiciaire » tout comme c’était le cas, en France, de la constitution de 1958 ; à la suite des modifications constitutionnelles de 1993, celle-ci affirme maintenant l’indépendance de la Justice sans aller toutefois jusqu’à reconnaître qu’il s’agit du troisième pouvoir dans l’État [21].
Dans certaines constitutions républicaines, le Président de la République, assisté d’un conseil supérieur de la magistrature [22], est le garant de l’indépendance de la justice. Ailleurs, c’est ce conseil qui est chargé de cette mission [23]. Au Maroc, le Roi est l’autorité garante de l’indépendance de la justice. Il est assisté du Conseil supérieur de la Magistrature. La question qui se pose évidemment est celle de savoir si lesdits conseils sont véritablement indépendants du pouvoir exécutif et si, lorsqu’ils rendent des avis, ceux-ci s’imposent, en droit ou en fait, au Président de la République ou au Roi, selon le cas [24].
Peu de constitutions contiennent une définition précise de l’indépendance judiciaire ou en décrivent les exigences de manière exhaustive [25] de telle sorte qu’il faut s’en remettre à la loi [26], au droit supranational [27] ainsi qu’à la jurisprudence nationale [28] ou supranationale [29] pour déterminer l’ensemble des garanties objectives dont bénéficient les magistrats d’une part, et les institutions judiciaires d’autre part, dans un État donné.
Par ailleurs, la nature d’un tribunal ainsi que sa juridiction devrait être considérées lorsqu’il s’agit d’apprécier son indépendance ainsi que celle des juges qui y exercent leurs fonctions [30] . L’approche contextuelle est à privilégier [31].
Plutôt que l’uniformité des normes, c’est le respect de l’essence même des garanties d’indépendance qui importe [32]. Par exemple, l’exigence d’indépendance des magistrats du parquet, soumis au pouvoir hiérarchique d’un ministre, est évidemment moins étendue que celle qui se rapporte aux juges du siège [33], même si certains États vont au-delà de ce qui est requis en accordant les mêmes garanties aux magistrats du parquet et aux magistrats du siège [34]. Dans le même ordre d’idée, on ne saurait raisonnablement s’attendre à ce que des organes administratifs dont les décisions juridictionnelles s’intègrent au processus d’application des lois, comme il en existe au Canada [35], bénéficient des mêmes garanties d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif que celles qui sont reconnues aux juges des tribunaux judiciaires ; en revanche, l’exigence d’indépendance devient considérablement plus élevée lorsqu’il s’agit des juges et des juridictions qui contrôlent la légalité des actes de ces mêmes « tribunaux administratifs ».
Notre propos étant de traiter des menaces qui proviennent de l’extérieur du pouvoir judiciaire, nous mettrons donc l’accent sur les interventions législatives et exécutives qui sont de nature à influer négativement sur l’une et l’autre des composantes de l’indépendance, soit l’inamovibilité d’une part (1.1) et la sécurité financière ainsi que l’indépendance administrative des tribunaux d’autre part (1.2).
1.1 Le principe de l’inamovibilité est-il respecté dans son essence ?
La notion d’inamovibilité n’est pas toujours définie par les textes qui traitent de l’indépendance de la justice mais il ne fait aucun doute qu’elle en constitue un élément essentiel [36] . Dans son principe, elle signifie en premier lieu, qu’un magistrat du siège ne peut, même par voie d’avancement, être déplacé ou muté sans son consentement.
1.1.1 Les déplacements, les mutations et les promotions
Selon la constitution bulgare, les juges doivent exercer leurs fonctions durant cinq ans et être « certifiés » par décision du Conseil supérieur de la magistrature pour pouvoir se prévaloir de l’inamovibilité. Cette règle suppose donc que durant cinq années, un juge exerce ses fonctions dans une situation de précarité. Son indépendance n’est cependant menacée que si le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas lui-même véritablement indépendant du pouvoir exécutif.
Il existe parfois des atténuations légales au principe du consentement des juges du siège en ce qui concerne les mutations lorsque celles-ci sont effectuées pour « commodités administratives » [37] . Pour éviter un usage abusif des « nécessités de service » [38] ces mesures, qui constituent toujours des exceptions au principe de l’inamovibilité [39], devraient être assujetties au contrôle, ou au moins à l’approbation préalable, d’un organe indépendant du pouvoir exécutif tel qu’un conseil de la magistrature. Quelle que soit son appellation, il importe que cet organe bénéficie d’une indépendance réelle par rapport au pouvoir exécutif.
1.1.2 Les mesures disciplinaires, la destitution
La garantie d’inamovibilité signifie aussi que pendant toute la durée de son mandat ou jusqu’au moment où il atteint l’âge de la retraite, si celle-ci est obligatoire à un moment fixé par la loi, un magistrat ne peut être démis de ses fonctions, sauf en raison de manquements aux devoirs qui se rattachent à celles-ci [40].
Le principe de l’inamovibilité suppose aussi qu’il ne puisse subir de changement dans sa carrière à moins que ceux-ci résultent d’une faute commise dans l’exercice de ses fonctions.
Parmi les États qui ont en partage l’usage de la langue française, seul le Cambodge ne dispose pas d’un ensemble de normes déontologiques que les magistrats doivent respecter sous peine de faire l’objet de sanctions disciplinaires. Cette carence est cependant momentanée puisque un Code contenant de telles règles est en cours d’élaboration. Dans les autres États mentionnés dans les réponses à la question 25 [41] du Questionnaire [42] , il existe soit un code de déontologie, soit des règles qui, énoncées dans des lois organiques ou encore découlant du serment prêté par les magistrats, peuvent être regroupées pour former un ensemble normatif auquel les juges et les instances disciplinaires sont en mesure de faire référence. Il faut noter cependant que ces règles sont généralement formulées en des termes dont la signification et la portée demandent à être précisées en relation avec la fonction judicaire. Ainsi en est-il par exemple de l’obligation faite aux magistrats d’agir avec honneur, dignité et loyauté [43]. Il revient en conséquence à l’autorité disciplinaire la responsabilité de déterminer, au cas par cas et selon le contexte, la signification concrète de ces termes.
Si on ne se préoccupe que des menaces externes susceptibles de compromettre l’effectivité du principe de l’inamovibilité, ce qui importe surtout est d’examiner l’ensemble du processus disciplinaire afin de s’assurer que les magistrats ne pourront faire l’objet de mesures arbitraires imposées en représailles par le pouvoir exécutif. Dans nombre de pays mentionnés dans les réponses à la question 24 du Questionnaire [44], c’est le Conseil supérieur de la magistrature ou son équivalent qui possède le pouvoir décisionnel en matière disciplinaire. Le Tchad est un des États, avec le Canada, qui fait exception sur ce point dans la mesure où le Conseil n’est investi que d’un pouvoir de recommander des sanctions.
La question quant à l’indépendance du processus disciplinaire consiste dès lors à déterminer si, en fait, les autorités exécutives s’écartent parfois des recommandations du Conseil supérieur de la magistrature ou si l’autorité de ce dernier rend purement formel le pouvoir de l’exécutif de décider véritablement de la sanction. Au Canada, en ce qui concerne les juges nommés par le gouvernement fédéral, le Conseil supérieur de la magistrature peut faire une réprimande ou formuler un avertissement à l’endroit d’un juge mais il n’a qu’un pouvoir de recommandation en matière de destitution. C’est au gouvernement d’engager la procédure de destitution devant le Parlement fédéral. Au Québec ce qui concerne les juges de nomination provinciale, le gouvernement ne peut révoquer un juge que si la Cour d’appel a confirmé la recommandation du Conseil et la Cour suprême peut être appelée à confirmer à son tour ou infirmer cet avis [45].
