Renforcer l'entraide, la coopération
et la solidarité entre les institutions judiciaires

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L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.

Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.

PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.

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Synthèse sur l’indépendance de la justice (mai 2006)

 


Parmi les objectifs du cadre stratégique décennal de la francophonie adopté le 27 novembre 2004 figure la consolidation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’Etat de droit.

L’Association des Hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français, créée seulement en 2001, a d’ores et déjà contribué à l’objectif assigné de promotion d’une culture démocratique intériorisée et au plein respect des droits de l’homme par la tenue de son premier Congrès (Marrakech, mai 2004) qui a traité, dans la perspective de la pratique judiciaire, de “l’accès au juge de cassation”.

S’agissant de décliner un deuxième objectif relatif au renforcement des capacités des institutions garantes de l’Etat de droit, la question de l’effectivité de l’indépendance des institutions de contrôle, de régulation et de médiation est apparue centrale. Toutes ces fonctions doivent être assurées par la Justice, ce qui impliquait une réflexion sur son indépendance et les moyens d’accroître celle-ci.

L’AHJUCAF a donc arrêté en 2005 ce thème pour la tenue de son deuxième congrès (Dakar, novembre 2007). “L’indépendance de la justice” fera l’objet, comme en 2004, d’une approche concrète liée à la pratique judiciaire, mais la problématique du sujet doit être cependant traitée à l’aune des textes existant en la matière et du cadre conceptuel sans lequel le sujet s’épuise en contre-exemples.

La méthode retenue est donc celle d’un recollement des textes nationaux (approche comparatiste) et internationaux (influence des structures régionales et du droit international) à partir desquels une typologie des atteintes à l’indépendance, préalablement définie, permettra aux rapporteurs et aux congressistes de déterminer les conditions de l’indépendance de la Justice. Parallèlement, un questionnaire principalement axé sur les obstacles à l’indépendance, en cours de dépouillement, a été adressé aux juridictions membres de l’association.

I - La notion d’effectivité de l’indépendance de la Justice :

L’approche théorique de l’’indépendance de la Justice s’entend de manière immédiate de l’indépendance des juridictions par rapport aux pouvoirs exécutif et législatif, dans le concert des institutions. Elle s’entend aussi de l’indépendance des juges par rapport à des éléments extérieurs, mais aussi peut-être par rapport à eux-mêmes.

Cette indépendance personnelle, reflet de l’indépendance institutionnelle, renvoie donc à une notion distincte de celle d’impartialité, mais qui doit lui être liée. L’indépendance est en effet un moyen, celui de l’impartialité, et non une fin. Comprise comme fin en soi par les juges, elle serait une source d’arbitraire, un privilège reconnu à ses bénéficiaires pour leur seul profit.

L’impartialité de la Justice est au contraire un droit pour le justiciable (l’article 6 de la Convention européenne des sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales évoquant le “droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial”). Elle est en pratique une forme d’expression de l’indépendance qu’elle présuppose, l’indépendance étant ici celle du juge, non de l’institution, celle de l’esprit des textes plus que celle des textes eux-mêmes.

L’indépendance de la Justice recèle également l’idée d’efficacité de la Justice, sous-jacente, voire explicite (cf. Recommandation n̊ R(94)12 du Comité des ministres aux Etats membres sur l’indépendance, l’efficacité et le rôle des juges, 13 octobre 1994). L’indépendance de la Justice est en effet source de confiance des justiciables dans son office et dans les juges, ce qui revêt l’aspect d’une nécessité non seulement sociale, mais également économique dans la mesure où elle est aussi une composante de la sécurité des transactions.

Des éléments entrant dans le cadre d’une définition, sans doute introuvable, de l’indépendance ont d’ores et déjà été avancés : l’absence d’instruction ou d’influence comme moyens d’éviter l’application du droit ; la prise de décision ne relevant que la loi et de la conscience du juge sans considération de personne ni d’intérêt.

L’indépendance, institutionnelle ou personnelle, est omniprésente dans la vie juridictionnelle, qu’il s’agisse de la séparation des pouvoirs et, au sein de la Justice, des fonctions, des conditions du recrutement, de la carrière et des garanties procédurales, étant entendu que le ministère public fait partie du sujet (La recommandation 2000/19 du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe - "Rôle du ministère public dans le système de justice pénale", 6 octobre 2000 - détaille des garanties statutaires qui ne sont pas sans rappeler celles traditionnellement accordées aux juges du siège).

En tant qu’ils garantissent l’indépendance, tous ces aspects devront donc être traités pour identifier les atteintes à l’indépendance et leurs causes. L’effectivité de l’indépendance procède en effet d’une approche pragmatique qui suppose évoquée la volonté de l’indépendance, volonté politique, volonté des juges, au-delà des textes.

