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Rapport de la Cour suprême d’Albanie sur les mineurs en danger

 

Madame Shpresa BECAJ

Juge en chef de la Cour suprême


Le droit des enfants


La réalité dans notre pays montre qu’il y a beaucoup de mineurs qui se
trouvent en situation difficile, qui ont besoin de mesures de protection de la part de l’Etat, y compris de la justice. Ces années de transition politiques ont vu naître dans le pays beaucoup de phénomènes négatifs qui, entre autres, ont eu des effets même sur la vie et le bien-être des enfants. Suite à l’émigration de masse, les trafics illégaux de toute sorte, la non-application de la loi, des catégories d’enfants en danger ont été créées, telles que :

- Les mineurs victimes de divers trafics illégaux, ceux qui sont
exploités sexuellement à des buts lucratifs, ceux sont victimes de
la traite des êtres humains,
- Les mineurs utilisateurs de drogues,
- Les mineurs délinquants,
- Les mineurs condamnés, détenus dans des institutions pénitentiaires ou dans des centres de rééducation,
- les mineurs exploités dans divers emplois ou pour en tirer différents profits,
- Les mineurs, membres des minorités roms, victimes de la discrimination,
- Les mineurs orphelins ou mendiants,
- Les enfants des émigrants albanais à l’étranger, qui sont séparés de leurs parents et ont du mal à les rejoindre ou à être scolarisés.

Un autre phénomène négatif qui s’est ressuscité dans le nord du pays lors de ces années c’est la vendetta. Ce fait a produit des conséquences très fâcheuses, car cela oblige les mineurs garçons de s’isoler chez eux. Ceci les prive de leurs droits fondamentaux reconnus et garantis par les actes cités précédemment. Et surtout, ces enfants ne peuvent pas aller à l’école.

La protection des enfants en danger par la législation albanaise
Compte tenu du fait que les enfants sont encore en cours de se développer, ils sont aussi facilement manipulables et il est important de les traiter différemment des adultes. D’autant plus que les mineurs sont considérés comme « immatures et par conséquent ne peuvent pas avoir le même dégrée de responsabilité que les adultes ». Les professionnels de la justice sont obligés d’intervenir lorsque les autres institutions telles que l’école, la famille et les services spécialisés pour enfants échouent dans leurs efforts pour protéger les enfants.

Cependant le système de la justice pour mineurs doit fonctionner en étroite liaison avec d’autres systèmes et d’autres institutions de service destinées aux enfants, tels que les services sociaux publiques, les associations, les organisations internationales qui agissent dans ce domaine, etc.

Compte tenu de ces principes généraux et en reflétant dans le système interne légal et la législation albanaise les normes internationales en la matière, on assure la protection des droits des enfants.

Concrètement, à part les dispositions respectives du Code de la Famille, citées précédemment, nous estimons à ce point qu’il serait juste de présenter ce que prévoit la législation albanaise à l’égard des enfants délinquants et de ceux qui sont victimes de crimes, les deux groupes faisant partie des « enfants en danger ».

Le Code de la Procédure Pénale de la République d’Albanie, approuvé en 1995, accorde une protection particulière à ces catégories. S’agissant des accusés mineurs on a ajouté un article qui prévoit que leur jugement doit être fait par des sections spécialisées à cette fin auprès des tribunaux, créés par le Décret du Président de la République (article 13). Par la suite ce Code stipule que pour les accusés mineurs l‘assistance à la défense est obligatoire lors du procès pénal (article 49/2) et que cette assistance doit leur être accordé gratuitement lorsque ils n’ont pas les moyens de s’en procurer.

Les dispositions relatives à la définition et à l’application des mesures de sécurité, stipulent que lorsque l’accusé est mineur, le tribunal qui décide de la mesure de sécurité à son égard, doit tenir compte de la requête de ne pas interrompre les processus d’éducation.

Le Code Pénal également garantit aux mineurs une protection particulière, soient-ils des délinquants ou des victimes de crimes. D’un aperçu général des dispositions de ce Code, il résulte que le législateur avait pour objectif de faire très attention à l’égard de cette catégorie de mineurs, afin de les corriger, de les rééduquer et de les réhabiliter.
Concrètement, à propos des mineurs délinquants, l’article 31/2 de ce Code stipule que les personnes en dessous de 18 ans ne peuvent pas être condamnées à la prison à vie.