La composition de l’organe disciplinaire ainsi que le processus de désignation de ses membres sont de nature à renseigner quant à l’étendue de la garantie d’inamovibilité dont jouissent les magistrats. La meilleure garantie dont ils puissent bénéficier résulte sans aucun doute du fait que l’organisme disciplinaire soit formé de juges désignés par leurs pairs. Parce que l’indépendance du pouvoir judiciaire n’intéresse pas uniquement les magistrats, des personnes extérieures à la fonction judiciaire peuvent en faire partie mais si l’exécutif nomme certains membres d’un tel organisme, ceux-ci ne devraient pas être en majorité. En outre, lorsque, comme c’est le cas dans certains pays, le Président de la République ou le ministre de la justice et garde des sceaux fait partie du Conseil supérieur de la magistrature ou de son équivalent, il ne devrait en aucun cas participer au processus disciplinaire [46] .
La règle de l’inamovibilité est-elle atteinte lorsque le législateur supprime un tribunal ou le réorganise de telle manière que certains juges ne pourront plus y siéger ? Bien sûr l’inamovibilité ne saurait être absolue sous peine d’empêcher toute réforme judiciaire, même lorsque celle-ci serait des plus nécessaires [47] ; mais lorsque les réformes ont des effets sur le principe de l’inamovibilité, elles devraient être motivées par des considérations très sérieuses. Des réformes qui visent à relever les qualifications des juges de certains tribunaux, par exemple, pourraient ainsi être compatibles avec le principe de l’inamovibilité même si certains magistrats qui sont en cours de mandat ne remplissent pas les nouvelles exigences et doivent dès lors cesser d’occuper leur siège. Surtout si les nouvelles qualifications sont déterminées par un organisme indépendant du pouvoir exécutif et en fonction de la juridiction du tribunal dans lequel ces juges sont appelés à siéger [48].
1.2 La sécurité financière des juges ainsi que l’indépendance administrative des tribunaux sont-elles assurées ?
La sécurité financière a une dimension à la fois individuelle et collective et il importe de considérer la manière dont elle est assurée tant pour les juges que pour les juridictions (1.2.1). Par ailleurs, l’indépendance des tribunaux se mesure aussi au degré d’indépendance administrative dont ils jouissent (1.2.2).
1.2.1 La sécurité financière est-elle adéquatement garantie ?
Toute mesure législative ou exécutive ayant des incidences sur quelque aspect de la rémunération des juges d’une juridiction déterminée risque d’affecter le principe de la sécurité financière dans sa dimension institutionnelle.
Pour assurer la sécurité financière des juges et des institutions judiciaires, le droit des juges à un salaire et à des prestations de retraite ou autres avantages sociaux devrait être assuré et mis à l’abri des ingérences arbitraires de l’exécutif susceptibles de compromettre non seulement l’indépendance du juge individuellement, mais également l’apparence d’indépendance de l’institution à laquelle il appartient [49] . L’idée générale qui sous-tend cette proposition est que les rapports entre la Justice et les deux autres organes de l’État doivent être dépolitisés. La magistrature doit être soustraite aux débats politiques sur la rémunération des juges bien que ceux-ci soient payés à même les fonds publics.
La sécurité financière des juges et des juridictions est mieux assurée si le traitement des premiers est fixé par le corps législatif, plutôt que par le pouvoir exécutif, et s’il grève le budget national, plutôt que de faire l’objet d’une affectation de crédits annuelle. Si le salaire des juges doit être inclus annuellement dans le projet de budget présenté au parlement par le pouvoir exécutif, il est important alors de veiller à ce que ce dernier ne détermine pas arbitrairement les salaires et autres avantages financiers liés à la fonction, mais, et cela est tout aussi important pour l’apparence d’indépendance de la justice, que les juges n’aient pas n’aient pas à négocier directement avec l’exécutif pour les établir. Les syndicats de la magistrature ou les associations représentatives du corps de la magistrature ne devraient pas négocier le salaire des juges avec le gouvernement. L’indépendance de la Justice n’empêche pas que les associations ou syndicats de magistrats de faire des représentations quant aux salaires. Ce qui est important est que les justiciables n’aient pas le sentiment que les juges peuvent décider d’abandonner une part quelconque de leur indépendance en contrepartie d’un salaire et d’avantages qui leur conviennent.
La manière idéale de servir le principe de l’indépendance de la magistrature, est sans doute d’interposer entre le législateur, l’exécutif et les magistrats un organisme, lui-même indépendant des précédents, pour négocier les salaires des juges [50] . La composition et l’indépendance de cet organisme conditionne sa crédibilité et si celle-ci est établie, ses recommandations ne pourront être écartées à la légère ni par l’exécutif, ni par le législatif [51].
Par ailleurs, le salaire fixé ne devrait pas être si bas que la confiance du public dans l’indépendance de la Justice serait compromise. Ce serait le cas si les magistrats étaient perçus comme étant vulnérables à la manipulation financière, de la part des autorités étatiques comme de la part des justiciables [52].
Il est difficile, compte tenu de la disparité des conditions économiques, d’évaluer la suffisance du traitement des juges dans chacun des pays ayant en partage l’usage du français, par rapport aux exigences de l’indépendance de la Justice. Des réponses fournies à la question 10 du Questionnaire soumis aux Hautes juridictions de cassation relativement à l’indépendance de la Justice dans leur pays d’origine [53], on peut cependant tirer une conclusion générale : les traitements des magistrats sont au moins égaux à ceux des fonctionnaires de rang équivalent [54] et, dans bien des cas, largement supérieurs au salaire moyen de ces derniers [55]ou du public en général [56].
1.2.2 L’indépendance financière et administrative des tribunaux est-elle réelle ?
Les tribunaux bénéficient-ils d’une autonomie financière et administrative suffisante pour être en mesure d’exercer leur mission sans interférence des autres corps de l’État ? Là est la question.
L’indépendance des tribunaux suppose que ceux-ci aient la maîtrise de tous les éléments de leur administration qui ont une influence directe sur l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles. Ainsi, l’assignation des juges à une cause [57], les séances du tribunal, la fixation du rôle ainsi que la durée du procès [58]devraient échapper au contrôle du pouvoir exécutif.
Les tribunaux devraient disposer d’un budget suffisant pour pouvoir exercer adéquatement leurs fonctions. La revendication d’une autonomie financière totale est cependant difficilement compatible avec le fait que des fonds publics sont en jeu. Bien que cette autonomie ne se justifie que dans la mesure où elle est nécessaire à l’exercice de la fonction juridictionnelle, on peut aisément concevoir que la limite entre ce qui est absolument nécessaire et ce qui est de l’ordre du souhaitable soit souvent difficile à établir.
L’autonomie financière des tribunaux est, dans certains pays, assurée par l’octroi aux tribunaux d’un budget autonome [59]mais plus fréquemment, ce n’est pas le cas. Pour que l’indépendance des tribunaux soit assurée, le vote du budget devrait comporter une procédure qui tienne compte de l’avis du pouvoir judiciaire. Le conseil supérieur de la magistrature ou tout organe équivalent devrait être invité à coordonner et préparer les demandes financières des tribunaux. L’important cependant, comme en matière de négociations des salaires des juges, est que la négociation sur le budget ne se fasse pas avec l’exécutif directement. On peut songer à un processus qui permettrait aux tribunaux de traiter de leur budget directement avec le législateur [60]. Par ailleurs, il est clair que la suffisance du budget de la justice doit être évaluée par rapport à l’ensemble du budget de l’État et, pour chacun des tribunaux, en relation avec ses besoins propres.
