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Juge à la Chambre d’appel commune au Tribunal pénal international pour le Rwanda et au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
Pour respecter le temps qui m’est imparti, mon propos portera sur la saisine d’instances internationales pénales, soit les deux tribunaux internationaux pénaux ad hoc des Nations Unies (ci-après « TPI ») et la Cour pénale internationale et leur interaction avec les juridictions nationales. Par ailleurs, il est difficile de parler de saisine sans introduire les différentes compétences de ces juridictions ; aussi vais-je les présenter brièvement pour une meilleure compréhension du cadre normatif de l’exercice de la saisine en matière de justice pénale internationale.
A. Juridiction ad hoc : Les TPI
1. Les compétences
a. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
Le Conseil de sécurité des Nations Unies (ci-après « Conseil de sécurité ») a adopté le 25 mai 1993, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ci-après « TPIY ») par résolution 827 . Ainsi la saisine du TPIY, qui provient initialement du Conseil de sécurité, est mise en œuvre par le Statut du TPIY. Il convient de rappeler que la seule personne habilitée à engager des poursuites devant le TPIY est le Procureur. Ni la victime, ni une organisation non gouvernementale, ni un gouvernement n’ont qualité pour les déclencher .
Le TPIY est habilité à juger les personnes physiques présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie . Ses compétences ratione loci et ratione temporis s’étendent au territoire de l’ex-Yougoslavie pour les crimes qui ont été commis depuis 1991 .
Le TPIY a compétence ratione personae sur les personnes physiques seulement . Ainsi, le TPIY peut juger toute personne, quelle que soit sa nationalité, pour des crimes commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. En outre, cette compétence n’est pas limitée à juger des personnes d’une position hiérarchique spécifique. En effet, un certain nombre d’accusés de grades inférieurs au sein soit de l’armée, soit de la police ou qui n’avaient pas de position officielle ont été poursuivis et condamnés par le Tribunal .
La compétence ratione materiae du TPIY se limite aux crimes suivants : infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 , violations des lois ou coutumes de la guerre , génocide et crimes contre l’humanité .
b. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda
Le Conseil de sécurité a décidé la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après « TPIR ») et de son Statut par résolution 955 du 8 novembre 1994. À l’instar du TPIY, la saisine du TPIR vient du Conseil de sécurité et seul le Procureur du TPIR peut mener des enquêtes et saisir le Tribunal ; les victimes, institutions ou gouvernements ne peuvent donc pas introduire un recours devant le TPIR.
Comparativement au TPIY, le Statut du TPIR habilite le Tribunal à juger : a) les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda ainsi que, b) les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins . Comme au TPIY, la compétence ratione personae du TPIR s’applique à l’égard des personnes physiques seulement .
La compétence du TPIR, pour les crimes commis au Rwanda, s’apparente à celle du TPIY, bien qu’elle soit plus large en incluant les crimes commis sur le territoire des États voisins, en ce qu’elle s’applique à toute personne présumée coupable de crimes commis dans cet État, quelle que soit sa nationalité . En effet, dans l’affaire Georges Ruggiu, l’accusé, un journaliste de nationalité italienne et belge, a été déclaré coupable d’incitation directe et publique à commettre le génocide et de crime contre l’humanité au Rwanda, pour lesquels il a été condamné à 12 ans de prison après avoir plaidé coupable .
Toutefois, la compétence ratione temporis est plus restreinte que celle prévue au TPIY car elle se limite à une année : du 1er janvier au 31 décembre 1994 . La Chambre d’appel, dans l’affaire Nahimana et al., a d’ailleurs confirmé cette compétence temporelle .
Enfin, le TPIR a compétence ratione materiae sur les crimes suivants : génocide , crimes contre l’humanité et violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II .
À la différence des crimes perpétrés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, ceux commis au Rwanda l’ont été dans le cadre d’un conflit interne uniquement ; d’où l’absence des termes « crimes de guerre » parmi les faits répréhensibles énumérés dans les trois libellés des crimes précités . Ce qui explique également pourquoi le Statut du TPIR contient une disposition sur l’application de « l’Article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II » plutôt que sur les « Conventions de Genève de 1949 » comme c’est le cas pour le Statut du TPIY.
