Renforcer l'entraide, la coopération
et la solidarité entre les institutions judiciaires

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L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.

Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.

PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.

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TRAVAUX DU COLLOQUE de Dakar

 


La justice dans l’État
Président de Séance : Papa Oumar Sakho
Premier Président de la Cour suprême du Sénégal

Rapporteur : Fabrice Hourquebie
Professeur de Droit public à l’Université de Bordeaux IV, France
Directeur de l’école doctorale de droit
Secrétaire Général de l’Association française
de droit constitutionnel (AFDC)

Clé de voûte de l’Etat de droit, la justice se présente comme le socle fondamental des démocraties (démocraties dites politiques, au sens d’Aristote ou démocraties constitutionnelles dans une acception plus moderne). La primauté du droit, la proclamation et la protection des droits fondamentaux, l’adhésion aux valeurs du pluralisme étant assurés dans leur principe, une des tâches prioritaires qui s’impose alors aux Etats est celle d’instituer des mécanismes juridictionnels, spécifiques et efficients, de protection de l’Etat de droit et de garantie à la mise en œuvre des principes qui le sous-tendent.
C’est pourquoi, il est nécessaire de penser la justice non plus comme une puissance nulle (« La puissance de juger est nulle » écrivait Montesquieu dans l’Esprit des lois), c’est-à-dire un pouvoir à la périphérie du système politique, mais comme bien comme un arbitre au cœur du système. Le pouvoir tiers doit devenir aujourd’hui un « tiers-pouvoir » (pour emprunter cette expression à Denis Salas).
La doctrine, et parfois les constituants, peuvent ainsi répugner en Francophonie à qualifier la justice de véritable pouvoir constitutionnel (pouvoir judiciaire ou pouvoir juridictionnel). Les décalages entre le statut théorique affiché– tel que figurant dans les constitutions – et la réalité empirique – c’est-à-dire l’office du juge dans les faits -, sont fréquents et témoignent de cette volonté de placer la justice « sous surveillance ». Surveillance de l’exécutif tantôt ; surveillance du législatif aussi.
Or, la recherche du « gouvernement modéré » cher à Montesquieu ne peut se passer d’une réflexion sur le rééquilibrage des pouvoirs dans l’Etat, et particulièrement d’un questionnement sur la place de la justice dans le jeu des pouvoirs. Car un régime politique ne peut être équilibré que s’il repose sur une articulation de pouvoirs et contre-pouvoirs (les fameuses « checks and balances ») dont la justice est, structurellement et fonctionnellement, l’incarnation. Régulateur par essence et modérateur par excellence, le pouvoir juridictionnel n’est certainement plus le troisième pouvoir mais plus surement le premier des pouvoirs dans l’Etat. Preuve en est, la permanence de la justice – et de l’idée de justice -, à tous les instants des différentes séquences constitutionnelles qui marquent la vie d’un Etat.
Ainsi, la justice est essentielle en cas de déstabilisation de l’Etat (I) ; au moment de la reconstruction de l’Etat (II) ; ou encore lors de la consolidation de ce dernier (III).

1. La justice et la déstabilisation de l’Etat
Les facteurs de déstabilisation sont nombreux. J’ai choisi ici de l’illustrer par un angle spécifique, qui concerne particulièrement la sous région et qui mobilise les institutions et mécanismes francophones : la lutte contre la criminalité transnationale organisée et notamment le terrorisme.

Depuis plusieurs années, l’Afrique de l’ouest est la cible d’intenses et violentes activités liées à la criminalité et aux trafics en tous genres, et donc particulièrement, au terrorisme. Cette criminalité dépasse les frontières, tant au stade de la préparation de l’infraction qu’au stade de sa commission. Le caractère transversal et transnational du terrorisme appelle donc une réponse concertée et intégrée afin que les criminels n’aient plus « ce temps d’avance » sur les autorités politiques et judiciaires. Car la lutte contre le crime s’inscrit bien dans une stratégie globale, celle de la lutte contre l’impunité.

Une solide stratégie de lutte contre le terrorisme suppose donc d’œuvrer à une culture du dialogue et de la coopération internationale. Or cette coopération internationale repose sur la bonne compréhension des outils, la bonne connaissance des mécanismes existants et l’acquisition des réflexes sur leur utilisation par les différents acteurs.

Les mécanismes d’entraide judiciaire (procédure de coopération et d’assistance mutuelle en matière pénale) et d’extradition (procédure de caractère international, par laquelle un « État requérant » demande à un « État requis » de lui livrer un l’individu, soit pour le juger, soit pour lui faire subir une peine) sont au cœur de cette stratégie intégrée.

Un certain nombre de défis contribuent à rendre difficile la mise en œuvre de ces instruments, particulièrement dans la sous-région :
-  la coexistence des traditions judiciaires différentes en Afrique de l’ouest et les conséquences sur le plan de l’interprétation judiciaire des conventions ;
-  l’apparition de nouvelles formes de terrorisme ce mal saisies par les conventions qui font que ces conventions sont en déphasage avec la réalité du terrain ;
-  corollaire : mutation des formes classiques de criminalité en CTO : la préparation et la planification du crime a lieu dans certains Etats ; l’exécution et la commission de l’infraction dans plusieurs autres

Tous ces défis se double d’un risque qui n’est pas tant celui du vide juridique ou de l’insuffisance des instruments régionaux et sous régionaux mais plutôt celui de leur connaissance et de la nécessaire articulation des différentes règles de droit applicables.