II - Les obstacles à l’indépendance de la Justice :

L’indépendance de la Justice peut être malmenée du fait même de l’existence, de la promotion ou de la subsistance d’institutions non judiciaires remplissant le service public de la justice. Ainsi observe-t-on, dans les pays où existe une tradition de tribunaux coutumiers une tendance à leur organisation par loi sur le modèle de la Justice étatique (instauration d’un double degré de juridiction) et à une subsidiarité par rapport aux tribunaux de l’Etat (renvoi possible devant la juridiction étatique, mission de simple conciliation). L’accent est alors mis sur le lien entre indépendance de la justice et professionnalisation des juges lorsqu’existe une tradition de juges non professionnels. L’exemple de la Justice de paix en France, abrogée en 1958, peut être sollicité sur le plan historique, étant précisé qu’aujourd’hui, tant les tribunaux de commerce que les conseils de prud’hommes jouissent d’une acceptation de leur office par la société civile, les seconds étant de création nettement plus récente que les premiers.

L’indépendance de la Justice apparaît moins comme une donnée que comme une conquête (de l’autorité judiciaire au pouvoir judiciaire). Il est sans doute difficile de parvenir à une typologie exhaustive des chemins qui ont mené des systèmes politiques ou des Etats vers l’indépendance de leur Justice mais on peut néanmoins penser à la tradition ou, à l’inverse, à la transposition d’un modèle étranger. La conquête se faisant nécessairement sur les autres pouvoirs, les premières menaces qui pèsent sur l’indépendance de la Justice sont celle de l’immixtion du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires ou son abstention à faire exécuter les décisions de justice. Ainsi les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature du Haut commissariat aux droits de l’homme précisent-ils (paragraphe 4) que le pouvoir exécutif ne peut pas réviser une décision judiciaire, son rôle étant cantonné à l’exécution de celle-ci. On a pu également d’ores et déjà relever que, tant en matière pénale qu’en matière civile, l’exécution ne relèvait pas d’une compétence d’attribution spécifique d’un juge, qu’il s’agisse de l’application des peines ou de l’exécution en matière civile.

Les atteintes portées par le pouvoir législatif résultent de la qualité de la loi, hypothèse qui trouve un point extrême dans la loi scélérate.

L’indépendance étant une notion par nature réciproque, il y a peut-être lieu d’envisager les moyens par lesquels le politique est protégé contre tout ingérence de la Justice.

La pression politique, forme la plus commune, voire la plus grossière, d’obstacle à l’indépendance de la Justice peut prendre des formes diverses. On peut imaginer qu’un pouvoir politique contrôle l’ensemble des activités juridictionnelles, soit directement en lui imposant ses décisions, soit indirectement en sélectionnant les juges sur des critères politiques. On peut également imaginer que le pouvoir politique laisse la justice fonctionner de manière indépendante, sauf quand il est lui-même justiciable. On peut imaginer encore que le mode de recrutement des juges porte en lui-même un danger de politisation, s’agissant par exemple du système électif, sauf lorsqu’il est de pure forme (exemple suisse).

On peut d’ailleurs noter que des textes font référence au manque d’indépendance de la magistrature (Comité des droits de l’homme - 86è session - examen du troisième rapport périodique de la République démocratique du Congo - Position des ONG sur la liste des points à traiter adoptée par le Comité des droits de l’homme lors de sa 85è session, mars 2006, point 6).

La pression financière est également protéiforme, quoiqu’elle reste en dernière analyse une forme de corruption. Cette pression sur les individus est distincte de la pression sur l’institution. Il faut rappeler à cet égard que les textes internationaux imposent aux Etats de veiller à ce que les moyens budgétaires qu’ils allouent à la justice permettent à celle-ci de remplir son office (“devoir de fournir les ressources nécessaires pour que la magistrature puisse s’acquitter normalement de ses fonctions” : in Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, Haut commissariat aux droits de l’homme, adoptés lors du 7è congrès des nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants de 1985, paragraphe 7). La part du budget de l’Etat allouée au fonctionnement de la Justice apparaît donc une question primordiale, tant en ce qui concerne le quantum que l’évolution.

Le double visage de la pression sociale suit la distinction entre l’indépendance institutionnelle de la Justice et l’indépendance personnelle des juges. Dans le premier cas, on songe au lien entre la Justice et les médias, que le rôle de ces dernier soit craint ou recherché ; dans le second, on peut évoquer l’environnement immédiat du juge, qui reste un homme “situé”. On peut néanmoins choisir de ne pas évoquer la question de l’environnement personnel (famille, amis) pour lesquels des solutions procédurales existent (abstention de juger, récusation) et restreindre le problème aux formes plus ou moins élaborées de connivences ou de réseaux.

