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Rapport de synthèse sur le juge de cassation et les conventions internationales

 

Monsieur Jean-Pierre GRIDEL

Agrégé des facultés de droit, Conseiller à la Cour de cassation de France


Le juge de cassation et les conventions internationales
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Monsieur le Président,
Messieurs les Premiers présidents,
Messieurs les Procureur généraux,
Mesdames, Messieurs

A partir du moment où les organisateurs de ce si beau congrès retenaient le thème général et grandiose que constitue "Le juge de cassation au XXIème siècle", ils nous conduisaient -
et ce fut finalement l’objet du deuxième sous-thème- vers une dialectique féconde entre d’une part la place croissante des conventions internationales tenues dans les jurisprudences internes, ces jurisprudences internes que les cours de cassation unifient,
mais d’autre part le caractère parfois dépassé de ces mêmes cours nationales, ainsi, lorsque
les conventions internationales traitent des droits fondamentaux de la personne ou de
l’établissement d’ensembles géopolitiques à finalité économique ou monétaire.

Telle est l’impression qui se dégage de l’exploitation des réponses à l’ample questionnaire
diffusé avant les travaux de ce colloque de Marrakech, qui se dégage des divers rapports
écrits reçus et qui se dégage, bien sûr, des multiples exposés et interventions orales
entendus au cours de ces journées. Aussi, telles seront donc les deux parties de ce rapport
de synthèse. En premier lieu, la place croissante des conventions internationales dans la
jurisprudence des cours de cassation ; en second lieu, l’affirmation d’ensembles
géopolitiques en matière d’économie ou de droits de l’homme et le dépassement voulu des
cours nationales.

La place croissante des conventions internationales dans la jurisprudence
des cours de cassation :

La multiplication voire la banalisation des conventions internationales est un fait
statistique impressionnant.

Les réponses aux questionnaires adressés aux Etats-membres de l’AHJUCAF le
montraient, si tel pays se situe dans ce que j’appellerai la zone à un chiffre
(cinq conventions internationales ratifiées), ou tel autre dans la zone à deux chiffres (vingt
deux conventions), ou tels autres encore dans la zone à trois chiffres (citons le Cameroun
avec plus de deux cents), certains sont carrément dans la zone à quatre chiffres, c’est ainsi
que le Maroc qui nous accueille de façon si chaleureuse et si magnifique, la Suisse ou la
France sont parties à plusieurs milliers de conventions internationales .
Toutefois, ce qui compte, c’est évidemment l’effectivité dans l’application de ces
conventions internationales, c’est-à-dire leur présence et influence dans les jurisprudences
internes. Cette présence, cette influence sont très réelles, elles ont des causes puis des
implications.

Les causes techniques de la place croissante des conventions internationales dans les
jurisprudences internes sont, sans doute, la normativité moniste et l’interventionnisme
judiciaire.

- La normativité moniste des conventions internationales.

Nous pouvons laisser de côté, à ce point de vue, les conventions simplement
proclamatrices d’idéaux, qui ne se veulent pas normatives ou ne sont pas interprétées
comme telles ; ainsi la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, ainsi la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée à Nice le 7 décembre 2000.
N’oublions pas toutefois que de tels textes peuvent nourrir l’inspiration interprétative du
juge ; s’ils ne sont pas source formelle du droit, ils peuvent en être source matérielle, et par
ailleurs, l’on a déjà vu des jurisprudences audacieuses rendre normatif un tel texte
jusqu’alors considéré comme purement énonciatif, pourvu qu’il soit suffisamment clair et
corresponde à un besoin social fort. En droit français, de la Déclaration de 1789 à tel
article du Code civil, maints exemples pourraient être donnés. D’autres existent déjà à
propos de la charte de Nice, dans la jurisprudence du tribunal de première instance des
Communautés européennes, M. le Procureur général Burgelin l’a signalé.