C’est monsieur Jean-Philippe Morange, conseiller à la Direction exécutive du contre-terrorisme du Conseil de sécurité des Nations-unies, représentant M. Laborde, Directeur de l’office, qui abordera cette question en rappelant ce que fait la division en matière de lutte contre le terrorisme ;en expliquant ce que doit recouvrir la coopération judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme ; et en ciblant le plan d’action présenté à l’occasion de la réunion entre la DECT et les ambassadeurs francophones, le 15 septembre 2014. Ce plan d’action couvre notamment 1) le développement d’actions d’appuis et de soutien aux cours suprêmes ; 2) une action ciblée concernant la ratification de la Convention d’entraide judiciaire et d’extradition contre le terrorisme adoptée le 16 mais 2008, a Rabat, a l’issue de la 5e conférence des Ministres de la Justice des pays francophones d’Afrique ; 3) le développement du rôle et de la réactivité de la DECT en faveur des pays francophones d’Afrique confrontes au terrorisme ; 4) enfin ce plan prévoit un accroissement des réunions sur le terrorisme avec les représentants des pays francophones en matière de terrorisme.

L’objectif essentiel étant de développer encore davantage la compréhension et la culture communes des pays francophones (notamment la culture juridique), y compris d’Afrique, en matière de lutte contre le terrorisme.

2. La justice et la reconstruction de l’Etat (de droit)

Plusieurs pays de l’espace africain francophone (mais pas seulement) connaissent depuis quelques années une intensification des ruptures d’ordre constitutionnel et des régressions démocratiques, accompagnées parfois de violations des droits de l’homme telles que des exactions massives, des déplacements de populations, des disparitions forcées… Ces périodes de crises, qui ne se traduisent pas toujours par un changement d’ordre constitutionnel, engendrent non seulement la déstabilisation politique mais aussi un éclatement du tissu social et une remise en cause profonde du lien national. Elles laissent alors un espace vacant pour instituer un certain nombre de processus d’accompagnement de la crise et d’orientation vers la sortie de crise, ces processus étant regroupés sous le label général de justice transitionnelle et sous le label spécifique de processus de transition, justice, vérité et réconciliation en Francophonie.
La définition et le contenu de la justice transitionnelle font débat, tant les réalités couvertes sont diverses et les dispositifs mis en place variés. Toutefois, et pour reprendre la définition du Secrétaire général des Nations Unies, il est possible de s’accorder sur le fait que la justice transitionnelle renvoie à « l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».
Ces mécanismes de TJVR sont régis par l’exigence de contextualisation, en sachant s’adapter au pays dans lequel ils sont déployés (au regard de son histoire, de sa trajectoire constitutionnelle, du fait générateur du conflit, de la nature du conflit, de la qualité des acteurs en présence…). Ils s’ordonnent toujours généralement autour de quatre grands « piliers » mis en évidence par Louis Joinet (1997), piliers qui s’articulent sur les standards du droit international public et du droit constitutionnel ; qui coïncident avec les obligations générales que ce dernier met à la charge des États lorsque surviennent des violations graves des droits de l’Homme ; et qui correspondent à autant de droits publics subjectifs dont les victimes sont les titulaires :

-  Le droit à la justice. Pour traduire les auteurs des exactions, le choix de la juridiction compétente est stratégique. Il peut s’agir d’une juridiction internationale permanente, telle que la CPI ; un tribunal international ad hoc comme le Tribunal pénal international pour le Rwanda ; une juridiction hybride ou internationalisée, comme le tribunal au Cambodge ; ou encore une juridiction nationale. Plus largement le recours à des processus extra judiciaires peut-être envisagé, le tout, et toujours, dans une logique de complémentarité et d’articulation avec les mécanismes juridictionnels ;

-  Le droit à la vérité. La recherche de la vérité passe souvent par les investigations des Commissions vérité et réconciliation qui recueillent les informations, les témoignages, établissent des rapports et formulent des recommandations ;

-  Le droit à réparation
. L’obligation de réparer se traduit par une réparation multiforme (indemnisation matérielle, financière, restitution des biens, mesures de réhabilitation, mesures symboliques de mémoire…) ;

-  Le droit à la réforme ou les garanties de non-répétition.
L’Etat doit procéder à des réformes institutionnelles notamment en matière de systèmes de sécurité (RSS) et de justice – afin de permettre la reconstruction progressive d’un Etat de droit.

