L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.
Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.
PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.
Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’Université de Paris I, Panthéon Sorbonne
En effet, comme vous l’avez compris, ce matin, il s’agit simplement pour nous d’envisager le premier volet de ce troisième thème, celui de l’outil technologique au service de la justice.
Pour l’essentiel, il s’agira de voir l’usage qui peut être fait des nouvelles techniques de l’information par les Cours suprêmes et d’apprécier l’impact de ce que l’on appelle la révolution numérique dans la conduite de la procédure ou la prise de décision.
Certains des aspects de cette révolution numérique sont naturellement déjà connus : ce sont tous les outils informatiques, les logiciels, les bases de données, mais la compression numérique qui a fait énormément de progrès ces dernières années a changé légèrement la donne, d’abord en multipliant les capacités de stockage de telle sorte que les bases de données peuvent accueillir plus facilement des décisions, en texte intégral et non pas simplement en résumé, mais aussi parce que cette compression numérique permet des échanges sur les réseaux, à haut débit et avec une certaine sécurité.
Nous allons essayer de voir comment les différentes cours ont manifesté leur volonté d’avoir recours à de tels procédés techniques. D’emblée, un constat s’impose. Les travaux de l’Association sur ce troisième thème ont été moins productifs que sur les deux premiers que nous avons traités ensemble.
Les raisons de cette légère désaffection sont assez faciles à trouver. D’abord, le recours à ces techniques paraît, dans certains cas, compliqué, car les outils sont encore chers ou difficiles à élaborer ; ensuite, il ne suffit pas de posséder ces outils techniques, il faut aussi posséder le matériel permettant de les faire fonctionner et disposer de personnes qui ont soit du goût, soit des compétences pour pouvoir les utiliser.
Il va de soi que les réponses sont plus lacunaires que sur les autres thèmes et, pour l’essentiel, l’apport de ce rapport sera constitué des réponses fournies par six questionnaires.
Le thème tel qu’il est envisagé, "Outils techniques au service de la justice", peut être lui-même subdivisé en deux questions : d’une part, l’usage de ces outils techniques dans la phase d’accès aux cours et, d’autre part, l’usage de ces outils dans la phase de décision.
Le premier sous-thème sera illustré par les interventions suivantes et des projections vous seront proposées, de telle sorte que, la démonstration pratique étant très supérieure à l’exposé théorique, je ferai l’impasse sur cette question.
Nous allons essayer de voir ensemble dans cet exposé introductif l’apport des nouvelles techniques dans la prise de décision.
Dans le questionnaire envoyé aux différentes cours, quatre questions avaient été posées :
Existe-t-il des outils techniques qui permettent au juge de faire un premier tri entre les pourvois ?
Existe-t-il des outils qui permettent de fournir des données statistiques ?
Existe-t-il des systèmes qui permettent de mettre visuellement en présence des personnes pourtant situées dans des lieux différents ?
Existe-t-il des outils techniques qui aident à la décision ?
L’apport n’a pas été le même suivant les questions posées.
1/ Existe-t-il des outils techniques qui permettent au juge de faire un premier tri entre les pourvois ?
La question essayait de voir si les outils techniques pouvaient aider dans un tri, aussi bien pour des questions de forme que pour des questions de fond.
Raisons de forme : régularité du pourvoi, délai.
Raisons de fond : gestion des moyens, rapprochement en cas de connexité et, éventuellement, tout cela au service d’une orientation entre les différentes chambres, par exemple un pré-triage à partir de mots-clefs.
Dans les réponses fournies, deux Etats paraissent avoir une expérience plus avancée que d’autres : la Belgique et la France qui disposent d’outils permettant d’opérer un premier tri entre les pourvois pour des raisons de fond, en fonction des problèmes juridiques à traiter. Cela permet de rationaliser le traitement des contentieux.
