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PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Président de chambre à la Cour suprême du Maroc, membre du cabinet du premier président
Partant de l’idée que les questions touchant à l’environnement ne peuvent être confinées dans un Etat, le Maroc a choisi de procéder par étapes en privilégiant la coopération dans différents domaines : couche d’ozone, désertification, modification climatique, etc. Le Maroc a donc adhéré à plusieurs instruments. Toutefois, la mise en œuvre présente des forces et des faiblesses. Les faiblesses sont dues principalement au système dualiste qui caractérise le droit interne et qui engendre des retards dans l’application des législations. Les retards sont aussi dus aux problèmes de traduction des textes internationaux.
Le Maroc est un pays extrêmement diversifié, autant par ses types humains, ses sites naturels ou son patrimoine architectural, que par son parler, sa musique ou sa cuisine. Bordé par la Méditerranée, l’Atlantique et le Sahara, il est aussi occidental qu’oriental : les immensités brûlées de la péninsule arabique sont évoquées par ses paysages désertiques, tandis que ses massifs forestiers rappellent ceux de l’Europe méridionale. [1].
Riche et contrasté, cet environnement est aussi, de plus en plus, l’objet de multiples atteintes, qui dégradent sa qualité et menacent son intégrité. Le Maroc connaît en effet des problèmes écologiques d’ampleur variables, liés à la fois aux facteurs naturels et aux influences humaines. Il doit faire face, en particulier, à la déforestation, aux surpâturages, à l’érosion, à la désertification, à l’ensablement, à l’amenuisement des terres cultivables, à l’urbanisation incontrôlée, à la surdensité humaine dans certaines régions, à la dégradation de patrimoine culturel, à la pollution industrielle, agricole, domestique, etc. [2].
Face à ces problèmes environnementaux, quels remèdes juridiques offre la législation environnementale ? Le droit, ayant en général vocation à réguler les rapports sociaux, et censé résoudre les conflits qu’ils engendrent, est-il aussi en mesure de relever le défi écologique ? Si sur le plan théorique la réponse à cette question demeure, aux yeux d’une partie de la doctrine notamment marocaine largement incertaine, l’autre étant divisée quant au rôle, que le droit peut jouer en matière d’environnement.
Une approche du droit dans son rapport à l’environnement, comme celle qui va nourrir les débats de ces deux journées d’études consacrées à la première réunion du comité sur l’environnement de l’AHJUCAF, fût-elle principalement axée sur l’examen d’un système juridique national –en l’occurrence le droit marocain-, resterait assurément fort incomplète, si elle omettait de prendre en compte un aspect essentiel de cette relation : sa dimension internationale. Car, de même que l’environnement ne peut être artificiellement confiné dans les limites territoriales d’un Etat, de même sa protection juridique ne peut être valablement assurée par le recours au seul droit national d’un tel Etat. C’est dire que droit interne et droit international sont appelés à se compléter, à s’imbriquer, à conjuguer leurs apports respectifs, au bénéfice d’une cause commune : la saine gestion écologique de la planète Terre.
L’interpénétration de ces deux sphères du droit, souvent mise en évidence par la doctrine [3] , est directement liée à l’inévitable internationalisation de bon nombre de problèmes environnementaux, résultat, soit de leur caractère naturellement transfrontalier, soit de la portée universelle ou régionale de leurs implications. Des facteurs multiples contribuent en effet à la "biosphérisation" du droit de l’environnement, parmi lesquels ceux-ci :
En premier lieu, des facteurs physiques : on peut dire que la biosphère est une et indivisible [4] ). La pollution ne connaît pas de frontières, qu’il s’agisse de fleuves, de mers ou de l’air ; pas plus que des espèces migratrices, oiseaux, mammifères, marins ou poissons.
En deuxième lieu, des facteurs économiques, contribuent également à l’internationalisation des problèmes d’environnement [5] . L’Etat qui prend des mesures pour protéger son environnement doit compter avec l’accroissement temporaire et ponctuel des charges qui pèsent sur son économie. Certes, cet accroissement est temporaire, car à plus long terme les pollutions coûtent toujours plus cher à la collectivité que les mesures prises à temps pour les combattre.
