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Magistrat-coordonnateur à l’Ecole de la Magistrature de France
Des praticiens de l’enfance ont de longue date, en particulier depuis la seconde guerre mondiale, observé une relation entre l’organisation familiale et la situation d’équilibre au sein d’un Etat ; l’épanouissement d’un enfant sera évidemment plus harmonieux et protégé si ses parents vivent dans un Etat qui ne réprime pas ses ressortissants et n’est pas lui-même en situation de guerre interne ou extérieure, amenant par voie de conséquence les parents à reproduire à l’échelle familiale l’ouverture ou la fermeture, la protection ou l’exploitation, qu’ils vivent ou subissent eux-mêmes. La Convention internationale des droits de l’enfant reflète cette aspiration à ce qu’en protégeant mieux les enfants, les représentants des Etats améliorent la situation de leurs institutions et de ceux qui en dépendent.
Cette convention de 1989 a vingt ans d’existence.
Elle s’inscrit dans le domaine des droits de l’Homme, son contenu rassemble en un seul texte les droits et protections reconnus aux enfants par de précédents outils internationaux, et les Etats qui l’ont ratifiée se sont engagés à rendre ses dispositions applicables dans leur droit interne.
En français, le mot enfant vient du mot latin « infans », signifiant « celui qui ne parle pas » ; il reflète la conception de l’Antiquité selon laquelle les parents avaient fréquemment le droit de vie et de mort sur leurs enfants.
Précédée par des textes nationaux, la notion de droits des enfants a commencé d’apparaître dans les textes internationaux par la Déclaration des droits de l’enfant dite de Genève, proclamée le 17 mai 1923 par l’Union Internationale de secours aux enfants, reprise par la Société des Nations le 26 septembre 1924. Elle trouve ensuite son assise dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par les Nations Unies en 1948, qui se réfère à la notion d’assistance spéciale pour la maternité et l’enfance, entraînant en particulier la Déclaration des droits de l’enfant le 20 novembre 1959.
Ces déclarations intentionnelles sans force obligatoire ont évolué vers des conventions ayant pour but l’introduction de leur contenu dans les législations nationales, c’est ainsi que la Convention internationale des droits de l’enfant a progressivement vu le jour.
Elle est le quatrième des six principaux traités de défense des droits de l’Homme découlant de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par les Nations Unies le 10 décembre 1948 [1] et le premier instrument juridique international concernant les enfants à posséder une force obligatoire, suivant en cela le chemin ouvert par l’adoption des deux premiers pactes de 1966 entrés en vigueur et donc obligatoires pour les Etats parties en 1976, celui relatif aux droits civils et politiques, et celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces deux textes lui ont également servi de fondement.
C’est en 1978 que le texte préliminaire à la Convention internationale des droits de l’enfant a été proposé, en vue de l’année internationale de l’enfant parrainée en 1979 par les Nations Unies. En leur sein, un groupe de travail a revu ce texte jusqu’à élaborer son contenu actuel.
Onze ans plus tard, cette convention est adoptée à l’unanimité le 20 novembre 1989 à New York par l’assemblée générale de l’ONU [2], signée le 26 janvier 1990. Après sa ratification par vingt Etats, elle est entrée en vigueur le 2 septembre 1990 (le 6 septembre en France). Elle est à ce jour le texte international le plus ratifié au monde, par 193 états, hormis les Etats-Unis et la Somalie. Cependant, nombre d’Etats l’ont ratifié en émettant des réserves pour environ le tiers d’entre eux dont la France à propos notamment de sa législation relative à l’interruption volontaire de grossesse.
Par ailleurs, bien des Etats ont ratifié cette Convention mais pas celle prohibant la torture, ni celle prohibant toute forme de discrimination raciale, ni celle prohibant la discrimination à l’égard des femmes (par extension : ou des petites filles…), ce qui compromet son efficacité quant aux traitements se trouvant être appliqués aux parents
des enfants censés être protégés par ailleurs.