Sinon, une fois acquise la normativité, celle-ci trouve dans le monisme un adjuvant
essentiel, ainsi que l’a souligné M. Saad Moummi, Conseiller à la Cour suprême du Maroc.
Comme le questionnaire le montrait, les trois-quarts des Etats réunis ici - mais des pays
comme la Belgique ou le Maroc font exception - tiennent en effet l’ensemble constitué par
les conventions internationales auxquelles ils adhèrent et leur droit interne comme
participant par principe d’un même ordre juridique, le traité venant prendre, dans la
hiérarchie des normes, la place que la Constitution lui désigne, et qui est toujours
supérieure aux lois et règlements. Ils refusent donc de considérer que le traité ne les
obligerait que dans la sphère propre de leurs relations avec les autres Etats signataires,
c’est-à-dire dans la seule société juridique internationale et serait dépourvu de portée, pour
leurs justiciables et pour les praticiens, tant que la substance n’en aurait pas été reprise par
des instruments normatifs nationaux. Il en résulte d’une part qu’une telle reprise n’a pas lieu
d’être et, d’autre part, que la convention internationale écarte toute solution législative ou
réglementaire interne incompatible, quelle que soit la chronologie des adoptions
respectives de ces divers textes.

Deux tempéraments à l’effet moniste sont néanmoins à signaler. En premier lieu, l’Etat
peut avoir explicitement manifesté sa volonté de s’engager seulement à prendre
ultérieurement telle ou telle disposition interne, par voie de transposition, convention alors
programmatrice, disait M. Saad Moummi, dans son magistral rapport introductif écrit ;
telle a été du reste l’attitude de la France, à propos de la convention de New York sur les
droits de l’enfant du 26 janvier 1990. Dans ces conditions, la Cour de cassation l’a dite
totalement inapplicable en l’état tandis que, par la suite, le Conseil d’Etat, lui, distinguait
entre les divers articles directement ou non directement applicables et que le législateur, le
8 janvier 1993, a mis tout le monde d’accord en intégrant plusieurs solutions dans le Code
civil, ce qui était d’ailleurs une façon de donner raison à la position adoptée par la Cour de
cassation.

En second lieu, même en schéma de pur monisme, et a fortiori en conception dualiste, le
traité ne doit-il être pris en considération qu’autant qu’il a été régulièrement introduit dans
l’ordre juridique national. A cet égard, la place croissante de la source internationale
s’accompagne d’un contrôle du juge, contrôle lui-même en plein essor.
En France, qu’il est loin le temps où le juge se contentait de vérifier l’existence d’une
publication du traité. Aujourd’hui, il vérifie que la ratification elle-même a été régulière :
tant le Conseil d’Etat que la Cour de cassation écartent la convention conclue entre la
France et un autre Etat et invoquée par le plaideur si, d’après la Constitution française
(prise en son article 34), ce traité, que l’Etat français a ratifié par décret, aurait dû l’être par
une loi, à raison de son objet.

De même, n’appliquera-t-on pas une convention internationale qui, dans des cas extrêmes,
contreviendrait à une règle constitutionnelle, mais c’est là, déjà, aborder l’office du juge
que nous allons retrouver dans des activités plus courantes.
- Après donc la normativité moniste, l’interventionnisme judiciaire est la seconde cause
annoncée de la place croissante des conventions internationales dans les jurisprudences
internes. L’office du juge s’étudie, là, sur deux plans, celui de l’applicabilité d’office, et
celui de la recherche de droit substantiel auquel la situation sera soumise.
Premier plan, le juge doit-il, ou ne doit-il jamais, ou peut-il parfois, relever d’office
l’applicabilité du traité international ou de la règle de conflit ?
La grande majorité des cours suprêmes réunies ici prône une distinction entre les droits
indisponibles ou attribués par ordre public, et les droits disponibles dits aussi de libre
renonciation.