Toutefois, dans l’immédiat, les mesures destinées à protéger l’environnement peuvent augmenter le prix de revient de tel ou tel produit sur le marché international, ce qui équivaut à pénaliser les Etats favorables à l’environnement. Les distorsions ainsi créées dans les conditions du commerce international risquent d’être particulièrement sensibles. C’est pourquoi certains Etats cherchent à établir des règles communes ou, du moins, à harmoniser les réglementations nationales dans ce domaine [6]. On peut ajouter que, par leur nature même certains problèmes d’environnement ont des dimensions telles, que seule une coopération de tous les Etats peut permettre d’en espérer la solution. C’est le cas de la protection de la couche d’ozone stratosphérique. C’est encore le cas de la désertification [7]. On pourrait aussi parler de la déforestation massive, de la disparition accélérée d’espaces vivants, des modifications du climat global, de la biosphère que nous léguons aux générations futures.
Dans toutes ces situations, la communauté internationale doit intervenir, car elle seule, est à même de trouver un remède [8].
Ces éléments explicatifs de la nécessaire mondialisation à bien des égards du droit de l’environnement, justifient amplement qu’on se penche pendant ces deux journées d’études, ne serait-ce que brièvement, sur l’examen de la politique suivie par le Maroc au regard des instruments juridiques internationaux de protection de l’environnement, pour essayer d’en dégager les principales orientations et d’en évaluer, autant que faire se peut, les mérites et les faiblesses.
Son adhésion à ces conventions se traduit-elle par la prise de mesures d’application concrètes, ou se contente-t-il de souscrire, sans plus, aux principes qu’elles énoncent ? A ces interrogations, des éléments de réponse pourront être apportés en examinant, tour à tour, les positions du Maroc, quant à la promotion du droit international de l’environnement(I), puis les moyens mobilisés pour sa traduction dans les faits au niveau national (II).
Il n’est pas douteux, que dans la limite des moyens qu’il s’est donné et en fonction des objectifs qu’il s’est tracé, le Maroc a pu contribuer peu ou prou à l’avancement du droit international de l’environnement au cours notamment de ces dernières années. Sans qu’on puisse, faute d’éléments d’appréciation suffisants, le créditer d’une véritable stratégie à ce niveau, qui définirait clairement sa politique eu égard à la promotion du droit international de l’environnement, on peut néanmoins, sur la base de la pratique qui a été jusqu’ici la sienne en cette matière, formuler quelques observations générales. Cette pratique fait apparaître, à l’évidence, que le Maroc a diversifié ses terrains d’intervention, investissant tous ses efforts dans des secteurs perçus comme prioritaires ou bénéfiques pour le pays [9]. Cherchant ainsi autant à mettre en avant ses intérêts propres, qu’à promouvoir la coopération internationale, il a été conduit ce faisant, à moduler ses attitudes en fonction de la nature de la norme de Droit International de l’Environnement considérée : s’il a assez largement donné son appui aux instruments juridiques faiblement contraignants (A), ce n’est pas sans quelques réticences qu’il a progressivement adhéré à certaines conventions internationales à caractère obligatoire (B)
A/ Le choix du recours aux instruments juridiques non contraignants : la soft law
Depuis qu’elle a été forgée par Lord Mc Nair, la notion de soft Law (droit mou), déconcertante pour le juriste [10], initialement vilipendée, a fini par s’imposer aux esprits et à gagner la faveur des Etats du Tiers Monde. C’est que ce "droit mou", en dépit de la souplesse de ses contours (ou grâce à elle ?) [11], offre des avantages incontestables pour les pays en développement, qui leur permettent en particulier de rompre avec les pesantes traditions formalistes du droit international classique : "Alors que celui-ci se voulait abstrait et formel, ce qui favorisait en fait l’action des grandes puissances au plan universel, le droit international du développement, comme celui de l’environnement, s’affirme concret et situationnel, se fondant sur des situations que les Etats qui s’y trouvent entendent faire reconnaître et prendre en compte par la communauté internationale. Du même coup, dans cet univers de lutte, l’affirmation de principes nouveaux ne saurait aisément trouver sa consécration dans des traités, ou s’affirmer dans des coutumes ou des principes généraux reconnus par l’ensemble des Etats. Les contradictions qui opposent ceux-ci ne peuvent que retarder sinon empêcher une telle consécration par les sources traditionnelles du droit international" [12].