Pour les pays concernés par ce colloque, elle a été ratifiée au Vietnam le 28 février 1990, en France le 2 juillet 1990, en République Démocratique Populaire du Laos le 8 mai 1991, en Thaïlande le 27 mars 1992, au Cambodge le 15 octobre 1992.
A l’échelle européenne, les autres textes internationaux ayant force obligatoire sont :
la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre
1950, ratifiée par la France le 3 mai 1974 : on ne peut, en France,
aborder le droit civil relatif à la protection des enfants et le droit
pénal des mineurs sans s’y référer, ce texte étant d’applicabilité
directe.
La Convention internationale concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs signée à la Haye le 5 octobre 1961, entrée en vigueur le 4 février 1969 ; cette convention s’applique pour la protection de la personne et des biens du mineur dans le cadre du droit international privé.
La Convention européenne sur l’exercice des droits de l’enfant.
Cette Convention est précédée d’un préambule, suivi de 54 articles découpés en trois parties :
les quarante et un premiers articles énoncent la définition de
l’enfant et ses droits,
les quatre articles suivants (42 à 45) instaurent le Comité des droits de l’enfant,
les neuf derniers articles (46 à 54) détaillent le mode de ratification et d’entrée en vigueur du texte.
Le préambule se réfère aux précédents textes internationaux dans lesquels la Convention trouve racine ; il s’inscrit dans le domaine de la protection d’une catégorie particulière de personnes, et dans le champ plus vaste des droits de l’Homme.
Il y est cité un extrait de la déclaration des droits de l’enfant adoptée le 20 novembre 1959, exactement trente ans avant la présente Convention : « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant, comme après la naissance ».
A. L’article 1er énonce la définition de l’enfant, qui « s’entend de tout
être humain âgé de moins de dix huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable. »
Rassemblant en un document les droits mentionnés dans d’autres textes internationaux, cette convention les décrit sans les hiérarchiser entre eux, si bien qu’ils ne sont pas divisibles et sont de force égale.
C’est du moins la philosophie de ce texte, puisqu’il convient de rappeler les nombreuses réserves dont il fait l’objet.
Ces droits sont prévus pour être garantis à l’enfant dans et hors de sa famille par chaque Etat partie, que celui-ci soit dans une situation stable ou instable par exemple du fait d’un conflit armé, que la famille ou le lieu où vit l’enfant soit dans une situation stable ou instable.
Ils sont évolutifs en fonction de l’âge de l’enfant, lequel apparaît avoir un rôle plus actif en tant que sujet et non plus seulement en tant qu’objet d’une protection ou d’une assistance comme les précédents textes le mentionnaient ; c’est la nouveauté, et aussi la difficulté de cette Convention qui concerne environ 2,2 milliards d’enfants, soit un tiers de la population mondiale.
L’UNICEF a dégagé quatre principes fondamentaux parmi les droits énumérés :
non discrimination (notamment les articles 2, 28),
priorité donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant (notamment l’article 3-1),
droit de vivre, de survivre et de se développer (notamment les articles 6, 27),
respect et possibilité d’expression des opinions (notamment les articles 12 relatif à l’audition de l’enfant dans les questions le concernant, 13, 14).
La plupart des quarante et un articles qui listent les droits peuvent s’y rattacher, citons ainsi les droits à être élevé par ses parents ou à retrouver ceux-ci, à posséder un nom, à être protégé de déplacements illicites hors de son pays, aux libertés d’expression, d’opinion, de pensée, de conscience, de religion et d’association, les droits de l’enfant à être réfugié, à obtenir une protection s’il est handicapé, le meilleur état de santé possible, une éducation et des loisirs adaptés, non contradictoires avec sa culture ou son appartenance à une minorité, une protection s’il est exploité sexuellement, soumis aux produits stupéfiants, pris dans des conflits armés, maltraité, en état de pauvreté, soumis à la torture, amené à s’expliquer dans le cadre de procédures pénales, et les droits sociaux, économiques, politiques et culturels en référence aux traités précédents.
Les objectifs de cette convention reconnaissent ainsi la situation particulière de l’enfant non en tant qu’adulte miniature, mais, de façon plus large, en tant qu’être fragile en devenir ayant des besoins spécifiques à prendre en compte, à protéger dans un cadre de difficulté ou d’extrême difficulté du fait d’un environnement familial, social ou politique pouvant être perturbé.