On peut affirmer que l’indépendance de la Justice est consubstantielle à l’État de droit . Le principe de la primauté du droit postule en premier lieu la primauté de la constitution et par conséquent l’existence de limitations à la compétence des organes législatifs et exécutifs. Les normes que ceux-ci adoptent conditionnent à leur tour la validité des autres règles de droit. L’État de droit établit ainsi une pyramide de normes hiérarchisées et interdépendantes. Cependant, les citoyens ne sont soustraits à l’arbitraire étatique que si la séparation des pouvoirs est effective ce qui suppose l’existence d’un contrôle de la validité des actes normatifs adoptés par le législateur et l’exécutif. Le principe de la primauté du droit ne signifie rien dans le concret sans l’existence d’un tel contrôle exercé par un organe étatique distinct du législatif et de l’exécutif et indépendant par rapport à eux. Dans les États qui ont l’usage du français en partage, la juridiction constitutionnelle est parfois conférée à une institution incluse dans l’ordre judiciaire ; plus fréquemment la compétence en matière de contrôle de la constitutionnalité est exercée par des organes qui ne font pas partie de l’ordre judiciaire . Mais dans les deux cas de figure cependant, la nécessité d’assurer l’indépendance des personnes et des institutions qui exercent ce contrôle est la même. Quant au contrôle de la légalité, qu’il soit l’apanage de tribunaux distincts des tribunaux judiciaires ou, au contraire, que ces derniers puissent se prononcer sur la validité des actes administratifs, comme c’est le cas au Canada dans chacun des cas, ce contrôle doit lui aussi être exercé en toute indépendance par rapport au pouvoir exécutif.
Une conséquence implicite de la séparation des pouvoirs réside dans la spécialisation des tâches. Celle du pouvoir judiciaire consiste à « rendre justice » aux citoyens et à « déclarer le droit ».
Bien que dans tous les États démocratiques, la Justice soit un idéal à atteindre celle-ci reste une notion qu’il est difficile sinon impossible de circonscrire ou définir . C’est la perception de certaines injustices qui nous est surtout familière et le jugement de valeur que nous formulons alors est intuitif , relatif et circonstanciel. Ainsi, une norme apparaît injuste à l’un en raison de sa teneur et de ses conséquences alors qu’elle semble opportune à un autre. Le relativisme des cultures est évidemment aussi à prendre en compte à cet égard. Que les normes perçues comme injustes soient parfaitement conformes à l’ordre juridique institué est sans pertinence pour certains et il est clair que Droit et Justice ne coïncident pas toujours. Mais la fonction judiciaire n’est pas confrontée à une notion absconse de Justice. Pour rendre justice, le juge applique la loi et sa discrétion est balisée par celle-ci.
Les termes de la loi sont généraux et impersonnels ; la loi établit des catégories de faits et assortit chacune d’elles de conséquences. Par principe, toute personne qui se trouve dans la situation décrite par la loi, est susceptible de se voir appliquer lesdites conséquences. C’est là, la signification du principe de l’égalité de tous devant la loi. Toutefois, il existe nombre de « cas difficiles » pour lesquels il est particulièrement délicat de décider où se situe la frontière entre le respect et le non-respect de la loi . Par ailleurs, la lettre de la loi n’est pas toujours limpide et doit par conséquent être interprétée par le juge . Certes, ce dernier peut errer en droit en interprétant et en appliquant la loi mais il est essentiel qu’aucune considération étrangère aux faits qui lui sont soumis et à la règle de droit applicable ne puisse avoir de pertinence. Le juge, dont la mission est de « dire le droit » dans le cadre d’un litige doit accomplir sa fonction de manière impartiale, sans pression d’aucune sorte, réelle ou potentielle, susceptible de restreindre l’autonomie de sa pensée. Les parties ne doivent pas avoir de motif raisonnable de questionner l’impartialité de la décision qui sera rendue dans le contexte d’un procès qui les concerne ce qui ne manquerait pas de survenir si le juge ne jouissait pas de garanties objectives d’indépendance le mettant à l’abri de toute influence indue. Bien entendu, l’indépendance objective du juge n’assure pas son impartialité dans une cause donnée, mais l’absence de ces garanties, en revanche, peut faire naître chez les parties un doute raisonnable quant à sa neutralité dans le contexte de cette cause.
Les juges doivent non seulement être indépendants mais être perçus comme indépendants. Par ailleurs, il existe un rapport étroit entre l’indépendance d’un juge pris individuellement et celle du tribunal où il siège. Si la cour ou le tribunal n’est pas indépendant des organes exécutifs pour ce qui est essentiel à l’exercice de sa juridiction, le juge qui y exerce ses fonctions ne peut être lui-même perçu comme étant indépendant ce qui est susceptible de soulever des craintes raisonnables de partialité dans le contexte de toutes les affaires dont il connaît.
L’indépendance des juges et des tribunaux n’est pas un privilège octroyé dans leur intérêt propre mais elle leur est garantie dans l’intérêt des justiciables et elle est nécessaire pour maintenir la confiance du public dans l’impartialité de l’administration de la justice. C’est en fin de compte la perception de l’indépendance de la justice, qui contribue à donner à la fonction judiciaire sa légitimité ; elle est la condition essentielle du respect et de l’acceptation des décisions judiciaires par les justiciables.
Notre propos n’est pas de faire l’inventaire des mesures concrètes qui, dans chacun des pays de la Francophonie assurent l’indépendance de la justice mais plutôt de faire état des interventions externes, par rapport aux juges et aux tribunaux, susceptibles de la compromettre (1). Par ailleurs, si l’indépendance objective du juge est en étroite relation avec l’impartialité dont il doit faire preuve dans le contexte d’un litige, les deux notions sont toutefois distinctes. La deuxième partie de notre propos sera consacrée aux interventions externes qui sont susceptible de compromettre, dans les faits et dans la perception du public, l’impartialité des magistrats et des tribunaux (2).
Des déclarations publiques de la part de députés ou de membres du gouvernement dénigrant le processus suivi dans le contexte d’une affaire en particulier constituent des atteintes graves au principe de la séparation des pouvoirs comme le faisait valoir le Centre pour l’indépendance des magistrats et des avocats de la Commission internationale des juristes dans une lettre adressée au Garde des sceaux et ministre de la justice de France, le 24 février 2004. Cette lettre faisait état des vives inquiétudes soulevées par les commentaires de parlementaires et de membres du pouvoir exécutif concernant les décisions des juges du Tribunal de Nanterre dans l’affaire mettant en cause A. Juppé, les critiques formulées pouvant être interprétées « comme constituant une forme de pression sur les juges ». [61]
L’indépendance et l’impartialité sont des valeurs séparées ; mais elles sont étroitement liées. L’indépendance des juges et des tribunaux renvoie à l’absence de lien de soumission envers le législateur et le gouvernement dans l’exercice de la fonction judiciaire. L’impartialité quant à elle, renvoie à un état d’esprit ou une attitude du juge faisant abstraction de toute autre considération que celle d’appliquer aux faits la règle de droit pertinente.
