Renforcer l'entraide, la coopération
et la solidarité entre les institutions judiciaires

A propos

L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.

Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.

PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.

La jurisprudence des cours suprêmes

Juricaf

Partenaires

1 1 1
 

Juge de cassation, juge d’appel, juge du fond

 

Monsieur Abderrahim BIREME HAMID

Président de la Cour suprême du Tchad


L’accès au juge de cassation
Télécharger l'ouvrage au format PDF


Monsieur Abderrahim BIREME HAMID,
Président de la Cour suprême du Tchad

Merci, Monsieur le Président. Je remercie le Roi du Maroc et le Président de la Cour suprême du Maroc, ainsi que le Bureau de l’AHJUCAF qui nous ont offert un cadre idéal pour nous permettre d’échanger en faveur de nos juridictions.
Dans le combat quotidien pour le renforcement de l’Etat de droit, la justice occupe une place de choix et la Cour suprême y joue un rôle de premier plan.

Selon la Constitution de la République du Tchad, la Cour suprême est la plus haute instance judiciaire du pays. C’est devant elle que sont portés des pourvois contre les décisions émanant des Cours d’appel et des tribunaux tant en matière civile, coutumière, sociale que pénale.
Elle est en outre juge administratif, juge des comptes et juge de contentieux des élections locales.

Force est de relever cependant que la Cour suprême du Tchad a une particularité tirée de la loi n°006/PR/98 du 07/08/98, portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême, qui dispose en son article 61 que "l’arrêt est rendu soit sur le siège, soit après délibéré à jour fixe. La chambre judiciaire casse et annule la décision qui lui est déférée ; elle peut soit renvoyer l’affaire devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane la décision attaquée, soit si l’affaire est reconnue en état au fond, évoquer et statuer".

Cette disposition exorbitante veut dire tout simplement que la Cour suprême, dans certains cas, a le pouvoir d’évocation, c’est-à-dire qu’elle peut juger en fait et en droit. C’est ce qui fait sa particularité, voire son originalité, car, outre sa mission classique, une faculté légale lui est reconnue pour être juge d’appel et du fond.

Cette modeste intervention portera d’abord sur le rôle classique de la Cour suprême et, ensuite, sur son pouvoir d’évocation, c’est-à-dire sur sa particularité. Celle-ci nous amènera à dégager quels en sont les raisons, les inconvénients et les avantages.

I / LA COUR SUPRÊME : JUGE DE CASSATION

A l’instar des autres juridictions, la Cour suprême du Tchad n’examine pas en principe les éléments de fait dans un procès, mais cherche plutôt à s’assurer s’il a été fait une saine application de la loi. Elle sert de régulateur aux autres juridictions, garantit la fixité de la jurisprudence et contribue à l’unification dans l’interprétation des règles de droit.
En sa qualité de plus haute juridiction du pays, sa mission essentielle et classique est de veiller à la bonne application de la loi, d’assurer l’unité et l’harmonie de la jurisprudence.

Au regard de l’article 7 de la loi n° 004/PR/98 du 25/5/98 portant organisation judiciaire, la Cour suprême est la plus haute juridiction en matière judiciaire, administrative et des comptes. A cet égard, elle est Juge de cassation en toutes matières, elle ne peut donc réexaminer les faits et en donner une autre version.

Elle considère ces faits comme souverainement établis par les juges du fond. Elle ne juge donc pas l’affaire, elle juge le jugement ou l’arrêt.
En examinant les arrêts et les jugements attaqués du seul point de vue de la correcte application de la loi, la Cour suprême donne sa position sur le sens de la règle de droit et sur l’interprétation qu’il convient de lui donner. Ses arrêts de cassation ou de rejet orientent les diverses juridictions en leur indiquant comment il convient d’interpréter telle ou telle règle de droit. C’est ainsi qu’elle assure une interprétation uniforme de la règle de droit et consolide la base de la jurisprudence.
Tel est le principe, mais l’article 61 de la loi n° 006/PR/98 du 07/08/98 portant organisation et fonctionnement de la Cour suprême énonce aussi une exception qui fait de la Cour suprême du Tchad, juge d’appel et juge du fond.