Lorsque le procès porte sur des droits indisponibles, le juge doit relever d’office sa
soumission à la règle internationale. Lorsqu’en revanche, sont en jeu des droits disponibles,
la situation est moins claire. Les Etats ici représentés considèrent en majorité qu’il
appartient aux seules parties d’invoquer la convention internationale. Mais d’autres,
comme la Cour de cassation française, estiment que, là encore, le juge devrait relever
d’office, au moins pour les conventions les plus importantes, ainsi la Convention de Vienne
de 1980 sur la vente internationale des marchandises, et que, à tout prendre, le peut-il, à
moins que les parties n’aient explicitement convenu de soumettre leur litige à la loi du for
par une sorte d’accord procédural.

Certes, la logique moniste tendrait à soumettre le traité au régime accusatoire, au principe-
dispositif. Mais on peut objecter que le juge national est un organe de l’Etat et ne doit donc
pas participer à une violation de l’engagement international pris par lui ; de là, le
rattachement de la question à l’article 3 du Code civil, écartant en l’espèce l’article 12 du
nouveau Code de procédure civile.

Second plan : qui, du juge ou des parties, recherche le contenu du droit étranger ou
conventionnel applicable ?

Sur des droits disponibles, comme indisponibles, lorsque les parties ont revendiqué
l’applicabilité du droit étranger, elles doivent en établir la teneur et montrer en quoi ce droit
conduit à une solution différente de la loi du for, le juge n’ayant à les aider qu’en cas
d’obstacle insurmontable pour elles. A l’inverse, lorsque le juge relève d’office
l’applicabilité du droit étranger, ce serait à lui de rechercher la teneur et d’inviter
éventuellement les parties à l’aider .

Après les causes de la place croissante des conventions internationales dans la
jurisprudence des cours de cassation, venons en maintenant aux implications de cette
place croissante.

Ces implications sont de deux ordres, l’une matérielle, l’autre juridique, à savoir la
nécessaire sensibilisation des juges au phénomène international, et l’interprétation des
conventions internationales.

- La sensibilisation des juges à l’internationalisation du droit : l’accès au traité se fait le plus
souvent par site Internet, ou par CDrom à la disposition des juges, nous disaient les
réponses aux questionnaires. Mais il faut souligner, en amont, l’importance d’une ouverture
à l’internationalisation, tant auprès des élèves magistrats auxquels sont dispensés des cours
et offerts des stages à l’étranger, qu’auprès des magistrats en fonction, ceci par le biais d’un
néo perfectionnement continu ou de déplacements auprès des juridictions d’autres pays.
En France, l’Ecole Nationale de la Magistrature développe des moyens significatifs, tant au
bénéfice des magistrats français sur du droit étranger qu’à celui de magistrats étrangers sur
du droit français ; Mme Ceccaldi-Guebel nous a brossé à cet égard un tableau complet.
Un souci aurait pu apparaître néanmoins et il serait extraordinaire qu’une association
comme l’AHJUCAF n’y soit pas attentive.

Autant il est sain que le magistrat soit polyglotte, autant qu’on peut l’être, autant ne voit-on
aucune raison de laisser l’anglais devenir progressivement la seule langue mondiale des
juristes soucieux d’internationalisme ; Mme Ceccaldi-Guebel nous a montré qu’elle était
pleinement consciente de la difficulté et que l’on s’efforçait de la résorber.
Nous devons saluer aussi une initiative de l’OHADA. M. Oliveira, vice-Président de la
Cour de justice et d’arbitrage, nous a appris que cet espace juridique intégré a créé sa
propre Ecole de la magistrature au rebours -c’était très impressionnant- de la voie classique
qui conduit l’étudiant depuis son droit national vers le droit international.
L’autre implication, plus technique, de la place croissante des conventions internationales
est celle de leur interprétation.

La question pourrait se détripler. Mais, si nous laissons de côté la méthodologie de la
recherche du sens -toute une section de la convention de Vienne de 1969 lui est consacrée-
il nous reste deux aspects qui sont ceux du pouvoir pour interpréter et de la conciliation
entre les conventions.