Pourquoi cette Convention ne comporte t’elle pas une tentative de classement de ces droits ou protections au sein de la famille, de la société, de l’Etat ou du champ international ?
L’interdépendance entre ces différents domaines peut être de nature à expliquer combien un enfant peut être en situation dangereuse dans chacun d’eux, ou y trouver un apaisement : si un enfant reçoit une formation scolaire épanouissante mais se fait maltraiter dans sa famille, le fait que l’Etat où il vit puisse être en paix ne signifiera rien pour lui si la guerre apparaît dès qu’il rentre chez lui et ne lui permettra pas de bénéficier des apports scolaires car son esprit sera centré sur ce qui l’attend le soir.
Ou bien, les protecteurs naturels de l’enfant, ses parents, ne pourront pas aisément le mettre à l’abri s’ils le désirent, si eux-mêmes sont en situation de détresse personnelle, économique, ou sont l’objet de répression politique.
Et bien souvent dans ce cas, il a été constaté que ces parents ne sont pas en situation de pouvoir le désirer car, n’ayant pas eux-mêmes une expérience de vie où ils ont pu se réaliser en tant qu’individus, ils ne seront que très difficilement en situation de pouvoir transmettre les valeurs et droits énoncés dans cette convention à leurs enfants.
Une conception autoritaire au niveau de l’Etat, ou d’un système social, est ainsi très généralement reproduite à l’échelle de la famille, entre hommes et femmes, de parents à enfants, de professeurs à élèves. L’inverse est également vrai. C’est pourquoi on peut considérer que ces différents niveaux font l’objet du « meilleur » que les auteurs de la Convention ont souhaité voir les Etats parties apporter à leurs enfants : « l’Humanité se doit de donner à l’enfant le meilleur d’elle-même », est-il rappelé par la Déclaration de 1959 précédant la présente Convention.
En attendant la réalisation de cet objectif, ce qui est considéré comme le
pire pour les enfants, à savoir d’une part l’implication d’enfants dans des conflits armés, d’autre part l’exploitation sexuelle, ont fait l’objet de deux protocoles facultatifs adoptés par l’assemblée générale des Nations Unies le 25 mai 2000, car il a été estimé qu’il était nécessaire de renforcer la protection des enfants en précisant les articles de la Convention qui s’y rapportent.
Plus de cent vingt Etats les ont ratifiés, ils ont acquis force obligatoire pour ces Etats dans le courant de l’année 2002 (le 12 février 2002 pour celui relatif aux conflits armés, le 18 janvier 2002 pour celui relatif à l’exploitation sexuelle).
Concernant les conflits armés, 300 000 enfants y prennent part [3]. Aussi le protocole qui y est relatif fixe à dix-huit ans l’âge du recrutement obligatoire, et les Etats l’ayant ratifié doivent déclarer l’âge du recrutement volontaire ainsi que les mesures prises pour veiller à ce qu’il ne soit pas forcé. En moyenne, cet âge est de quinze ans.
En général, seuls les Etats ayant ratifié un traité peuvent ratifier les protocoles facultatifs qui en découlent ; le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la République démocratique du Lao, la France l’ont ratifié. Cependant, il est admis pour la Convention internationale des droits de l’enfant que des Etats puissent ratifier un protocole sans avoir au préalable ratifié la Convention, ce qui est le cas des Etats Unis pour ce protocole.
Concernant l’exploitation sexuelle, le protocole tend à protéger l’enfant contre la vente y compris pour des motifs non sexuels, la prostitution ou la pornographie. Un million d’enfants sont estimés concernés.
L’Etat qui le ratifie reconnaît, qualifie ces actes de crime ; il favorise une meilleure coopération internationale en la matière. Ce protocole prohibe également les adoptions illégales, les dons d’organes forcés, et favorise le soutien aux enfants victimes de ces catégories d’actes.