II/ LA COUR SUPRÊME : JUGE D’APPEL

Comme juge de second degré, la Cour suprême du Tchad reprend entièrement l’examen tant en ce qui concerne les faits qui sont à l’origine du litige qu’en ce qui concerne les règles de droit appliquées à ces faits.
De par ce pouvoir légal reconnu à la Cour suprême, elle peut soit casser la décision attaquée en déclarant que la Cour d’appel a faussement appliqué la loi, soit, au contraire, accueillir la décision attaquée en estimant que la Cour d’appel a bien appliqué la règle de droit. Bien que la technique de cassation interdise en principe que la Cour suprême substitue sa propre décision au jugement et à l’arrêt annulé, il est des cas où la Cour suprême casse sans renvoyer. Il en est ainsi lorsque le renvoi est inutile parce que la juridiction du fond n’aurait rien à juger.
Telle est l’hypothèse de cassation pour contrariété de jugement : la légalité est rétablie par l’annulation de la deuxième décision en date. Il en va également lorsque la Cour suprême statue directement à la place des juges du fond. Cette possibilité est reconnue aussi à l’Assemblée plénière saisie sur second pourvoi. Celle-ci peut mettre ainsi fin au litige quand les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée.

III / LA COUR SUPRÊME : JUGE DU FOND

• CAUSES DE CETTE PARTICULARITE

Les raisons qui ont motivé cette option tiennent du fait que le Tchad est sorti d’une longue guerre qui a pratiquement duré plus de deux décennies. L’incidence négative de cette guerre sur les structures du pays, notamment sur les structures judiciaires, est évidente.
Il y a donc eu une longue période où, hélas, la relève des magistrats en âge avancé n’a pas été observée du fait de la carence dans la formation initiale. La plupart de magistrats actuellement en exercice sont jeunes et n’ont pas tous une expérience suffisante pour garantir convenablement aux justiciables une justice de qualité.
Pour tout le Tchad, on ne compte qu’une seule juridiction d’appel. En cas de rébellion de la Cour d’appel (même autrement composée) par rapport à une décision de la Cour suprême, le seul recours possible est l’assemblée plénière composée de neuf magistrats au moins.
Aussi, pour garantir aux justiciables une certaine célérité, faudrait-il nécessairement qu’à un moment donné la juridiction supérieure tranche et mette ainsi fin au litige et éviter que le procès ait un caractère interminable.
Cette particularité rompt avec un grand principe unanimement admis et usité par la plupart des juges de cassation des pays d’expression française qui consiste à ne pas faire du Juge de cassation un juge de fait. Elle comporte assurément un certain nombre d’inconvénients qu’il convient de relever.


• LES INCONVENIENTS DE LA PARTICULARITE :

Il est fort à craindre que l’exercice abusif de cette faculté d’évocation donnée au juge supérieur tchadien risque de dénaturer la mission dévolue par essence à une juridiction de cassation qui est de veiller exclusivement à l’application de la loi.
L’usage de cette faculté peut être de nature à rompre le principe d’égalité des citoyens devant la loi. Pour que cette égalité soit observée, il faut nécessairement que l’application de la loi soit uniforme et le pouvoir de statuer sur la conformité des décisions avec les lois de la République soit clairement défini. Cette chance, si elle en est une, doit être donnée à tout le monde. Tout justiciable ayant succombé à un procès rendu suite à une évocation a peut-être le sentiment que l’affaire n’est pas terminée et qu’il reste sur sa soif de justice.
Par son pouvoir d’évocation légal, la Cour suprême du Tchad devient implicitement un troisième degré de juridiction, d’autant plus qu’elle statue et juge complètement au fond sans renvoi. Aussi, se comporte-elle comme une "super Cour d’appel".
Usant de son pouvoir de juge de fait et de droit, la Cour suprême du Tchad peut diligenter une seconde instruction à l’issue de laquelle elle prononce un arrêt de cassation emportant évocation du dossier.
C’est ainsi que la section sociale de la Cour suprême, ayant cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de N’Djaména qui a déclaré abusif le licenciement d’une salariée remise à son corps d’origine après avoir perçu tous ses droits sociaux et condamné son employeur à lui verser une indemnité pour non-respect de la procédure, a évoqué et débouté la salariée.
Cette particularité de la Cour suprême du Tchad ne comporte pas que des inconvénients. Elle présente certains aspects positifs.