Le Tiers-Monde, dont fait partie notamment le Maroc, n’est pas resté insensible à ces arguments : s’il est logiquement enclin à préférer la soft Law au traité, ce n’est pas seulement parce que celui-ci, handicapé par la lenteur qui préside à son élaboration, a du mal à suivre sans s’essouffler les rapides mutations du monde d’aujourd’hui ; c’est aussi parce que le droit mou, lui semble correspondre davantage à sa vision propre des relations internationales : "Proclamant une éthique qui a pour elle l’adhésion du plus grand nombre, la déclaration apparaît comme démocratique, à raison non seulement de son contenu égalitaire. Elle veut alors constater la fin d’une règle coutumière inverse et donner le coup de grâce à la coutume crépusculaire (..)"(9 bis)(12).
Certes, quant à leur portée juridique, les normes de la soft law n’ont ni le poids ni la rigueur des sources classiques. Est-ce à dire pour autant qu’elles sont dénuées d’effets de droit ? Bien qu’il se trouve des auteurs pour soutenir ce point de vue, la doctrine dominante est d’avis contraire. Consciente des ressources que recèle le droit déclaratoire, elle lui attache une extrême importance, à raison à la fois de sa fréquence, de l’étendue de la conviction commune qu’il exprime de l’immensité de ses domaines (…) [13]. D’ailleurs, ajoute-t-on, l’efficacité d’une résolution ou d’une déclaration se mesure moins à sa charge contraignante qu’à sa capacité de convaincre et à la force mobilisatrice du message qu’elle véhicule. Son rôle est alors autant idéologique que juridique. Sans compter que de plus en plus souvent, nombre de résolutions, par l’adhésion massive qu’elles reçoivent, accèdent à l’universalité et sont solennellement consacrées par l’adoption d’une convention internationale [14].
C’est sans doute, fort de ces arguments, que le Royaume du Maroc, dans la mouvance tiers-mondiste, a pris le parti de s’associer dans un premier temps, à la promotion des instruments juridiques non obligatoires de la protection de l’environnement, en participant à l’élaboration, et en poussant à l’adoption de certains d’entre eux. Ce soutien n’a cependant pas été total. Le Maroc l’a plus particulièrement manifesté lors des grandes occasions, signifiant par là son attachement aux causes communes à l’humanité entière [15]. Parmi les instruments ainsi parrainés, il y a lieu de mentionner, notamment, la charte mondiale de la nature. On sait que la réunion de Stockholm s’est soldée par la mise au point de trois sortes d’instruments :
1- Une déclaration en 26 principes, dont le 24ème, cité en exergue, institue comme un devoir pour les Etats de coopérer, en vue de trouver des remèdes adéquats aux problèmes environnementaux de portée internationale ;
2- Un plan d’action, en 109 recommandations, concernant à la fois le programme mondial de surveillance de l’environnement, les activités de gestion de l’environnement, ainsi que les mesures d’appui au double plan national et international ;
3- Enfin une série de résolutions, pour la plupart d’ordre institutionnel et financier, dont une recommandait la création d’un organe intergouvernemental chargé de l’environnement, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (P.N.U.E) a effectivement vu le jour dès 1973, et une autre la désignation d’une journée mondiale de l’environnement (depuis lors régulièrement tenue le 5 juin dans la majorité des pays et spécialement au Royaume du Maroc) [16]. Ayant contribué à la préparation et à l’élaboration de ces instruments, ce Royaume est resté dans une certaine mesure fidèle à l’esprit de Stockholm(16bis) ; comme il a eu l’occasion de mettre en pratique quelques unes des recommandations du plan d’action. Avec plus ou moins d’éclat, la journée mondiale de l’environnement est rituellement célébrée depuis 1973.
Le souvenir de Stockholm constamment entretenu, est demeuré très vivace : il n’est pas de discours, de rapport, ou de réunion sur l’environnement, où la Conférence de 1972, devenue un repère historique majeur, ne soit infailliblement rappelé comme la référence suprême ; le Maroc entretient en outre, des relations constantes avec le PNUE : au cours de ces dernières années, spécialement, il a siégé pendant plusieurs années au sein de son Conseil d’administration et participé à certaines de ses activités .