L’attribution du pouvoir interprétatif . On a longtemps pensé, par l’effet de la vieille
maxime selon laquelle il revient à celui qui a établi la règle d’en donner l’interprétation, que
le juge devait demander à l’exécutif, au ministère des Affaires étrangères, la signification
du traité lorsqu’elle faisait difficulté. Ce mécanisme a toutefois été écarté au nom de la
nécessaire indépendance du juge et c’est à lui, magistrat saisi du litige, qu’il revient
d’interpréter la règle de droit, sans distinction entre son origine nationale ou son origine
conventionnelle, même s’il peut toujours solliciter, pour simple avis, l’autorité négociatrice,
ce qui paraît d’ailleurs inévitable si est discutée une condition de réciprocité d’application.
On sait par ailleurs que, dans le contexte de conventions internationales ayant donné
naissance à un nouvel ordre juridique -Convention européenne des droits de l’homme,
Union européenne, Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale,
Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, une cour spécialisée
délivre, sous des modalités différentes, une interprétation uniforme.
Venons-en à la conciliation des conventions, seconde implication de leur place croissante.
Le phénomène de polyconventionnalité auquel nous assistons aujourd’hui (on a vu que
plusieurs Etats étaient parties des milliers de conventions internationales), rend très réel le
risque auquel est exposé le juge de ne pouvoir respecter tel traité sans en violer un autre.
Le risque avait été aperçu par les rédacteurs de la Convention de Vienne, au moins lorsque
les traités successifs portent sur une même matière, et l’on distingue alors, selon l’identité
ou non des parties contractantes, ou selon la chronologie des traités concernés. Mais le
succès des conventions sur les Droits de l’Homme, par leur objet très vaste, leur
vocabulaire parfois élastique, le grand nombre de leurs signataires, confère à l’interrogation
une autre ampleur, celle de savoir si de telles conventions ne seraient pas au-dessus des
autres.

Bref, y a-t-il une hiérarchisation des conventions internationales ?

La question a suscité de vifs débats partout, et notamment en France, à propos des
répudiations prévues dans les conventions bilatérales franco-marocaines et franco-
algériennes. On s’est demandé, en doctrine et en jurisprudence évolutives, si la condition
inférieure faite à la femme dans le déclenchement de la procédure, son déroulement, son
bénéfice, ses suites, ne déterminait pas une situation incompatible avec une convention
extrêmement importante à laquelle la France est partie, à savoir le protocole additionnel
n°7 de la Convention européenne des Droits de l’Homme en son article 5 : "Les époux
jouissent de l’égalité de droit et de responsabilité… etc. au regard du mariage, et lors de
sa dissolution."

La jurisprudence rendue à propos de ménages établis en France depuis des années a été
sinusoïdale. Dans un premier temps, proche de la signature de ces conventions dans le
temps : application pure et simple des conventions bilatérales ; puis, mise à l’écart au nom
d’une supériorité de la Convention européenne des Droits de l’Homme donc hiérarchisation
des sources internationales ; puis, encore, prévalence de l’ancienne solution dès lors que la
femme était utilement convoquée et recevait une allocation postérieurement à la
répudiation ; enfin, par une série d’arrêt du 17 février 2004 dernier, la Cour de cassation a,
de nouveau, écarté les conventions bilatérales dont nous parlons au nom de l’ordre public
international français réservé par ces mêmes conventions bilatérales. Ce qui est gênant,
c’est que la conception française de l’ordre public international a changé, si bien que,
paradoxalement, c’est en invoquant la convention qu’on l’écarte.

La motivation profonde est que la Convention européenne a intégré dans le droit français
lui-même, dans l’ordre public français, comme dans le droit substantiel des autres Etats
signataires de la Convention européenne, l’égalité de l’homme et de la femme. Il n’y a donc
pas hiérarchisation des conventions, notamment pas de supériorité de la Convention
européenne sur les autres traités. L’égalité de l’homme et de la femme dans le droit
matrimonial fait partie de l’ordre public français au sens international, ce qui fait jouer
l’exception en ce sens réservée par les conventions bilatérales signées notamment dans les
années 50 et 80.

Passons à présent à la seconde de ce rapport de synthèse :

II L’affirmation d’ensembles géopolitiques en matière d’économie ou de droit
des hommes et le dépassement voulu des cours nationales.