Alors que l’article 51 de ce Code prévoit que pour les accusés mineurs on ne peut pas prononcer des peines de prison ferme d’une durée supérieure à la moitié de ce qui est prévu par la loi pour ce genre de crime.

L’article 52 dit que le tribunal peut décider de dispenser le mineur de la peine, même s’il trouve coupable, compte tenu de la dangerosité minime du délit, des circonstances concrètes dans lesquelles le délit est survenu et compte tenu de son comportement antérieur. Le deuxième alinéa de cette disposition stipule que le tribunal peut décider d’envoyer le mineur à une institution de rééducation.

Selon le Code Pénal de la République d’Albanie, l’âge minimum de la responsabilité pénale pour les crimes commis est de quatorze ans, alors que pour les contraventions pénales est de 16 ans. Les mineurs en dessous de cet âge qui commettent des crimes ou des contraventions pénales ne peuvent pas être interpelés pour responsabilité pénale, cependant l’article 46 du Code Pénal stipule qu’à leur égard le tribunal peut décider de prendre des mesures de rééducation. La mesure en question prévue par cet article est le placement du mineur dans une institution d’éducation. La décision, dans de tels cas, est révocable à tout moment lorsqu’il résulte que les circonstances qui ont donné lieu à une telle mesure ont disparu. Cependant la loi oblige les tribunaux de réexaminer « ex-officio » ces décisions un an après qu’elles soient prises.

Dans le respect des mêmes objectifs pour appliquer des mesures de rééducation et de réhabilitation des mineurs délinquants, l’article 59 du Code Pénal prévoit que l’âge mineur de l’auteur d’un délit doit être pris en considération par le tribunal pour décider de la suspension de l’exécution d’une peine à prison ferme et de sa mise à l’épreuve.

Les dispositions du Code Pénal protègent également les enfants victimes des crimes et délits. Les articles 100, 101, 106, 108 de ce Code assurent la protection des enfants victimes des abus sexuels, en stipulant des condamnations sévères pour les auteurs de ces crimes. Par la suite les articles 114/a et 117/2 du Code Pénal assurent la protection aux enfants qui sont victimes de l’exploitation à des fins de prostitution et de pornographie.

Il est à mettre en évidence, à ce point, que l’exploitation des filles mineurs à des fins de prostitution a été très diffusée jusqu’à il y a quelques années. Grâce à la sévérité des sanctions prévues par le Code Pénal contre ce phénomène et les peines lourdes prononcées par les tribunaux à l’égard des trafiquants de prostitution on peut dire qu’il y a une diminution des crimes de cette nature.

En outre, dans un chapitre à part du Code Pénal il se trouve une section spéciale (section IX du chapitre II) intitulée “Les délits contre les enfants, le mariage et la famille”. Les dispositions de ce chapitre (les articles 124 – 129) assurent la protection à quelques catégories d’enfants victimes des crimes qui sont définis précédemment comme des « enfants en danger ».

Il faut souligner qu’une partie de ces dispositions ont été révisées les dernières années alors que de nouveaux délits sont apparus dans ce domaine. Ces révisions et amendements ont été faits afin de renforcer la lutte contre les phénomènes
La défense des enfants à l’intérieur et à l’extérieur des frontières
négatifs constatés dans la pratique au détriment des intérêts des mineurs, afin de rapprocher notre législation aux principes des conventions internationales en la matière, mais aussi pour une meilleure harmonisation avec les principes stipulés par le nouveau Code de la Famille.

C’est dans cet esprit qu’en 2001 l’article 12 du Code Pénal a été partiellement modifié, il considère comme un délit l’abandon des enfants mineurs en dessous de 16 ans par les parents ou par son tuteur.
En 2003 on a ajouté l’article 124/a une nouvelle définition de délit : « demander ou recevoir des récompenses pour les procédures d’adoption ».