B. Par quels moyens les parties à cette convention contrôlent-elles sa mise en œuvre ?
Tout d’abord en s’engageant à faire connaître les principes contenus dans ce texte (article 42), aux adultes et aux enfants de leur pays. Mais aussi en instituant, au siège des Nations Unies, un Comité des droits de l’enfant (article 43) composé en premier lieu de dix experts devenus 18 en 2002 par suite de l’adoption d’un amendement, élus pour quatre années au scrutin secret par les Etats parties. Ces experts siègent à titre personnel et non pour représenter leur pays ; ce Comité se réunit normalement une fois par an.
Ses tâches sont :
de soumettre à l’Assemblée générale des Nations unie, tous les deux ans, un rapport sur ses activités,
d’examiner les rapports remis par les Etats.
Tous les cinq ans, les Etats parties doivent adresser au Comité des droits de l’enfant un rapport détaillant de quelle façon la convention est mise en œuvre, ou ce qui les a empêché de la mettre en œuvre. Ce comité peut faire des demandes d’information complémentaires et adresser des recommandations ; cela a été le cas pour la France cette année, après qu’elle ait déposé son rapport avec un an de retard en 2008 ; ces recommandations, transmises par l’actuelle présidente coréenne du Comité des droits de l’enfant, ont porté en particulier sur la nécessité d’une meilleure information de leurs droits auprès des enfants, sur l’inquiétude liée à un possible recul dans le domaine de la justice pénale des mineurs, sur le nombre trop important d’enfants vivant en dessous du seuil de pauvreté (un million) ; la France a aussi été invitée à préparer son rapport avec le concours d’organisations non gouvernementales ou d’associations, à le présenter au sein de la société civile, et à y inclure la situation des terres d’Outre Mer.
Des recommandations ont été faites aussi à la France pour des comportements considérés comme attentatoires lors de gardes à vue de mineurs, ou devant le nombre préoccupant de suicides de jeunes de moins de dix-huit ans en prison ; à cet égard, l’inspecteur général des prisons en France a insisté sur la nécessité absolue que tout détenu puisse, quelles que soient les raisons de sa détention, être vu, visité par les membres de sa famille, que les conditions de sa détention fassent l’objet de contrôles par des organismes indépendants ; cela va, concernant les mineurs, dans le sens du contenu de la Convention des droits de l’enfant.
Pour d’autres pays, le Comité a recommandé, après des décennies de génocides, de conflits armés, de rédiger de nouvelles législations allant dans le sens du respect de la Convention.
Tels l’enregistrement des naissances, la protection du milieu familial, la création d’une justice des mineurs, le renforcement de la protection de la santé, l’amélioration des circuits de découverte de sévices ou maltraitances infligés aux enfants, avec l’assistance technique du Haut Commissariat aux droits de l’Homme et de l’UNICEF par exemple ; les ressources financières des structures étatiques consacrées aux enfants sont également examinées par le Comité, afin que l’Etat puisse transmettre des données fiables, et étendre ses recherches aux zones rurales, à des groupes minoritaires, aux enfants-filles, aux enfants victimes de traites et ventes pour citer quelques exemples.
La lecture des rapports ou recommandations permet aussi au Comité de prendre en compte la destruction d’infrastructures ou de services sociaux à la suite de guerres, d’observer que la législation d’un Etat partie devrait comporter une définition légale de l’enfant qui pourrait conduire à définir l’existence de seuils d’âge pour consentir aux relations sexuelles, se marier, ou être responsable pénalement. Les luttes contre les discriminations à l’intérieur d’un Etat à l’égard des enfants vivant ou travaillant dans la rue, séropositifs, handicapés de naissance, suite à des actes volontaires, des accidents ou à des conflits armés non suivis d’opération de déminage suffisantes, vis-à-vis d’enfants membres d’une nationalité autre que celle de l’Etat où ils demeurent, font partie des recommandations faites par le Comité.
Celui-ci s’intéresse encore au respect de dispositions pouvant être contenues dans d’autres conventions internationales comme celle de la Haye sur la protection des enfants, thème repris par une des résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies visées par le Préambule de la Convention.