La mobilisation des mécanismes de TJVR doit donc permettre de lutter contre l’impunité en conciliant le besoin de justice avec la construction d’un processus de la paix ; la recherche de la vérité avec la quête du pardon ; l’établissement des responsabilités avec l’octroi de réparations ; la démarche de réconciliation avec la participation au dialogue national.
C’est sur la difficile conciliation de ces paradoxes que reviendra Michel Carrié, spécialiste de programmes à l’OIF, en montrant la place de la justice, ses besoins, ses défis en période de crise, de sortie de crise et de rétablissement de l’État de droit. En période de crise la justice passe malheureusement au second plan parce qu’elle ne peut fonctionner sans un ordre public minimal et qu’elle est un pouvoir qui n’est pas en mesure d’être un acteur du retour à l’ordre. Tout l’enjeu est, en revanche de remettre la justice en état de fonctionner effectivement le plus rapidement possible en situation de post crise ou/et de sortie de crise. C’est d’ailleurs là que se situe le (faux !?) débat « paix contre justice », « justice contre réconciliation » qui implique la mise en place de processus TJVR sincères et des autorités politiques qui jouent le jeu. Avec enfin, les défis de la reconstruction de la justice dans la confiance et avec l’aval et la participation de la société civile.

3. La justice et la consolidation de l’Etat (de droit)

Placée sous les feux de l’Etat de droit, l’indépendance prend une autre dimension : il ne saurait y avoir d’Etat de droit sans garantie constitutionnelle de l’indépendance du pouvoir judiciaire, telle qu’elle découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

L’indépendance serait donc une conséquence directe d’une interprétation stricte du principe de séparation des pouvoirs et un corollaire nécessaire à la protection judiciaire des droits. Sans indépendance en tous cas, point d’existence du pouvoir judiciaire. Toutes les institutions qui composent le pouvoir juridictionnel, aussi bien dans ses branches ordinaires que dans sa branche constitutionnelle, cherchent donc à consolider cette indépendance, personnelle et organique, tant elle est au fondement de l’office du juge.

Il est alors aisé de brandir cette formule slogan selon laquelle dans un Etat de droit, le juge doit être indépendant. Pourtant l’indépendance recouvre une réalité complexe. Et si l’habitude est prise de s’interroger sur les moyens de l’indépendance, il ne faut pas oublier de se questionner, en amont, sur « qui » garantit l’indépendance et, en aval, sur « qui » véhicule les risques d’atteinte à l’indépendance.

C’est dire si l’indépendance de la justice est non seulement en enjeu pour la coopération francophone, mais aussi un défi.

En témoignent à cet égard la succession des Conférences des ministres francophones de la justice (depuis la première réunie à Paris en septembre 1980, jusqu’à la quatrième, à Paris de nouveau en février 2008, et le corpus juridique francophone de référence qui rappelle l’exigence d’indépendance et la nécessité de protéger ce principe (v. pour les textes les plus récents la Déclaration du Caire, 30 oct.-1er nov. 1995 , la Déclaration de Bamako sur la démocratie, les droits et les libertés du 3 novembre 2000 ou encore la Déclaration de Paris du 14 février 2008 )

Ces réflexions sont aussi au cœur des préoccupations de l’action francophone, tant à l’initiative de l’Organisation internationale de la Francophonie notamment attachée à formuler un certain nombre de préconisations dans ses Rapports successifs sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone ; qu’à l’initiative des Réseaux institutionnels (comme l’Association des hautes juridictions de cassation des pays en ayant en partage l’usage du français (AHJUCAF), l’Association africaine des hautes juridictions francophones (AA-HJF) ou encore l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF)).

Le sacre de l’indépendance va bien souvent de pair avec le sacre de la constitution. C’est un des défis du constitutionnalisme post année quatre-vingt-dix dans l’espace francophone que de mettre en place les mécanismes de protection du principe d’indépendance des juges et du pouvoir judiciaire ou juridictionnel.

Toutefois un certain nombre de questions peuvent se poser : quels textes (et accessoirement quels juges) consacrent ce principe ? A quel niveau ? La constitution est-elle un rempart protecteur suffisant ? Est-ce que le degré de protection de l’indépendance dépend du positionnement du texte qui la consacre dans la hiérarchie des normes ? Autrement dit, on peut légitimement se demander si le principe d’indépendance et ses garanties corollaires sont véritablement matière à constitutionnalisation. Car plus qu’un principe trop souvent désincarné, l’indépendance est peut-être surtout un devoir, un état d’esprit, une éthique du juge. Et là, point de constitution qui ne puisse la garantir.

Le principe d’indépendance de la justice est aussi le principe de fonctionnement qui connaît certainement le plus d’atteintes en dépit, justement, de la protection constitutionnelle et des protections périphériques dont il bénéficie. Il semblerait même que s’impose une sorte de règle immuable qui tend à ce que les atteintes s’intensifient à mesure que la protection du principe se renforce. Les menaces qui pèsent sur l’indépendance ont pour objectif non seulement de remettre en cause le statut du juge mais aussi de contester son office.

L’indépendance exige ainsi, en tout premier lieu, que le recrutement du juge, le déroulement de sa carrière et les éventuelles sanctions disciplinaires qu’il encourt soient soustraits à toute ingérence politique substantielle. Bien sûr les termes du débat sont différents selon que l’on est confronté à une magistrature de carrière (la plupart des pays francophones), à une magistrature issue des rangs de praticiens expérimentés (Canada) ou à une magistrature élue (Suisse). Mais dans la plupart des cas, une des meilleurs garanties résidera dans l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature (ou institution équivalente), organe de garantie de l’indépendance (hypothèse basse) ou organe de gouvernement du pouvoir judiciaire (hypothèse haute).

