L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Président de la Cour de cassation de Belgique, Premier vice-président de la Cour de Justice Benelux
1. Les juges des hautes juridictions présents ici ont en commun un idéal : celui d’assurer dans leur Etat la primauté de la règle de droit, de contribuer à réaliser l’état de droit.
Cette notion de primauté du droit est toutefois d’une grande ambiguïté. La rule of law au sens anglo-américain implique que la liberté d’action du citoyen ne peut être que limitée par des règles juridiques valides . L’expérience indique que de telles règles juridiques a priori valides peuvent étouffer toute liberté du citoyen et que l’épanouissement des peuples n’est pas forcément garanti par un tel cadre formel .
Il faut aller un pas plus loin pour définir les exigences minimales d’un régime approprié aux exigences de l’épanouissement du citoyen et rechercher la structure appropriée pour chaque Etat. L’indépendance judiciaire est justifiée parce qu’elle permet de promouvoir des objectifs sociétaux fondamentaux (notamment créer la confiance du public dans l’impartialité du juge et assurer la primauté du droit) mais elle n’est pas un but en elle-même . La façon de réaliser ces objectifs sera donc variable même sur le plan formel et a fortiori dans la réalité des choses.
2. La façon appropriée de réaliser un idéal de justice est variable selon les époques et les lieux et peut être formulée par des juristes qui découvrent un « corpus juris », qui organisent un cosmos 1 dans lequel coexistent des corps sociaux différents. Jusqu’au XIXème siècle, les juristes européens jouaient un rôle majeur dans l’ordonnancement de la société. Comme l’écrivit Royer-Collard, « Nous avons vu la vieille société périr, et avec elle cette foule d’institutions domestiques et de magistratures indépendantes, qu’elle portait en, son sein, faisceaux puissants des droits privés, vraies républiques dans la monarchie...
La Révolution a dissous jusqu’à l’association pour ainsi dire physique de la commune ; elle a dissipé jusqu’à l’ombre des magistratures dépositaires de droits et vouées à leur défense. Spectacle sans exemple !... En effet là où il n’y a que des individus, toutes les affaires qui ne sont pas les leurs, sont des affaires publiques, les affaires de l’Etat. Là où il n’y a pas de magistrats indépendants, il n’y a que les délégués du pouvoir. C’est ainsi que nous sommes devenus un peuple d’administrés, sous les mains de fonctionnaires irresponsables, centralisés eux-mêmes dans le pouvoir dont ils sont les ministres » .
Cette époque du triomphe d’une société de juristes est toutefois partiellement révolue suite à l’avènement des Etats souverains et fortement structurés. L’Etat souverain contemporain est, dans beaucoup de conceptions, un Etat qui fixe lui-même les limites des libertés des citoyens, fût ce par le biais de lois formellement correctes. Beaucoup de théories quant à l’Etat de droit ont été formulées comme des réactions à l’absolutisme du pouvoir et des avertissements à cet égard ne datent pas de hier .
Faut-il admettre que l’Etat souverain est un point de départ inéluctable de toute réflexion quant à l’Etat de droit, celui-ci se définissant comme un Etat souverain contenu par un système de checks and balances dans les limites de la rationalité ? Ce n’est pas certain, car admettre la souveraineté de l’Etat a priori aboutit rapidement à légitimer certaines pratiques inacceptables. John Locke a tenté de développer un système de libéralisme basé sur le droit naturel et contestant donc, dans son contexte historique, la souveraineté de l’Etat 4. Il a également formulé le principe de la séparation des pouvoirs de nature à protéger la liberté. Montesquieu, qui insiste encore plus que Locke sur le rôle du pouvoir judiciaire, souhaite que les tribunaux soient tirés du peuple, soient un pouvoir réel qui ne s’identifie pas au pouvoir du souverain. La leçon qui peut être tirée tant de Locke que de Montesquieu est qu’il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.
L’arrêt que donne le pouvoir au pouvoir n’implique pas qu’un type précis de schéma constitutionnel ait la préférence mais impose une recherche empirique de l’optimalisation des institutions dans une nation à une époque donnée. Derrière le pouvoir de juger, il faut un pouvoir politique qui le soutient : cela peut être le peuple, le parlement, les médias, mais le simple modèle constitutionnel
occidental classique n’est pas une garantie de cette indépendance.
3. L’indépendance de la justice est un bien. Machiavelli constate à juste titre que celui qui détient le pouvoir et veut le conserver n’a pas de temps à consacrer à autre chose que cette tâche. La tâche du juge est dans un tel contexte de s’assurer, dans sa sphère de compétences, que les intérêts du citoyen et des collectivités soient adéquatement pris en compte.
Le but de ce colloque était de nous assurer de savoir en quelle mesure effectivement dans nos Etats nous parvenions, dans les faits, en tant que juges, à constituer cet élément des checks and balances recommandé dans tout système soucieux de la sauvegarde des intérêts individuels et collectifs, et ce, quelle que soit la forme des institutions qui caractérise notre pays.
La façon dont cela a été réalisé dans les différents Etats est très divergente : certains modèles ont été repris fréquemment (je pense notamment au modèle français), d’autres par contre ont fait peu d’emprunts. Les emprunts à des régimes étrangers ne sont pas faciles à réaliser car l’insertion de formules étrangères ne colle pas toujours facilement avec la réalité sociologique. Mais un point est commun à tous : sur papier du moins, tous les Etats souhaitent préserver une indépendance de la justice tant à l’égard de ceux qui détiennent le pouvoir politique que par rapport aux parties en présence devant le juge. Nous verrons dans les instants qui viennent comment cela s’est réalisé.
4. Je parlerai fort peu dans les lignes qui suivent des juridictions internationales ou transnationales. La structure de ces institutions et le prestige de leurs membres ont assuré en règle leur parfaite indépendance. Sans cette indépendance, elles cesseraient immédiatement d’exister.
5. Le formulaire et nos débats ont porté notamment sur les éléments suivants :
des éléments structurels : comment sur un plan formel, l’indépendance des juges est-elle garantie ?
Un test particulier de cette indépendance des juges par rapport à la souveraineté de l’Etat est donné par la possibilité que l’Etat et ses émanations soient mis en cause devant le juge. Un autre test particulier de cette indépendance structurelle est le rôle du parquet par rapport au siège : le parquet représente en quelque sorte la souveraineté de l’Etat et les relations par rapport au juge sont particulièrement intéressantes à comparer. Enfin, dernier élément important à comparer : le budget que consacrent les Etats à l’administration de la justice. C’est donc, dans ce chapitre, l’indépendance institutionnelle ou collective qui est envisagée.
la question de la personnalité du juge a été ensuite examinée : la communauté de juges développant un corpus juris dans leur Etat peut constituer un facteur puissant de développement du droit. Nous avons vu que dans des Etats avec de multiples centres de décision une telle communauté peut être décisive comme elle l’a été d’ailleurs en Europe avant que ne soient créées des Etats centralisés ou encore actuellement en Europe dans l’Union européenne qui n’a pas encore les structures d’un Etat. Des éléments adventices comme la formation du juge, son recrutement, sa rémunération de base, son statut social, éclaireront cet aspect.
Au-delà du statut du juge vient le problème de son fonctionnement dans la pratique, dans la vie quotidienne. Il s’agira de son indépendance par rapport aux éléments non-gouvernementaux tels les médias (les médias pouvant être étroitement liés à l’Etat), les syndicats ou les groupes religieux (ces derniers pouvant toutefois s’identifier avec le pouvoir d’Etat) ou d’autres groupes sociaux.
Les garanties procédurales joueront aussi un rôle permettant au juge d’asseoir son indépendance.
Le juge fragilisé sera le dernier thème privilégié de cette synthèse. Son indépendance peut-elle être mise en cause par des actions en responsabilité dirigées contre lui ? Des règles déontologiques guident-elles son action ? Quelles sont ces règles et qui les façonne et les applique ?
Tous ces thèmes ont un point commun : le juge qui a comme volonté d’être au service de la société dans la mesure de ses moyens peut-il, dans nos pays réaliser son idéal ? En d’autres mots : a-t-il le droit d’être indépendant et impartial et est-il incité à l’être dans nos Etats ? La réponse à la dernière question du questionnaire, la Justice a-t-elle été gravement mise en cause ces dix dernières années, indique ouvertement que dans pratiquement tous les pays concernés, la justice a été mise en cause soit à l’occasion d’affaires ponctuelles et médiatisées (Outreau, Dutroux, des élections), soit de façon plus systématique. La route vers la perfection est encore longue ainsi que les réponses l’ont démontré.
1. Le schéma théorique
6. Aucun modèle d’organisation de la justice ne peut prétendre à être un modèle pour tous : l’indépendance du juge au sens où je l’entends n’est pas le fruit d’un modèle théorique. Les structures peuvent aider, mais ne suffisent pas ; certaines structures au contraire sont nettement défavorables au bon fonctionnement de la justice. Mais même des structures parfaites sur papier peuvent être totalement inadéquates notamment parce qu’elles ne sont pas adaptées au contexte sociologique ou politique dans lesquelles elles sont implantées. A cet égard il est inquiétant d’entendre que dans beaucoup d’Etats la tradition historique n’a pas exercé de rôle dans la structure judiciaire actuelle, mais qu’un modèle externe commun s’est imposé5.
Cette circonstance a aussi des avantages : l’échange d’expériences devient plus aisé.