Les rapports du Comité ne sont pas ou peu diffusés auprès de leurs nationaux par les pays concernés, et ce sont souvent les associations ou organisations non gouvernementales qui les portent à la connaissance du public.
Cette situation trouve une solution au sein de la Convention, laquelle prévoit en son article 45 que « les institutions spécialisées, l’UNICEF et d’autres organes des Nations Unies ont le droit de se faire représenter lors de l’examen de l’application de la présente Convention… le Comité (leur) transmet tout rapport des Etats parties contenant une demande ou indiquant un besoin de conseils ou d’assistance techniques, accompagné…des observations ou suggestions du Comité… ».
Les Nations Unies avaient mis en place le Fonds international des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) le 11 décembre 1946.
C’est la première fois qu’un traité relatif aux droits de l’Homme invite des organisations non gouvernementales à participer au processus de contrôle de mise en œuvre des dispositions auxquelles les Etats s’engagent ; cependant, à ce jour peu d’Etat y font appel.
C. Le mode de ratification et d’entrée en vigueur
La dernière partie de la Convention fait référence à son mode de ratification et d’entrée en vigueur, laquelle est devenue effective après la vingtième ratification, soit le 2 septembre 1990 et le 6 septembre en France, qui l’avait signée le 26 janvier 1990.
Les Etats-Unis et la Somalie ne l’ont pas ratifiée, la Somalie parce qu’elle ne possède pas de gouvernement véritablement reconnu qui aurait le pouvoir de ratification, les Etats-Unis car jusqu’en 2005, plusieurs des Etats les composant n’avaient pas abolis la peine de mort pour les mineurs, y compris pour ceux atteints de troubles psychiatriques qui les auraient rendus irresponsables dans d’autres pays ; de
puis 2005, ils n’ont pas encore ratifié cette Convention et ont toutefois ratifié le protocole relatif à l’implication des enfants dans les conflits armés. Aux Etats Unis existent également des groupes d’opinions estimant que cette convention ôte trop de droits aux parents concernant leurs enfants.
Les réserves au texte de la Convention sont prévues : elles sont admises si elles ne sont pas incompatibles avec l’objet et le but de la Convention : ainsi la France a émis une réserve entre autres afin qu’il ne puisse être fait obstacle, par l’article 6 de la Convention, à la législation française relative à l’interruption volontaire de grossesse.
En parallèle au nombre exceptionnel de ratification, le nombre de réserves l’est également ; en fonction de leurs institutions nationales, les Etats membres ont des facilités ou des difficultés à adapter leur droit interne aux objectifs de la Convention.
Le Préambule de la Convention fait référence à trois résolutions de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 14 décembre 1974 (protection des femmes et des enfants), du 29 novembre 1985 dites règles de Beijing (administration de la justice des mineurs) et du 3 décembre 1986 (principes sociaux et juridiques relatifs à la protection et au bien être des enfants).
Il va de soi que plus les Etats parties ont une législation proche de celle qui est recommandée par la Convention, moins nombreux sont les changements à opérer pour rendre effective son applicabilité en droit interne. Ici sera présentée l’expérience française.
En France, aux termes de l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois… ». Toute personne peut s’en prévaloir devant un juge, car ces textes sont intégrés à l’ordre juridique interne au sein duquel ils doivent produire des effets.
Ces effets sont observables à la fois dans la jurisprudence administrative et judiciaire, et dans l’introduction en droit interne de textes respectant les principes énoncés par les traités, en l’occurrence la Convention internationale des droits de l’enfant.
A. La jurisprudence
Les deux hautes Cour de justice administrative et judiciaire ont eu d’abord des positions opposées avant de se rapprocher.
En 1995, selon la jurisprudence administrative conduite par le Conseil d’Etat [4], il y avait lieu de distinguer entre les articles de la C.I.D.E., en fonction de leur caractère directement exécutoire ou non directement exécutoire. Devant les tribunaux administratifs, sont essentiellement reconnus comme ayant des effets directs les articles sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui est le plus souvent invoqué, par exemple à propos des arrêtés de reconduite à la frontière concernant les parents (il convient de rappeler qu’en France, on ne peut reconduire un mineur à la frontière), les rapprochements familiaux, ou l’accès à la santé d’un mineur. Sont aussi invoqués l’article 16 relatif aux immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, et l’article 37b et c concernant la privation illégale ou arbitraire de liberté d’un enfant.