2. L’acte d’accusation aux TPI
a. La confirmation de l’acte d’accusation
Lorsque le Procureur décide d’engager des poursuites, il établit un acte d’accusation « dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé » .
L’acte d’accusation est ensuite transmis à un juge de la Chambre de première instance qui l’examinera .
Le juge saisi de l’acte d’accusation examine chacun des chefs d’accusation et tout élément que le Procureur pourrait présenter à l’appui de ces chefs, afin de décider si un dossier peut être établi contre le suspect . Plus spécifiquement, il pourra alors demander au Procureur de présenter des éléments supplémentaires, confirmer l’acte d’accusation, le rejeter, ou enfin surseoir à l’examen afin de permettre au Procureur de modifier l’acte d’accusation .
Si le juge rejette l’acte d’accusation, le Procureur pourra toujours soumettre ultérieurement un nouvel acte modifié . Lorsque le juge choisit de confirmer l’acte d’accusation, il peut délivrer un mandat d’arrêt et par conséquent le suspect acquiert le statut d’accusé . Sous réserve de circonstances exceptionnelles justifiant la non-divulgation publique , l’acte d’accusation est rendu public après sa confirmation .
Par ailleurs, tant que le juge n’a pas confirmé l’acte d’accusation, le Procureur peut le modifier ou le retirer et ce, sans autorisation préalable.
b. La signification de l’acte d’accusation et la purge de vices affectant l’acte d’accusation
L’acte d’accusation est ensuite signifié à l’accusé en personne lorsqu’il est placé sous la garde du Tribunal sinon le plus tôt possible ultérieurement ou dans un délai aussi raisonnable que possible . Les différents chefs d’accusation et les faits matériels sur lesquels sont fondés lesdits chefs doivent être détaillés afin que l’accusé soit suffisamment informé des faits allégués. En effet, la Chambre d’appel a précisé que « [l]es accusations portées et les faits essentiels qui les sous-tendent doivent être exposés de manière suffisamment précise dans l’acte d’accusation pour informer l’accusé des charges qui pèsent contre lui » .
De fait, le manque de précision d’un acte d’accusation le vicie. Cependant, ce vice peut être purgé si le Procureur communique à l’accusé en temps voulu des informations claires et cohérentes qui détaillent les faits matériels sur lesquels reposent les accusations portées contre l’accusé . Par exemple, une déclaration de témoin, associée à des « informations non ambiguës » contenues dans un mémoire préalable au procès du Procureur et dans ses annexes peuvent suffire à couvrir le vice qui entachait l’acte d’accusation .
c. La modification de l’acte d’accusation après sa confirmation
Au TPIY, le Procureur peut encore modifier l’acte d’accusation après sa confirmation mais avant l’affectation de l’affaire à une chambre de première instance. Dans ce cas de figure, toute modification de l’acte d’accusation requiert l’autorisation du juge l’ayant confirmé ou, d’un juge désigné par le Président . Après l’affectation de l’affaire, la modification de l’acte se fera sur autorisation de la Chambre .
Au TPIR, le Procureur peut également modifier l’acte d’accusation après sa confirmation mais avant la comparution de l’accusé devant une Chambre de première instance. Toute modification requiert l’autorisation du juge l’ayant confirmé ou, dans des circonstances exceptionnelles, celle d’un juge désigné par le Président . Au moment de la comparution initiale ou par la suite, l’acte d’accusation ne pourra être modifié que sur autorisation d’une Chambre de première instance
.
Si l’accusé a déjà comparu et que l’acte d’accusation modifié comporte de nouveaux chefs d’accusation, une nouvelle comparution aura lieu dès que possible pour permettre à l’accusé d’indiquer son plaidoyer au vu des nouveaux chefs .
d. Comparution de l’accusé, le plaidoyer de l’accusé et l’accord sur le plaidoyer
Après son transfert à l’un des TPI, l’accusé comparaît sans délai devant une Chambre de première instance ou un juge et est officiellement mis en accusation .