Certaines conditions minimales doivent être observées, quel que soit le type d’organisation. Mais ici se retrouve tout de suite une ambiguïté certaine. Les déclarations officielles, même contenues dans des textes constitutionnels, n’indiquent pas forcément que le juge est indépendant dans les faits. L’article 16 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose « que toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas assurée, n’a point de constitution ». Et l’article 9 de la Constitution du 5 janvier 1976 du Kampuchea démocratique dit la chose suivante : « L’organisation judiciaire est constituée par les tribunaux populaires qui représentent et défendent la justice du peuple, défendent les libertés démocratiques du peuple et punissent tout acte mené contre l’Etat populaire ou violant les lois de l’Etat populaire ». A une échelle sans doute différente dans les deux cas l’indépendance de la justice n’était pas garantie lors de ces périodes troublées, malgré ce que disaient les textes.
L’absence d’affirmation de l’indépendance du pouvoir judiciaire peut même être un signe de bonne santé citoyenne si cette indépendance paraît s’imposer à tous et de toute évidence. La Belgique jusqu’en 1998 ne l’affirmait pas et l’introduction de la notion de l’indépendance judiciaire dans la Constitution (article 151) a plutôt contribué à la réduire. Le fait de définir peut amener à circonscrire et réduire.
Il n’empêche qu’une bonne définition de ce qu’implique l’indépendance judiciaire est certainement un atout. Le Canada qui a une longue tradition à cet égard et a ciselé la notion en recherchant ses fondements historiques a été exemplaire pour assurer la liberté du juge
6. Peu de pays n’expriment pas, dans les textes, leur attachement à l’indépendance des juges, que ce soit directement ou par la référence à la séparation des pouvoirs, l’idée sous-jacente étant la même.
L’Albanie (Constitution de 1998), le Bénin (Constitution du 11 décembre 1990), la Bulgarie (article 115 de la Constitution), le Cambodge (constitution de 1993), le Cameroun (constitution de 1996), l’Egypte, la France, la Guinée (loi organique du 23 décembre 1991), Haïti (Constitution de mars 1987), Hongrie, Liban, Madagascar, Mali (loi fondamentale du 25 février 1992), Maroc (article 82 de la Constitution), Mauritanie (depuis 2005), Moldavie, Niger (constitution du 9 août 1999) , Tchéquie, Roumanie, Sénégal, Suisse, Togo, tous ces Etats proclament d’indépendance du pouvoir judiciaire dans un texte fondamental.
La réalité s’écarte donc parfois des textes mais ceux-ci indiquent tous l’importance de l’indépendance judiciaire comme élément fondateur de la suprématie du droit.
2. Les conseils supérieurs de la magistrature et autres
7. Un rôle particulier dans cette indépendance structurelle est joué par les différents types de « conseils judiciaires » ou « conseils de la magistrature » ou de la justice (par la suite, nous appellerons ces institutions : conseils de la magistrature). Leur importance est très inégale dans les différents pays et il serait vain de vouloir comparaître des institutions qui n’ont que de fort éloignés rapports. Leur composition est d’ailleurs extrêmement variée et parfois un même conseil de la magistrature a une composition variable selon les sujets qu’il traite. La composition est notamment parfois spécifique lorsque le conseil statue au disciplinaire. Dans une très grande majorité des pays, ces conseils ont une composition mixte, en partie des membres de l’organisation judiciaire, élus par leurs pairs ou nommés par le pouvoir, en partie des ‘externes’. Un exemple de cette structure se retrouve au Maroc où quatre membres de droit se retrouvent aux côtés de 6 membres élus, sous la présidence du Roi. Un autre exemple est la Côte d’Ivoire ou la Hongrie laquelle a un statut très élaboré et accorde une place centrale au conseil de la magistrature.
Dans certains Etats ces conseils de la magistrature ont constitué l’instrument par excellence pour rendre plus libres la gestion de l’organisation judiciaire, des nominations et des promotions. .
Dans d’autres pays les organes n’ont joué qu’un rôle anecdotique au point de vue de l’indépendance (p.e. en Belgique) ou bien leur composition a simplement reflété l’emprise du pouvoir sur ces conseils et indirectement sur la magistrature. Dans des pays où l’indépendance même imparfaite faisait déjà partie d’une tradition, l’apport du conseil de la magistrature a été parfois négligeable ; dans les pays où l’indépendance de la magistrature posait un sérieux problème, l’apport de ces conseils a été en règle générale positif.
Notons aussi que les conseils de la magistrature n’ont que rarement dans leurs attributions la tâche de veiller aux intérêts matériels personnels des juges : d’autres organes prennent ces soucis syndicaux en charge.
3. Le parquet
8. Le rôle du parquet est dans ce contexte également illustratif de l’indépendance du juge. Nous voyons, particulièrement dans les pays ayant connu un gouvernement socialiste, une scission nette entre le parquet et le siège. Le parquet est perçu comme étant l’émanation du pouvoir exécutif et n’est nulle part pratiquement placé sur le même pied que les membres du siège. Pour les Etats appartenant au Conseil de l’Europe ce mouvement a été accéléré sous l’impulsion de la Cour européenne des droits de l’homme qui par des arrêts clairs et consécutifs a forcé cette évolution vers une scission entre les tâches. Cela a été imposé même au niveau des Cours suprêmes dans des pays où le procureur général jouait plus le rôle de l’amicus curiae (Pays-Bas, Belgique, France).
Sans doute les membres du parquet bénéficient-ils de certaines formes d’indépendance8 , mais elle s’exerce dans un cadre distinct de celui de l’indépendance du juge . Les garanties de nomination, promotion etc. sont fréquemment mentionnées utiles mais sont à évaluer au cas par cas. L’intérêt de l’indépendance du parquet est en quelque sorte qu’elle est la garante de celle du siège. Si le parquet est indépendant, le pouvoir sera moins enclin encore de tenter d’exercer des pressions sur les juges. Ceci explique sans doute, comme le relèvent plusieurs intervenants, que la tendance à exclure les parquets du pouvoir judiciaire est une tendance très minoritaire.
Les fonctions sont donc nettement distinctes et une même personne physique ne peut, en règle, exercer simultanément les mêmes fonctions au siège et au parquet.
Par contre le passage d’une fonction à l’autre, successivement dans le temps, se retrouve dans beaucoup de pays (p.e. au Niger et au Sénégal). C’est souvent un mouvement dans le sens parquet-siège qui s’observe. Cette fluidité dans la carrière est importante pour le parquet principalement car elle symbolise l’appartenance à un pouvoir (ou une autorité) judiciaire unique.
4. L’Etat devant son juge
9. Le fait qu’un justiciable puisse assigner l’Etat devant les tribunaux est un indicateur important mais non décisif de l’indépendance de la justice.
Beaucoup d’Etats connaissent un contentieux de l’annulation des actes individuels ou règlementaires accomplis par le pouvoir. Que ce soit devant un Conseil d’Etat ou devant une autre juridiction, cette compétence se retrouve pratiquement dans tous les pays.
La plupart des Etats admettent également un contentieux subjectif devant les tribunaux ordinaires, que ce soit au provisoire ou au définitif et reconnaissent aux tribunaux ordinaires le droit de ne pas appliquer des actes de l’exécutif qui violent la loi ou la Constitution (ou la norme internationale).
Ce pouvoir du juge n’a pas toujours été admis facilement. Il était admis jusqu’au début du XXème siècle que le pouvoir exécutif ne pouvait être rendu comptable de ses manquements. Sur le plan national et sur le plan transnational, la situation a évolué et la responsabilité des pouvoirs publics peut être dorénavant mise en cause.
10. Certaines précautions de procédure sont prises par certains et la France notamment a une tendance protectrice des pouvoirs. Par ailleurs autant la mise en cause de l’Etat pour des actes accomplis ou non accomplis alors qu’ils auraient dû l’être ou ne pas l’être par le pouvoir exécutif, apparaît relativement aisée aux esprits actuels, autant la mise en cause de l’Etat ou de ses organes pour des agissements commis par le pouvoir législatif ou judiciaire pose problème.
C’est principalement la mise en cause du pouvoir législatif qui est complexe, dans les démocraties traditionnelles, étant donné la primauté conceptuelle du pouvoir législatif dans les systèmes de représentation parlementaire. Cette primauté a néanmoins été mise à mal, même dans ces démocraties traditionnelles, sous l’influence du droit européen qui reconnaît une primauté absolue aux normes communautaires sur toutes les normes nationales, y compris d’ordre constitutionnel. Il n’en fallait pas plus pour que les juges nationaux européens reconnaissent, dans leur ordre interne, sans trop de difficultés la responsabilité de l’Etat pour les manquements commis en réalité par le pouvoir législatif .
Quant au pouvoir judiciaire, sa responsabilité peut être engagée de deux façons. Soit l’organe est tenu pour responsable, soit c’est l’Etat mais le cas échéant avec une possibilité de recours contre l’organe (l’action dite récursoire). Beaucoup d’Etats reconnaissent que la responsabilité de l’Etat peut être engagée à la suite de manquements commis par les juges (ou par les membres du parquet) : Albanie, Belgique, Bénin, Bulgarie, Burkina Faso, Egypte, la France depuis la loi du 5 mars 2007, la Hongrie, Ile Maurice, Maroc, Mauritanie, Niger Tchéquie, Roumanie, Sénégal, Tchad. La Cour de justice des communautés européennes reconnaît également la responsabilité des Etats membres de l’Union du fait des manquements commis par les organes juridictionnels . Par contre, ces mêmes Etats qui admettent la responsabilité de l’Etat sont beaucoup plus circonspects quant aux actions récursoires qui peuvent être introduites contre les magistrats par l’Etat. Ceci n’est pas seulement le reflet d’un réflexe corporatiste de protection des magistrats par leurs pairs, mais est lié à un point sur lequel nous reviendrons ci-après : l’immunité (relative) du juge pour les décisions qu’il rend.