Par un arrêt en date du 10 mars 1993, la Cour de cassation [5] a dans un premier temps estimé que les dispositions de la C.I.D.E. ne pouvaient être directement invoquées devant les tribunaux : « cette convention, qui ne crée des obligations qu’à la charge des Etats parties, n’étant pas directement applicable en droit interne ».
Cette position a évolué en 2005, soit dix ans après le Conseil d’Etat et quinze ans après la ratification de la Convention : la Cour de cassation, par un arrêt de principe en date du 18 mai 2005 [6], relève d’office le moyen tiré de la violation des articles 3-1 et 12-2 de la C.I.D.E., se référant ainsi explicitement à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant qui aurait dû imposer la prise en compte de la demande de son audition. Cet arrêt consacre l’applicabilité directe de ces normes internationales et sera confirmé le même jour par un arrêt rejetant le pourvoi formé contre la prise en compte par une cour d’appel de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3-1 de la CIDE. Cette cour avait organisé un droit de visite au profit d’un homme qui n’était plus reconnu comme le père de l’enfant.
Par la suite, d’autres arrêts de la Cour de cassation viennent renforcer cette jurisprudence dès 2005, le plus souvent concernant le droit de l’enfant d’être entendu, l’intérêt supérieur de l’enfant, par exemple en matière civile d’enlèvement international d’enfant (arrêt du 10 juillet 2007) mais aussi concernant le droit d’un enfant à connaître ses parents (article 7-1 de la CIDE).
B. Les textes en France
Le but de promouvoir le droit des enfants a entraîné plusieurs réformes législatives, celles-ci avaient commencé dès avant l’adoption de cette Convention et se sont accélérées ensuite.
C’est au cours du dix huitième siècle en France que l’Etat a progressivement contrôlé ce qu’on appelait le droit de correction lié à la puissance paternelle ; la procédure de déchéance de cette puissance en cas d’abus a été créée en 1889.
A ce jour, les premiers protecteurs de l’enfant sont le père et la mère, par l’autorité parentale (article 371-1 du code civil). En cas
de conflit entre les parents le juge aux affaires familiales, créé en
1993, statue :
s’ils sont en difficulté pour élever l’enfant une protection administrative, issue d’un décret de 1959, se met en place au sein du département, lequel a un rôle central depuis 2007,
si cela ne suffit pas, le juge des enfants, qui peut être saisi directement par un enfant, se trouve compétent en cas de danger depuis l’ordonnance du 23 décembre 1958 (article 375 du code civil). Le juge des enfants est créé depuis l’ordonnance du 2 février 1945, relative à l’enfance délinquante.
Ces courants de protection de l’enfant courant 1970 ont évolué jusqu’à la loi du 10 juillet 1989 luttant contre la maltraitance envers les enfants, de façon contemporaine à l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Depuis, d’autres textes, qui ne seront pas tous cités, ont poursuivi cette évolution :
La loi du 8 janvier 1993 instituant le juge aux affaires familiales,
les évolutions en matière de droit de la filiation, des prénoms et
changements de prénom,
La loi du 17 juin 1998 relative aux infractions sexuelles et à la protection des mineurs victimes (enregistrement, administrateur
ad hoc…),
- La création d’un défenseur des enfants par la loi du 6 mars 2000 permet aux mineurs de saisir une autorité administrative indépendante,
- La loi du 18 mars 2003 réprimant la traite d’être humains, prévoyant une aggravation s’agissant de mineurs,
- La poursuite des actes d’excision commis à l’étranger sur une petite fille résidant en France, ou le proxénétisme commis à
l’étranger par un français ou une personne résidant en France (lutte contre le tourisme sexuel) sont à présent possibles depuis la loi du 4 avril 2006, qui a aussi créé de nouvelles incriminations contre la pédopornographie, protège (7) les enfants lorsque des violences existent au sein du couple parental et protège le conjoint frappé.
La loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption et portant création de l’Agence française de l’adoption, ordonnance du même jour réformant la filiation en cessant de distinguer entre enfants naturels et légitimes : il n’y a plus que « les enfants ».
Les lois du 5 mars 2007 ont entraîné :
Une réforme de la protection de l’Enfance développant le recueil des signalements d’enfants en danger, réorganisant les circuits entre l’administratif et le judiciaire en donnant un rôle central au Conseil général,
L’augmentation de la prévention de la délinquance juvénile en di
versifiant les réponses pénales,
Une loi du 30 octobre 2007 a instauré un contrôleur général des lieux de privation de liberté.
En matière pénale une réforme des textes incriminant des mineurs est en cours, qui suscite des controverses en raison des enjeux représentés au sein de la société, en particulier au sujet de l’âge auquel un mineur peut être considéré comme majeur pénalement, et subir un emprisonnement. Cet âge de la majorité pénale est de quatorze ans en moyenne en Europe, et repose encore sur la notion de discernement en France.
Vingt ans d’existence pour un texte difficile à mettre en œuvre car plus les droits internes sont éloignés de ses objectifs, plus il est considéré comme heurtant les intérêts nationaux en dépit de l’enthousiasme suscité après son adoption : qui ne voudrait protéger un enfant ? Et qui serait prêt à reconsidérer l’équilibre d’une famille, d’un modèle social ou religieux, d’un Etat, dans ce but ?
Certains courants de pensée défendent l’idée que la protection des enfants ne doit pas remettre en cause les bases historiques nationales ni les législations nationales.
On estime qu’il ne faut pas aller trop loin dans l’idée que l’enfant est sujet et non objet de droit, avec le souci de ne pas responsabiliser trop tôt un enfant en le faisant sortir de son statut d’enfant à protéger.
[7].
Malgré les progrès accomplis dans la connaissance de ce qui est absolument nécessaire à un enfant pour se développer harmonieusement, il convient de constater que le changement universel profond et durable en faveur des enfants reste très attendu.
Cependant, la persévérance et la poursuite de l’attention portée aux enfants par la communauté internationale peut amener peu à peu une différence de perception, une sorte de vocabulaire commun entre les ressortissants de différents Etats qui est de nature à faire cesser de considérer que l’enfant est celui qui « ne parle pas » : permettre son audition dans les questions qui le touchent sans dénaturer ce qu’il tente de dire ressemble à une prise en compte de son être et de tout ce qui l’entoure.
[1] Les cinq autres sont :
la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée le 21 décembre 1965,
entrée en vigueur le 4 janvier 1969,
le pacte international relatif aux droits civils et politiques,
le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels : ces deux pactes sont adoptés le
16 décembre 1966, entrés en vigueur le 23 mars 1976,
La convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants adoptée le
10 décembre 1984, entrée en vigueur le 26 juin 1987,
La convention relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le
18 décembre 1979, entrée en vigueur le 3 septembre 1981.
[2] Cette année correspond aux célébrations du bicentenaire de la Révolution française et de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du citoyen : art 1er : « tous les hommes naissent libres et égaux en droits… ». Cette convention a été adoptée
le 1er janvier 1996 et a été ratifiée par la France le 4 juin 1996 ; elle s’inscrit dans la philosophie de la Convention interna-
tionale des droits de l’enfant, dont il s’agissait de préciser certaines dispositions à l’échelon européen. En définitive, son élaboration ayant buté sur des questions d’ordre procédural, ce texte apparaît en retrait par rapport à celle étudiée ici.
[3] Sources : ONU, Amnesty International
[4] Conseil d’Etat, 10 mars 1995, Conseil d’Etat, 26 mai 2008 no 291561
[5] Cass. 1ère civ. 10 mars 1993 no 91-11310
[6] Cass. 1ère civ. 18 mai 2005 no 02-20.613 et no 02-16.336
[7] Cass.1ère civ. 22 novembre 2005 no 03-17-92, Cass. 1 ère civ. 10 juillet 2007 no 07-10.190