La Belgique semble même être la plus en avance puisque, grâce à un système d’indexation, elle peut opérer un tri pour des questions de forme, ce qui conduit éventuellement à une orientation entre les chambres, mais le recours à ce système n’est utile que dans la mesure où le nombre d’affaires pendantes est important en raison de l’effort de réalisation des analyses. Autrement dit, pour l’heure, le système n’est intéressant que lorsque la Cour est un peu dépassée par le nombre d’affaires, car le traitement informatique lui-même suppose un certain temps.
Dans l’expérience telle qu’elle est rapportée dans les réponses au questionnaire, vous verrez que le système Syscas, qui fonctionne grâce à un module de recherche lié aux fiches de signalement, permet de sélectionner les affaires pendantes de telle sorte qu’il y a un moyen de traiter les problèmes similaires à la même audience. Je vous renvoie donc pour plus de détails aux réponses fournies par la Cour de Belgique sur ce thème.
La deuxième question était beaucoup plus simple
2/ Existe-t-il des outils qui permettent de fournir des données statistiques susceptibles de présenter une certaine utilité ?
Toutes les Cours qui ont répondu au questionnaire disent posséder de pareils outils statistiques. Ces statistiques permettent notamment de compter les affaires nouvelles pendantes ou liquidées au cours d’une période déterminée, de connaître l’issue des procès, de classer les affaires par domaine du droit ou de déterminer les délais de jugement.
Au-delà de ces solutions ponctuelles, on peut s’interroger sur le recours à des statistiques de façon plus générale ; du point de vue d’un universitaire ou d’un magistrat, on peut se demander si, par exemple, de tels outils statistiques ne permettent pas aussi d’avoir une réflexion sur le travail des juridictions du fond.
Cette analyse statistique des décisions peut être extrêmement instructive : combien de décisions sont rendues ? Combien sont sujettes à pourvoi ? Combien sont cassées ?
La mesure n’est pas nécessairement populaire puisque, dans le fond, certains magistrats du premier et du deuxième degré de juridiction ne voient pas forcément d’un bon œil une analyse purement statistique du travail qu’ils ont pu réaliser. Néanmoins, au-delà de cette observation, l’analyse peut être extrêmement féconde, puisqu’elle permet de voir comment, par exemple, une nouvelle réforme est reçue par les juridictions du fond : cela suscite-t-il un volume important de contentieux ? Les décisions sont-elles dans l’ensemble assez conformes ou existe-t-il une division entre les juridictions du fond, donc des divergences entre les magistrats ? Existe-t-il des jurisprudences locales, pouvant elles-mêmes recevoir diverses applications, certaines d’entre elles étant parfaitement scientifiques, puisque le Code civil renvoie parfois aux usages locaux ?
Donc, cet outil statistique permettrait de voir si dans telle région de tel pays, les solutions sont identiques à celles en raison des usages développés dans telle autre région.
L’outil statistique a donc son utilité, la dernière étant peut-être même pour le législateur lui-même : lorsqu’une même question fait apparaître un contentieux trop important, c’est qu’il y a peut-être un problème dans l’imperfection d’une donnée légale, de telle sorte qu’il faudrait éventuellement le réformer pour l’améliorer ou l’adapter aux aspirations du justiciable.
3/ Existe-t-il des systèmes permettant de mettre virtuellement en présence des personnes pourtant distantes ?
Le procédé n’est pas répandu, puisqu’une seule Cour a répondu de façon affirmative, le Canada, qui dispose d’un système audio-visuel, ainsi que d’un système de vidéoconférence permettant aux avocats de plaider à distance.
Selon le rapport canadien, l’expérience est concluante, il est dit que ce système améliore considérablement l’accès à la justice.
Il faut comprendre les raisons des Canadiens. C’est l’un des pays les plus immenses de la planète et il va de soi que, pour le justiciable, il n’est pas toujours aisé d’aller jusqu’à Ottawa pour plaider. Le système répond ici à une donnée géographique incontournable.
On retiendra que, dans les observations fournies par la Cour canadienne, il est indiqué que, lorsque la distance n’est plus un obstacle à la comparution, les parties, pour l’heure, choisissent encore de comparaître en personne et cela alors même que chacun se déclare satisfait du système de vidéoconférence manifestement de très grande qualité.