Une solution qui favorise certainement l’indépendance du magistrat est de considérer que le « mal jugé » n’est pas forcément à traiter comme une faute, mais comme un aléa de la vie sociale qu’il faut pouvoir indemniser par des voies objectives ou forfaitaires. Les voies de recours exercées avec succès ne sont pas toujours de nature à supprimer le préjudice.
Une indemnité sans faute est ainsi accordée dans certains Etats du fait de « détention inopérante » (p.e. à la suite d’un acquittement). La Belgique connaît ce régime depuis 1973. Une loi française du 17 juillet 1970 modifiée le 15 juin 2000 connaît le même régime.
5. L’organisation judiciaire sans moyens d’action
11. L’Etat qui ne consacre pas un minimum de ressources à l’administration de la justice n’aura pas non plus le souhait de développer l’indépendance de ses magistrats.
Les chiffres récoltés par les magistrats participant à ce colloque devraient certes faire l’objet d’analyses plus fines. Certains budgets englobent par exemple le budget carcéral (cas de la Belgique, de la France et de Madagascar) ou le budget des « conseils de la magistrature », d’autres pas. Les chiffres sont donc quelque peu sujets à interprétation.
Les différences sont marquées :
Albanie | 0,42% | En baisse | |
Belgique | 3,15 | 1535,5 millions € (chiffres 2007) | En hausse |
Bénin | 3,00 % | En hausse | |
Bulgarie | 2,3% | En hausse | |
Burkina Faso | 0,3% | En hausse | |
Cambodge | 0,37% | ||
Cameroun | 1% | ||
Egypte | En hausse | ||
France | 2,34% | En hausse | |
Guinée | 1% | Sq | |
Hongrie | 280 millions € | En hausse | |
Maurice | 4 millions € | En hausse | |
Liban | 0,8% | Sq | |
Madagascar | En hausse | ||
Mali | 1% | En hausse | |
Maroc | 2,03% | En hausse | |
Mauritanie | 1% | En hausse | |
Moldavie | 0,4% | En baisse | |
Niger | 0,87 % | En baisse | |
Tchéquie | 2,00%(1,2 sans le budget pénitentiaire) | Sq | |
Rwanda | 1 ;00% | En hausse | |
Sénégal | 1,64% | En hausse | |
Tchad | En hausse | ||
Togo | 0,125 | En hausse |
Le problème de l’accès aux chiffres révèle que les autorités judiciaires ont rarement la maîtrise de leurs budgets et éprouvent des difficultés à gérer cet aspect de leur indépendance. Les chiffres ne sont donc pas forcément comparables, mais indiquent un ordre de grandeur. Parfois un chiffre important n’est pas révélateur notamment lorsque le budget concerné ne concerne que la partie fédérale d’un pays et que l’essentiel des dépenses est le fait des entités fédérées.
Du tableau, il apparaît que dans des Etats en voie de développement la justice n’est pas une dépense prioritaire ou du moins n’est pas traitée comme telle. C’est surprenant étant donné qu’une justice impartiale et fiable conditionne souvent les investissements externes qui peuvent contribuer au développement.
1. La formation et le recrutement
12. Qui sont les juges ? Quelle est leur formation ?
Pour le développement harmonieux et audacieux de la norme et pour assurer l’indépendance du juge, il est capital que celui-ci soit bien formé et suscite le respect de la population.
Une optique qui se retrouve fréquemment est celle de nommer comme magistrat uniquement ou à tout le moins principalement des personnes issues d’une école de la magistrature, école qui fait suite à des études de droit et à laquelle en général on n’est admis que sur concours. Ce sont donc des jeunes inexpérimentés qui sont nommés par le pouvoir.
Ce schéma se retrouve avec des nuances en Albanie, au Bénin, au Cameroun, au Cambodge, en France, au Liban, et à Madagascar.
Un autre système, qui semble avoir le plus de faveurs, consiste à nommer les magistrats sur la base d’un concours, la réussite au concours donnant vocation à être nommé sans impliquer néanmoins une nomination précise. C’est le système choisi par la plupart des Etats, même si une nomination sur titres est également possible comme voie parallèle (p.e. au Burkina Faso, Niger, Sénégal). Le concours est organisé dans certains Etats sous contrôle du conseil de la magistrature ou d’un organe équivalent, ce qui peut contribuer à assurer une certaine objectivité du concours.
Ce qui est frappant dans l’ensemble de ces systèmes est le fait que l’accès à la magistrature ne se fait pas en règle générale par la voie du grand choix du politique, par une décision discrétionnaire du Ministre de la Justice ou du gouvernement (le système Suisse fait quelque peu exception à cette règle, mais la structure politique de la Suisse explique cette particularité ; le système canadien déroge également à l’interdiction de la nomination discrétionnaire).
Une autre particularité est le fait que le système favorise le recrutement de jeunes éléments qui feront toute leur carrière dans la magistrature. Sans doute quelques conditions d’âge sont mises de ci, de là et une formation pratique est assurée en début de carrière mais cela ne change pas l’option fondamentale.
Le choix est donc différent de celui fait dans les pays de droit anglo-américain qui privilégie l’expérience acquise notamment au cours d’une longue carrière au barreau.
13. Ce choix fait pour la jeunesse a comme corollaire inévitable que les Etats doivent mettre en place un système de formation approprié des jeunes magistrats et que la formation continue est encore plus nécessaire. La formation de départ tend à suppléer aux carences inévitables d’une formation de licencié en droit et n’est, de l’avis de tous, pas destinée à mettre les magistrats dans un moule idéologique mais bien à leur assurer une connaissance non livresque de la science de juger ou de poursuivre. Des formations très élaborées sont ainsi assurées au Sénégal (avec une première partie en internat, une seconde composée de stages pratiques).
Par ailleurs, avec plus ou moins de bonheur, des programmes de formation continue sont prévus dans la plupart des Etats, mais l’on sait que ces formations continues ne constituent pas toujours la panacée de la fonction. Elles s’adressent trop souvent aux magistrats déjà les plus ouverts et dynamiques. Les stages à l’étranger notamment n’ont pas toujours l’effet escompté.
2. Une fonction décemment rémunérée ?
14. Le système est-il de nature à attirer les meilleurs juristes et plus généralement, les juristes les plus désireux de servir l’intérêt général ? Il n’y a pas moyen de répondre à cette question de façon objective. Des brillantes personnalités peuvent être attirées par la pratique privée plus lucrative qu’une carrière de magistrat, mais peuvent tout autant être séduits par un engagement au profit de l’intérêt général marqué de plus d’austérité.
La rémunération est, dans notre société, un facteur important pour attirer les éléments les plus prometteurs. En dessous d’un certain niveau, les candidatures seront rares, même si la carrière est intéressante ; mais de trop hauts salaires ne sont pas forcément nécessaires pour attirer des candidatures intéressantes.
Et s’agissant de rémunération, un facteur important dans le calcul économique des candidats sera aussi l’évolution de la rémunération, voire le régime de pension, la stabilité de la rémunération, etc. La sécurité financière est censée de protéger les magistrats contre les ingérences du pouvoir exécutif ou contre les tentations de la corruption.. Le système de rémunération et de pensions devrait donc idéalement être basé sur des critères clairs et objectifs et être fixé par la loi. Aucune autorité ne devrait pouvoir modifier d’une façon arbitraire les salaires et pensions des magistrats. Plusieurs Etats ont veillé à cette stabilité et sécurité. Dans certains Etats la procédure de négociation salariale est bien mise au point. La question est souvent de trouver des représentants des magistrats qui, de façon crédible, puissent négocier ces problèmes sans compromettre l’image positive des magistrats (l’exemple Canadien donne une solution intéressante).
De façon assez logique aussi ce qui déterminera le choix de carrière sera la comparaison faite entre la rémunération dans la magistrature et celle offerte dans des carrières relativement proches (p.e., d’un juriste dans l’administration de l’Etat).
Comparer tous ces éléments est quasi impossible et seules quelques pistes seront indiquées ci-après. Les montants ont été tous convertis en Euro pour la facilité de la comparaison, mais il va de soi que les traitements sont payés en monnaie nationale
Traitement début de carrière | Evolution en cours de carrière (hors promotion) | Tension salariale entre niveaux de fonctions (juge débutant/juge placé le plus haut) | Avantages divers à ajouter | Comparaison avec niveau moyen salaires fonction publique | |
Albanie | 654 € | Négatif | 200% | Egal | |
Belgique | 3232 € (brut) | Oui | 180% | Oui | Egal |
Bénin | 480 € | Oui | 150% | 150% de la fonction publique | |
Bulgarie | 340 € | Oui | 200% | ||
Burkina Faso | 210,56 € | 216% | |||
Cambodge | 240,00 € | 200% | Oui | Egal | |
Cameroun | 340£ | 290% | Oui | > | |
Egypte | 257,72 € | 400% | |||
France | 2000 € (brut) | Oui | 300% | Oui | Egal |
Guinée | 51,47€ | 229% | Oui | ||
Haïti | 400 € | Non | 483% | Oui | Egal |
Hongrie | 1381 € | Oui | 145% | Oui | > |
Ile Maurice | 1800 € | 130% | Oui | > | |
Liban | 850 € | 266% | Oui | Egal | |
Madagascar | 221 € | 162% | Egal | ||
Mali | 156,07 € (brut) | 280% | Oui | ||
Maroc | 688 € | 391% | > | ||
Mauritanie | 300€ | 200% | Non | > | |
Moldavie | 253€ | Non | Egal | ||
Niger | 234€ (net) | 188% | Oui | > | |
CCJA | 3812 € | <fonctionnaires internat | |||
Pologne | 1255,76€ | Oui | 200% | Non | |
Tchéquie | 1691,12€ | 284% | Oui | > | |
Roumanie | 508,19€ | 371% | Oui | Egal | |
Rwanda | 486 € | 394% | > | ||
Suisse | 16375€ pour tribunal fédéral | ||||
Tchad | 413,30 € | Oui | 222% | oui | > |
Togo | 199,15 € | 300% | Oui | > | |
Sénégal | Egal |
15. Ce tableau doit être approché avec prudence, parce que les données recueillies ne permettent pas toujours de distinguer ce qui est net et ce qui est brut. Le montant des primes et avantages en nature est également de nature à fortement nuancer les données de ce tableau.