Au moment de la comparution, la procédure de la communication du plaidoyer diffère légèrement entre le TPIR et le TPIY. Au TPIR, la Chambre de première instance ou le juge désigné invite, entre autres, l’accusé à plaider coupable ou non coupable sur chaque chef d’accusation et, si l’accusé ne se prononce pas, il est mentionné au dossier qu’il a plaidé non coupable . Au TPIY, la Chambre de première instance ou le juge désigné informe que, dans les trente jours suivant sa comparution initiale, il devra indiquer son plaidoyer pour chacun des chefs d’accusation, mais il peut également plaider coupable ou non coupable dès le moment de sa comparution . À l’instar du TPIR, lorsqu’un accusé décide de ne pas plaider, un plaidoyer de non culpabilité sera indiqué au dossier .
Lorsque l’accusé plaide coupable, la Chambre doit s’assurer que l’aveu est fait : (i) librement et volontairement ou délibérément ; (ii) en connaissance de cause ; (iii) sans équivoque ; et (iv) repose sur des faits suffisants pour établir le crime et la participation de l’accusé à sa commission compte tenu soit d’indices objectifs ou indépendants, soit de l’absence de tout sérieux désaccord entre le Procureur et l’accusé sur les faits de la cause .
Dans le cas d’accord sur un plaidoyer de culpabilité pour tous ou l’un des chefs d’accusation, le Procureur et la Défense peuvent convenir ensemble que le Procureur peut demander à la Chambre de première instance l’autorisation de modifier l’acte d’accusation en conséquence, proposer une peine déterminée ou une fourchette de peines qu’il estime appropriées ou peut ne pas s’opposer à la fourchette de peines proposées par la Défense . Bien que la Chambre de première instance ne soit pas tenue par un tel accord , la Chambre d’appel a souligné que dans le cadre d’un jugement portant condamnation rendu à la suite d’un accord sur le plaidoyer, […] la Chambre de première instance doit tenir compte comme il convient de la peine recommandée par les parties et que si elle s’en écarte nettement, elle doit s’en expliquer. L’exposé de ces motifs et le respect par la Chambre de première instance de l’obligation que lui impose l’article 23 2) du Statut de motiver par écrit ses décisions permettent tant à la personne déclarée coupable d’exercer effectivement son droit de recours qu’à la Chambre d’appel de comprendre et […] évaluer les constatations de la Chambre de première instance .
Enfin, la Chambre de première instance demande la divulgation de l’accord et peut par la suite déclarer l’accusé coupable et instruire le Greffier de fixer la date de l’audience consacrée au prononcé de la peine .
3. Le mode d’exercice de la compétence concurrente des TPI : la primauté
Le TPIY et les juridictions nationales sont concurremment compétents pour poursuivre les auteurs présumés des violations graves du droit international humanitaire commises en ex-Yougoslavie . Toutefois, le Statut souligne la primauté du TPIY sur les tribunaux nationaux en ce sens qu’il peut, à tout moment, demander à ces derniers de se dessaisir en sa faveur d’une enquête ou d’une procédure .
À l’instar de ce qui se passe au TPIY, le TPIR a prééminence sur les juridictions nationales de tous les États .
Les demandes de dessaisissement d’une affaire d’une juridiction interne en faveur des TPI peuvent être présentées tant avant qu’après la confirmation de l’acte d’accusation relative à cette demande. Celle-ci ne dépend pas non plus du transfert de l’accusé au Tribunal.
a. Exemples de procédure de dessaisissement d’une affaire relevant d’une juridiction interne au profit des TPI
i. Le TPIY
Ainsi à titre d’exemples, la Chambre de première instance a fait droit, le 8 novembre 1994, à une demande du Procureur aux fins de dessaisissement de l’Allemagne des poursuites en cours contre Dusko Tadić en faveur du Tribunal . Le 16 mai 1995, la Bosnie-Herzégovine a dû faire de même pour les poursuites concernant Radovan Karadžić, Ratko Mladić et Mićo Stanišić . Le 4 octobre 2002, la Chambre a également accueilli partiellement la requête du Procureur demandant à la République de Macédoine de se dessaisir de cinq affaires concernant les crimes qui auraient été commis en Macédoine en 2001 par l’Armée de libération nationale et les forces macédoniennes . L’une de ces affaires sur l’enquête des faits survenus à Ljuboten a donné lieu à l’arrestation et la poursuite de Ljube Boškoski et Johan Tarčulovski .
ii. Le TPIR
La procédure de dessaisissement au TPIR est similaire à celle prévue au Règlement du TPIY.