En 2008, il a été ajouté l’article 124/b qui stipule comme un nouveau délit « le mauvais traitement des mineurs ». Cet article considère comme délits les cas où la personne qui a la responsabilité de l’autorité parentale maltraite le mineur physiquement ou psychologiquement. Il est également considéré comme un délit d’imposer à un mineur de travailler, d’assurer des revenus, de mendier ou de commettre d’autres actions qui nuiraient à son développement normal.

Les dispositions suivantes dans la même section considèrent comme délits les cas où les ex-conjoints déjà divorcés effectuent des actes qui s’opposent aux décisions judiciaires du divorce, relatives à l’obligation de la garde des enfants. Dans ce contexte l’article 125 considère comme contravention pénale les cas où le parent qui, sur décision judiciaire, a l’obligation de payer la contribution financière pour la nutrition de son enfant, ne la fait pas. L’article 126 considère que le parent qui a l’obligation judiciaire de payer cette contribution financière change de domicile sans le notifier, commet un délit.

Pour garantir la protection des enfants contre les déplacements de leur lieu de domicile habituel, et par la même voie pour qu’il reste auprès du parent à qui le tribunal a confié sa garde, l’article 127 du Code Pénal considère comme délit « l’enlèvement injuste de l’enfant » en l’éloignant de la personne qui exerce l’autorité parentale ou à qui a été confiée la garde.

Comme dit précédemment, dans notre pays il y a eu des enfants trafiqués afin de les exploiter dans des activités criminelles. Pour lutter et punir ces phénomènes dans le Code Pénal on a ajouté l’article 128/b « le Trafic des mineurs », entièrement révisé en 2008. Cette disposition prévoit de lourdes sanctions à prison ferme et des amendes pour avoir recruté, vendu, déplacé, transféré, dissimulé ou accueillie des mineurs à des fins d’exploitation pour :
- prostitution ou toute autre forme d’exploitation sexuelle,
- travail ou services forcés, -esclavage ou d’autres formes semblables à l’esclavage,
- utilisation des organes, ou toute autre forme d’exploitation des mineurs.

En dernier lieu l’article 129 du Code Pénal considère comme délit inciter ou encourager des mineurs en dessous de 14 à commettre un crime (à cet âge-là ils ne sont pas encore responsables devant la loi pénale pour leurs actions).

Quelques problèmes réels de la protection des mineurs délinquants ou victimes des crimes. Afin que le système de la justice pénale pour les mineurs, visant leur rééducation, leur réintégration et leur correction, puisse fonctionner réellement et comme il faut, il est nécessaire qu’à part les prévisions légales, l’Etat mette en marche les institutions adéquates.

De l’analyse précédente on peut dire que dans notre pays il y a des lois et des actes légaux très avancés et conformes aux standards internationaux en matière de la protection des catégories des enfants en danger. Mais on ne peut pas émettre les mêmes considérations pour les faits réels qui surviennent et pour la situation de nos institutions chargées à appliquer ce que la loi stipule. On y constate des problèmes, des défaillances, malgré les efforts déployés pour améliorer l’état des choses.

Concrètement, le système pénitencier, y compris celui de la prévention en Albanie, dépend du Ministère de la Justice qui a fait beaucoup d’efforts pour respecter les dispositions légales en la matière. C’est ainsi que, en vertu des exigences de la loi « Des droits et du traitement des condamnés à prison ferme », même si avec beaucoup de retard, il est devenu possible que les mineurs puissent purger leur peine dans des institutions spécialisées pour eux.

Ce ministère admet également que dans la mise en pratique de ces projets il y a beaucoup de difficultés. Si la loi prévoit les mesures éducatives pour les mineurs, il n’y toujours pas un classement de ces mesures. L’exécution de ces mesures reste encore un service non-accompli. C’est éventuellement pour cette raison que jusqu’à maintenant les juges dans leur pratique judiciaire n’appliquent presque jamais ces mesures.