A la frontière entre les obstacles à l’indépendance et les conditions de celles-ci se trouvent les règles concernant les incompatibilités ou l’encadrement de compatibilités. L’association a retenu deux hypothèses pratiques : celle du juge devant avocat et celle du juge amené à exercer un mandat politique.

III - Les conditions de l’indépendance de la Justice :

Conséquences d’une approche de l’indépendance par les atteintes à celle-ci, les conditions de l’indépendance des juges sont d’abord le fait de protections. Les garanties, d’ordre statutaire, s’agissant du corps (l’inamovibilité étant la plus répandue), ou individuelles s’agissant de la mise en cause d’un juge, générales ou procédurales, ont pour contrepartie l’existence et l’exigence de règles, déontologiques mais pas seulement, dont la sanction est assurée par la responsabilité des juges et le régime disciplinaire, lui-même organisé autour de garanties. De manière générale, il y a une corrélation, dans laquelle il est tentant de voir une cause, entre l’indépendance de la justice et l’instauration du multipartisme ou l’émergence du syndicalisme.

Au premier rang des protections statutaires figure le niveau hiérarchique des règles organisant la Justice et le statut de la magistraure (Constitution, loi organique). Le fait même d’organiser un “corps” protège le juge, la société devant être dans le même temps protégée contre le corporatisme. A cet égard, le fonctionnement concret des Conseils supérieurs de la magistrature et conseils de justice peut être riche d’enseignements (cf. rapport du groupe de travail “Mission, vision, rules and other relevant matters of the Concils" du Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ-ENCJ), Barcelone 2-3 juin 2005). La règle théorique selon laquelle le Chef de l’Etat garantit l’indépendance de la magistrature autorise en effet toutes les pratiques.

Se pose alors la question spécifique du statut du Parquet. L’indépendance de la Justice est-elle moindre en raison de la hiérarchisation sous l’autorité du ministre de la Justice si la règle de la liberté de parole à l’audience est pratiquée ? L’indépendance de la Justice pénale est-elle mieux garantie par l’institution du juge d’instruction ?

La transparence et la publicité ont été proposées comme facteur de promotion de l’indépendance. La publicité ne concerne pas seulement les débats et le prononcé de la décision mais également les extensions postérieures au prononcé telle que la publication possible du jugement, sur décision du juge, dans la presse.

En dernier lieu, le rôle et l’influence de l’internationalisation de la Justice (Cour internationale de Justice, Juridictions pénales internationales, ...) ou de sa régionalisation (OHADA, Cour européenne des droits de l’homme, ...) dans l’indépendance des juges nationaux doivent être discutés. Techniquement en effet, cette influence est nulle mais l’autorité morale de ces juridictions sont susceptibles de donner aux juges nationaux une garantie non écrite supplémentaire par l’intérêt qu’elle manifestent pour la cause de l’indépendance de la Justice. Mais s’il vient à l’esprit l’indépendance à l’égard du politique, se pose aussi en droit substantiel la question de l’indépendance possible du juge à l’égard de son droit national, en raison des mécanismes de supranationalité.

Les garanties personnelles, quant à elles, en ce qu’elles concernent le déroulement de la carrière, les nominations, les promotions, les affectations mais aussi la discipline, la rémunération, s’apprécient à l’évidence non pas seulement à l’aune des textes mais de la pratique. A titre d’exemple s’agissant de l’avancement, on ne peut exclure, mais on peut dévoyer, des critères de promotion au mérite.

La formation et l’intériorisation de la déontologie sont évoquées en lien avec la question de la responsabilité des magistrats. La faute commise par le juge dans l’exercice de ses fonctions peut faire l’objet d’une responsabilité personnelle ou d’une responsabilité de l’Etat piur dysfonctionnement du service public de la Justice, avec ou sans action récursoire dans les faits, mais la question de la responsabilité du fait de la décision semble exclue. C’est par ailleurs l’objet même des garanties procédurales pratiquées dans ce cadre qui peuvent permettre d’éviter que la procédure disciplinaire ne devienne instrument d’épuration.

Ne doivent pas être négligées les conséquences indirectes de garanties procédurales. La règle, visée au paragraphe 3 des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature du Haut commissariat aux droits de l’homme illustre cet aspect en prévoyant que, dans le cadre de sa compétence légale, le juge est seul apte à décider si une affaire relève de sa compétence.

L’ultime intérêt des progrès de l’indépendance véritable de la Justice est sans doute l’amélioration de son image dans l’opinion publique. De manière quasi-unanime, celle-ci est en effet décrite comme très dégradée, ce qui apparaît difficilement supportable à l’homme de bien de la part d’une institution qui prend le même nom que la vertu qu’elle peine à incarner.

 
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