Ainsi le 17 mai 1996, la Chambre de première instance a donné une suite favorable à la demande du Procureur aux fins de dessaisissement de la Belgique des enquêtes et poursuites pénales en cours contre Théoneste Bagosora en faveur du TPIR .
Enfin, comme corollaire à cette primauté, les TPI possèdent aussi le pouvoir de restaurer la compétence de la juridiction nationale au moyen d’une procédure de renvoi d’un acte d’accusation devant cette instance.
b. Exemples de procédure de renvoi de l’acte d’accusation devant une autre juridiction conformément à l’article 11 bis des Règlements des TPI
L’article 11 bis A) du Règlement du TPIY permet le renvoi d’une affaire du Tribunal devant n’importe quel État dans le monde ; cependant, aucune affaire du TPIY n’a été renvoyée ailleurs que dans la région de l’ex-Yougoslavie .
Il en va autrement pour le TPIR. En effet, le 20 novembre 2007, la Chambre de première instance a fait droit à la demande de renvoi du Procureur des affaires Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta aux autorités françaises . La Chambre de première instance a également accordé le renvoi de l’affaire Michel Bagaragaza devant les autorités judiciaires des Pays-Bas . Cependant, après avoir été officiellement informée par lesdites autorités qu’elles n’avaient pas de compétence ratione materiae sur les crimes reprochés à M. Bagaragaza, la Chambre précitée a révoqué le renvoi de cette affaire le 17 août 2007 et elle a demandé aux autorités néerlandaises de se dessaisir de l’affaire en faveur du TPIR .
i. Le TPIY
La Chambre de première instance saisie d’une telle demande tient compte de deux critères juridiques qui vont militer ou non en faveur d’un renvoi : la gravité des crimes reprochés et la position hiérarchique de l’accusé . Ces deux critères peuvent être évalués de façon séparée ou ensemble. La Chambre peut également prendre en compte d’autres circonstances pertinentes . Ainsi dans l’affaire Milorad Trbić, le renvoi a été accordé au motif que l’accusé avait une autorité limitée malgré l’allégation du Procureur selon laquelle l’accusé était impliqué dans le génocide de Srebrenica .
En outre, le renvoi de l’affaire Radovan Stanković devant les autorités judiciaires de la Bosnie-Herzégovine a été ordonné le 17 mai 2005 au motif que la gravité des crimes reprochés à l’accusé en vertu de l’Acte d’accusation et son degré de responsabilité militaient en faveur de cette conclusion. La Chambre de première instance s’est également assuré que l’accusé bénéficierait d’un procès équitable et que la peine capitale ne lui serait pas imposée . La Chambre d’appel de la Cour de la Bosnie-Herzégovine a confirmé le prononcé de culpabilité mais a porté la peine à 20 ans de prison au lieu des 16 ans fixés par la Chambre de première instance .
Depuis cette affaire, huit autres impliquant 14 accusés ont été renvoyées devant la Cour d’État de la Bosnie-Herzégovine, les autorités judiciaires de la République de Serbie et le Tribunal de district de Zagreb.
Néanmoins, le renvoi n’a pas été accordé dans six affaires impliquant neuf accusés. Entre autres, dans l’affaire Milan Lukić et Sredoje Lukić, la Chambre d’appel, saisie de l’appel de Milan Lukić, a annulé le renvoi ordonné par la Chambre de première instance car cette dernière avait commis une erreur en sous-estimant le degré de responsabilité allégué de l’accusé. En effet, la Chambre d’appel a considéré qu’il était un des plus importants chefs paramilitaires . Par conséquent, le critère de la gravité pris isolément ne pouvait à lui seul trancher la question ; les crimes allégués reprochés à Milan Lukić combinés à son rôle de chef paramilitaire rendaient l’affaire trop importante pour être renvoyée devant la juridiction de la Bosnie-Herzégovine .