Plus récente et moins connue, la Charte mondiale de la nature, a été adoptée et proclamée par l’Assemblée Générale des Nations Unies, le 28 octobre 1982 (résolution 37/7). Dix ans après la déclaration de Stockholm, la Charte venait à point nommé fêter l’anniversaire de son aînée, et surtout le compléter dans un domaine qu’elle avait quelque peu négligé, celui de la protection de la nature. Il est révélateur à cet égard que l’initiative de la Charte soit partie de l’Afrique, plus exactement du Zaïre, là où la vie sauvage reste encore par endroits souveraine : "Stockholm évoquait les aspirations des vieux pays industrialisés, soucieux de préserver ce qui reste de leur environnement, en contrepoint, s’inscrit la Charte de la nature, expression de volonté des pays neufs, soucieux de ne pas sacrifier leur patrimoine naturel à la quête aléatoire d’un développement » [17].
La Charte vient effectivement féconder les apports en rattrapant des oublis, ou en introduisant des innovations. Ne déclare-t-elle pas dans son préambule, que "l’humain fait partie de la nature et que c’est en vivant en harmonie avec elle, qu’il a les meilleures chances de s’épanouir" ? N’insiste-t-elle pas, sur le nécessaire respect de la diversité génétique, de l’équilibre des écosystèmes, de l’intégrité des habitats (point 1-5) ? ; Car, qui lit attentivement la Charte, acquiert la conviction que, ombilicalement liée à son milieu naturel, la personne humaine se doit de le conserver. Le Maroc avait précisément saisi toute la portée de la Charte : dès le début, il avait franchement appuyé la proposition zaïroise, introduite en 1975, de la mettre sur pied. Il a par la suite, avec 47 autres Etats, parrainé le projet présenté en 1980 à l’Assemblée Générale des Nations Unies ; enfin, il a voté pour la résolution qui devait lui donner le jour en 1982.
Finalement, on le constate, le Maroc a choisi d’appuyer sélectivement les instruments juridiques peu contraignants, de protection de l’environnement, qui lui paraissaient dignes d’intérêt. Il n’a pas pour autant été oublieux des instruments obligatoires, épousant de la sorte le point de vue dominant des pays en développement à ce sujet, car si, ceux-ci « semblent privilégier la résolution comme source de production et d’élaboration de la norme juridique pour des raisons faciles à deviner, ils n’entendent nullement mettre la convention sous le boisseau et continuent à l’utiliser. Conventions et résolutions, deux instruments de développement progressif du droit international, ont la faveur du Tiers- Monde, car elles s’insèrent dans la stratégie juridique nouvelle » (16 bis).
B/ Une adhésion progressive et continue aux instruments juridiques contraignants ;
Vis- à Vis des conventions multilatérales de protection de l’environnement, le Royaume du Maroc, a apparemment adopté une attitude faite, de prudence et de circonspection. Plutôt que d’y adhérer en bloc, comme par principe, il a préféré y souscrire de manière sure et progressive, soucieux qu’il était sans doute, d’être en mesure d’honorer les engagements consentis. Si bien qu’aujourd’hui, il est parti à cent vingt, approximativement d’entre elles ( )(9bis). Sur ce chiffre, soixante-deux environ concernent le milieu marin ; quant aux autres conventions restantes, elles couvrent des secteurs tels que :
La protection des oiseaux (convention de Paris de 1950) ;
La protection des plantes (convention de Paris de 1951) ;
La protection des végétaux (convention de Rome de 1951, amendée en 1979, 1983 et 1977) ;
La protection des obtentions végétales (convention de Genève de 1961 amendée en 1972 et 1978) ;
La conservation de la nature et des ressources naturelles (convention d’Alger, 1968) ;
La conservation de ressources naturelles en particulier : végétaux (convention de Rome, 1951) ; thonidés (convention de Rio de Janeiro, 1966) ; zones humides (convention de Ramsar, 1971) ; patrimoine naturel (convention de Paris, 1972) ; espèces menacées (convention Washington, 1973) ; espèces migratrices (convention de Bonn, 1979) ;
La protection contre la pollution d’origine nucléaire (traité de Moscou, 1963 ; traité de Londres-Moscou-Washington, 1971) ;
La protection de la santé humaine dans le milieu du travail (convention de Genève 1971).