En second lieu, les atteintes peuvent concerner l’inamovibilité. Cette garantie signifie non seulement qu’un magistrat ne peut être muté ou déplacé sans son consentement ; mais aussi que pendant toute la durée de son mandat, ou jusqu’au moment où il atteint l’âge de la retraite, un magistrat ne peut être démis de ses fonctions, sauf en raison de manquements aux devoirs qui se rattachent à cette dernière. L’inamovibilité protège donc le magistrat de tout changement non consenti dans la carrière en dehors des obligations prévues par la loi

En dernier lieu, les atteintes peuvent prendre la forme d’une contestation, souvent vive, des décisions juridictionnelles. C’est l’autonomie du juge dans sa prise de décision qui est menacée ; et plus généralement, son office, c’est-à-dire l’essence même de sa mission, qui est déstabilisé. Ces atteintes sont bien souvent dirigées contre les Cours suprêmes, parties visibles de la pyramide juridictionnelle, et particulièrement contre les Cours constitutionnelles. Elles prennent la forme de critiques publiques à l’encontre de l’institution judiciaire. Cette nette accentuation des critiques publiques à l’endroit des décisions des Cours doit interpeler. Non que le principe même de la critique ne soit pas acceptable car il est une expression du pluralisme en démocratie ; et d’ailleurs de telles critiques n’émeuvent pas les juges des Cours suprêmes quand ils les constatent dans la presse. L’autorité judiciaire gagne à se nourrir des échanges avec les autorités publiques et la société civile. Pour autant, la critique à des fins strictement politiques, de façon non justifiée, à l’égard des décisions des hautes juridictions ne peut s’exercer quand elle excède les limites fixées par le droit et qu’elle confine aux propos diffamatoires. La principale cause de cette dérive réside dans les dysfonctionnements de la gouvernance démocratique avec des exécutifs qui ne facilitent pas le plein exercice du jeu de l’Etat de droit

C’est mon collègue le professeur Baba Berthe, de l’Université de Bamako, qui déclinera cette problématique sur la construction de l’indépendance de la justice dans le contexte malien. Il reviendra à la fois sur les aspects organiques et fonctionnels. A travers une démarche historique, il démontera comment la justice a été instrumentalisée sous la 1ère République et comment elle a entamé son émancipation à la fin des années 1980 pour atteindre aujourd’hui un degré d’indépendance diversement apprécié.

Je voudrai conclure, comme j’ai commencé, en citant une phrase de Montesquieu qui me semble parfaitement résumer les enjeux de notre atelier et, plus largement de ce congrès :
« Le moyen d’acquérir la justice parfaite, c’est de s’en faire une telle habitude qu’on l’observe dans les plus petites choses, et qu’on y plie jusqu’à sa manière de penser ».
Je vous remercie.