• LES AVANTAGES :

Le pouvoir reconnu au Juge suprême par l’article 61 précité a un avantage réel qui consiste à éviter de longs procès souvent interminables. La règle d’évocation est de nature à éviter un deuxième pourvoi devant la Cour suprême. Il diminue notablement toute rébellion ou résistance des tribunaux ou de l’unique Cour d’appel du Tchad.
La règle d’évocation se trouve également au niveau de la saisine de l’Assemblée plénière sur un second pourvoi ; en effet, l’Assemblée plénière peut mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu’ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d’appliquer la règle de droit appropriée.
Dans cette hypothèse de cassation sans renvoi, la Cour suprême ne joue plus son rôle de gardienne de droit pour constituer un troisième degré de juridiction.

Cela est d’autant plus vrai que la Cour suprême se prononce sur les dépenses et les remboursements des frais engagés.
Nous venons de voir que le Juge suprême au Tchad dispose d’un pouvoir d’évocation qui lui permet d’apprécier à la fois les faits et le droit. Cela constitue son originalité, mais ce système comporte de nombreux inconvénients que nous avons relevés, car il n’est pas souvent conforme à certains principes fondamentaux.
Néanmoins, ce n’est qu’une faculté donnée au Juge suprême tchadien. Il ne s’agit donc que d’un pouvoir qu’on peut utiliser dans certains cas. Si on en use sans en abuser, il serait de nature à régler certains problèmes spécifiques dus aux réalités du Tchad.

CONCLUSIONS

Le juge de cassation assume sa fonction traditionnelle de gardienne de la loi grâce à certains principes que sont le principe de l’unicité favorisant l’unité de la législation et l’unité de la jurisprudence sur toute l’étendue de son territoire, le principe de la limite de l’intervention du juge de cassation aux questions de droit, le principe de voie de recours du droit commun de pourvoi et le principe de l’interprétation de la loi.

Le juge de cassation était à l’origine cantonné dans sa fonction traditionnelle de gardien de la loi.

Cette conception repose sur le principe rigide de la séparation des pouvoirs et l’idée que le juge doit se contenter d’appliquer la loi et que le législateur au contraire a pour mission non seulement de faire la loi mais aussi de l’interpréter.

Les partisans de cette doctrine puisaient leur pensée dans les écrits de Montesquieu : « dans le gouvernement républicain, il est de nature de la constitution que les juges suivent la lettre de la loi . Si les jugements étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans une société sans savoir précisément les engagements que l’on y contracte », et dans les déclarations de Monsieur le Chapelier à la tribune de l’Assemblée « le tribunal de cassation pas plus que les tribunaux de district ne doit avoir de jurisprudence à lui disait-il si cette jurisprudence des tribunaux, la plus détestable des institutions, existait, il faudrait la détruire. L’unique but des dispositions sur lesquels vous allez délibérer est d’empêcher qu’elle ne s’introduise » séance du 18 novembre 1790 Archives parlementaires XX, p. 516.

Cette conception avait trouvé un écho favorable en Italie et s’est manifestée sous la doctrine connue sous le nom de « Nomofilaschia » inspiré d’une institution grecque, les « nomophylaques » magistrats chargés d’assister aux assemblées populaires afin d’interdire toutes propositions contraires aux lois.

Ensuite, les attributions du juge de cassation se sont renforcées. Outre sa mission de gardien de la loi, c’est-à-dire celle du respect des volontés du législateur, le juge de cassation dispose par voie d’interprétation de la loi d’un pouvoir créateur de droit qui lui permet d’assurer à la fois l’unité de la législation et de la jurisprudence.

Pour interpréter la loi, la juge de cassation a la charge de reconstituer, non seulement « la volonté exprimée par le législateur » mais encore « l’interprétation de cette volonté au-delà de l’histoire ».

Cette conception large de la fonction a pu engendrer une force créatrice de la jurisprudence. Ainsi en de nombreux domaines, des théories comme celles de l’astreinte, de l’enrichissement sans cause, la responsabilité du fait des choses sont nées de la force créatrice de la jurisprudence et sont venues illustrer cette tendance plus généreuse des pouvoirs et de la mission régulatrice : contrôle de la légalité et de la motivation cohérente des décisions rendues en dernier ressort.

Il s’agit d’une interprétation par voie de doctrine qui permet au juge de dire le droit en cas de silence ou de lacune mais encore à donner une interprétation conforme aux nécessités du moment, tout en conservant à sa jurisprudence une stabilité suffisante.

Je vous remercie.

 
  • Facebook
  • RSS Feed