Ce sont des facteurs objectifs qui créent l’indépendance des juges et des tribunaux mais cette indépendance n’a de valeur que parce qu’elle établit certaines des conditions nécessaires pour assurer l’impartialité des décisions de justice en éliminant les possibilités d’ingérence du législateur et de l’exécutif. Mais elle ne suffit pas à elle seule à écarter toutes les interventions externes susceptibles de compromettre l’impartialité du juge dans une affaire précise, ou encore l’apparence d’impartialité de la juridiction au sein de laquelle il exerce sa fonction. Cette dernière occurrence est notamment susceptible de se produire si les justiciables ont des motifs raisonnables de croire que non seulement de manière ponctuelle, mais dans un grand nombre de cas, l’impartialité du juge peut être faussée en raison de certains facteurs qui sont relatifs à l’institution à laquelle il est rattaché. Les menaces que font planer les interventions externes sur l’impartialité de la justice sont de sources différentes et de nature variée ; cependant, il convient, croyons-nous, d’accorder une importance particulière à certaines.
Le processus de nomination, de promotion et de récompenses, ou encore le processus de renouvellement de mandat peut être de nature à compromettre l’impartialité réelle ou apparente de la Justice (2.1).
Par ailleurs, certaines pressions provenant de l’environnement social, et plus particulièrement des médias d’information, peuvent aussi avoir une influence négative sur l’impartialité du juge de même que la possibilité de faire l’objet de poursuites par des plaideurs mécontents de ses décisions (2.2).
2.1 La nomination, la carrière du juge et le renouvellement de mandat : des occasions d’ingérence externe
Dans la grande majorité des États qui ont en partage l’usage du français, le processus de nomination des juges n’est pas susceptible de faire naître de soupçon raisonnable quant à l’indépendance d’esprit de ceux-ci. Dans les pays où il existe une magistrature de carrière, par opposition à une magistrature issue des rangs de praticiens expérimentés comme c’est le cas au Canada, ou à une magistrature élue, comme en Suisse, la nomination initiale des juges dépend le plus souvent soit de la réussite à un examen d’entrée dans une école de la magistrature, soit du résultat d’un concours. Un recrutement sur examen ou sur concours organisé par un conseil supérieur de la magistrature est à cet égard des moins questionnables si toutefois cet organisme ne subit pas, en fait et en apparence, l’influence du pouvoir exécutif. La nomination des juges par l’exécutif sur recommandation dudit conseil l’est davantage à première vue si ce dernier doit recommander plusieurs candidatures pour un même poste [62].
Dans une telle hypothèse, la liberté de choix de l’autorité de nomination, bien que restreinte, est néanmoins certaine et on peut craindre que la personne nommée se sente redevable envers l’autorité qui l’a choisie. Au Canada, par exemple, le processus de nomination des juges a souvent fait l’objet de critiques [63]. En Belgique, bien que le pouvoir de nomination appartienne au Roi sur présentation des candidats par le CSJ, celui-ci ne présente qu’un seul candidat pour chaque fonction vacante et c’est donc lui qui détient le réel pouvoir de nomination. Qu’un tel conseil détienne le pouvoir de nommer les juges ne signifie pas d’ailleurs que le processus de désignation soit soustrait pour autant à l’influence du pouvoir exécutif. En Bulgarie, par exemple, c’est bien le Conseil supérieur de la justice qui nomme les juges mais il est présidé par le ministre de la justice qui peut proposer des candidats et donner son opinion sur eux. Même s’il ne participe pas au vote, il est possible de supputer qu’il exerce une certaine influence au sein du conseil et cela d’autant plus qu’il soumet le projet de budget des tribunaux à ce même conseil lequel en discute, sous sa présidence.
Pour ne pas dégrader l’image de la justice, il importe que ceux qui sont nommés selon un processus susceptible de compromettre leur impartialité apparente, leur indépendance puisse se vérifier en ce qui concerne le déroulement de leur carrière ; ils doivent être à l’abri des décisions arbitraires qui pourraient leur être imposées pour sanctionner une trop grande indépendance d’esprit ou le manque de soumission envers l’exécutif dont ils auraient fait preuve dans une affaire donnée ou dans plusieurs.
L’impartialité personnelle du magistrat peut parfois être mise en doute en raison des caractéristiques du processus de promotion [64] et de renouvellement des mandats à durée limitée. La participation du pouvoir exécutif dans ce processus peut amener les justiciables à douter de l’indépendance d’esprit du juge qui, ils peuvent le supputer, espère le renouvellement de son mandat. C’est pourquoi, la Charte européenne sur le statut des juges précise que toute décision sur ce point devrait amener l’intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif comprenant au moins pour moitié des juges élus par leurs pairs. [65]
2.2 Les pressions de l’environnement social
Le juge est partie intégrante de l’environnement social dans lequel il évolue et il n’est pas souhaitable de l’isoler de celui-ci ; la « bonne justice » est rendue par un juge qui est en phase avec la réalité.
Il est clair cependant que les droits et libertés qui sont reconnus aux autres membres de la société civile ne sauraient leur être reconnus sans restriction aucune. Le juge ne doit pas paraître vulnérable à certaines influences politiques, religieuses ou ethniques, ou encore d’ordre économique, susceptibles d’affecter son impartialité.
Les incompatibilités entre la carrière de juge et certaines fonctions et activités sont établies par la constitution ou par la loi afin de préserver l’autonomie décisionnelle des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. La maxime « nemo debet esse judex in propria sua causa » [66] qui véhicule l’exigence d’impartialité signifie que le juge ne doit pas être en situation d’avoir à choisir entre ses intérêts personnels et les exigences de la justice. Les textes qui établissent les incompatibilités prévoient généralement et explicitement l’interdiction d’exercer des fonctions politiques ou d’appartenir à un parti politique. Sur ce point, la Suisse présente des particularités frappantes puisque, les juges fédéraux sont élus par le Parlement fédéral, lequel tient compte de critères culturels, des appartenances politiques et régionales des candidats et cela, dans le but d’assurer les justiciables que la justice sera rendue par un corps de magistrats représentatifs de la population, compte tenu de la diversité de celle-ci. Ainsi, les candidats sont présentés par les partis politiques. Il semble acquis cependant qu’une fois élus, les juges prennent leurs distances par rapport au parti politique qui a soutenu leur candidature. Le processus de désignation des juges au Liban est tout aussi troublant puisque le principe de la représentation confessionnelle y est en effet appliqué lors de la sélection des magistrats, bien que la constitution ait tenté d’éradiquer le confessionnalisme politique.
Le magistrat devrait rester libre d’exercer les activités extra-professionnelles de son choix, mais il est nécessaire qu’un équilibre soit établi entre ses droits en tant que citoyen et la sauvegarde de son indépendance et de son impartialité, non seulement dans une affaire donnée, mais plus largement, aux yeux d’un observateur informé et raisonnable [67]. À cet égard, la participation à des activités politiques pose évidemment un problème et c’est pourquoi certains États ont instauré des incompatibilités entre la fonction de magistrat et le mandat politique. Les juges devraient éviter de participer à des débats publics de nature politique afin que soit préservée l’apparence de neutralité de la fonction juridictionnelle qu’ils exercent. Selon le Conseil consultatif des juges européens, le juge devrait néanmoins avoir la possibilité de participer à certains débats relatifs à la politique judiciaire de l’État ; il devrait en particulier être consulté et s’impliquer activement dans le processus d’élaboration des dispositions législatives concernant son statut et plus généralement, le fonctionnement de la justice [68].