La protection de la faune et de la flore sauvages menacées d’extinction ; (conventions de Washington 1973, amendée en 1979 et de Bonn de 1983).
L’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres, hostiles (convention de Genève de 1976) ;
Plusieurs aspects de la préservation de l’environnement, ont donc retenu l’attention du législateur marocain. En dehors des conventions sur le milieu marin, sensiblement privilégiées par rapport aux autres, l’éventail des objets, atteste le souci des pouvoirs publics marocains d’élargir la sphère de ses interventions dans le domaine du Droit International de l’Environnement. (16 bis)
Empreinte de sagesse, mais aussi de timidité, cette attitude est source de retards, dans une matière à évolution rapide. Aussi des délais relativement longs s’écoulent entre la signature d’une convention et sa ratification par le Maroc (9bis) ;
Il va sans dire, qu’une adhésion entière, à tout ou partie de ces conventions suppose, quelque favorables que soient les prises de position de principe, la pleine conscience des capacités réelles du pays à assumer les charges qui en découlent. Des difficultés de taille peuvent surgir à ce niveau, qui entravent sérieusement la mise en œuvre du Droit International de l’Environnement (9bis).
La simple adhésion à une convention internationale, demeure sans véritable portée pratique si elle n’est pas suivie, dans l’ordre juridique interne, par la prise de mesures d’application concrètes qui matérialisent la convention ; Or, pour indispensable que soit, cette opération, sa réalisation n’est jamais chose aisée :
Elle peut être complexe techniquement, lourde administrativement, onéreuse financièrement, délicate socialement, sensible politiquement. On s’explique dès lors, jusqu’à un certain point, les hésitations des Etats qui découragés par cette série d’obstacles, finissent par renoncer à se lier conventionnellement, ou du moins tardent le s’y plus possible à s’y résigner [18]. C’est dire combien, ici comme dans d’autres domaines, le comportement des Etats leur est dicté par leurs moyens d’action.
Quelles sont, sur ce terrain, les ressources du Maroc ? Il semble bien selon la doctrine la plus autorisée, qu’en dépit des atouts qu’il tire de son internationalisme traditionnel (A), il soit handicapé, par la modestie de ses capacités opérationnelles (B).
A/ Les forces de cette mise en œuvre
Ancestralement ouvert sur l’extérieur, dès l’époque des mérinides, le Maroc avait noué des relations de natures diverses avec nombre de Nations Etrangères, de ce fait, le droit conventionnel marocain « puise ses sources profondes dans l’histoire des relations internationales du Maroc indépendant d’avant 1912 » [19] [20]. Cette tradition internationaliste devait se confirmer et se consolider au cours du XXème siècle à la faveur, notamment, de la situation géographique du Maroc : « séparé de l’Espagne par le droit de Gibraltar, qui ne mesure que 13 kilomètres de largeur au point le plus étroit, le Maroc commande toute la partie accidentelle de la Méditerranée ; de l’autre côté, son littoral atlantique le place sur les routes de l’Afrique Occidentale et de l’Amérique du Sud ; cette position admirable au croisement des routes maritimes explique l’apparition, maintes fois répétée, des affaires marocaines dans l’histoire des événements diplomatiques qui ont précédé la grande guerre ».
Invoqué déjà en 1928, cette argumentation est remise en avant par la doctrine à une date plus récente, pour justifier le remarquable foisonnement du droit conventionnel au Maroc : « La position stratégique du Maroc conjuguée, il est vrai, avec sa politique de non engagement et sa situation de pays en voie de développement, expliquent dans une large mesure le nombre important de conventions conclues par le gouvernement marocain avec l’étranger ».
Aujourd’hui, d’un point de vue quantitatif, le droit conventionnel marocain est indéniablement florissant : entre 1956 et le 09 juin 2008, on a pu estimer selon les informations qui nous ont été communiquées par la direction des affaires juridiques et des Traités du Ministère des Affaires Etrangères et de la Coopération, à 5632 le nombre d’accords bilatéraux et, à 1005 celui des Traités multilatéraux, signés ou/ et ratifiés par le Maroc ! Cette tendance est d’ailleurs confortée par la Constitution de 1996 qui, tout comme celles qui l’ont procédée (1992,1972), n’a pas manqué de rappeler l’attachement du Royaume de Maroc aux valeurs consacrées par le droit international ; le préambule de celle-ci proclame à cet égard : « Conscient de la nécessité d’inscrire son action dans le cadre des Organismes Internationaux, dont il est devenu un membre actif et dynamique, le Royaume du Maroc souscrit aux principes, droits et obligations découlant des chartes desdits Organismes et réaffirme son attachement aux droits de l’Homme tels qu’ils sont universellement reconnus ».