4/ Existe-t-il des outils techniques qui aident à la décision ?
C’était sans toute la question la plus complexe, puisque deux catégories d’outils peuvent être envisagées. Soit on se contente de fournir des décisions antérieures ou des précédents et, dans ce cas, on a recours à de simples bases de données, soit on utilise des outils plus sophistiqués susceptibles d’offrir une solution par simulation d’un raisonnement et tel serait le cas des systèmes experts ou ce que l’on appelle produits de l’intelligence artificielle.
Toutes les Cours qui ont répondu aux questionnaires disent posséder des outils d’aide à la décision, mais des différences assez importantes existent entre les outils et la façon dont ils sont utilisés.
Si l’on s’attache aux outils les moins sophistiqués, les bases de données, des différences existent entre les Cours quant aux personnes qui les réalisent. Ici, ce peuvent être des éditeurs privés, dans d’autres cas, un centre de recherche, ce qui est le cas au Canada, mais assez souvent, ce travail est réalisé par les Cours elles-mêmes.
Lorsque c’est le cas, ces outils peuvent relever soit du magistrat du Parquet qui a siégé dans l’affaire, c’est le cas en Belgique, soit d’une procédure d’indexation automatique après la mise à la disposition des arrêts par le greffe, c’est le cas en France.
La majorité des pays n’a pas recours à ce que l’on appelle l’externalisation, c’est-à-dire que les Cours préfèrent elles-mêmes constituer leur propre base ; seul le Canada paraît faire appel à des bases de données commerciales.
L’outil existe, mais qu’y trouve-t-on ? Les bases de données réalisées sont-elles exhaustives ?
Toutes les Cours disent qu’elles parviennent à une certaine exhaustivité, mais à la réflexion, je crois que nous ne sommes pas d’accord sur le sens à donner au terme "exhaustif" qui, normalement, pourrait être un terme absolu : on est exhaustif ou on ne l’est pas.
Il existe deux camps : certains Etats, comme la Belgique, le Maroc, la Roumanie ou la Suisse estiment que l’exhaustivité est atteinte lorsqu’un point présentant un point juridique non publié antérieurement est effectivement repris dans la base, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de trou juridique en quelque sorte ; toutes les décisions n’y sont pas, mais chaque question est illustrée au moins par une décision.
L’approche est ici qualitative et non quantitative, puisque le pourcentage des arrêts sélectionnés par rapport au nombre d’arrêts rendus atteindra parfois seulement un tiers et, dans certains cas même, 1 %. Il s’agit donc d’exhaustivité seulement qualitative.
En revanche, d’autres Etats, comme le Canada et la France, recherchent une exhaustivité quantitative, puisque la quasi totalité des décisions rendues figurent dans la base.
Il n’y a pas lieu de porter un jugement sur l’une ou l’autre des techniques, chacune ayant son avantage ou ses inconvénients.
Dans un cas : exhaustivité réelle, quantitative, l’information est plus complète. Dans l’autre cas : exhaustivité qualitative, le système est plus sélectif et, de ce fait, peut-être plus lisible. Tout dépend de ce que le lecteur, l’utilisateur de la base recherche.
On peut comprendre que, pour certains, l’information utile est simplement le dernier état de la jurisprudence, auquel cas une ou deux décisions suffisent.
Pour d’autres, en revanche, la base de données, le recueil, devrait être aussi une espèce de réservoir à arguments. La masse de décisions, exhaustivité quantitative, peut être utile dans une fonction de recherche pour nourrir de nouvelles démonstrations. Il existe donc dans les pourvois toute une série d’arguments qui peuvent être repris éventuellement par les justiciables.
Les démarches sont différentes. Dans un cas, on veut la solution : quel est le droit positif ?
Dans l’autre, on veut plus de profondeur.
Certains recherchent simplement la continuité, le maintien de la jurisprudence et d’autres souhaitent peut-être une évolution et, pourquoi pas, un revirement de jurisprudence. Chaque système a ses avantages.