M. Jean-Philippe MORANGE,
Conseiller juridique de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité de l’ONU

Mesdames, Messieurs les Premiers Présidents de Cour de Cassation et de Cour Suprême, Permettez-moi en premier lieu et au nom de notre Directeur Exécutif, Mr Jean-Paul Laborde de remercier l’Association des Hautes juridictions de cassation des pays ayant en partage l’usage du français pour son invitation, les autorités sénégalaises pour avoir bien voulu accueillir ce colloque Justice et Etat de droit ainsi que l’Organisation internationale de la Francophonie, étroitement associée à cet évènement.
Mr Laborde connait bien cette thématique puisqu’il a, comme vous le savez certainement, officié au sein de la Cour de cassation française. Il a aussi travaillé ici, au Sénégal et plus largement au sein de l’Afrique francophone, étant, en particulier, l’un des initiateurs de la mise sur pied de la Convention d’entraide judiciaire et d’extradition contre le terrorisme, adoptée le 16 mai 2008 à Rabat, à l’issue de la 5e conférence des Ministres de la Justice des pays francophones d’Afrique. C’est donc à plus d’un titre que nous sommes heureux d’être associés à vos travaux.
Notre intervention se propose de brièvement vous exposer l’action générale du Comité contre le terrorisme du Conseil de Sécurité et de sa Direction exécutive en matière de lutte contre le terrorisme avant de mettre l’accent sur le plan d’action présenté par Mr Laborde, notre Directeur exécutif, devant les ambassadeurs des pays francophones, lors d’une réunion tenue le 15 septembre dernier, au siège de la représentation de l’OIF auprès des Nations Unies.
• La lutte contre le terrorisme et l’action du CTC et de sa DECT.
La résolution 1373 (2001) du Conseil de Sécurité demande aux États de mettre en place toute une série de mesures juridiques et administratives afin de lutter contre le terrorisme. Evidemment, sans un encadrement juridique précis et adapté, il est difficile pour les structures d’application de la loi de lutter efficacement contre le terrorisme, de mener des enquêtes et de coopérer au niveau international. Les États membres doivent donc disposer des outils performants tant en termes de personnels formés qu’en matière d’équipement mais aussi et surtout du cadre juridique pertinent afin de lutter efficacement contre ces crimes et de donner pleinement effet à leurs engagements internationaux.
Certes, chaque pays a développé son approche, ses techniques et ses méthodes pour prévenir et combattre ces actes criminels. Il apparait cependant, que plusieurs approches ont été menées sur la base d’une culture commune. Ainsi, la conception qui a été développée au sein d’une grande majorité des Etats ayant le Français en partage met l’accent non pas sur des mesures exceptionnelles pour lutter contre le terrorisme mais plutôt sur des mesures spécialisées mises en œuvre par des fonctionnaires spécialisés, dans le respect des procédures et lois en vigueur. Que l’on évoque les services centraux de lutte contre le terrorisme, dans le domaine de la police judiciaire, ou les pôles spécialisés de juges et magistrats en matière de lutte contre le terrorisme, on retrouve ici un trait fort de l’approche juridique des pays de la Francophonie en matière de lutte contre le terrorisme. La réunion de ce jour offre indéniablement une occasion d’échanger entre pays ayant le français en partage et contribue directement à soutenir le développement d’une stratégie commune sur laquelle j’aurai le plaisir de revenir plus tard.
La lutte contre le terrorisme au sein du système des Nations Unies repose donc sur la définition d’un cadre juridique fort et sur la mise en œuvre, par les Etats membres, de dispositions légales au sein de corpus juridiques nationaux cohérents et complets. En outre, il faut noter que la gestion d’enquêtes complexes et d’infractions transnationales comportent de nombreux défis pour un grand nombre de justices nationales encore imparfaites.
La prééminence d’une approche fondée sur l’Etat de droit confère ainsi aux instances judiciaires des Etats membres un rôle central dans la lutte contre le terrorisme. Les magistrats sont d’ailleurs très souvent impliqués dans nos séminaires et conférences. Ce n’est pas un hasard si nous développons ces activités car sans une forte coopération internationale du point de vue de la justice pénale, il est impossible de lutter efficacement contre le terrorisme. La Direction exécutive contre le terrorisme et l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) œuvrent donc de concert pour promouvoir les différentes modalités de coopération internationale en matière pénale, dans les domaines relatifs à l’extradition et à l’entraide judiciaire. Mr Laborde a d’ailleurs eu le privilège de diriger le Bureau de la Prévention du Terrorisme de l’ONUDC et maintenant la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme du Conseil de Sécurité. Que l’on évoque la Plate-forme Sahel des magistrats ou nos ateliers « magistrats-policiers », l’action des Nations Unies s’efforce de promouvoir cette approche et de réunir les deux tenants de cette lutte, l’action policière et le pouvoir judiciaire.
L’expérience de la DECT, acquise notamment à travers son dialogue avec les Etats membres dont les visites sur site représentent un outil privilégié d’évaluation de leurs capacités et de leurs besoins, démontre sans aucun doute la nécessité de développer les capacités d’anticipation et de prévention, en premier lieu à travers le renseignement, mais aussi de renforcer la coopération judiciaire en matière de lutte contre le terrorisme. Le Comité et sa DECT s’y emploient à travers toute une série d’initiatives. Je n’en citerai qu’une, à titre d’exemple et si vous le voulez bien, qui correspond particulièrement à nos débats : elle concerne l’action spécifique menée au profit des pays francophones membres de l’OIF.
• Plan d’action et de suivi présenté par Jean-Paul Laborde à l’occasion de la réunion tenue dans les locaux de l’Organisation internationale de la Francophonie, New York, le 15 septembre 2014, et en présence des représentants des pays francophones.
• Action d’appuis et de soutien aux cours suprêmes ;
Les pays ayant le français en partage ont très fréquemment une même approche, un langage commun et des procédures compatibles. Cela confère un grand avantage en matière de lutte contre le terrorisme car la coopération judiciaire a besoin de ces outils. Cela permet également, au-delà de l’utilisation même des définitions juridiques des actes de terrorisme, de réfléchir à la notion même de terrorisme. Ce socle commun, que renforcent les conventions internationales, légitime indéniablement l’approche juridique de la lutte contre le terrorisme. Cette approche précise a démontré toute son utilité et toute son efficacité. Il conviendra de voir comment cette approche permettrait de dépasser les blocages que l’on connait actuellement en matière de définition du terrorisme, essentiellement en raison de considérations autres.

Ce travail de consultation, de partage et d’échange doit mettre au premier plan les Premiers Présidents de Cours de cassation et de Cours Suprêmes de votre organisation. Ces hautes juridictions sont autant de gages de réussite et de sérieux dans ce travail difficile. De manière concrète, il importera de développer, au sein de l’AHJUCAF, des réunions des Premiers Présidents de Cour de cassation et des Présidents de Cours suprêmes de votre organisation afin de soutenir au mieux dans leur travail les juges chargés de ces dossiers mais aussi de renforcer l’approche et le débat juridiques en matière de prévention et de lutte contre le terrorisme mais aussi la coopération entre les praticiens.