Par ailleurs, les montants exprimés ne permettent pas d’apprécier quel est le pouvoir d’achat de ces montants dans les Etats concernés.
Néanmoins plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
Un premier est que les traitements accordés dans tous les pays restent relativement modestes voire clairement insuffisants pour assurer une vie décente aux magistrats et implique que ceux-ci devront souvent s’assurer d’autres sources de revenus. La tension relativement basse entre les traitements d’entrée dans la magistrature et le plus haut traitement indique également que le corps judiciaire forme un tout assez solidaire. Le magistrat le mieux payé des Etats ne perçoit somme toute qu’un traitement relativement modeste, ce qui indique également que le poids politique des magistrats est modeste.
Une constatation assez positive permet de voir que dans la fonction publique, les magistrats ne sont pas les parents pauvres, mais certains rapporteurs font état de ce que les fonctionnaires ordinaires ont des possibilités d’acquérir des revenus autres que leurs revenus de base alors que les magistrats en règle ne peuvent cumuler leur traitement avec des revenus provenant d’autres activités .
3. Les promotions et la carrière
16. Le statut financier (et sociologique) du juge peut bénéficier du fait que le juge reçoit une promotion ou accède à un nouveau grade. Il est frappant de constater qu’alors que pour la primo-nomination des garanties nombreuses d’objectivation sont prises dans tous les Etats, fréquemment les promotions sont accordées selon le pouvoir discrétionnaire. L’ancienneté joue assurément partout un rôle dans l’attribution des grades et des fonctions, mais force est de constater que le pouvoir s’arroge ici une plus grande liberté.
Cette liberté est quasi intégrale dans la plupart des pays pour les plus hautes fonctions ou pour la Cour suprême. Dans une minorité d’Etats, les conseils de la magistrature jouent également un rôle à l’égard des cours suprêmes .
17. L’État de droit suppose que soit assurée au juge une certaine stabilité, quoique ceci ne doit pas être exagéré : le modèle Suisse nous rappelle qu’une nomination à vie des magistrats n’est pas la seule façon de garantir son indépendance.
Mais dans l’ensemble deux caractéristiques prédominent : des textes formels encadrent la carrière du juge et le juge bénéficie d’une grande stabilité lui permettant d’assurer son indépendance d’esprit sans risque de sanction pécuniaire ou autre.
Derrière cette apparente uniformité se cachent plusieurs nuances.
Plusieurs éléments peuvent garantir la stabilité de la fonction. Une des premières garanties est l’inamovibilité des magistrats une fois nommés. Cette inamovibilité est garantie dans certains Etats par leur Constitution (notamment en Belgique et au Canada ). Cette garantie ne s’oppose toutefois pas à ce qu’un juge soit révoqué ou destitué pour motifs disciplinaires dans les cas prévus par la loi ou encore qu’il soit mis à la retraite (tous les Etats concernés mettent un âge limite aux fonctions de juge). Cette garantie ne s’oppose pas non plus à ce que certaines fonctions ne soient attribuées que dans le cadre d’un mandat : p.e. des fonctions à une cour suprême (Albanie) ou à des fonctions de chef de corps ou de chef de corps adjoint. Elle ne s’oppose pas non plus, de toute évidence, à une demande de la part de l’intéressé qui peut de cette façon obtenir une promotion (même si une promotion volontaire peut évidemment être un système pour empêcher un magistrat de traiter un dossier déterminé).
Certains Etats ne garantissent pas cette inamovibilité dans un texte constitutionnel ou légal fondamental mais règlent ce problème dans le cadre des mutations et promotions comme un simple problème statutaire, régissant de nouvelles affectations (c’est le cas du Mali où l’inamovibilité est réglée de façon nuancée). Avec nuances la plupart des Etats veillent à ce que les transferts, mutations et délégations ne se fassent que de l’accord des personnes concernées. Un système trop rigide offre des inconvénients, car les besoins peuvent être tels qu’il faut pouvoir inciter les magistrats à une certaine flexibilité. Cela peut se faire bien sûr par des incitants de carrière et de cursus, cela peut se faire aussi, de façon oblique, en nommant pour sa primo-nomination, le magistrat dans plusieurs tribunaux à la fois (Belgique).
L’inamovibilité par ailleurs ne protège en règle pas les membres des parquets pour un motif évident : les membres du parquet sont censés plus proches de l’exécutif, quoique certains Etats garantissent même aux membres du parquet une certaine stabilité.
Enfin, la stabilité n’est pas du tout garantie dans certains pays et l’indépendance s’en trouve menacée : Haïti en est un exemple, les juges de paix pouvant être révoqués à tout instant et les mandats des juges n’étant pas forcément renouvelés.
18. Le statut proprement dit assure le bon déroulement de la carrière, contient des éléments relatifs aux évaluations et promotions, aux affectations. Les statuts des différents pays ne sont certes pas uniformes. Le rôle des conseils de la magistrature est un point pivot. Dans la mesure où ces conseils sont bien structurés et puissants, ils formalisent et contrôlent les promotions, mutations et le cas échéant, les évaluations.
Leur puissance est en partie fonction de l’étroitesse de leurs liens avec le pouvoir, ce qui est à la fois un bien et un mal : ils peuvent être l’outil du pouvoir et être donc très effectifs, ils peuvent être très indépendants du pouvoir mais du coup être plus fragiles.
Il est donc malaisé d’établir une typologie des statuts, d’autant plus que dans certains Etats le système est en pleine évolution (p.e. au Bénin, où le conseil de la magistrature planche sur un mécanisme destiné à assurer le bon déroulement de la carrière de magistrat).
Certains éléments méritent d’être soulignés.
19. Beaucoup d’Etats attachent de l’importance à une évaluation de leurs magistrats et dans cette mesure exigent qu’une évaluation périodique soit faite selon des critères précis de qualité soit de façon systématique (par exemple tous les deux ans, chaque année ou tous les cinq ans) soit lorsque le magistrat est candidat à une promotion. Mentionnons parmi les pays « évaluateurs » l’Albanie, la Belgique, la Bulgarie, la France, la Mauritanie, le Tchad.
L’efficacité de l’évaluation donne lieu à discussion. En Belgique, il n’y a pratiquement que le Conseil de la magistrature qui contrôle cette évaluation, à s’en féliciter . Le lien avec l’indépendance du magistrat est aussi difficile à établir : pour que l’évaluation y contribue, il faut que cette évaluation puisse être un adjuvant pour celui qui est évalué positivement et que cette évaluation positive soit le résultat d’un examen objectif fait par une autorité suffisamment indépendante (l’évaluation par le chef de corps ne satisfait pas nécessairement à ce critère) et idéalement puisse faire l’objet d’un recours si des conséquences matérielles ou pratiques découlent d’une évaluation négative .
20. Le plan de carrière est également difficile à comparer. Certains pays connaissent encore un système pyramidal à la Française (tribunaux d’instance, cours d’appel, Cour de cassation), pour d’autres ce système leur est inconnu et la nomination comme magistrat est à la fois le début et l’aboutissement de la carrière. Certains connaissent un système de grades qui ouvrent l’accès à des fonctions, pour d’autres les grades sont inconnus. La séparation de grade et fonction (p.e. au Cameroun) permet un avancement (financier et honorifique) sans que ne soit mis en jeu une compétition pour des fonctions. Le lien entre grade et fonction n’est jamais tout à fait rompu : l’exercice de certaines fonctions est toujours réservé à certains grades, ce qui est aussi une garantie de stabilité (voir p.e. Madagascar pour l’accès aux cours d’appel). Presque tous les pays ont une cour suprême dont l’accès est réglé différemment de l’accès aux autres juridictions et dont les membres n’exercent parfois qu’un mandat temporaire ou peuvent être recrutés hors magistrature.
Tous les pays traitent de façon particulière ceux qui au sein des juridictions exercent des fonctions de gestion, d’administration ou de coordination. Il est frappant de voir combien peu d’États confient aux juridictions elles-mêmes la désignation aux mandats de gestion et coordination. Les juridictions semblent avoir perdu le droit de choisir leur propre président et vice-président.
Les régimes contemporains préfèrent donner ce pouvoir à une autorité extérieure (c’est notamment le cas en France). Une méfiance s’est installée à l’égard de la cooptation, supposée source d’une confortable inertie.
Pour les promotions simples (avancement en grade, changement vers une juridiction supérieure, mutation), les conseils de la magistrature jouent un rôle décisif ou significatif en Albanie, en Belgique, en Bulgarie, en France, en Hongrie, au Liban, au Mali, au Maroc, en Moldavie, au Niger, en Roumanie, au Sénégal. Certains Etats organisent même des concours pour les promotions, ce qui objective complètement les promotions.
