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PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Premier président de la Cour suprême du Maroc
C’est un honneur pour moi de présenter cette séance relative aux discussions sur le deuxième sous-thème qui se rapporte aux conventions et à la jurisprudence internationales devant le juge de cassation.
Malheureusement, nous sommes pris par le temps et nous devons achever notre agenda d’aujourd’hui ; nous allons donc respecter plus ou moins le temps qui nous est imparti. De manière générale, les conventions internationales sont des conventions soit bilatérales, soit régionales, soit universelles.
Entre ces trois catégories, il n’existe pas encore a priori de hiérarchie. Cela dit et quelle que soit la force que l’on puisse accorder à ces trois catégories de conventions, leur mise en œuvre par l’Etat dépend de la nature du système juridique adopté : un système moniste ou un système dualiste.
La plupart des Etats ont adopté le système moniste et très peu ont adopté le système dualiste.
A part ces deux systèmes, le problème posé dans les conventions internationales, qu’elles soient bilatérales, régionales ou universelles est le suivant : quelle est la position du juge devant une législation qui n’est pas nationale ? Il faut d’abord distinguer les conventions internationales, qu’elles soient appelées "traité", "accord", "protocole", etc., l’essentiel étant le contenu de cet accord aux conventions, aux traités. Les qualifications ou les nominations n’ont pas beaucoup d’importance ; le contenu donne la qualification des conventions, qu’elles soient bilatérales, régionales ou universelles.
Il faut faire la distinction entre les déclarations et les conventions. Les déclarations n’ont pas la force obligatoire, mais elles ont quand même une référence morale assez importante, comme la déclaration de 1948 sur les Droits de l’Homme et d’autres, comme celle de 1966 sur la discrimination raciale contre la femme. Quelle est la position du juge devant les déclarations et devant les conventions ? Les déclarations n’ont pas cette force obligatoire, mais rien ne peut empêcher le juge de se référer, d’analyser, d’étudier, d’avoir comme indicateur les différentes déclarations internationales.
A mon sens, une convention bilatérale ne doit pas avoir la même force qu’une convention régionale ou universelle. L’entente entre deux Etats pour l’application des principes de droit issus d’une loi nationale desdits Etats n’est pas la même chose qu’une convention internationale universelle issue d’une conférence internationale établie par la plupart des juristes et des diplomates, avec des principes de droit quelquefois très généraux. L’application devant le juge de ces conventions internationales diffère entre les conventions internationales signées, ratifiées ou avérées par les Etats ou non signées et ratifiées ; là aussi se pose la question : si l’Etat du juge ne fait pas partie des conventions internationales, quelle est la force obligatoire devant le juge ? Dans ce sens aussi, on peut distinguer deux sortes de conventions : les conventions qui contiennent des règles du droit coutumier et celles qui n’en contiennent pas. Je peux citer comme exemple la dernière convention de 1982 sur le droit de la mère où il y existe deux sortes de dispositions. Certaines dispositions sont devenues de droit coutumier : que l’Etat fasse partie ou pas, elles sont obligatoires ; c’est le cas, par exemple, du passage en transit dans les détroits utilisés pour la navigation internationale ou pour la largeur des 12 000 marins pour les eaux territoriales. Le juge se trouve donc confronté à des règles de droit coutumier qu’il doit analyser et il doit prendre l’application. Evidemment, lorsque l’on cite les règles de la largeur des eaux territoriales, on cite l’applicabilité de la loi nationale, quelle est la partie souveraine de l’Etat dans laquelle le juge exerce sa mission.