A cet égard, je souhaite ici mentionner le projet développé conjointement par la DECT et la Cour de Cassation de Paris sur les actions de coopération en matière de lutte contre le terrorisme avec les Cours suprêmes des Etats du Sahel. Ce projet devrait dégager une synergie entre juridictions suprêmes confrontées à la lutte contre le terrorisme mais aussi offrir un forum d’échange d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques en matières de dispositions nationales, de conventions internationales et de résolutions du Conseil de sécurité dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. La DECT soutiendra très fermement de telles initiatives et recherchera les soutiens nécessaires à leur mise en œuvre, y compris à travers son travail de facilitation de la fourniture d’assistance technique.

• Le second axe de ce plan d’action de la DECT concerne la mise en place d’une Action ciblée concernant la ratification de la Convention d’entraide judiciaire et d’extradition contre le terrorisme, adoptée le 16 mai 2008, à Rabat, a l’issue de la 5e conférence des Ministres de la Justice des pays francophones d’Afrique :

Cette Convention dite de Rabat compte 17 signatures sur 29 pays concernés. Trois pays ont formellement ratifié la convention mais il semble que d’autres pays doivent juste déposer leurs instruments. La DECT s’assurera que toute l’information nécessaire soit partagée et que les Etats concernés signent et ratifient cette importante convention. 10 ratifications sont nécessaires pour qu’elle entre en vigueur. Cette convention constitue indéniablement un outil particulier et spécifique au bénéfice des Etats francophones d’Afrique. Il importe donc que cette convention soit mise en œuvre dans les plus brefs délais.

• Développer le rôle et la réactivité du Comité et de sa DECT, notamment en faveur des pays francophones confrontés au terrorisme :

Cette action a pour objectif d’agir en faveur des Etats les plus touchés, notamment dans le Sahel. Elle revêt une multitude de formes mais on citera principalement les missions d’évaluations des capacités et des besoins des Etats en matière de lutte contre le terrorisme, y compris au sujet de la récente résolution 2178 (2014) adoptée par le Conseil concernant les combattants terroristes étrangers. Cela peut également inclure des visites de haut niveau et notamment celle que notre Présidente mènera conjointement avec notre Directeur au Sahel, début de 2015, au Niger, en Mauritanie et au Mali. Cette visite politique de soutien au Etats du sahel confrontés à la question du terrorisme donnera lieu à un compte rendu présenté au comité mais aussi à une série d’actions de suivi quant aux évolutions constatées dans un délai de 8 à 9 mois.

Pour finir, ce plan d’action prévoit de Promouvoir des réunions plus fréquentes sur le terrorisme avec les Représentants permanents des pays francophones à New York et dans les régions. Ces dernières peuvent être de suivi, à but général ou ciblée (exemple visite Sahel ou Stratégie de lutte contre le terrorisme en Afrique centrale). Il peut également s’agir de réunions thématiques, on citera par exemple la récente adoption de la résolution 2178 (2014) sur les combattants étrangers et les actions à venir.

En procédant de la sorte, la DECT contribue à renforcer la coopération internationale contre le terrorisme, en partenariat avec des organisations internationales et régionales et notamment l’OIF dont les ressources et les actions ont un grand rôle à jouer dans ce domaine. Cette coopération doit également permettre de soutenir le travail et de renforcer l’action des Hautes juridictions de cassation et des Cours Suprêmes, y compris dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, et de donner un sens fort au thème de la Justice dans l’Etat. Mesdames, Messieurs les Premiers Présidents, je vous remercie de votre attention.