Dans plusieurs pays, les magistrats peuvent constituer des syndicats pour la défense de leurs intérêts [69] . C’est le cas en Moldavie par exemple, ou encore en République Tchèque où la constitution garantit le droit à la syndicalisation. Au Bénin, la constitution d’une association de nature syndicale existe bien, mais les juges doivent affirmer leur indépendance par rapport à cet organisme pour ce qui regarde l’exercice de leurs fonctions. En France, le mouvement de syndicalisation des magistrats s’est manifestement renforcé au cours des décennies. Les membres de la commission d’avancement sont élus sur des listes syndicales. Dans certains pays cependant, la syndicalisation de la magistrature est interdite [70]
Les influences et pressions externes susceptibles de compromettre l’impartialité d’un juge sont de sources si diverses qu’il serait impossible de les mentionner toutes ; nous croyons toutefois opportun de traiter sommairement de la relation des juges avec la presse ainsi que du régime de responsabilité applicable aux magistrats dans l’exercice de leur fonctions ou en raison de celles-ci.
Le soucis d’éliminer les risques de conflits d’intérêts justifie que soit interdit aux juges l’exercice de toute activité professionnelle susceptible de les conduire à exercer leurs fonctions juridictionnelles avec partialité.
Les solutions adoptées diffèrent selon les États mais le souci commun est de ne pas couper indument le juge de la société au sein de laquelle il exerce ses fonctions. La Charte européenne sur le statut des juges [71]prévoit que la liberté du juge d’exercer des fonctions extérieures ne peut être limitée que dans la mesure où celles-ci sont incompatibles avec la confiance en l’impartialité et l’indépendance du juge ou avec la disponibilité requise pour traiter avec attention et dans un délai raisonnable, les affaires qui lui sont soumises.
2.2.1 La liberté d’expression et l’impartialité de la justice
La liberté d’expression qui englobe la liberté de la presse est une des valeurs fondamentales de la société démocratique au même titre que l’indépendance et l’impartialité de la justice. La presse constitue pour les justiciables l’organe de surveillance quant au bon fonctionnement de la justice.
Dans une société démocratique, la justice ne saurait être secrète. Par principe, les magistrats rendent leurs décisions en public et sont par conséquent soumis eux-mêmes au jugement des justiciables. Mais comme ceux-ci ont rarement le loisir de fréquenter assidument les palais de justice ; ce sont les journalistes qui deviennent alors leurs yeux et leurs oreilles [72]. Dans la meilleure des occurrences, les commentaires de la presse servent à consolider la foi des justiciables dans l’État de droit. Mais la presse met parfois en évidence un grave dysfonctionnement de la justice comme ce fut le cas récemment en France avec l’affaire d’Outreau [73] à la suite de laquelle une révision de la justice pénale a été engagée [74]
Paradoxalement, si la liberté d’expression et de la presse sert une valeur démocratique, elle constitue également un danger potentiel pour une autre de ces valeurs, soit l’impartialité de la justice.
Pour protéger la procédure judiciaire contre toute influence extérieure indue, il est nécessaire que les juges exercent un devoir de réserve dans leurs relations avec la presse. Ils doivent notamment éviter de communiquer leur opinion concernant les affaires en cours, ce qui pourrait apparaître comme un jugement rendu avant l’heure. Une pratique souhaitable est celle des communiqués de presse préparés soit par un juge chargé des communications soit par un porte-parole attaché au tribunal.
Mentionnons enfin que si la justice doit être impartiale, la presse devrait l’être aussi dans ses commentaires relatifs à une affaire en particulier ou à l’administration de la justice. Le régime de la responsabilité civile ou pénale du journaliste ou des personnes qui s’expriment dans les médias devrait refléter la nécessité d’établir un équilibre entre la liberté de l’information d’une part, et d’autre part, la préservation de l’impartialité de la Justice et de la considération dont elle doit jouir chez les justiciables [75]
2.2.2 La responsabilité civile et pénale des juges
Les juges ne devraient pas craindre de faire l’objet de poursuites civiles ou pénales en raison des décisions qu’ils rendent de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions. Les erreurs qu’ils commettent, qu’il s’agisse d’erreurs quant à la compétence, à la procédure, à l’interprétation de la loi ou encore quant aux éléments de preuve, devraient faire l’objet soit d’un contrôle judiciaire ou d’un appel. Pour que l’injustice ne reste pas sans remède, lorsque la situation ne peut être redressée par voie judiciaire (en cas de délais excessifs imputables au juge par exemple), le justiciable mécontent devrait réclamer réparation en dirigeant son action contre l’État et non contre le juge.
En ce qui concerne l’immunité des juges en matière de poursuites civiles ou pénales, on peut constater que la situation varie au sein des États qui ont en commun l’usage du français. Dans les pays dont le système judiciaire est influencé par la common law, notamment au Canada et à l’Île Maurice, les juges bénéficient d’une totale immunité contre les poursuites en raison des actes dommageables accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Précisons toutefois, en ce qui concerne le Canada, que l’infraction criminelle commise à l’occasion de l’exercice d’une fonction judiciaire ne peut être considérée comme étant commise dans l’exercice de ladite fonction. Une telle faute ne saurait par conséquent être couverte par l’immunité contre les poursuites du fait des décisions judiciaires puisqu’elle est commise en dehors de la compétence juridictionnelle du magistrat.
Lorsque, dans les réponses à la question 23 du Questionnaire concernant la responsabilité des juges [76] , il est mentionné que les poursuites pénales contre les juges peuvent être entreprises dans les cas de forfaiture, d’abus de pouvoir, de concussion, de corruption ou de fraude, on ne peut en conclure que l’impartialité des juges soit menacée [77]par la possibilité de ces poursuites. Dans les États où la prise à partie est possible dans des cas semblables, on devrait pouvoir tirer les mêmes conclusions [78].
Dans un avis consultatif destiné au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, le Conseil consultatif de juges européens fait valoir que, par principe, les juges devraient être absolument dégagés de toute responsabilité civile personnelle à l’égard de toute réclamation les visant directement et liée à l’exercice de leurs fonction. Le Conseil suggère que, pour les dommages découlant d’un acte accompli de bonne foi par le juge, l’État puisse être directement poursuivi. Il suggère également qu’une action récursoire contre le juge soit possible dans les hypothèses où l’inconduite grave de ce dernier a été établie à l’issue d’une procédure pénale ou disciplinaire.
La Charte européenne sur le statut des juges prévoit d’ailleurs la possibilité d’une action récursoire dans certains cas, notamment en cas de négligence grossière et inexcusable [79], sous réserve cependant que cette action soit autorisée par un organe indépendant comprenant un nombre substantiel de juges.
Lorsque la responsabilité de l’État peut être engagée pour le dysfonctionnement de la justice et lorsque celui-ci est imputable aux faits d’un juge, l’action récursoire est toujours possible [80] . Mais il faut mentionner qu’elle est rarement entreprise.
Dans la plupart des pays qui ont en partage l’usage du français, la contribution des juges à l’instauration d’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial a été majeure [81]. Mais l’État de droit est une construction fragile dont la solidité doit être constamment éprouvée. C’est pourquoi, même dans les sociétés où la démocratie est considérée comme étant la plus achevée, il est primordial que les juges soient vigilants et qu’ils exercent, avec les moyens dont ils disposent et dont la suffisance peut être remise en question dans de nombreux pays, leur fonction de gardiens de l’État de droit.