Donc, les conventions internationales qui ne sont pas ratifiées par l’Etat ne sont pas automatiquement non applicables dans un Etat autre qui ne fait pas partie. Concernant les conventions internationales ne contenant pas de règles de droit coutumier, je ne vois pas d’inconvénient dans le fait que le juge se réfère à ces conventions internationales à titre indicatif. Il n’y est pas obligé, mais il peut s’y référer, mettant en cause certains principes de droit énoncés dans ces conventions internationales. Passons aux conventions internationales où l’Etat du juge fait partie. Là aussi, il existe deux sortes de contenance : règle d’ordre public dans les conventions internationales et le juge se trouve face à l’obligation d’exécuter d’office les conventions internationales. Evidemment, on ne parle pas des Etats monistes et dualistes ; nous supposons que la convention est entrée en vigueur avec certaines dispositions d’ordre public. Le juge n’attend pas que les parties demandent l’application d’une convention internationale. Il doit l’exécuter d’office, sans que ce soit demandé par les parties. En revanche, si des dispositions, dans les conventions internationales, ne sont pas d’ordre public, les parties doivent demander l’application de cette convention internationale. Evidemment, quand on demande l’application d’une convention internationale, on s’interroge sur la suprématie des conventions internationales sur la loi nationale. Les Etats dans le monde ne sont pas à pied d’égalité pour la suprématie des conventions internationales sur la loi nationale. Certains Etats, comme la France, ont mentionné cette suprématie dans la Constitution. D’autres sont à pied d’égalité avec la loi nationale, comme l’Espagne. Chez nous, au Maroc, une fois suprématie, une fois égalité ! Notre pays ayant un système dualiste, la convention internationale ne peut pas être applicable tant que le contenu n’a pas été publié par une loi.
Cela veut dire que l’application de cette loi donne plus ou moins l’assimilation des lois nationales.
Se pose le problème dans le cas où la convention internationale a modifié un texte national. Dans le premier cas, la modification est valable et le juge doit apporter l’intérêt nécessaire à cette modification ; dans le deuxième cas, il y a une sorte d’interprétation, mais je n’ai pas assez de temps pour entrer dans les détails. Dans les différentes conventions, dans les pays monistes ou dualistes, les dispositions autres sont applicables aussi devant le juge, mais pas tous ; récemment, la France a considéré pour la Convention du Droit de l’enfant que le juge doit appliquer directement une partie par la Convention de Droit de l’enfant de 1989, mais qu’une partie programmatoire n’est pas applicable par le juge, car ce sont des obligations de l’Etat ; l’Etat doit rendre des législations pour conformer le contenu des obligations étatiques dans une convention internationale avec la législation nationale. Il n’est pas toujours facile de faire cette distinction entre des dispositions directes et celles qui sont programmatoires. par exemple la nationalité. Chaque enfant doit avoir une nationalité ou une condition convenable. Là aussi, il n’est pas facile de qualifier cette disposition de direct ou de programmatoire. Il existe aussi certaines ambiguïtés dans l’application des conventions internationales en ce qui concerne la différence entre les dispositions directes et programmatoires. Qu’en est-il de la convention internationale et de la volonté des parties ? Jusqu’à quel point l’autonomie de la volonté doit-elle aller au-delà des conventions internationales ? Soit elle peut écarter une convention internationale, soit elle peut faire appel à une convention internationale.
En principe, les parties ne peuvent pas écarter les dispositions d’une convention internationale d’ordre public pour impératif. Tel est le cas de la convention de Bruxelles de 1925 sur le transport maritime ou des conventions internationales sur le transport aérien de 1929 ou de 1944 ou des conventions internationales concernant la réparation de dommages dus à la pollution des eaux, comme celle du 28 novembre 1969 sur la responsabilité civile due à la pollution par les hydrocarbures. Donc, l’autonomie de la volonté ne peut pas jouer pour les dispositions d’une convention internationale qui sont d’ordre public ou des règles impératives. En revanche, pour le reste, l’autonomie de la volonté, bien que l’Etat fasse partie de ces conventions, peut s’écarter, en application des dispositions d’une convention internationale. De l’autre côté, l’autonomie de la volonté des parties peut aussi jouer pour faire appel à une convention internationale dont l’Etat ne fait pas partie et, dans ce cas, le juge va être obligé d’analyser, de voir l’application des conventions internationales, en respectant l’autonomie de la volonté.