21. Un point sensible est certainement, dans le plan de carrière, la possibilité d’exercer des mandats politiques en cours de carrière ou même des mandats dans l’exécutif comme fonctionnaire, et de retourner ensuite dans la magistrature. L’exercice simultané de fonctions politiques ou administratives et de fonctions judiciaires est prohibé dans la plupart des Etats (expressément) mais le passage par la politique ou l’administration est vu de façon différente.
Le magistrat qui pendant une certaine période de sa vie bénéficie d’un détachement vers l’administration ou peut suspendre sa carrière pour exercer un mandat politique, a en mains des atouts de carrière significatifs. Cette possibilité qui existe dans de nombreux pays offre l’avantage d’une formation et expérience intéressante mais ouvre la porte au favoritisme pour ceux qui ont su créer de la sorte un réseau d’appuis. Les règlementations diffèrent selon les pays. On distingue par exemple parfois la situation d’un magistrat de parquet de celle d’un membre du siège (les membres du siège ne pouvant être détachés vers l’administration) ou encore la possibilité de réintégration est soumise à un contrôle strict ou avis préalable des conseils supérieurs.
1. Les redoutables et utiles médias
21. L’évolution de la fonction de juger est remarquable. En conférant aux tribunaux la censure des actes illégaux du pouvoir, les Constituants des différents Etats ont mis littéralement les administrations sous contrôle judiciaire. Les gouvernements n’ont pas accepté cette évolution de gaieté de cœur, et les critiques des médias ont été le fruit parfois amer de cette évolution.
Les médias ont un impact redoutable sur l’indépendance de la magistrature du fait qu’ils sont concentrés en peu de mains, voire sont contrôlés par le gouvernement17. Ils peuvent aussi soutenir l’attitude indépendante des magistrats ou… les magistrats marginaux qui sont en conflit avec leur hiérarchie. Montesquieu n’avait pas prévu l’émergence de ce quatrième pouvoir. L’indépendance de la magistrature se verra confrontée à l’indépendance des médias : les deux indépendances sont garanties par des textes fondamentaux et toutes les deux sont nécessaires au développement des Nations. Leur coexistence provoque de nombreuses tensions.
L’emprise des médias, favorisée par la combinaison des développements technologiques et des stratégies économico-financières, a non seulement confirmé l’hypothèse de la société du spectacle ou la politique spectacle, mais elle a aussi fait advenir la « justice-spectacle » .
L’impact du message télévisé sur le public notamment est irréversible et énorme : l’image est capitale et irréversible. Comme l’indique Besson, dans un petit livre un peu amer, « le public a toujours raffolé de divertissements ou d’écrits offrant la Justice en spectacle pour la ridiculiser. On en riait, mais on ne cessait d’y croire. Maintenant on n’en rit plus guère, mais on y croit de moins en moins » . La situation s’est encore aggravée en parallèle avec la judiciarisation de la société.
Ce qui est diffusé par les médias de l’activité judiciaire est relativement limité et influencé naturellement par l’intérêt que portent les médias à certaines affaires. Dans des pays où subsistent encore des Cours d’assises pour certains crimes, l’intérêt journalistique est scotché sur ce genre d’affaires au point que cette attention excessive est devenue un argument des détracteurs des cours d’assises Par ailleurs, les journalistes ont tendance à chercher leurs sources d’information en dehors du prétoire (Liban) pour obtenir plus facilement des informations « anticipées ». L’image donnée des évènements judiciaires sera nécessairement tronquée.
Les relations entre les médias et la magistrature font parfois l’objet de dispositions relativement formelles ou d’accords cadres entre les représentants des médias et les organes judiciaires (c’est le cas de la Belgique, de la Suisse) mais de façon plus générale il est laissé à chaque juge individuellement d’agir selon sa conscience ou son courage. Ce qui facilite la chose c’est le respect par les médias de codes de déontologie supervisés par une autorité de régulation de la communication (comme au Bénin, la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication). Par ailleurs des dispositions formelles interdisent dans tous les pays certaines informations couvertes par le secret (en règle générale, pour sauvegarder la présomption d’innocence de l’intéressé). Il est évident qu’au plus l’interdiction légale de communication est forte, au plus grande est la tentation de susciter des fuites et de tenter d’influencer le juge ou ses collaborateurs de faillir à son de voir de secret .
Quelques grands principes émergent.
La presse obtient partout, sur papier du moins, des garanties de liberté. L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit notamment cette liberté, ce qui a amené la Cour européenne des droits de l’homme à censurer la Belgique parce que la Cour de cassation de ce pays avait condamné à des dommages intérêts des journalistes qui avaient calomnié des juges (sur la base des règles générales de responsabilité extracontractuelle). Aux yeux de certains donc, la liberté de la presse laisse une très grande latitude aux médias qui ne sont pas forcément astreints à vérifier toutes leurs sources. Dans certains pays par contre la réaction contre les égarements médiatiques semble plus aisée : Albanie, Cambodge, Cameroun, Égypte.
C’est là le point crucial : en quelle mesure l’abus commis par les journalistes peut-il être sanctionné ? Si le journaliste peut écrire n’importe quoi sans crainte de sanctions, la pression sur le magistrat pour ne pas déplaire aux journalistes augmentera. Autre principe : la diffusion de certaines informations par la presse est interdite (notamment les affaires concernant les mineurs, les affaires à l’instruction) ce qui élimine par le fait même le danger d’une atteinte à l’indépendance des juges en ces matières. Le parquet en vertu d’une certaine tradition est lui moins soumis à discrétion (France, Belgique) mais il est aussi moins vulnérable ; cette liberté du parquet est peut être le fruit d’un droit à la liberté de parole qui est reconnue par beaucoup comme une garantie fondamentale de l’indépendance du parquet (voir p.e. Niger).
Autre principe également : le juge ne peut commenter ses propres décisions dans les médias (sauf à titre scientifique) et ne peut donc en quelque sorte disposer d’un droit de réponse qui serait d’ailleurs bien illusoire.
Un système particulier mérite sans doute que l’on s’y attarde. La France met dans l’article 11 de l’ordonnance portant statut de la magistrature une obligation de faire à charge de l’État qui consiste à empêcher les attaques contre les magistrats de quelque nature que ce soit ou de les faire cesser. Le magistrat n’est en d’autres mots pas tenu de réagir en personne contre les attaques dont il est la victime. Cette dépersonnalisation est potentiellement une arme efficace pour décourager des diffamations ou atteintes à l’honneur des magistrats, si bien sûr, le pouvoir exerce son rôle courageusement. Cette possibilité est employée avec une certaine réserve par le pouvoir. Dans d’autres Etats, ce seront les conseils supérieurs qui tenteront de protéger les magistrats contre les attaques subies dans les médias.
Il semble qu’une des façons pour les juges de se protéger, surtout dans des sociétés technologiquement évoluées, est de publier les décisions significatives sur internet ce qui permet à tout le moins à des journalistes indépendants de savoir ce qui a réellement été décidé et de ne pas se contenter de rumeurs. La publication des décisions peut d’ailleurs être, avec les outils contemporains, concomitante au prononcé oral .
Par contre, les procédures en diffamation ou les procédures fondées sur la répression de l’outrage à magistrat sont rarement efficaces ou rarement pratiquées. Certains Etats connaissent le délit spécifique d’outrage à magistrat (Niger), d’autres Etats ont une réglementation commune visant les outrages aux autorités constituées (p.e. le Togo).
Notons par ailleurs la possibilité de prendre des mesures d’ordre à l’égard de personnes commettant un outrage à magistrat, mais ceci est d’importance anecdotique et ne concernera d’ailleurs en règle pas les journalistes.
2. Le juge dans « sa » société
22. Le juge ne vit plus dans une citadelle d’auto-complaisance (à supposer qu’il l’ait jamais fait au XIXème siècle, comme l’indique le rapport français) mais est au « carrefour des domaines politique, économique et social, dans une société de plus en plus judiciarisée » (rapport Français). C’est le cas de tous nos pays. Cette ouverture au monde contemporain est sans doute plus facile à réaliser qu’une distanciation du monde dans lequel vit le magistrat et il faut le prémunir contre certaines influences qui pourraient pervertir son jugement.
A titre liminaire, précisons un fait sans doute majeur à cet égard. Certaines affaires seront soustraites aux tribunaux « civils » indépendants et relèvent de tribunaux communautaires et religieux (voir p.e. le cas du Liban). Dans ces tribunaux l’indépendance au sens où elle est entendue dans cet exposé de synthèse est appréhendée de façon radicalement différente.
Une façon de le prémunir contre l’influence de groupes sociologiques est en quelque sorte de codifier ou formaliser cette influence. Ainsi en Belgique, en Suisse et au Liban l’appartenance à certains groupes linguistiques ou religieux est un facteur de sélection des magistrats. Ce critère de sélection ne signifie pas que les juges puissent être partiaux à l’égard de certains citoyens appartenant à d’autres groupes que ceux dont ils sont issus, mais assure grâce à la variété de la sélection une forme de pluralisme de nature à éviter des reproches de partialité.
Une autre façon d’assurer l’indépendance des magistrats est de restreindre leur appartenance à certains groupements. L’appartenance à un syndicat est topique, qu’il s’agisse d’un syndicat judiciaire là où ils existent, ou d’un syndicat général : cette appartenance est tantôt interdite, tantôt acceptée.
L’affiliation à un syndicat proprement dit est interdite en Pologne (article 178, alinéa 3 de la Constitution).
Elle est autorisée et ne pourrait être interdite en Belgique, en France, en Moldavie, en Tchéquie.