D’autres défaillances en pratique à ce sujet :
- Insuffisance de ressources humaines et matérielles dans la gestion des prisons pour mineurs,
- Les mesures fondamentales lors de la prévention, comme l’accès à la défense et au service médical, l’information des proches lorsque la personne est arrêtée, ne sont pas toujours respectées,
- Le code éthique pour le système pénitencier n’est pas encore respecté de façon rigoureuse et les mesures prises pour garantir la sécurité des prisonniers, restent encore faibles,
- Le personnel qui travaille avec les mineurs n’est pas suffisamment, ni spécialement formé afin de combiner les exigences de sécurité et
de l’ordre avec l’obligation d’aider les mineurs pour qu’ils puissent développer des capacités personnelles positives.

Il faut également dire que d’autres défaillances sérieuses dans le système du parquet et des tribunaux font que les droits des mineurs ne sont pas respectés à cause des durées exagérées des enquêtes et des procès ce qui fait autant durer la prévention.

On constate également souvent que la défense des avocats d’office pour les mineurs n’est pas exercée de façon sérieuse et professionnelle.
Il faut dire par ailleurs, que des efforts ont été menés pour protéger les mineurs victimes des crimes en créant des centre d’accueil pour les protéger des trafiquants et pour les aider à réintégrer la société. Ce sont surtout des filles victime de la prostitution qui ont été logées dans ces centres.

Conclusion

En finale, on peut dire qu’en Albanie il existe un système légale complet, proche des standards internationaux en la matière de la protection des intérêts des mineurs, mais dans l’application de cette législation en pratique on constate beaucoup de défaillances et il reste encore beaucoup à faire pour améliorer cette situation.

Parmi les défauts en la matière, sauf ceux déjà mentionnés, on peut compter :
- Les droits des mineurs se trouvent dispersés dans grand nombre de lois et actes normatifs,
- Les structures responsables ne sont pas toujours spécialisées, souvent elles manquent de coordination ce qui crée de la confusion,

- Par ailleurs les Conventions sont peu connues et peu appliquées. La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est pas bien connue non plus. L’Albanie est membre de la Conférence de la Haye et de son Statut depuis le 4 juin 2002. Par contre les
Conventions ratifiées de cette organisation sont peu connues et peu
appliquées, telles que la Convention du 25 octobre de 1980 sur les Aspects Civils de l’Enlèvement International des Enfants (XXVIII) ; la Convention du 25 octobre 1980 « L’accès International en Justice » (XXIX) ; la Convention du 29 mai 1993 « Sur la Protection des Enfants et la Coopération en matière de l’Adoption Internationale » (XXXIII) ; la Convention du 19 octobre 1996 sur la « Juridiction, la loi applicable, la connaissance, la mise en application et la coopération en matière de la responsabilité parentale et les mesures pour la protection des enfants » (XXXIV) ; la Convention du 15 novembre 1965 sur le « Service à l’étranger des documents judiciaires et extrajudiciaires dans les affaires civiles et commerciales » (XIV),

- Il y a beaucoup de difficultés dans l’application des lois étrangères, la reconnaissance d’une décision de justice d’un tribunal étranger qui affecte le respect des droits des enfants,
- L’Emigration a relevé un tas de problèmes dans les conflits judiciaires familiaux. L’écoute directe de l’enfant en présence du psychologue, ce qui constitue une obligation de la procédure et rend possible une analyse complète très importante à la décision judiciaire respectant le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, devient souvent impossible dans la pratique (p.ex. l’enfant ne se trouve pas en Albanie),
- L’exécution des décisions judiciaires qui désignent les obligations des parents à l’égard des enfants laisse beaucoup à désirer. Dans la plupart des cas, le parent qui n’a pas la garde n’assume pas ses obligations (l’obligation de contribuer à la nourriture de l’enfant),
- D’autre part il y a des cas de non-exécution du droit du parent à voir et passer du temps avec son enfant. L’arrêt « Bajrami contre l’Albanie » de la Cour de Strasbourg a condamné l’Etat albanais pour ne pas avoir exécuté la décision de justice. Dans cette affaire, le père de l’enfant a demandé la réalisation du droit de la visite de sa fille, née d’un mariage avec une ressortissante albanaise et l’Etat albanais, à cause des procédures de l’huissier et de l’inefficacité du Ministère de la Justice, a violé l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

 
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