Les exigences de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux sont maintenant universellement admises ; elles ont été explicitées dans des documents qui intéressent l’entière communauté internationale [82] et dans des documents à portée régionale comme la Charte européenne sur le statut des juges. Pour les États membres du Conseil de l’Europe, la jurisprudence de la Cour européenne constitue bien sûr une source de première importance lorsqu’il s’agit de circonscrire les impératifs de l’indépendance judiciaire [83]. La Cour africaine des droits de l’Homme et des Peuples a été inaugurée par le septième sommet de l’Union Africaine (UA), qui s’est achevé le 2 juillet 2007, à Banjul, en Gambie. Ce tribunal emprunte bien des traits à la Cour européenne de justice et il faut espérer qu’elle saura exercer sa mission en toute indépendance. Quoi qu’il en soit sur ce point, dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, elle ne manquera certainement pas de considérer les décisions de la Cour européenne en cas de contestation relative à l’indépendance de la justice dans les États qui ont accepté sa juridiction.
[1] Dans l’affaire Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 70, le juge en chef de la Cour suprême du Canada rappelait que l’indépendance judiciaire a été reconnue comme étant l’élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques.
[2] Le pouvoir arbitraire se distingue du pouvoir discrétionnaire en ce que le pouvoir décisionnel qui découle de ce dernier est « balisé » par la norme qui en autorise l’exercice. Dans un État de droit, l’acte discrétionnaire résulte toujours de l’exercice d’une « compétence ». Le pouvoir arbitraire, pour sa part, ne dépend que de la volonté de celui qui l’exerce.
[3] Canada, Sénégal, Suisse.
[4] Albanie, Belgique, Bénin, Bulgarie, Burkina-Faso, Égypte, France, Gabon, Liban, Maroc, Mauritanie, Moldavie, Niger, Togo.
[5] Au Canada, au niveau fédéral comme au niveau provincial, il existe des organismes administratifs qui sont appelés « tribunaux administratifs » parce qu’ils exercent des compétences juridictionnelles dans le processus d’application des lois. La légalité de leurs décisions est assujettie au contrôle des cours supérieures de justice.
[6] C’est le point de vue de Hans KEKSEN : What is Justice ? Justice Law and Politics in the miroir of Science, University of California Press, Berkeley et Los Angeles, 1957.
[7] Nous ressentons une injustice sans toujours être en possession de porter un jugement dit « éclairé » de la situation qui nous indigne. D’ailleurs, ne dénonce-t-on pas couramment une « injustice criante » ?
[8] Ce terme renvoie ici à toute règle de droit, quelle que soit sa situation dans la hiérarchie normative et pas seulement à l’acte adopté par le parlement.
[9] Ronald DWORKIN, Taking Rights Seriously , Harvard University Press, 1977.
[10] Dans les systèmes juridiques dits de common law, le juge peut élaborer des règles pour compléter la loi ou palier ses insuffisances. Lorsque cette règle est entérinée par le plus haut tribunal, elle devient une règle de droit au même titre que la loi en raison du fait que les tribunaux inférieurs ne pourront la méconnaître sans risquer que leur décision ne soit cassée par les tribunaux supérieurs. Si, en pratique, le juge ne peut écarter une règle de common law confirmée par un tribunal supérieur et si, par conséquent, il est lié par le stare decisis, il n’est pas, en théorie, lié par l’interprétation qu’un autre juge a donné à une règle de droit. Il le sera cependant, dans les faits, si cette interprétation a été faite par un tribunal supérieur.
[11] Voir sur ce point la réponse de la Cour suprême de Mauritanie à la question de savoir quelles ont été plus grandes étapes vers une plus grande indépendance de la justice, Réponses au questionnaire du deuxième congrès de l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français, ci-après, le Questionnaire, p. 38.
[12] C’est le cas notamment de l’Albanie, du Bénin, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Moldavie., de la Pologne, de la République Tchèque et de la Roumanie. Dans certains cas, l’indépendance de la magistrature reste cependant plus ou moins achevée.
[13] C’est le cas notamment de l’Albanie, du Bénin, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Moldavie., de la Pologne, de la République Tchèque et de la Roumanie. Dans certains cas, l’indépendance de la magistrature reste cependant plus ou moins achevée.
[14] Notamment, au Bénin, au Burkina-Faso, au Cameroun, en Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
[15] Bénin, Burkina ; Cameroun ; Égypte ; Gabon ; Liban ; Mauritanie ; Niger ; Sénégal ; Togo.
[16] C’est le cas en Moldavie et en Roumanie.
[17] Albanie ; voir aussi les constitutions du Bénin (art. 126 al. 2), de la Bulgarie (art. 117 al. 2 et 3) ; de l’Égypte, (art. 166), du Gabon art. (68).
[18] L’inamovibilité des juges du siège est, en France, énoncée dans l’article 54 de la Constitution ainsi que dans l’article 4 de l’ordonnance n0 58-1270 du 22 décembre 1958.
[19] Article 151 par. 3 et 151 par. 3, 4e de la Constitution belge.
[20] Article 151 par. 3 et 151 par. 3, 4e de la Constitution belge.
[21] Avec la Constitution de 1991, le Mali a changé la désignation de la justice en remplaçant « autorité judiciaire » par celui de « pouvoir judiciaire ». La Roumanie, fait usage des deux expressions : pouvoir judiciaire dans l’art. 1er, al. 4 de la Constitution à la suite d’une modification de 1991 et « autorité judiciaire » dans les autres dispositions constitutionnelles.
[22] au Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Égypte, France, Gabon, Madagascar, Mali et Niger.
[23] En Bulgarie, Moldavie et Roumanie, par exemple.
[24] Au Canada, une autre monarchie constitutionnelle, les tribunaux sont les garants de leur propre indépendance.
[25] Au Canada, une autre monarchie constitutionnelle, les tribunaux sont les garants de leur propre indépendance.
La Constitution polonaise est cependant un des documents les plus explicites quant aux exigences concrètes de l’indépendance de la justice ; voir la réponse de la Cour suprême de Pologne à la question 5 du Questionnaire (existe-t-il une définition de l’indépendance de la justice dans les textes et/ou la jurisprudence ? Si oui, quelle est-elle ?), supra, note 11, p. 59. Voir aussi les termes de la Constitution du Niger, mentionnés dans la réponse de la Cour suprême du Niger à la même question 5, p. 68.
[26] De nombreux États ont déterminé le statut de la magistrature dans une loi, un code, un décret ou une ordonnance qui complète la constitution (Albanie, Belgique, Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Canada, France, Maroc, Moldavie Niger, Roumanie, Sénégal, Suisse, Togo).
[27] Il s’agit notamment du Pacte relatif aux droits civils et politiques, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour les États qui y sont soumis ou encore de la Convention africaine des droits de l’homme. Tous ces textes traitent de l’indépendance judiciaire. Cependant, dans les États dits « dualistes », comme le Canada, les conventions internationales ne peuvent prévaloir sur des dispositions clairement incompatibles de la constitution ou de la loi. Dans un tel contexte, les instruments internationaux servent néanmoins à interpréter les textes
[28] Dans plusieurs États, la question de l’indépendance de la justice a engendré un contentieux important ( France, Égypte, Maroc, Albanie, Bénin, Île Maurice, Niger, Roumanie) Le rôle de la jurisprudence a été primordial en Suisse et au Canada. Dans ce dernier État, c’est à une véritable construction jurisprudentielle de la notion d’indépendance judiciaire que la Cour suprême s’est livrée. Voir aussi la réponse de la Cour suprême du Togo à la question 5, (Existe-il une définition de l’indépendance de la justice dans les textes et/ou la jurisprudence), Questionnaire, supra, note 11, p. 62, ainsi que celle de la Cour suprême du Bénin, à la même question, p. 63. La Cour suprême de la République Tchèque souligne l’apport majeur de la jurisprudence à la construction du concept de l’indépendance de la justice. Il faut mentionner aussi des décisions du Conseil constitutionnel français ainsi que plusieurs décisions de la Cour suprême constitutionnelle d’Égypte et du Conseil constitutionnel marocain. Le principe de l’indépendance judiciaire a fait aussi l’objet de l’examen de la Cour constitutionnelle d’Albanie. Voir aussi OIF L’indépendance des juges et des juridictions, Bulletin n07, nov. 2006, p. 66-67
[29] La Cour européenne des droits de l’Homme a rendu un grand nombre de décisions se rapportant à l’indépendance judiciaire ainsi qu’à l’impartialité des décisions de justice.