Des groupements de magistrats existent notamment en Belgique, au Bénin, en France, en Haïti, au Togo : ces groupements plus ou moins reconnus selon les cas font partie du paysage, mais leur existence peut parfois poser problème si ces groupements prennent des positions politiques affirmées et prennent appui sur un courant politique.
Par contre au Sénégal les magistrats ne peuvent se constituer en syndicat, précisément pour garantir l’indépendance des magistrats par rapport à des groupes sociaux. Ceci prouve que le groupement de magistrats peut à la fois être une garantie d’indépendance et un outil de perte d’indépendance. Le modèle le plus courant est ainsi celui où le magistrat peut s’associer librement. Il semble plutôt rare de le voir membre d’un syndicat général, même lorsque cela ne peut légalement être interdit. L’interdiction de créer un syndicat de magistrat est plutôt rare.
23. Les règles de procédure ont des objectifs très variables. Ces règles peuvent être destinées, ce qui est assez égocentrique, à décourager le justiciable d’intenter des procédures téméraires. La complexité des règles, les causes de nullité multiples, sont autant de facteurs permettant de réduire le nombre d’affaires par des voies détournées.
D’autres règles sont destinées à permettre un débat équilibré, à assurer les droits au procès équitable et à protéger les droits de la défense. Elles sont orientées vers les parties.
Enfin d’autres règles sont directement en prise avec l’indépendance judiciaire et sont destinées à assurer, par le biais de la transparence, l’indépendance du jugement et le bannissement d’influences indues.
Ces dernières règles sont fortement influencées par l’avènement de l’informatique. La transparence de la procédure et des débats est rendue possible à une échelle inconnue jusqu’il y a peu.
24. La transparence est, nous le verrons, une garantie importante de l’indépendance du juge. Il y a un revers à cette médaille. La transparence permet à ceux qui sont étrangers au procès de s’en informer même s’ils n’ont pas d’intérêt légitime à obtenir cette information : il faut donc quelque peu limiter l’accès.
Les systèmes contemporains électroniques ont parfois tendance à trop se fermer par rapport à l’extérieur, souvent par peur de contamination ou encore par un souci très vif de la protection de la vie privée. Les systèmes de sécurité contemporains permettent sans trop de complications de cloisonner les informations, même si elles sont accessibles par internet. Il vaut donc mieux ouvrir à tout, en principe, et fermer progressivement certains accès en prenant comme critère la légitimité objective de la demande de connexion.
Un autre revers de la transparence est que des utilisations commerciales indues peuvent être faites de listes d’affaires inscrites au rôle et ainsi permettre des intrusions dans la vie privée.
Ces inconvénients sont somme toutes mineurs par rapport à l’apport décisif pour l’indépendance que constitue cette transparence. En droit anglo-américain, une telle utilisation commerciale n’apparait en général en rien déplaisante.
25. Une première forme concrète de transparence est celle qui résulte de la publication de la liste des affaires introduites et de l’évolution du dossier . La publicité du rôle et des désinscriptions ou radiations est la garantie que des affaires ne seront pas étouffées ou encore ne seront pas soumises à des délais déraisonnables. C’est un point souligné par l’Albanie, la Bulgarie, la Moldavie. En Belgique le problème a été soulevé expressément lorsque la loi du 10 juillet 2006 sur le dossier électronique a été adoptée. La Banque Mondiale considère que la publicité des rôles est une des garanties les plus importantes contre la fraude et la corruption.
Le standard de qualité devrait être que soient rendues publiques et accessibles par internet, les informations sur l’évolution de chaque dossier, les fixations, sa constitution à son stade final, en quelque sorte l’inventaire des actions entreprises, comme cela se fait en Bulgarie. L’accès pourrait être filtré pour le contenu ou pour certains dossiers (notamment pénaux, au nom de la présomption d’innocence), mais le principe de la transparence devrait être mis en avant.
Cette mesure peut encore être renforcée par l’attribution non discrétionnaire des dossiers, élément qui évite l’arbitraire. Si une attribution de dossiers se fait de façon automatique et aléatoire (comme en Albanie) , la possibilité de manipulation diminue fortement. L’inconvénient est une diminution de la possibilité de donner les dossiers au juge spécialisé en certaines matières. Il faut voir quel aspect à un moment de l’histoire doit prendre le plus de poids.
26. La publicité des audiences est une autre mesure qui assure l’indépendance du juge. La publicité des audiences est une exigence qui se retrouve dans tous les Etats, et est accompagnée de restrictions similaires dans tous les Etats. Comme l’exprime l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’accès à la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exige ou dans la mesure jugée strictement nécessaire, lorsque dans les circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
Ces paramètres se retrouvent également sous une forme ou une autre dans les Etats qui ne sont pas liés par la Convention européenne des droits de l’homme23mais sont liés par d’autres instruments internationaux ou ont directement prévu la chose dans leur constitution.
On trouve des règles analogues notamment au Burkina-Faso, au Cameroun, en Égypte, en Guinée, au Liban, au Mali, au Maroc, en Mauritanie, en Moldavie, au Niger, en Tchéquie, au Rwanda, au Sénégal, au Tchad au Togo.
27. Le délibéré par contre se fait à huis clos là où il n’y a pas d’opinion dissidente. En Suisse le délibéré des affaires pour lesquelles il y a controverse est également public. Le délibéré public est une option délicate, parce qu’il rend difficile entre juges, une forme de consensus dans les matières médiatisées où le public a des préjugés, mais même dans des affaires relativement technique où la publicité des audiences pourrait freiner la volonté d’un juge de se déjuger de prises de position antérieures dans des écrits ou conférences.
L’impact de cette publicité des audiences sur l’indépendance des juges est malaisé à quantifier. Mais il est certain qu’un principe de non-publicité serait encore plus de nature à mettre en doute l’indépendance de la justice. Sans doute, les procédures gracieuses se déroulent elles en général à huis-clos, y compris le prononcé, mais c’est une exception qui confirme la règle et ces procédures contre lesquelles des voies de recours sont en général autorisées ne donnent pas lieu à difficultés sur le plan de l’indépendance.
28. Finalement la publicité des décisions prononcées est un dernier adjuvant de l’indépendance des juges. Le fait de publier la décision empêche toute manipulation de la décision elle-même, dès qu’elle a été mise à disposition de tiers.
Dans les faits la publicité est très variable. Une forme usuelle est le prononcé (oral) en audience publique. Comme cela se fait en général dans une salle d’audience vide (et en se limitant à prononcer le dispositif de la décision), l’effet dissuasif d’influences indues est peu important, sauf si la minute du jugement est signée par le juge et le greffier.
Toute diffusion externe par contre est de nature à rassurer le public et les parties.
Les formes de diffusion externes diffèrent fortement selon le type de juridiction. Les décisions des Cours suprêmes ou des Cours transnationales sont pratiquement toujours publiées (en général sur internet) (avec pour seule exception les décisions de pure forme ou de routine). Une disposition légale explicite impose d’ailleurs parfois cette publication.
Par contre pour les autres juridictions la chose est plus délicate à mettre en œuvre. Les recueils ou revues en papier ne reprennent qu’une infime partie des décisions prononcées. Le coût de tels recueils est d’ailleurs prohibitif.
La parution des décisions des juridictions ordinaires sur internet devrait dorénavant devenir beaucoup plus aisée : des systèmes contemporains permettent sans grande formation préalable au personnel de greffe de publier lui-même les décisions des juridictions de fait sur internet. La pratique ne suit pas encore.
Où s’arrête l’obligation morale ou légale de publier les décisions ? Il faut garder à l’esprit qu’une publication des décisions judiciaires signifie une publication de données sensibles, et que, partant, il convient de rendre l’identification des parties moins aisée (par exemple en ne publiant que les initiales des noms des parties). Des règles générales devraient être établies pour éviter qu’à force de prudence et de respect de la vie privée, l’effet de la publication ne soit pas perdu. Tout est question de mesure : le public doit pouvoir savoir ce qui a été décidé, les personnes concernées ont le droit à l’oubli, ce qui étant donné le support informatique, devient difficile ! La prescription pénale est moins puissante que l’informatique et dans plusieurs siècles nous connaîtrons encore le contenu des décisions judiciaires.
L’excès d’information est également nuisible. Si le public est inondé d’information, il ne percevra pas la portée de la jurisprudence. Une sélection doit dès lors être opérée par les juges eux-mêmes qui tienne compte de l’intérêt de la décision.
Le Conseil de l’Europe a fait une recommandation en 1995 qui fait autorité et qui comporte les principes généraux pour les systèmes de documentation juridique automatisés concernant la sélection, le traitement la présentation et l’archivage des décisions de justice 2. La recommandation reprend des critères de sélection positifs et négatifs des décisions à publier.
La banque de données devrait reprendre, en simplifiant quelque peu, les décisions reprises parce que :
la décision a attiré l’attention des médias
la décision est importante pour la vie publique
la décision est importante pour la bonne application des lois et règlements
la décision intéresse des groupes de pression ou des groupes particuliers identifiés (groupes de quartiers, groupes régionaux particulièrement affectés)
la décision peut intéresser les revues professionnelles notamment parce qu’elle innove, coordonne une jurisprudence antérieure, a une motivation particulièrement heureuse qui peut servir de modèle
la décision contient un revirement de jurisprudence ou contient une nuance ou nouvelle application d’une jurisprudence antérieure
Par contre, les décisions qui offrent les caractéristiques suivantes ne seront pas sélectionnées :
les décisions de pure forme ou contenant une décision simplifiée de rejet ou de fondement
les décisions prises par défaut au civil
les décisions de droit familial rendues en première instance en vertu de principes bien établis et seulement répétés dans la décision
les décisions purement interlocutoires ou préparatoires
les décisions de type administratif rendues sur formules (comme les condamnations “standard” pour infraction au code de la route)
Ceci n’est mentionné qu’à titre exemplatif. Il va de soi que d’autres solutions seront mieux adaptées selon les besoins d’un État ou d’un autre. Il faut sans doute être moins sélectif lors de la création d’un nouveau corps de droit ou dans des cas où une refonte profonde a été faite du système institutionnel ou judiciaire d’un pays.