Là encore, les réponses au questionnaire le révélaient, si certaines conventions
internationales ne rencontrent qu’un engouement limité quant au nombre des ratifications
(assurance, droit culturel, propriété intellectuelle, environnement -et à cet égard nous avons
tous partagé l’amertume de M. Kante, directeur à la division compétente des Nations
Unies), d’autres connaissent un beaucoup plus grand succès : coopération judiciaire, droit
de la famille, tandis que celles qui traitent des Droits de l’homme ou du droit économique
font carrément recette.

A ces propos, les tables rondes ont fait apparaître de suggestifs parallélismes d’ambitions et
de méthodes entre la Convention européenne des Droits de l’Homme et la Charte africaine
des Droits de l’Homme et des peuples de 1981 qu’un Etat comme le Bénin a
constitutionalisée, ainsi que nous l’a dit Mme Boussari, Président de chambre à la cour
suprême de Cotonou, ; entre aussi l’Union européenne et la CEMAC instituée par le traité
de Ndjamena 1994 et entrée en vigueur en 1999, ou encore l’OHADA adoptée à l’île
Maurice en 1995.

Deux traits sont particulièrement frappants : l’immédiateté du droit transnational sécrété
par les organes institués au sein de ces ensembles, et l’attribution de son interprétation à
une juridiction spécialisée.

L’immédiateté de ces droits transnationaux :

M. Ntoutoume, Premier Président de la Cour de justice de la Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), nous l’a rappelé à propos de l’Union
européenne, M. Oliveira nous l’a exposé, l’immédiateté du droit propre à de tels ensembles
est faite de plusieurs aspects sur lesquels nous pouvons passer rapidement : applicabilité
directe, c’est-à-dire d’intégration automatique aux droits nationaux ; effet direct c’est-à-dire
invocabilité par sujets de droit envers les institutions et entre eux ; primauté sur toute
solution interne contraire ; et l’on pourrait rattacher, à l’immédiateté, la neutralisation de
l’éventuelle condition de réciprocité dans la mise en oeuvre des traités ordinaires telle
qu’elle est parfois constitutionnellement requise.

En effet en droit communautaire, le non-respect de ces engagements par un autre Etat
relève de sanctions spécifiques prises par l’Union elle-même, et cela peut aller très loin,
nous a dit M. Puissochet, juge à la Cour de justice des Communautés européennes,
puisqu’en droit de l’Union européenne, depuis un arrêt Köbler du 30 septembre 2003, une
jurisprudence nationale, avalisée par une Cour de cassation et manifestement contraire au
droit communautaire, engage la responsabilité de l’Etat .

En matière de Droits de l’Homme, l’on arrive à un même résultat par un raisonnement
différent, l’objet n’étant pas le même. L’Etat s’est engagé à garantir, par la Convention
internationale sur les Droits de l’Homme, le respect de ses droits à toute personne venant à
ressortir de sa juridiction. Et il importe peu que l’Etat dont cette personne a la nationalité
soit ou non-signataire, ou qu’étant signataire il applique ou non la convention, et même
d’ailleurs que l’individu n’ait aucune nationalité établie : les Droits de l’Homme sont faits
pour l’homme.

Cet effet général d’immédiateté des ensembles géo-juridiques plaqués sur les réalités
nationales a pour contrepartie des effets profondément modificateurs, il faut savoir ce que
l’on veut, et parfois dévastateurs, non seulement sur les solutions juridiques internes
établies -c’est là un phénomène inéluctable-, mais aussi sur les institutions juridictionnelles
elles-mêmes. Des exemples nous en ont été rappelé par M. Procureur général Burgelin
pour la France, et par M. le Président Oliveira à propos du Code ivoirien de procédure
civile, qui semble avoir fait les frais d’une attention soupçonneuse de la Cour commune de
justice et d’arbitrage de l’OHADA.

L’attribution de l’interprétation à une juridiction unique et spécialisée.