De surcroît, bien qu’aucune disposition constitutionnelle n’établisse expressément la primauté du traité international sur la loi nationale, il ne fait pas de doute que « la force obligatoire des traités dans l’ordre juridique marocain résulte, à la fois, de certains textes législatifs [21] et de quelques cas de jurisprudence ; et que partant, la prééminence du droit conventionnel parfait « s’imposer au législateur et au juge ». Cette supériorité de la norme internationale sur la législation interne peut être spécialement mise à profit, en matière d’environnement, là surtout, où la loi marocaine, lorsqu’elle est lacunaire, insuffisante ou dépassée, peut être utilement suppléée, par des dispositions conventionnelles appropriées [22].
Traditionnellement internationaliste donc, le Maroc fait-il honneur à sa réputation de la protection juridique de l’environnement ? Si l’on en juge pas le nombre relativement limité des conventions multilatérales qui le lient en cette matière, il est certes bien en deçà de ses performances habituelles souligne la doctrine. Mais si l’on se fie plutôt, à celles-ci, pour essayer de pronostiquer l’évolution future, on est porté à penser, en raisonnant par analogie, que des perspectives plus grandes, s’offrent probablement à terme, pour l’affermissement du droit conventionnel de l’environnement au Maroc. D’autant que ce dernier, « conscient du rôle des accords internationaux dans le renforcement des relations internationales pour protéger et gérer convenablement l’environnement », affiche une volonté politique de coopérer, concrétisée par « l’établissement de relations avec certaines organisations internationales spécialisées et par l’adhésion à certains accords et traités susceptibles de renforcer cette coopération ».
Il convient précisément de signaler à ce propos, que le Conseil national ainsi que l’observatoire national de l’environnement, légalement associés aux activités internationales de conservation de l’environnement, disposent à cette fin, d’une commission spécialement chargée des questions juridiques et des relations internationales. Lors de ses dernières réunions, elle a justement émis le vœu de voir le Maroc, ratifier davantage de conventions internationales relatives à l’environnement. Il est cependant assez improbable, que cet appel soit pleinement entendu dans un proche avenir, car les obstacles qui se dressent sur cette voie, ne sont pas aisément surmontables dans l’immédiat.
B/ Les faiblesse de cette mise en œuvre
L’adhésion à une convention, au-delà de sa charge symbolique, n’est pas une fin en soi. Elle n’est que le premier mouvement, certes décisif, qui met en branle le processus conduisant à l’introduction d’une norme internationale dans l’ordre juridique national. Et cet acte de naissance ne vaudra que par ses prolongements. Qu’on s’abstienne de prendre les mesures d’application nécessaires, et la convention ratifiée restera lettre morte. C’est-à-dire que la convention internationale, pour devenir loi interne, a besoin d’une série de relais nationaux qui en font du droit réellement positif. Or les ponts sont multiples qui doivent êtres jetés entre le traité et la loi, puis, entre celle-ci et sa concrétisation sur le terrain : dispositions législatives et réglementaires d’application, mesures institutionnelles et administratives, ressources budgétaires, normes techniques, organes de surveillance, de recherche, de contrôle, de sanction, personnel qualifié, etc. Autant de moyens importants à mobiliser et de contraintes pesantes à supporter, mais qui s’avèrent aussi déterminants les uns que les autres, pour la mise en œuvre effective d’une convention internationale dans l’ordre interne.
C’est précisément à ce niveau que la pratique marocaine présente des signes évidents de faiblesse. Les disponibilités financières affectées à la préservation de l’environnement étant particulièrement modiques, plusieurs conventions, quoique ratifiées, ne sont pas encore suivies d’effets. Dans bien des cas, même le premier pas consistant à édicter les textes nationaux d’application n’a pas été fait [23]. Or les conventions de protection de l’environnement ne sont généralement pas self executing : elles nécessitent souvent, pour être exécutées, la promulgation de législations nationales, qui déterminent les conditions précises de leur application.