[30] Dans les États où les tribunaux administratifs constituent le prolongement de la fonction administrative, comme c’est le cas au Canada, l’indépendance des juges administratifs est plus restreinte que celle des juges des tribunaux judiciaires.
[31] Voir les arrêts Canadian Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 83 et Thérrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 65, où la Cour suprême du Canada explicite la nécessité de l’approche contextuelle pour apprécier les exigences de l’indépendance judiciaire.
[32] Voir les arrêts Canadian Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, par. 83 et Thérrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, par. 65, où la Cour suprême du Canada explicite la nécessité de l’approche contextuelle pour apprécier les exigences de l’indépendance judiciaire.
[33] Certaines garanties d’indépendance ne sont accordées qu’aux juges du siège notamment, la garantie d’inamovibilité. La dépendance du parquet par rapport au pouvoir exécutif est tempérée par la vigueur de la maxime « l’écriture est serve mais la parole est libre ». Au Canada, il n’existe pas de distinction entre les catégories de juges. En matière criminelle, la poursuite est exercée par le Procureur général qui fait partie du pouvoir exécutif dont il est aussi le conseiller juridique principal. En cette qualité, il est responsable de la conduite des poursuites criminelles pour le compte de la Couronne et il est l’avocat de la Couronne en matière civile. En matière de poursuite, le procureur général possède le pouvoir discrétionnaire, compte tenu des éléments de preuve qui lui sont présentés ou qui sont présentés à son mandataire, d’engager une poursuite ou de s’en abstenir dans un cas donné. Il n’existe pas de juges d’instruction au Canada ; toutefois, en matière criminelle, un juge peut, dans certaines circonstances, présider une « enquête préliminaire » à l’issue de laquelle il se prononcera sur la question de savoir si les éléments de preuve réunis par le Procureur-général sont suffisants pour que l’inculpé soit traduit devant une juridiction criminelle.
[34] Certaines garanties d’indépendance ne sont accordées qu’aux juges du siège notamment, la garantie d’inamovibilité. La dépendance du parquet par rapport au pouvoir exécutif est tempérée par la vigueur de la maxime « l’écriture est serve mais la parole est libre ». Au Canada, il n’existe pas de distinction entre les catégories de juges. En matière criminelle, la poursuite est exercée par le Procureur général qui fait partie du pouvoir exécutif dont il est aussi le conseiller juridique principal. En cette qualité, il est responsable de la conduite des poursuites criminelles pour le compte de la Couronne et il est l’avocat de la Couronne en matière civile. En matière de poursuite, le procureur général possède le pouvoir discrétionnaire, compte tenu des éléments de preuve qui lui sont présentés ou qui sont présentés à son mandataire, d’engager une poursuite ou de s’en abstenir dans un cas donné. Il n’existe pas de juges d’instruction au Canada ; toutefois, en matière criminelle, un juge peut, dans certaines circonstances, présider une « enquête préliminaire » à l’issue de laquelle il se prononcera sur la question de savoir si les éléments de preuve réunis par le Procureur-général sont suffisants pour que l’inculpé soit traduit devant une juridiction criminelle.
[35] Supra, note 5.
[36] Notons cependant qu’au Cameroun l’inamovibilité a été supprimée des textes et au Mali, le principe signifie qu’un magistrat du siège ne peut être muté pendant 3 ans : OIF L’indépendance des juges et des juridictions, Bulletin n07, nov. 2006, p 83..
[37] Ce qui est possible en Mauritanie par exemple. Au Mali, le déplacement d’un magistrat du siège pour des nécessités du service se fait sur avis conforme de Conseil supérieur de la magistrature ce dernier intervient aussi au Maroc dans les mêmes circonstances.
[38] Voir la réponse de la Mauritanie à la question 13 (Quelle est la teneur, s’il y en a, des règles restrictives tenant à un nombre limité d’années pouvant être passées dans une fonction et/ou dans un lieu géographique), Questionnaire , supra , note 11, p. 164
[39] Ces mesures sont parfois limitées dans le temps comme c’est le cas en Albanie, en République Tchèque et au Sénégal.
[40] Les devoirs des magistrats doivent être par conséquent très clairement déterminés.
[41] Cette question est la suivante : Quelles sont les règles de déontologie de l’indépendance enseignées dans la formation des juges ?
[42] Cette question est la suivante : Quelles sont les règles de déontologie de l’indépendance enseignées dans la formation des juges ?
[43] Voir la réponse de la cour suprême du Cameroun à la question 25 (Quelles sont les règles de déontologie de l’indépendance enseignées dans la formation des juges ?), p. 306 ; voir aussi la réponse de la Cour suprême du Maroc à la même question 25, p 308.
[44] La question 24 se lit ainsi : Quel est le régime disciplinaire des juges (procédure disciplinaire, sanctions encourues) ? Comment l’indépendance y est-elle garantie ? Questionnaire, supra, note 11, p. 291
[45] Voir la réponse globale du Canada au Questionnaire, supra, note 11, p. 368-369.
[46] En France, au Burkina-Faso, au Sénégal et au Tchad, le Président de la République et le ministre de la justice et garde des sceaux sont effectivement exclus de l’instance disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature. Au Cameroun, ainsi qu’au Mali, le chef de l’État préside l’instance disciplinaire ce qui laisse place à un questionnement relatif à l’indépendance de l’organisme et à l’impartialité du processus décisionnel.
[47] Au Maroc, par exemple, la loi de 1974 formant statut de la magistrature prévoit que lors de la suppression d’un tribunal, les magistrats peuvent recevoir une nouvelle affectation.
[48] Dans l’arrêt Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, la Cour suprême du Canada en a décidé ainsi à la majorité.
[49] La Cour suprême du Canada a mis cet aspect de l’indépendance judiciaire en lumière dans Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673.
[50] C’est la solution retenue au Canada. Voir Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale (Î.-P.É), [1997] 3 R.C.S. 3 ; Au niveau fédéral, la Loi sur les juges prévoit que l’organisme doit considérer certains facteurs en faisant son examen et en formulant ses recommandations ; voir la réponse globale du Canada au Questionnaire, supra, note 11, p. 365 et s.
[51] Puisque le principe de l’indépendance de la Justice sert à la fois la séparation des pouvoirs et la primauté du droit, les tribunaux qui exercent le contrôle de constitutionnalité pourront être saisis . Il ne s’agit pas pour eux, bien sûr, d’exercer un contrôle d’opportunité mais de s’assurer du sérieux des objections qui se rapportent aux recommandations. Voir Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau Brunswick c. Nouveau Brunswick (Ministre de la Justice) ; Assoc. des juges de l’Ontario c. Ontario (Conseil de gestion) ; Bodner c. Alberta ; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général) ; Minc c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 286.
[52] L’article 118 de la Constitution du Togo mentionne que la rémunération des magistrats doit être conforme aux exigences d’indépendance et d’efficacité.