La Chambre de première instance a également refusé le renvoi des affaires Dragomir Milošević et Rasim Delić en raison de la position hiérarchique du premier accusé dans la campagne de tirs isolés et de bombardements de la population civile de Sarajevo ; quant au second accusé à celle qu’il avait au sein de l’armée de la République de la Bosnie-Herzégovine .
ii. Le TPIR
Concernant le TPIR, la situation des demandes de renvoi diffère de celle au TPIY. En vertu du Règlement et de la jurisprudence du TPIR, la Chambre de première instance peut renvoyer une affaire pour jugement devant une juridiction nationale compétente si elle est convaincue que l’accusé y bénéficiera d’un procès équitable et qu’il ne sera pas condamné à la peine capitale, ni exécuté . Pour déterminer si un État est compétent ou non au sens de l’article 11 bis du Règlement, la Chambre de première instance doit rechercher si l’État en question est doté d’un système juridique qui criminalise la conduite alléguée de l’accusé et offre une grille des peines adéquate .
Cependant, jusqu’à présent, la Chambre de première instance a refusé les demandes de renvoi au Rwanda . Par exemple, dans l’affaire Yussuf Munyakazi, la Chambre d’appel a rejeté l’appel du Procureur contre la Décision de la Chambre de première instance refusant le renvoi. Bien que la Chambre d’appel ait conclu que la Chambre de première instance avait fait une erreur, elle a estimé que cette erreur n’invalidait pas la conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle le droit de l’accusé d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ne serait pas garanti, en ce moment au Rwanda , alors même que celui-ci a aboli la peine de mort.
B. Juridiction pénale permanente : La Cour pénale internationale
1. Les compétences
La Cour pénale internationale (ci-après « CPI ») a été créée entre les États Membres par traité international, soit le Statut de Rome, qui en fait une instance judiciaire permanente ; les États Membres ont donc décidé du cadre normatif de sa saisine tel que prévu dans le Statut de Rome.
Une des grandes innovations du Statut et du Règlement de la CPI est l’ensemble des droits accordés aux victimes. En effet, c’est la première fois que la justice pénale internationale permet aux victimes de présenter leurs observations et leurs arguments à la Cour. Cette participation peut intervenir à différentes phases de la procédure et selon diverses modalités, bien qu’il revienne aux Juges d’encadrer le moment et la forme de celle-ci . Les victimes peuvent aussi obtenir, le cas échéant, une certaine forme de réparation, qui comprend la restitution, l’indemnisation et la réhabilitation . La CPI peut ordonner que cette réparation soit versée par l’intermédiaire du Fonds en faveur des victimes ; cette réparation peut être individuelle ou collective, ou les deux .
Enfin, pour obtenir réparation, les victimes doivent déposer auprès du Greffe une demande contenant un certain nombre d’éléments fixés par le Règlement de la CPI .
La compétence ratione temporis de la Cour se limite uniquement aux événements survenus depuis le 1er juillet 2002 ; elle n’a donc pas de compétence rétroactive. En outre, si après l’entrée en vigueur du Statut, un État devient Partie, la CPI n’a compétence pour cet État qu’à compter de cette date. Ce dernier peut néanmoins accepter la compétence de celle-ci pour la période précédente .
La CPI a compétence ratione materiae pour les crimes de génocide , les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre tant pour les conflits internes qu’internationaux ainsi que le crime d’agression . Suite à la conférence de révision du Statut de Rome à Kampala du 31 mai au 11 juin dernier, les États Membres ont adopté un projet de résolution venant amender l’article 8 du Statut sur la définition et l’exercice de la compétence de la Cour à l’égard de ce crime . L’article 8 amendé définit désormais le crime d’agression comme suit : « la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies » . Par ailleurs, un acte d’agression est entendu par « l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies » .
Ce n’est qu’après le 1er janvier 2017 que la Cour exercera sa compétence à l’égard d’un crime d’agression commis par un État partie à moins que celui-ci ait préalablement déclaré ne pas accepter une telle compétence . Lorsque le Conseil de sécurité constate un acte d’agression, il le réfère au Procureur qui pourra mener une enquête sur ce crime . Enfin, si un tel constat n’est pas fait dans les six mois suivant la date de l’avis du Procureur au Secrétaire général des Nations Unies, celui-ci peut mener une enquête pour crime d’agression, à condition que la Chambre préliminaire ait autorisé l’ouverture d’une enquête pour ce crime .