C’est le cas de cette CJCA de l’OHADA. Elle présente des traits dont l’originalité est
particulièrement stimulante : voilà une juridiction de cassation supranationale, seule
compétente pour l’interprétation du droit uniformisé, dont la saisine dessaisit les cours de
cassation nationales, qui statue sur un cas concret, et elle-même sur le fond dans
l’hypothèse d’une cassation, par arrêt revêtu de la formule exécutoire, et jouissant de
l’autorité absolue de chose jugée. Ce mécanisme paraît imparable.

Autre attribution enfin d’une juridiction unique et spécialisée, celle faite à la Cour africaine
des Droits de l’homme et des peuples lorsque sa création aura été ratifiée par les signataires
de la charte de l’Organisation de l’unité africaine. Il en manque encore une dizaine, nous
apprenait Mme le Président Boussari dans son rapport écrit.

Cette Cour aura sans doute à définir les droits fondamentaux qu’elle entend protéger.
Certains s’imposent, soit à titre traditionnel, la vie, l’intégrité physique, la propriété, etc.
rien de nouveau, soit, et MM. Kante et Dahak l’ont souligné, au titre de l’évolution. A ce
propos, Monsieur le Président Dahak a mentionné hier, et nous avons tous beaucoup aimé
la formule, le droit à une vie saine au sein d’un environnement respecté dans des
ressources naturelles qui sont le patrimoine de tous : l’eau propre, l’air non pollué, la terre
et la forêt nourricières, certes exploitées, mais dans un souci de reconstitution. Il est
d’ailleurs extraordinaire qu’il faille réunir une assemblée internationales de juristes pour
trouver cela, tant on pourrait penser que de telles exigences relèvent d’un réflexe de droit
naturel.
Enfin, et ce sera un aspect extrêmement important à souligner, les droits fondamentaux
sont susceptibles d’appréciations différentes et le seront pour cette Cour, selon les latitudes
et les civilisations.

L’idée est illustrée par un arrêt rendu par la Cour de cassation française en octobre dernier.
Sa chambre sociale a eu l’occasion de poser que la liberté de se vêtir à sa guise, au temps et
lieu du travail, n’entrait pas dans la catégorie des libertés fondamentales. A cet égard, il
s’agissait d’un agent qui voulait venir travailler en bermuda parce qu’il faisait chaud. La
clientèle n’appréciait pas, les cosalariés et l’employeur encore moins ! Mais l’on sait les
difficultés qui peuvent apparaître à propos de ces tenues vestimentaires lorsqu’il s’agit
d’une vendeuse ou d’une fonctionnaire voilée -ne mésestimons pas la difficulté- refusant
de retirer son foulard . Ceci pour dire que ce qui n’est pas fondamental en Europe pourrait
l’être en d’autres continents et, comme l’écrivait récemment M. le Premier Président
Canivet, la convergence des systèmes juridiques n’est pas nécessairement leur uniformité,
bien sûr ; ce fut une opinion communément exprimée et reprise aussi par plusieurs
président de cours suprêmes notamment par Monsieur les Premiers Présidents du Congo et
de la Côte-d’Ivoire. Assisterons-nous à des distorsions ou à des marginalisations en matière
de conventions internationales relatives aux droits de l’homme ? En tant que juriste
français, votre rapporteur peut observer que la jurisprudence de son pays préfère
manifestement se référer à la Convention européenne de son pays qu’aux Pactes de New-
York... Peut-être faudra-t-il aussi, un jour, hiérarchiser les atteintes aux droits de l’homme,
ne pas ranger indistinctement sous cette qualification les tortures au fond d’une geôle et la
diffusion indiscrète d’une photographie.

En ces matières de protection universelle des Droits de l’Homme, dont nous sommes tous
des militants bien sûr, gare au verbalisme, gare à l’irréalisme à propos de corps de règles
plaquées par-dessus les réalités culturelles, gare aux libertés interprétatives trop grandes
qui seraient offertes au juge, car, dès lors qu’elles existent, les conventions sont faites pour
être appliquées, en droit international comme en droit interne.

 
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