[53] La question 10 est ainsi formulée : Quels sont les éléments et6 les modalités de rémunération des juges (assimilation aux fonctionnaires, grille des traitements, primes, avantages en nature ) ?. Voir Questionnaire, supra, note 11, p. 121 et s.
[54] Liban. Madagascar (pas de différence significative) ; Mauritanie (mieux qu’un agent public de rang équivalent) ; Roumanie.
[55] Cambodge (10 fois supérieur) ; Cameroun ; Hongrie ; Île Maurice (légèrement supérieure) ; Maroc (le double environ) ; Rwanda ; Tchad ; Togo.
[56] Abanie (2/3 supérieur) ; Bénin (3 fois supérieur), France (1 fois ½).
[57] La Cour suprême du Canada a décidé qu’un juge n’a pas de comptes à rendre quant aux motifs qui sous-tendent la formation d’un banc pour décider d’une affaire déterminée. Il ne peut, à cet égard, être contraint de témoigner : McKeigan c. Hickman , [1989] 2 R.C.S. 796.
[58] La Cour suprême du Canada a décidé qu’un juge n’a pas de comptes à rendre quant aux motifs qui sous-tendent la formation d’un banc pour décider d’une affaire déterminée. Il ne peut, à cet égard, être contraint de témoigner : McKeigan c. Hickman , [1989] 2 R.C.S. 796.
[59] Albanie ; Bulgarie.
[60] Un obstacle possible à cet égard peut découler de la constitution lorsque celle-ci réserve au gouvernement l’initiative exclusive en matière budgétaire, comme c’est le cas au Canada où les chambres du Parlement ne peuvent se prononcer que sur le budget présenté par le gouvernement ( art. 54 et 90 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[61] Centre pour l’indépendance des magistrats et des avocats, lettre à Monsieur Dominique Perben
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 23 février 2004. Rappelons également que la Présidente de la quinzième Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande instance de Nanterre affirmait qu’avant et durant le procès de Monsieur Alain Jupé dans l’affaire des emplois fictifs, les ordinateurs des juges avaient été fouillés et leurs lignes téléphoniques mises sous écoute. Pour étudier le bien-fondé de ces allégations, le gouvernement français a mis sur pied une commission d’enquête administrative ad hoc sans que le Conseil de la magistrature ne soit consulté ce qui fut également dénoncé par la Commission internationale des juristes comme une atteinte grave à l’indépendance et à l’impartialité de la justice.
[62] C’est le cas en Haïti. Voir la réponse de la Cour de cassation de cet État à la question 8 (Comment sont recrutés les juges ? Quels sont les critères de sélection ?) Questionnaire, supra, note 11, p. 98.
[63] Voir la réponse globale du Canada au Questionnaire, supra, note 11, p. 366 et s.
[64] La Charte européenne sur le statut des juges traite du système de promotion qui n’est pas basé sur l’ancienneté (par. 4.1). Pour une critique de ce système, voir l’avis n01 du Conseil consultatif des juges européens (CCEJ), supra, note 32, par. 29.
[65] L’intervention dont il est question, comprend un avis, une recommandation ou une décision. Il faut noter que sauf en République Tchèque, un tel organisme existe dans chacun des pays mentionnés dans les réponses à la question 8 du Questionnaire, supra, note 11, p. 91 et s. mais sa composition est variable. Au Canada, le Conseil de la magistrature n’intervient pas en matière de nominations : voir la réponse du Canada au Questionnaire, p. 366 et s
[66] Celle maxime latine peut être traduite ainsi : nul ne peut être juge dans sa propre cause.
[67] Le juge de la justice est, selon les termes employés par le Conseil consultatif des juges européens (CCJE), l’« observateur informé et raisonnable ». Au Canada, il s’agit d’une personne « raisonnable et bien informée ».
[68] CCJE, Avis n03, (2002)OP3F p. 6.
[69] C’est le cas en Moldavie par exemple, ou encore en République Tchèque où la Constitution garantit le droit à la syndicalisation. Au Bénin par exemple, la constitution d’une association de nature syndicale existe bien, mais les juges doivent affirmer leur indépendance par rapport à cet organisme pour ce qui regarde l’exercice de leurs fonctions. En France, le mouvement de syndicalisation des magistrats s’est manifestent renforcé au cours des décennies. Les membres de la commission d’avancement sont élus sur des listes syndicales.
[70] Au Liban, en Pologne, au Sénégal et au Canada, la Constitution interdit l’affiliation des juges aux organisations syndicales.
[71] Cette charte a été rédigée par les participants à la réunion multilatérale sur le statut des juges en Europe, organisée par le Conseil de l’Europe les 8 - 10 juillet 1998. Elle est destinée à préciser la signification concrète de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ; elle tient compte Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature approuvés par l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1985 et se réfère à la Recommandation n° R (94) 12 du Comité des Ministres aux États membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges et ayant fait leurs les objectifs qu’elle exprime La valeur de cette Charte ne résulte pas d’un statut formel qu’elle n’a pas, mais de la pertinence et de la force que ses auteurs ont entendu donner à son contenu.
[72] Il se peut que dans certaines circonstances définies par la loi, notamment lorsque des mineurs sont en cause, la presse ne puisse rapporter les éléments qui permettraient d’identifier ces derniers.
[73] Voir la réponse de la Cour de cassation de France à la question 30 du Questionnaire (La justice a-t-elle été gravement mise en cause ces dix dernières années ? Si oui, à quelle occasion et quelle a été l’issue de ce ou ces événements) supra, note 11, p. 348-349.
[74] On ne saurait toutefois omettre de mentionner le rôle ambigu de la presse qui après avoir vilipendé les accusés a vilipendé le juge d’instruction sans pour autant mettre en question sa propre responsabilité dans le déroulement des évènements.
[75] Voir sur ce point les réponses à la question 14 (Comment est assurée l’indépendance de la justice à l’égard du ou des environnements suivants, s’il y a lieu…a) de la presse écrite et audiovisuelle ?) en ce qui concerne la Hongrie, la Mauritanie et le Niger. Voir aussi la réponse de la Cour suprême du Mali à la même question, Questionnaire, p. 169 et s.
[76] Questionnaire, supra, note 11, p. 273 et s.
[77] En Albanie, en Hongrie, en Mauritanie, en Moldavie et en Suisse et en République Tchèque, Sénégal, Tchad, la poursuite pénale doit parfois faire l’objet d’une autorisation préalable du Conseil supérieur de la magistrature, du Président de la République ou du Parlement dans d’autres cas.
[78] Burkina-Faso ; Cameroun ; Haïti, Maroc, Mauritanie
[79] Le Conseil consultatif des juges européens ajoute que l’acte reproché au magistrat doit avoir été volontaire.
[80] C’est le cas au Bénin, en Bulgarie, au Burkina-Faso, en Égypte, en France, en Guinée, en Hongrie, au Mali, au Maroc, en Mauritanie, au Niger, en République Tchèque, en Roumanie, au Sénégal, au Tchad et au Togo.
[81] Voir sur ce point les réponses à la question 4 du Questionnaire qui se lit comme suit : Sur le plan historique, quel a été, s’il y en a eu un, le rôle des juges ou des avocats dans les progrès de l’indépendance de la justice ? Questionnaire, supra, note 11, p. 45 et s.
[82] Notamment la Déclaration de l’O.N.U. de 1985 relative aux principes fondamentaux de la magistrature.
[83] Voir : Guy CANIVET, Les influences croisées entre juridictions nationales et internationales Eloge de la « bénévolence », publié sur le site de l’AHJUCAF. http://www.ahjucaf.org/