Se pose alors, en vertu de la masse des décisions insérées dans les bases, la question des liens entre les décisions que l’on peut y trouver.
Sur ce terrain, tous les pays permettent le renvoi à d’autres décisions par des procédés assez classiques : la mention, par exemple, à des notes de jurisprudence avec les renvois aux décisions de justice et aux commentaires doctrinaux que l’on peut y trouver, mais aussi l’utilisation et le recours à des mots clés qui peuvent enrichir la décision.
Il faut bien comprendre l’intérêt des mots clés dans le maniement d’une base de données. Les mots clés sont des outils qui permettent d’éviter deux risques majeurs dans l’utilisation des bases de données, ce que l’on appelle, d’une part, le bruit et, d’autre part, le silence.
Le silence, c’est l’absence de sortie de documents pertinents, alors que l’on sait que ces documents sont présents dans la base. L’interrogation a été faite, des documents devraient apparaître, mais rien ne sort ou pas assez de documents.
Dans ce cas, on se rend compte que, notamment lorsque la décision est intégrée en texte intégral, c’est-à-dire sans abstract, sans mot clé, il arrive que certains concepts juridiques, certaines notions soient présentes dans la décision, sans pour autant que le terme juridique clé figure dans le texte de la décision. Cela peut être le cas quand le concept d’ordre public est présent, mais le mot absent ; ce peut être le cas lorsque l’on parle de délai ou de prescription et que l’on trouve peut-être un mot et pas l’autre.
Donc, pour que le document sorte, il faut qu’il soit intégré dans la base, assorti du mot clé qui précise la notion. On évite donc le risque du silence.
Le bruit, c’est le risque inverse, c’est-à-dire une sortie de documents beaucoup trop importante et le document pertinent, la décision que vous recherchez est noyée dans une masse de décisions n’ayant rien à voir directement avec le problème de droit qui est le vôtre.
Dans ce cas, après la sortie écran ou imprimante, on est obligé de refaire un tri à la main, à la lecture, donc le gain de temps escompté n’est peut-être pas aussi présent.
De façon générale, on peut éviter également le risque du bruit par une meilleure indexation ou par des recours à des systèmes d’interrogation de type booléen ; concrètement, pour vous donner un exemple simple, imaginons que je fasse une recherche de jurisprudence. Mon problème est le suivant : je roulais sur une route, la nuit tombe, un canard traverse ma voiture et, dans un excès de bonté, je veux l’éviter et ma voiture part dans le bas-côté ; j’entends engager la responsabilité de quelqu’un afin que mon dommage soit réparé. Ayant peu de chance de retenir la responsabilité du canard, en droit français, je vais essayer de voir quel régime juridique peut me permettre d’obtenir cette réparation.
Je vais taper dans ma base de données le terme "canard responsabilité". Une masse de documents non pertinents, en tout cas sans aucun rapport avec mon problème, va sortir. Je vais avoir par exemple tout le contentieux de la presse, par exemple la responsabilité chez nous du Canard enchaîné ! Je dois éliminer tout cela.
Ou bien, j’en ai fait l’expérience, je tombe sur des accidents de ski. Vous allez me dire qu’il peut arriver qu’un canard traverse éventuellement une piste de ski, mais c’est quand même assez rare ! En réalité, l’arrêt qui est sorti était un arrêt où un skieur descendant rencontrait le skieur qui remontait sans utiliser les téléskis et en pas de canard !
La décision a été indexée telle qu’elle, elle sort, mais n’a rien à voir avec mon problème.
Dans ce cas, soit une meilleure indexation dans l’amont, soit une recherche sauf "responsabilité, canard, ski ou presse" me permet d’éviter le risque du "bruit".
Le travail de mot-clef, d’indexation est très important et, le plus souvent, la mise en mémoire du texte intégral doit s’accompagner d’une intervention humaine, afin que le travail soit intelligemment fait, c’est-à-dire qu’il faut une analyse intellectuelle plus qu’une indexation automatique. La machine ne remplace donc pas l’homme, au moins dans l’amont.