1. Une déontologie
29. Nous avons vu que le magistrat jouait un rôle éminent dans l’évolution des normes d’une société fortement marquée par l’activité des magistrats, moins asservis que naguère à la lettre de la loi. La prolifération des normes et des sources des normes a provoqué cette liberté. Cette liberté ne peut être exercée de façon responsable que si le magistrat accepte et suit les exigences de la déontologie de sa profession. En fait, au plus il est indépendant, au plus il sera exigé de lui qu’il se conforme à des règles déontologiques.
Encore faut-il qu’il les connaisse. Dans la mesure où existe dans certains pays une école de la magistrature ou un écolage de magistrats nouvellement nommés, des cours de déontologie seront dispensés aux nouveaux ou futurs magistrats. Lorsque ce n’est pas le cas, ce sera surtout une tradition orale qui véhiculera le contenu des obligations déontologiques.
Le contenu de cette déontologie n’est pas toujours simple à formuler. Certes, dans beaucoup d’États les lois organisant le pouvoir judiciaire font état d’obligations d’honneur, de dignité, de loyauté ou d’impartialité ou encore d’autres vertus abstraites, mais ne contiennent pas de véritable code de déontologie (Belgique Cameroun). C’est que la société évolue, et ce qui est admis aujourd’hui aurait été impensable il y a trente ans. C’est sans doute principalement dans le cadre des activités privées des magistrats qu’une plus grande souplesse s’observe : il semble que le style de vie du magistrat, ses engagements sociaux, ses convictions philosophiques mêmes ne sont pas soumis au même examen critique qu’alors, du moins sur le continent européen. Cette évolution fait que la connaissance du contenu matériel de la déontologie doit se faire par l’expérience ou par la connaissance des décisions disciplinaires prises par l’autorité compétente (en Belgique notamment .
Les Etats connaissant un code d’éthique judiciaire sont nettement minoritaires : le Rwanda est exemplaire à cet égard et possède un code d’éthique tout à fait élaboré. La France impose par l’article 18 de la loi du 5 mars 2007 l’élaboration et la publicité d’un recueil des obligations déontologiques des magistrats. C’est à la fois un souhait maintes fois formulé par les magistrats et une gageure : celui de formuler des règles déontologiques qui puissent rester actuelles et représentent l’échelle des valeurs des citoyens. Beaucoup de professions ont un code de déontologie, mais pour les magistrats dont la tâche est de servir d’interface entre la norme abstraite et l’application, de saisir l’évolution de la société et des mœurs, c’est difficile à exprimer. Les exigences devraient être extrêmement strictes pour être convaincantes mais seraient, en tant que normes idéales, aussitôt transgressées.
Des recommandations officieuses existent sur le plan transnational mais ont quelque peine à s’implanter. Chaque pays « sent » le contenu concret de la discipline différemment.
Le respect de la déontologie s’imposera aussi par la pratique quotidienne. Les règles de récusation et dessaisissement assez pareilles dans tous les Etats et qui imposent au juge de se déporter dans certains cas, traceront le cadre de ces obligations déontologiques et lui donneront également une consistance.
2. Une discipline
30. La discipline est une chose sérieuse et tous les Etats ont prévu des procédures disciplinaires. Il semble que la discipline ne soit utilisée que pour des manquements à la déontologie ou aux lois, mais n’est pas utilisée pour frapper des magistrats qui deviendraient sous-performants (p.e. à la suite de dépressions nerveuses, maladie, lassitude, alcoolisme).
Toutefois une évolution est perceptible à cet égard. Ainsi le système Hongrois connaît un nombre important de sanctions pour retards dans les prononcés et le système belge permet également d’appréhender des faits qui n’auraient sans doute pas relevé de la discipline il y a quelques années : les retards répétés donneront lieu à une possible sanction financière et aussi à une mesure disciplinaire, même si le magistrat intéressé éprouve des difficultés d’ordre psychique ou physique à exercer sa tâche.
Par ailleurs les comportements de la vie privée peuvent également faire l’objet de procédures disciplinaires dans la mesure où ces comportements peuvent exercer une influence sur la capacité de juger et sur l’apparence de cette capacité. Il est malaisé de cloisonner dans la vie du juge ce qui est privé et ce qui relève de sa profession.
31. Plusieurs types de procédures disciplinaires sont prévus. Sous ce numéro nous ne traitons pas des magistrats du parquet qui en règle sont soumis à la discipline du Ministre de la Justice de leur pays.
Le problème de la saisine de l’organe compétent est intéressant. Un texte récent donne en France un droit de réclamation à toute personne physique ou morale mais fait filtrer ces plaintes par le truchement d’une commission présidée par le « médiateur de la république » et accorde en outre un droit d’initiative au ministre de la justice. Dans la plupart des autres pays, le problème de la plainte n’est pas explicitement réglé (et donc est ouvert à tous) mais le droit de saisine proprement dit qui force l’organe disciplinaire est parfois limité à certains intervenants privilégiés.
Concernant la procédure proprement dite, la typologie suivante peut être mentionnée :
a. Les procédures les plus respectueuses de l’indépendance du pouvoir judiciaire
Dans ces pays, les procédures disciplinaires relèvent uniquement du pouvoir judiciaire. Ce sont les membres du pouvoir judiciaire et eux seuls qui connaissent des procédures. La Belgique connaît ce régime. Un régime de recours jusque devant la Cour de cassation est prévu. Le système exclut toute intervention du Conseil supérieur de la Justice (le Conseil peut toutefois transmettre des plaintes).
Un système ad hoc également totalement autonome est connu en Hongrie, en Pologne et en République Tchèque
b. Systèmes mixtes
Dans ces systèmes, la première décision est prise devant un conseil supérieur de la magistrature ou équivalent. Un recours est prévu devant la Cour suprême qui a le dernier mot en pleine juridiction.
C’est en partie le système de l’Albanie (du moins pour la destitution), de la Roumanie et du Tchad.
Le Liban, connaît deux voies parallèles pour la discipline, une judiciaire devant un conseil disciplinaire, une autre devant le Conseil de la Magistrature.
c. Système penchant vers l’exécutif
La première décision est prise par le Conseil de la magistrature, éventuellement dans une composition particulière . Le recours est possible devant le Conseil d’État. Ce système caractérise le système français qui est ainsi, sur papier, un des moins indépendants des systèmes sous revue, ainsi que le système Bulgare.
d. Systèmes dépendant exclusivement du Conseil de la magistrature
Encore moins d’autonomie est accordée par d’autres systèmes aux organes judiciaires pour exercer la discipline, mais le degré réel d’autonomie dépend de la composition et de l’indépendance des conseils de la magistrature, éléments qui sont fort variables de pays à pays. Dans certains pays, ces conseils ne comportent que des magistrats, ce qui exclut sans doute les influences extérieures
Le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Guinée, Haïti, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Togo o
nt donné la compétence disciplinaire à leur conseil de la magistrature.
Il faudrait évidemment examiner en détails comment ces conseils sont composés et notamment, même si la majorité des membres est composée de magistrats, examiner en quelle mesure ces magistrats sont réellement indépendants. Dans ce dernier cas ces pays pourraient être rangés dans la catégorie A.
3. Une responsabilité
32. Le magistrat peut également être tenu comptable de ses actions dans certaines limites. Nous avons vu qu’il pouvait, dans certains Etats, engager la responsabilité de l’État sinon par le noyau dur d’une décision rendue non frauduleusement, à tout le moins par les circonstances procédurales qui l’accompagnent. Ceci n’implique pas nécessairement qu’il puisse être tenu personnellement responsable.
Le fait que le magistrat puisse être tenu comme responsable est de nature à freiner son sens de l’initiative ou à nourrir des craintes pour son avenir. Le fait qu’il bénéficie d’une immunité totale au contraire, pourrait l’inciter à l’imprudence où à des comportements illicites. Un équilibre doit manifestement être trouvé entre l’immunité et la responsabilité. La Charte européenne sur le statut des juges de juillet 1998 prévoit dans son article 5-2 que la réparation des dommages supportés de façon illégitime à la suite d’une décision ou du comportement d’un juge doit être assurée par l’Etat, même si une possibilité d’action récursoire est exceptionnellement ouverte (p.e. dans le cas d’une méconnaissance grossière et inexcusable par les juges des règles dans le cadre desquelles il exerce son activité et le cas échéant avec l’accord préalable d’ l’instance disciplinaire).
Ce thème a acquis de l’actualité à cause précisément de l’évolution dans certains pays vers un gouvernement des juges, fruit lui-même d’une large confusion et superposition des normes législatives. La montée en puissance des actions en responsabilité, en indemnisation des préjudices subis du fait de l’activité des juges, correspond au besoin exprimé par les justiciables de ne plus subir passivement les conséquences des actes dommageables du « service public » de la justice.
Divers types de mise en cause de la personne du magistrat coexistent. Nous ne tenons compte dans ce qui suit que des actes accomplis par les magistrats dans l’exercice de leur fonction. Pour les actes étrangers à cette catégorie et même pour les actes accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, les magistrats peuvent être tenus responsables pénalement ou civilement, sans préjudice de l’application éventuelle du privilège de juridiction. Nous n’entrons pas dans les détails de ces derniers actes qui impliquent une analyse détaillée cas par cas.