Cet exercice comparatif, entre ce qui devrait être et ce qui n’est pas, pourrait être facilement réitéré s’agissant de la plupart des conventions de protection de l’environnement auxquelles le Maroc est pourtant partie.
Une autre difficulté d’application des textes conventionnels tient aux conditions de leur publication. On sait que cette formalité est essentielle, à la fois pour porter le traité à la connaissance des tiers et pour le leur rendre opposable devant les tribunaux. Or la publication des lois internes, comme des conventions internationales, n’est pas explicitement réglementée au Maroc ; en outre, face au laconisme de la loi, la jurisprudence est divisée sur le point de savoir si la mise en vigueur d’un texte légal est subordonnée, ou non, à sa parution au Bulletin Officiel. Toujours est-il que certaines conventions de protection de l’environnement liant le Maroc n’ont pas été insérées au Bulletin Officiel (B.O). Et lorsqu’elles le sont, c’est souvent avec des retards considérables : une durée moyenne (calculée sur la base de 14 conventions publiées) de deux ans et demi sépare en effet la ratification d’une convention de sa publication au Bulletin Officiel. Ce décalage serait dû, entre autres raisons, à l’utilisation de deux langues pour la publication au Bulletin Officiel. Ce décalage serait dû, entre autres raisons, à l’utilisation de deux langues pour la publication : l’une officielle, l’arabe ; l’autre technique, le français. La traduction de l’une à l’autre, préalablement à la publication des textes, serait source de retards accumulés.
Parfois certains textes ne sont publiés qu’en langue arabe. C’est le cas notamment des conventions conclues dans le cadre d’organisations intergouvernementales arabes.
En tout état de cause, ce sont là quelques facteurs de blocage, parmi d’autres, qui éclairent en partie, sur les raisons de la faible réception du droit international de l’environnement au Maroc.
[1] Sefrioui A. « Mon pays le Maroc », dans Maroc, Paris, Hachette, les guides bleus, 1983, P.59
[2] Mohammed Ali MEKOUAR, Etudes en droit de l’Environnement, Editions Okad Casablanca 1988 pp 13
[3] La protection internationale de l’environnement. Paris, la Documentation française, Notes et Etudes Documentaires, Nos 4419-4420, 17 octobre 1977, pp. 7 SS ; S.C. Mc Caffrey. "The Work of the International Law Commission Relating to the Environment", Ecology Law Quarterly (Berkeley), vol. 11, n°2 ,1983, 189, cité par M.A.MEKOUAR dans son excellent ouvrage précité.
[4] Ainsi que l’ont finement démontré B. Ward et R. Dubos dans leur célèbre ouvrage intitulé une seule terre (Paris, Denoël, 1972, titre original : Only One Earth. The Care and Maintenance of a Small Planet, Penguin Books).
[5] OCDE. Interdépendance économique et écologique, Paris1982.
[6] OCDE, le principe pollueur-payeur, Paris, 1975 ; CIDAA, El principio contaminador pagador, Buenos Aires, Editorial Fraterna, 1983 cité par M.A.MEKOUAR.
[7] A Granger. La désertification, Londres, lIed. Earthscan. 1983 ; cité par M.A. MEKOUAR.
[8] FAO : Environnement1, Rome 1980, P.N.U.E. L’état de l’environnement mondial 1972-1982 Nairobi 1982
[9] Dans un document-bilan intitulé l’environnement au Maroc 10 ans après Stockholm, 1972-1982, préparé par l’ancien Ministère de l’Habitat et de l’Aménagement du Territoire, il est précisé que "le Maroc a toujours accordé un intérêt particulier à la coopération internationale afin de jouer un rôle positif sur la scène internationale et participer efficacement à la réalisation des programmes d’action internationaux dans ce domaine" (p.31) ; cette simple prise de position ne signifie pas forcément que le Maroc a adopté une stratégie bien nette à l’endroit du DIE, souligne pertinemment M.M.A MEKOUAR, dans son ouvrage précité.