Lorsque les bases de données sont plus sophistiquées, chacune des décisions qui sort est accompagnée d’un lien hypertexte permettant d’aller vers d’autres bases, donc de créer le lien intellectuel traduit ici par un lien informatique ; il suffira d’un clic pour se reporter vers les autres décisions.
Evidemment, l’informatique fait peur et la vraie question est de savoir si l’on peut avoir un recueil base de données comme un recueil papier. Cela pose la question délicate de l’anonymisation des décisions de justice.
Logiquement, les décisions de justice étant des documents publics, les parties sont, en principe, nommément désignées, sauf lorsque la Cour rend une ordonnance de non-publication, par exemple pour protéger l’identité des personnes mineures. Mais nombres de bases vont basculer tôt ou tard sur l’Internet et lorsque c’est le cas, il a été décidé que la publication de la décision sera anonymisée ; c’est le cas en Belgique, en France et, me semble-t-il, en Suisse.
Si l’on recherche sur l’Internet l’arrêt Franck ou l’arrêt Perruche, on ne le trouvera pas en tant que tel. Il faudra procéder à une autre interrogation pour pouvoir obtenir la décision.
Voilà pour l’outil le moins sophistiqué, les bases de données.
Peut-on avoir recours à une autre catégorie d’outils : les systèmes experts, qui vont ajouter un plus en ce qu’ils vont simuler un raisonnement humain.
Dans les réponses au questionnaire, seule la France indique qu’elle expérimente à l’heure actuelle ce procédé d’intelligence artificielle.
Au-delà de l’expérience française, essayons de comprendre l’intérêt de tels outils pour des juristes. Par rapport aux bases de données ou à un simple logiciel, un système expert rend des services indiscutablement plus importants.
Une base de données ne fournit que des renseignements bruts. Son apport est dans la capacité de stockage, dans les facilités offertes quant aux recherches, mais le renseignement qui, à l’arrivée, est fourni, est une donnée déjà pré-existante.
Une base de données s’inscrit dans une logique d’informatique documentaire, elle ne crée rien. Elle offre des facilités de recherche.
D’un autre côté, un logiciel ne peut exécuter que les tâches pour lesquelles il a été programmé ; il facilite le travail de l’utilisateur, mais il n’apporte pas de réelles innovations.
Le but des systèmes experts est tout autre.
Pour aller au plus simple, un système expert est techniquement composé de trois éléments :
Ce que l’on appelle un moteur d’inférence, un logiciel plus sophistiqué, qui contient éventuellement des modes de raisonnement, des modes de raisonnement juridique dans notre cas.
Une base de faits.
Une base de connaissances, des espèces de bases de données.
Le système expert est conçu pour simuler le raisonnement humain et s’auto-enrichir, c’est-à-dire que, normalement, les résultats des précédentes utilisations sont intégrés dans la base et considérés comme acquis.
C’est pourquoi on parle, à propos de ces outils, d’intelligence artificielle.
Ces outils sont utilisés dans tous les domaines : dans l’aéronautique, quand il s’agit de sauver Apollo 13, il faut prendre la bonne décision au quart de seconde ; on simule un raisonnement humain, mais en accélérant énormément.
C’est utilisé également dans la recherche pétrolière, dans tous les domaines.
Cela peut-il être utilisé dans les sciences sociales ou les sciences humaines ? C’est notre problème pour le droit.
Il arrive parfois que l’on appelle systèmes experts des outils qui ne sont que des logiciels un peu plus élaborés, mais pas de vrais instruments d’intelligence artificielle. Par exemple, on appelle parfois systèmes experts des logiciels permettant de trancher des cas de nationalité, des calculs de succession ou, éventuellement, la quantification des dommages et intérêts.
En fait, ce ne sont pas des vrais systèmes experts, il n’y a pas de raisonnement sophistiqué, mais c’est simplement un logiciel plus élaboré que l’on a pu concevoir, car il était facile de noter oui, non, oui, non à chacune des étapes de l’arborescence.