Cela m’amène à parler de l’interprétation de ces conventions. Nous sommes maintenant devant une convention et le juge doit l’interpréter pour dire le droit.
Quelle forme d’interprétation ?
Le juge peut-il interpréter d’après sa conviction, sans faire référence au droit international et surtout aux travaux préparatoires d’une convention internationale ? Dans le cas de conventions bilatérales, le juge est-il obligé de l’interpréter d’après la loi nationale des parties contractantes ? Le juge, comme dans la loi nationale, a-t-il plein droit d’utiliser les moyens dont il dispose pour avoir sa conviction ? Plusieurs auteurs donnent la liberté au juge d’interpréter une convention internationale d’après sa conviction et sa loi du for, alors qu’il me paraît difficile de l’accepter d’une façon générale et, en particulier, dans les conventions bilatérales. Nous avons signé et ratifié une convention bilatérale avec la France. En matière de statut personnel, le juge français peut-il interpréter convenablement une convention bilatérale entre le Maroc et la France, en ce qui concerne la garde des enfants, la répudiation, le divorce, les pensions alimentaires, les héritages, sans avoir comme support l’interprétation donnée par la loi du pays contractant ? L’origine étant de droit musulman qu’il est compliqué de comprendre par un juge européen, il est nécessaire que celui-ci fasse référence à l’interprétation donnée par un pays contractant dans cette matière de statut personnel.
De plus, une convention internationale régionale est issue d’une sorte de concertation régionale, de dialogue entre les Etats et les travaux préparatoires l’origine de cette convention constituent une source très importante pour l’interprétation de la convention internationale régionale, d’autant plus que, dans ce genre de convention, il y a toujours des termes ou des règles à caractère général et le juge se trouve quelquefois confronté à cette notion générale et il doit chercher dans les travaux préparatoires le but à l’origine de la rédaction de ce texte.
C’est pourquoi je pense que, au moins pour les conventions régionales, il faut se référer aux travaux préparatoires pour pouvoir interpréter une convention internationale régionale. C’est le cas de la règle de droit international privé : quand on parle de la capacité des personnes régies par la loi nationale, il y a cette règle de renvoi à la loi nationale. Pour rendre une justice et une solution équitable, il est appelé non seulement à appliquer la loi de renvoi, mais en même temps à ramener la loi chez lui avec l’interprétation donnée à l’intérieur du pays avec lequel on a fait cette règle de renvoi.
Cette technique d’interprétation de la convention est nécessaire, surtout en matière bilatérale. Je crois, en raison de ce fondement, qu’il existe actuellement un rapprochement jurisprudentiel de la Cour de cassation française sur le problème de la répudiation. Dans le passé, la répudiation était rejetée comme faisant obstacle à l’application du principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Maintenant, un rapprochement très important a débuté dans les années 2002, avec d’autres arrêts de la Cour de cassation française, en essayant de comprendre que l’interprétation de la convention bilatérale basée sur l’interprétation à l’intérieur du pays contractant a joué un rôle dans ce rapprochement des visions entre ce que pensent le Marocain et le Français.
Je crois savoir que la Cour de cassation française a estimé la répudiation unilatérale par un mari, tant qu’il doit être enregistré sous contrôle du juge, que le juge doit sauvegarder les garanties nécessaires pour le droit absolu de la femme et de ses enfants et que le juge rend une décision avant de demander l’inscription du divorce dans le registre notarial ; toutes ces formes de garantie, qu’elles soient formelles ou sur l’objet, reviennent à une forme d’équivalence de traitement entre le mari et la femme. Notre nouveau Code de la famille a repris cette jurisprudence pour dire que le juge ne peut pas accorder le divorce déclaré par le mari, tant que l’on n’a pas rendu une décision garantissant les droits de la femme et de l’enfant et que le contenu de cette décision doit être exécutoire immédiatement.