33. Le premier type de mise en cause personnelle (pour actes accomplis dans l’exercice des fonctions) groupe un ensemble de procédures qui est proche de ce que la loi française de 1806 connaissait : la prise à partie.
Elle vise en fait des comportements frauduleux du juge (et sont donc attachés à la personne, même si elle fait partie d’une formation collégiale). Les actes sont de nature à être sanctionnés tant civilement que pénalement, ce qui explique que les mécanismes protecteurs de l’immunité seront mis en place pour éviter des poursuites arbitraires. Diverses précautions sont prises dans les différents Etats concernant ce type d’action (p.e. intervention d’un conseil de la magistrature, privilège de juridiction) mais cela ne sont que des modalités finalement destinées à filtrer les demandes manifestement non fondées et ces précautions sont fréquemment abandonnées en cas de flagrant délit.
En Albanie, des poursuites pénales peuvent être engagées pour des jugements manifestement injustes (article 315 du Code pénal).
En Belgique la prise à partie est possible en cas de dol ou de fraude dans l’instruction ou le jugement, en cas de déni de justice, si la loi déclare les juges responsables à peine de dommages intérêts ou dans des cas qui seraient prévus par une loi spécifique (article 1140 du Code judiciaire). Des restrictions de procédure importantes rendent le recours à cette procédure fort aléatoire et les rares demandes introduites depuis une dizaine d’années ont toutes été déclarées irrecevables.
En Bulgarie les juges bénéficient d’une immunité fonctionnelle, c’est à dire que leur responsabilité civile et pénale ne peut être mise en cause dans l’exercice de leur fonction, sauf si l’acte commis est un crime intentionnel de droit commun. Mais ils sont responsables pour les actes commis hors de leurs fonctions. Dans beaucoup de cas l’accord du Conseil supérieur de la magistrature est requis pour la mise en accusation ou détention, mais ceci n’empêche évidemment pas la mise en cause.
Le Burkina-Faso connaît des règles pareilles à celles de la Belgique : les cas de prise à partie sont les mêmes.
Le Cameroun connaît également la prise à partie.
En France, la loi organique du 5 mars 2007 décide que constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice définitive . Le code pénal connaît quelques cas spécifiques de délits liés à la qualité de magistrat (déni de justice, arrestation illégale, corruption, discrimination, usage irrégulier de qualité) et la qualité de magistrat peut également être une condition aggravante de certains délits.
La Guinée organise une responsabilité pénale du magistrat qui a commis un crime ou délit ou a manqué à ses devoirs (article 20 et 21).
Haïti connaît la prise à partie classique (464 du Code procédure civile).
Le Maroc connaît également le régime de la prise à partie (391 du Code de procédure civile) avec des restrictions de type procédural, tout comme la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad, le Togo. Ces pays connaissent également en parallèle des dispositions pénales pouvant frapper les magistrats pour certains actes accomplis dans l’exercice de leur fonction. Ainsi le Togo sanctionne pénalement les cas de forfaiture, abus de pouvoir (151 à 152 du Code pénal), la concussion et la corruption.
La République Tchèque connaît des dispositions générales qui s’appliquent à tous les officiers publics y compris les magistrats. Sur le plan pénal, les délits qui peuvent ainsi être appréhendés sont l’abus de compétence, l’obstruction à la tâche d’agent public par négligence, l’acceptation de pots-de-vin, la subornation ou la corruption indirecte.
34. Un second type de mise en cause personnelle serait la mise en cause pour faute, caractérisée ou non, lourde ou non, commise par le juge dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agit donc ici d’une action civile qui serait dirigée directement contre le juge qui a commis une faute, quelle qu’elle soit, sur la base de la responsabilité extracontractuelle ou quasi délictuelle. Cette hypothèse ne peut être considérée comme aberrante. Que l’on songe notamment à la non application de la règle du délai raisonnable pour rendre un jugement, au juge d’instruction qui met sans trop réfléchir un prévenu en détention préventive (ou qui se trompe en ne le mettant pas en détention, alors que le prévenu récidivera à coup sûr).
Pouvoir citer directement le juge en responsabilité pour une décision prise peut avoir pour effet de le déstabiliser. Il vaut sans doute mieux pour l’équilibre des institutions que la mise en cause de la responsabilité du juge se fasse par le biais de la procédure disciplinaire. C’est le choix que fait le droit français (article 20 de la loi du 5 mars 2007) qui établit une passerelle entre la mise en cause de l’Etat et les poursuites disciplinaires qui peuvent être engagées par le ministre de la justice et les chefs de cour d’appel intéressés.
Hors les cas de prise à partie ou cas équivalents, qui ont tous une connotation de fraude, les Etats sont peu enclins à admettre cette responsabilité directe personnelle du juge pour des actes certes fautif mais non dolosifs ou caractéristiques d’un manquement grave. Les admettre trop librement serait par le même fait déprécier la valeur des voies de recours, même si un recours intenté avec succès n’indemnise pas toujours adéquatement la partie gagnante. L’irresponsabilité par contre sera souvent relative. Elle concerne surtout l’application du droit substantiel, le cœur même de la décision : en ce qui concerne le processus décisionnel, la procédure elle-même, une violation caractérisée d’une règle de procédure sera plus susceptible d’entraîner la mise en jeu de la responsabilité du magistrat. La distinction est malaisée à établir et la règle est plutôt que la responsabilité individuelle du magistrat ne sera pas recherchée.
C’est ce que soulignent notamment le Maroc et le Sénégal qui indiquent qu’en vertu du principe que les décisions judiciaires ne peuvent être attaquées que par l’exercice de voies de recours ordinaires ou extraordinaires, la responsabilité du juge, quant à ses décisions, ne peut être engagée ni sur le plan civil, ni sur le plan pénal. D’autres Etats le précisent de façon tout à fait explicite notamment le Tchad (article 3 de l’ordonnance n°08/PR/MJ/91).
35. Par contre, dans la mesure où l’Etat peut être tenu pour responsable des actes accomplis par les juges dans l’exercice de leurs fonctions, une responsabilité personnelle du juge peut naître de la possibilité d’une action récursoire. L’action récursoire peut être limitée aux cas graves (fraude ou faute lourde ou équivalents, comme en France au Tchad ou d’une certaine façon en Roumanie) mais ce n’est pas nécessairement le cas.
L’action récursoire de l’Etat contre l’organe qui a engagé sa responsabilité (le juge) existe dans plusieurs Etats, mais sans doute plus par l’effet d’une application intellectuelle des règles de la responsabilité hors contrat que par une volonté affirmée de responsabiliser les magistrats. Tous les Etats qui admettent la possibilité d’une action récursoire en soulignent le caractère exceptionnel ou théorique.
En Belgique, la possibilité existe mais dans la pratique cette voie a été coupée. Le régime de la responsabilité est né d’une jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique qui a, dans des arrêts successifs, fortement limité la possibilité effective de mettre en cause la responsabilité civile personnelle des magistrats.
Moyennant certaines conditions, il semble que la mise en cause personnelle du magistrat après que celle de l’État ait été mise en cause soit possible en Bulgarie, au Burkina-Faso, en Egypte, en France (781-1 du Code d’organisation judiciaire), en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Sénégal, au Tchad.
De façon particulièrement intéressante la République Tchèque a réglementé de façon expresse ce domaine. L’article 36/3 de la Charte des droits et libertés fondamentaux dispose que chacun a droit à la réparation du préjudice causé par une décision illégale d’un tribunal [notamment]. L’article 78 de la loi sur les tribunaux et les juges précise que la responsabilité pour les dommages résultant d’une décision illégale, décision sur la détention provisoire, la peine ou la mesure de protection, et d’une procédure officielle incorrecte est réglée par une loi spéciale. La loi n°82/1998 SB organise cette responsabilité et définit dans quelle mesure une action récursoire peut être introduite.
La Roumanie connaît également des cas d’action récursoire mais de façon limitée : dans les cas où la réparation du dommage a été octroyée conformément à l’article 506 ainsi que dans la situation dans laquelle l’État roumain a été condamné par une instance internationale, l’action en régression contre celui-là qui par mauvaise foi ou grave négligence a provoqué le dommage, est obligatoire (article 507 du Code de procédure pénale).
Les principes et déclarations solennelles sur l’indépendance du juge ne manquent pas [1].
L’indépendance du pouvoir judiciaire est un vieux débat au sujet duquel tout a été dit et qui semblerait épuisé si la vie quotidienne n’y apportait continuellement un nouvel éclairage. La liberté n’est pas un concept abstrait, l’indépendance du juge non plus. La vie du juge et son action se déroulent dans une société déterminée à une époque déterminée et la façon dont son indépendance sera assurée est très variable.
Nous avons vu dans tous les Etats représentés ici ou presque dans tous les Etats que des efforts étaient faits pour assurer à la fois un incitant à l’indépendance ou une récompense de cette indépendance - je pense à la stabilité de la fonction, à une rémunération décente - et un incitant au sens de la responsabilité. L’accent sera mis sur l’un ou sur l’autre sous la pression de l’opinion publique ou du pouvoir politique. Les textes que nous avons dans nos pays ne sont pas une garantie absolue de notre indépendance et de notre capacité de servir notre nation, mais ils sont un premier pas. Le pas suivant qui sera décisif sera la solidarité entre les magistrats de tous les pays et leur courage personnel.
[1] Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985