Ce que l’on appelle à tort systèmes experts dans ce cas sont de très bons logiciels adossés à de très bonnes bases de données, mais le vrai système expert est celui qui permettra au magistrat de trouver la solution juridique, alors qu’il n’existe aucun précédent dans le système ou dans la base.
Non seulement cela peut lui faire gagner du temps, mais cela peut le conduire vers une solution heureuse. C’est naturellement un vieux rêve, mais aussi un grand cauchemar de l’humanité.
Pour être tout à fait franc, les systèmes experts développés à ce jour, -je ne parle pas de l’expérience de la Cour de cassation, mais de ceux que les malheureux universitaires essaient de développer pour voir-, conduisent plutôt à des résultats assez surprenants, à tel point que, même dans les sciences dures, on parle moins aujourd’hui d’intelligence artificielle que d’informatique avancée.
C’est un subterfuge des informaticiens, cela permet de garder les mêmes initiales IA, Intelligence Artificielle, Informatique Avancée, mais on a retiré le mot "intelligence", car il paraît qu’il était plutôt absent des résultats !
Dans mon université, quelques expériences ont été réalisées et les résultats ont été assez étonnants. On a pris des procès déjà déroulés, on les a intégrés dans la machine et, à l’arrivée, le résultat du magistrat et le résultat du système expert étaient différents.
Cela ne veut pas dire que le Juge avait mal statué ni que la machine ne fonctionnait pas, mais simplement qu’elle ne représentait pas le droit positif.
C’est gênant, mais au-delà de l’information immédiatement produite, on en tire quand même des enseignements. On peut dire qu’il y a en quelque sorte une signification épistémologique à l’échec des systèmes experts. En effet, l’échec des machines programmées montre un autre aspect du droit, un aspect du droit différent de celui qui est enseigné en première année dans les facultés.
Nous savons tous que le droit est bâti sur des syllogismes, un raisonnement cartésien, logique, implacable et le système expert montre que cela fonctionne parfois un peu différemment et que, contrairement à ce que l’on croit, les règles de droit ne sont pas nécessairement univoques, tout simplement parce que, dans la règle de droit, il y a toute une série de notions cadres : bon père de famille, intérêt de l’enfant, bonnes mœurs, délai raisonnable, c’est-à-dire des notions à contenu variable, une part de flou avec laquelle le Juge peut naturellement jouer ; mais la machine n’est pas assez intelligente pour le faire ou, si elle le fait, ce n’est pas dans le même sens.
Il y a aussi dans l’explication, le fait que, pour un Juge, la loi ne s’interprète pas qu’à la lettre, mais aussi en fonction de son esprit et la machine a du mal à retrouver parfois la raison qui a poussé à adopter telle ou telle norme.
Enfin, il faut bien comprendre que, dans le raisonnement juridique ou judiciaire, la règle est certes importante, mais elle n’est pas la seule composante ; elle n’est pas la part unique du raisonnement.
Même si l’on dit en première année de droit que ce n’est pas vrai, d’autres notions, comme la bonne foi, l’équité, la fraude peuvent intervenir et infléchir éventuellement le raisonnement.
Il est bien sûr possible que ces différents constats touchent davantage les juridictions du fond que les Cours suprêmes, lesquelles sont plus adossées à un raisonnement et gardiennes des textes.
Néanmoins, les systèmes experts peuvent avoir une certaine utilité pour les gains de temps parce que, même si une solution produite par le système expert ne sera pas celle retenue, elle permet au moins de stimuler l’intelligence, de comparer en se demandant : si la machine a fait cela, pourquoi l’a-t-elle fait et pourquoi je n’arrive pas au même résultat ?
Aujourd’hui, dans l’échec, on voit que la machine ne remplacera jamais l’homme et que le système expert ne produira jamais automatiquement la décision judiciaire.
En revanche, il peut être une aide à la décision, un outil parfaitement utile justement par les questions qu’il pose.