[10] R-J. Dupuy. " Droit déclaratoire et droit programmatoire : de la coutume sauvage à la "soft Law", dans l’élaboration du droit international public, Paris Pedone, 1975, pp, 139-40, définit ainsi la Soft Law ; "évocatrice certes de ce transit dans lequel se situent des normes dont le contenu reste imprécis et la portée vague, elle ne saurait trouver d’autre traduction en français que "droit mou" ou mieux "droit vert", pour exprimer la maturité insuffisante de la règle de droit"cité par M.A. MEKOUAR.
[11] A Kiss, la protection internationale de l’environnement. Documentation française, Paris 1977 pp17 ets.
[12] R-J. Dupuy, "Droit déclaratoire et droit programmatoire de la coutume sauvage à la soft Law dans l’élaboration du droit international public, Paris, Pedone 1975 pp 139 ets.
[13] J. Mourgeon, "Conditions actuelles de l’élaboration du droit international public", dans l’élaboration du droit international public ; cité par M.A. MEKOUAR op. cit p 157 ets.
[14] Plusieurs Principes de la Déclaration de Stockholm (1972) ont eu des suites conventionnelles (en particulier celles du programme des mers régionales du P.N.U.E).
[15] R-J. Dupuy, "Droit déclaratoire…", précité, écrit en ce sens : " en présence des dangers que la pollution fait courir à la suivre de l’espace humaine, il est naturel de voir accélérer le processus de formation de certaines pratiques : la conscience du péril, non seulement précède le respect effectif de la règle, mais finit par l’imposer à l’opinion necessitatis du monde" (p.139).
[16] Sur la Conférence de Stockholm : L.B Sohn, "The Stockholm declaration on the Human environnement", The Harvard International Law Journal, 1973.423 ; The Results from Stockholm. Les resultants de Stockholm Resultate, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 1973 cité par M.A.MEKOUAR.
[17] M. Rémond- Gouilloud. » La Charte de la Nature », Revue Juridique de l’Environnement, 1982 page121.
[18] (cf) M.A.MEKOUAR op. cit pp. 162 ets.
[19] (Cf) L.Felix ; Le statut international du Maroc d’après les traités, Paris, Pedone, 1988, pp 6 ets.
[20] (Cf) H. Ouazzani Chahdi ; la pratique marocaine du droit des traités ; Essai sur le droit conventionnel marocain, Paris L.G.D.J 1982 pp45 ets.
[21] (Cf) L’article 68 de la loi n° 2.00 dahir du 15 février 2000 concernant les droits d’auteur et droits voisins, qui stipule ce qui suit : "… En cas de conflit entre les dispositions de la présente loi et celles d’un traité international auquel le Royaume du Maroc est partie, les dispositions du traité international sont applicables".
(Cf) L’article 1er du dahir du 06 septembre 1958 modifié par la loi n°62.06, dahir du 23 mars 2007, qui stipule ce qui suit : "les dispositions relatives à la nationalité marocaine sont fixées par la loi et éventuellement par les traités ou accords internationaux ratifiés et publiés. Les dispositions des traités ou accords internationaux ratifiés publiés prévalent sur celles de la loi interne".
[22] (Cf) L’article 68 de la loi n° 2.00 dahir du 15 février 2000 concernant les droits d’auteur et droits voisins, qui stipule ce qui suit : "… En cas de conflit entre les dispositions de la présente loi et celles d’un traité international auquel le Royaume du Maroc est partie, les dispositions du traité international sont applicables".
(Cf) L’article 1er du dahir du 06 septembre 1958 modifié par la loi n°62.06, dahir du 23 mars 2007, qui stipule ce qui suit : "les dispositions relatives à la nationalité marocaine sont fixées par la loi et éventuellement par les traités ou accords internationaux ratifiés et publiés. Les dispositions des traités ou accords internationaux ratifiés publiés prévalent sur celles de la loi interne".
[23] C’est précisément le cas de la loi n°28.00 du 22 novembre 2006 relative à la gestion des déchets et à leur élimination qui a été inspirée en grande partie de la convention de Bâle de 1989 ; et en particulier son Titre VI relatif au "Mouvement transfrontière des déchets" ; et pour l’application de laquelle aucun texte ni mesures d’application n’ont été jusqu’ici pris.