Faire référence soit à l’interprétation de la convention du pays contractant, soit de l’ensemble des pays sur le plan régional et des travaux préparatoires, ne fait que rapprocher l’interprétation des conventions internationales bilatérales ou régionales comme cela a été rapproché sur le plan législatif.
C’est une condition accessoire, nécessaire à l’application des conventions internationales. Nous savons que les juridictions internationales sont multiples et seront multipliées avec la mondialisation de l’économie, pour confronter aussi les mutations socio-économiques caractéristiques de notre ère. Nous sommes devant plusieurs tribunaux et institutions juridictionnelles internationales, comme la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA et bientôt la Cour de justice maghrébine issue du traité de Marrakech de 1989, le tribunal du droit de la mère à Hambourg, etc. A l’avenir, les tribunaux et les institutions juridictionnelles internationales vont se multiplier. Il va y avoir une incidence entre la jurisprudence internationale, qu’elle soit régionale ou universelle, et la jurisprudence nationale.
Jusqu’à quel point cette influence peut-elle apparaître chez le juge national ? Sera-t-elle limitée au cas où il a été jugé par une juridiction internationale ou bien formera-t-il des principes de droit qui vont être le cadre de l’interprétation du juge national ? Ces décisions du juge national vont être certainement affectées par les conséquences de la jurisprudence internationale, surtout dans les domaines économique, commercial, numérique, génétique, etc.
On sait qu’il va y avoir une mondialisation d’une partie très importante de la législation et une autre partie également très importante de la jurisprudence. Certains textes sont déjà mondialisés depuis le début du siècle dernier ; c’est le cas des textes de droit maritime, de droit aérien et spatial, de droit commercial et de certains textes issus de l’institution unidroit et de la conférence de La Haye en droit international privé.
La mondialisation existe donc dans certaines règles et l’on ne peut pas penser que la jurisprudence soit différente dans une affaire maritime ou une affaire aérienne que celle existant dans d’autres pays.
Nous avons déjà une partie de la législation internationale mondialisée et une partie de la jurisprudence mondialisée. Mais, dans l’avenir, nous aurons encore davantage. Lorsque l’Etat se retire du monde économique et commercial, il y a des frontières de toutes sortes, pas seulement les frontières politiques et douanières, mais aussi sur l’information, sur le plan commercial et sur le plan monétaire ; il n’y aura plus de contrôle de la Banque centrale sur la masse monétaire, avec un mouvement d’argent d’un pays à l’autre en quelques secondes et la jurisprudence et la législation doivent suivre ce mouvement. Je ne parle pas évidemment de l’exploration rapide sur le plan générique, non plus sur le plan numérique, mais seulement de ce monopole dont nous sommes actuellement témoins de sociétés multinationales qui dépassent les frontières et qui risquent de standardiser la règle juridique pour qu’elle soit applicable dans le monde entier, avec la même vision jurisprudentielle.
En conclusion, il découle de ce qui précède que, à l’avenir, les règles juridiques classiques vont connaître un bouleversement quelquefois radical, à cause du démantèlement progressif des frontières et du retrait de l’Etat des activités commerciales et économiques, monopole des sociétés multinationales. Nous allons assister en même temps à un développement accru de la criminalité internationale, notamment les délits et crimes transfrontaliers favorisés par cette suppression des frontières, ainsi qu’au développement de la corruption des agents étrangers dans les affaires commerciales. Bientôt, nous verrons l’application de la convention de 1997 dans ce domaine, ce qui va donner également une vision nouvelle de la jurisprudence dans ce domaine dangereux.
L’appel de plus en plus croissant des institutions et des tribunaux internationaux, à l’échelle régionale ou universelle, implique voire exige l’adoption de notre vision des relations entre le national et l’international.