La CPI a compétence ratione personae et ratione loci à l’égard des personnes physiques âgées de plus de 18 ans . La Cour peut exercer sa compétence lorsque le crime a été commis dans un État Partie ou par un national d’un État Partie . Si l’État où le crime a été commis ou l’État dont l’accusé est un national n’est pas Partie au Statut, il peut, par déclaration, consentir à ce que la CPI exerce sa compétence à l’égard du crime en question .
2. Le mode d’exercice de la compétence : la complémentarité
Contrairement aux TPI, la CPI, en tant qu’institution permanente, est complémentaire des juridictions pénales nationales et peut exercer sa compétence selon trois formes de saisine .
Tout d’abord, la CPI peut être saisie lorsqu’une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis est déférée au Procureur par un État Partie .
Comme exemple récent, dans l’affaire Jean-Pierre Bemba Gombo (ci-après « Bemba »), le gouvernement de la République centrafricaine a saisi la CPI le 21 décembre 2004 pour les crimes commis sur son territoire après le 1er juillet 2002 afin de déférer cette situation au Procureur . Le 15 juin 2009, la Chambre préliminaire a confirmé les chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crime de guerre contre M. Bemba en tant que chef militaire.
Deuxièmement, le Conseil de sécurité peut déférer au Procureur, en vertu du chapitre VII de la Charte de Nations Unies, toute situation dans laquelle l’un des crimes prévus au Statut paraît avoir été commis, quel que soit la nationalité de l’accusé ou le lieu de perpétration du crime .
Ainsi, le Conseil de sécurité a, par résolution 1593 du 31 mars 2005, déféré au Procureur la situation au Darfour depuis le 1er juillet 2002 . Le 4 mars 2009, la Chambre préliminaire a confirmé les chefs d’accusation, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre contre le Président soudanais M. Omar Al Bashir . La majorité a cependant estimé qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables concernant le crime de génocide . La Chambre d’appel a conclu, le 3 février 2010, que la Chambre préliminaire avait commis une erreur de droit dans son examen concernant le crime de génocide et elle lui a demandé de statuer à nouveau sur la question de savoir si cette charge devrait être prise en compte .
La CPI peut également être saisie lorsque le Procureur décide d’ouvrir une enquête, de sa propre initiative sur un crime donné . Ainsi, le 31 mars dernier, la Chambre préliminaire, à la majorité, a fait droit à la requête du Procureur aux fins d’ouverture d’une enquête sur les crimes contre l’humanité qui auraient été commis sur le territoire de la République du Kenya concernant les violences qui ont suivi les élections de 2007-2008 .
Enfin, même si la CPI est compétente, elle n’agira pas nécessairement. En effet, le principe de complémentarité prévoit que certaines affaires ne seront pas recevables même si la CPI est compétente .
La justice pénale internationale, en dépit des efforts déployés, est un processus dynamique en pleine évolution mais avec certaines limites, notamment, l’absence d’une police assignée à ses institutions : l’exercice de leur saisine et la mise en œuvre effective des mandats d’arrêts des TPI et de la CPI reposent donc essentiellement sur la bonne coopération des États. En outre, l’exécution des peines dans des prisons nationales et l’accueil des personnes acquittées dans des pays constituent un défi de taille pour les deux TPI et dans le futur pour la CPI.
Cependant malgré cet obstacle et le scepticisme manifesté au début à l’égard des TPI quant à leur capacité à contribuer véritablement au rétablissement et au maintien de la paix menant à la réconciliation, ces Tribunaux ont accompli des progrès indiscutables. En effet, leur viabilité a permis de paver la voie d’une véritable justice pénale internationale en choisissant de juger les hauts responsables de violations graves du droit humanitaire afin de mettre un terme à l’impunité et de dissuader de potentiels candidats à ces violences.
Enfin, leur réalisation a servi également de tremplin pour la création de la CPI qui présente l’avantage d’être permanente, pas axée sur une région ou une situation déterminée et capable de fonctionner de manière parallèle aux instances nationales, permettant ainsi de consolider le rôle du droit pénal international.