M. Baba BERTHE,
Professeur à la Faculté de droit public de Bamako

La justice ne serait-elle pas devenue une de ces merveilles du monde ? Même si l’UNESCO, ne l’a pas encore consacré formellement, l’on est tenté de répondre par l’affirmative au regard de la fascination discrète qu’elle exerce individuellement et collectivement sur les hommes.
La réflexion à laquelle nous sommes conviés à travers le présent thème, nous place au cœur de la relation complexe entre la justice et l’Etat .
La justice, faut-il le rappeler, est une notion à la fois très ancienne et équivoque. Ancienne parce que, d’une part, elle est présente dans les écrits de certains philosophes de l’antiquité comme Héraclite et Socrate et d’autre part, elle est sous-jacente à la Loi romaine des « Douze tables » rédigée entre – 451 et -449. Equivoque aussi parce qu’elle est susceptible de plusieurs acceptions complémentaires.
D’une part, elle est perçue comme « un principe philosophique, juridique et morale en vertu duquel les actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées en fonction de leur mérite au regard du droit, de la morale, de la vertu ou autres sources prescriptives de comportements ».
D’autre part, elle renvoie à une structure ou une institution. Il en est ainsi lorsqu’on parle de l’institution judiciaire c’est-à-dire à l’ensemble des cours et tribunaux.
Quant à l’Etat, la doctrine publiciste a pris l’habitude d’y voir une personne morale de droit public, constituée de trois éléments : un territoire, une population soumis à un pouvoir politique.
Cette idée est présente chez Charles Debbasch, Jacques Bourdon, Jean-Marie Pontier et Jean Claude Ricci lorsqu’ils soutiennent : « Quel que soit l’Etat, la doctrine est unanime pour reconnaître qu’un Etat ne peut exister que si trois éléments sont réunis : une population, un territoire, un pouvoir organisé »
Il en est de même dans la pensée de Hans Kelsen pour lequel, « l’Etat dont les éléments essentiels sont le peuple, le territoire et le pouvoir se définit comme un ordre juridique relativement centralisé limité dans son domaine de validité spatial et temporel, soumis immédiatement au droit international et efficace dans l’ensemble et généralement »
Comme on peut le constater, le thème de « la justice dans l’Etat » traduit une relation de nature métonymique ; la préposition « dans » servant à mettre en évidence la situation d’une chose par rapport à ce qui la contient. Dans le cas d’espèce, l’Etat apparaît comme le contenant, la réalité englobante et la justice, la réalité englobée.
Analysée à travers la pratique institutionnelle du Mali, la relation entre l’Etat et la justice, se présente sous une forme dynamique qui est allée de la soumission (I) à l’insubordination (II).
I – DE 1960 A 1979 : LE TEMPS DE LA JUSTICE SOUMISE
Ici, nous voudrions passer en revue l’organisation juridictionnelle du Mali (A,) d’une part, et d’autre part, constater l’absence d’outils susceptibles de garantir l’indépendance de la justice (B)
A- L’APPLICATION DU MONISME JURIDICTIONNELATTENUE
Au lendemain de son accession à l’indépendance, le Mali avait adopté une organisation juridictionnelle caractérisée par la double domination de la Cour d’Etat et de la Cour Suprême.
La Cour d’Etat était une institution politique qui servait à la fois de juridiction constitutionnelle, administrative et financière. Aux termes de la loi n°61-56/ANRM du 15 mai 1961, elle comptait trois sections : une section constitutionnelle, une section du contentieux et une section des comptes.
La section du contentieux était le tribunal administratif de droit commun qui connaissait en « premier ressort des litiges d’ordre administratif élevés à l’occasion d’un acte passé au nom du Gouvernement ou des litiges nés de l’exécution d’un service public dépendant du Gouvernement ou des Collectivités publiques, des élections aux assemblées des collectivités locales ou autres assemblées de gestion, d’organismes dépendant de l’Etat, d’une manière générale sauf exceptions prévues par les textes, de tout litige qui entre dans le contentieux administratif notamment des recours dirigés contre les décisions des diverses autorités administratives, des recours en interprétation et des recours en interprétation de la légalité de ces actes ».
Parallèlement, la loi n°61-55/ANRM du 15 mai 1961 fixant l’organisation judiciaire en République du Mali avait institué une Cour Suprême structurée en une section judiciaire et une section administrative.
La section judiciaire chapeautait toutes les juridictions de l’ordre judiciaire : justice de paix à compétence étendue, tribunaux de première instance, tribunaux de commerce, tribunaux pour enfants, tribunaux du travail, cour d’appel. Elle connaissait en cassation des décisions rendues par la cour d’appel.
Quant à la section administrative, elle cumulait tous les degrés de juridiction : juge des 1er et second degrés et juge de cassation. En particulier, elle connaissait en appel des décisions rendues par la section du contentieux en certaines matières.
Après quelques années de coexistence difficile entre la Cour d’Etat et la Cour suprême, la première fut supprimée par la loi constitutionnelle n°65-1/ AN RM du 13 mars 1965 et remplacée par la seconde au rang des institutions de l’Etat. Restructurée à la faveur de la loi n°65-2/ ANRM du 13 mars 1965, elle comptera jusqu’en 1992 quatre sections :

- la section constitutionnelle ;
- la section judiciaire ;
- la section administrative ;
- la section des comptes.

A partir des développements qui précèdent, on peut constater que l’organisation juridictionnelle postcoloniale du Mali ne correspond, ni au dualisme pur, ni au monisme classique. En effet, le premier postule une nette séparation nette entre l’ordre des juridictions judiciaires et celui des juridictions administratives, alors que le second repose sur la double existence d’un seul corps de règles et d’un juge compétent pour l’administration et pour les particuliers. Or, malgré l’existence d’un corps de règles spéciales et de juridictions spécialisées, la séparation n’est pas aussi nette que dans un système juridictionnel appliquant le dualisme pur. Actuellement la séparation est perceptible au niveau des juridictions du premier degré mais inexistante au niveau des juridictions du second degré et de cassation.
B- L’ABSENCE D’OUTILS SUSCEPTIBLES DE GARANTIR L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE

La constitution du 22 septembre 1960 traduit, de notre point de vue, un embarras du constituant vis-à-vis de l’institution judiciaire. Alors que le titre II consacre un « pouvoir judiciaire », l’unique article 42 auquel il est réduit, traite de « l’autorité judiciaire » en ces termes : « La République du Mali assure et garantit l’indépendance de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle et chargée d’appliquer, dans le domaine qui lui est propre, les lois de la République ».
La nuance sémantique qui fait glisser du concept de « pouvoir » à celui « d’autorité », est certainement un héritage de la tradition juridique française, laquelle fait échos à une réaction quasi instinctive aux excès des juges sous l’Ancien régime. En souvenir de ces excès, l’on a voulu, d’une part, que l’institution judiciaire ne soit pas traitée comme les autres organes de l’Etat considérés comme des « pouvoirs » et, d’autre part, que les juges qui animent cette institution demeurent la « bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer, ni la force, ni la rigueur » .
Sous la première République, l’indépendance de l’autorité judiciaire apparaît comme un leurre dans la mesure où la constitution affirme cette indépendance sans indiquer, ni comment, ni par qui elle sera garantie. La loi fondamentale passe sous silence les délicates questions du statut juridique du personnel magistrat et du Conseil supérieur de la magistrature. Cette double lacune a eu pour conséquence, l’application des dispositions du statut général des fonctionnaires aux magistrats, lequel disposait en son article 8 que les magistrats, sont placés « sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du ministre de la justice »
Avec la constitution du 2 juin 1974, acte fondateur de la deuxième République, la justice amorce une timide évolution avec une perspective de doter le personnel magistrat d’un statut propre. Aux termes de l’article 65 de son titre IX consacré à « l’autorité judiciaire », la constitution dispose : « la justice est rendue sur le territoire de la République au nom du peuple malien. L’autorité judiciaire est indépendante. Elle assure le respect des droits et libertés définies par la constitution et par la loi. Une loi porte statut de la magistrature ». Toutefois, ce statut ne adopté qu’à la faveur de la loi n°79-10/AN-RM du 29 novembre 1979.
Avant qu’il n’en fût ainsi, les magistrats ont continué d’être régis par les mêmes règles que les autres catégories de fonctionnaires . En conséquence, ils étaient soumis aux mêmes conditions de recrutement, aux mêmes obligations, aux mêmes conditions de notation et d’avancement et aux mêmes règles disciplinaires. Si l’on ajoute à cette absence de statut, l’inexistence du Conseil supérieur de la magistrature, on comprend pourquoi la justice fut une institution soumise aux autorités politiques, plus préoccupées à asseoir un pouvoir personnel qu’à jeter les bases d’un Etat de droit dont la justice est une pièce maîtresse. Pour preuve, deux exemples rapportés dans la thèse de Mamadou FOMBA :
1°) Le premier est lié à la réforme monétaire de 1962, laquelle avait donné lieu à des manifestations violentes au cours desquelles des leaders du Parti Progressiste Soudanais (Fily Dabo SISSOKO, Hammadoun DICKO) et opérateurs économiques (El Hadj Kassoum Touré), avaient furent arrêtés. Jugés et condamnés à mort pour complot contre la sûreté intérieure de l’Etat, par une juridiction ad hoc, créée en application d’une décision du 24 juillet 1962 du bureau politique de l’Union Soudanaise du Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA) , les deux responsables politiques trouveront la mort en juillet 1964 .
2°) Le deuxième est un témoignage bouleversant de M. N’Diaye qui explique qu’à « la suite d’une décision de la Cour Suprême jugée non satisfaisante, le ministre chargé de la Justice, pris d’une sorte d’hystérie s’exclama : la Cour suprême a fait son travail ! La balle est maintenant dans mon camp. En tant que dernier recours, je trancherai le litige à ma manière ». De même il indique que par simple arrêté, le ministre chargé de la Justice pouvait mettre fin « à la carrière des magistrat qu’il juge récalcitrants ou encore procéder à des affectations successives et intempestives »
Aujourd’hui, cette approche d’une justice aux ordres, d’une justice soumise est apparue à la fois ringarde et contreproductive. Ringarde parce qu’elle est aux antipodes de l’Etat de droit dont se réclament tous les Etats modernes. Contre-productive parce qu’elle aboutit rarement au résultat escompté, c’est-à-dire l’anéantissement de l’opposition politique.
Aussi, à partir de 1979, la justice malienne va-t-elle amorcer une lente évolution qui en fera plus tard une justice rebelle.
II – A PARTIR DE 1979 : LE TEMPS DE LA JUSTICE REBELLE
Par justice rebelle, il faut entendre celle qui refuse d’obéir aux injonctions de l’autorité politique. A cet égard, l’on peut considérer 1979 comme une année symbolique pour la Justice malienne car c’est à partir de cette date que celle-là fut dotée de mécanismes juridiques et institutionnels susceptibles de garantir son indépendance (A). C’est également à partir de cette date qu’elle commença à poser des actes qui donnent la preuve de son indépendance (B).
A- LA MISE EN PLACE PROGRESSIVE DE MECANISMES SUSCEPTIBLES DE GARANTIR L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE
En parlant de l’indépendance de la magistrature, on pense notamment au statut de la magistrature et au Conseil supérieur de la magistrature.
1°) Le statut de la magistrature
Faisant échos à la constitution du 2 juin 1974, le législateur a pour la première fois doté la justice malienne d’un statut propre aux magistrats à travers la loi n°79-10/AN-RM du 29 novembre 1979. Celle-ci institue au profit du personnel magistrat des règles dérogatoires au statut général des fonctionnaires. Les innovations de ce nouveau statut réside notamment dans :
-  l’inamovibilité instituée au profit des magistrats du siège ;
-  l’élargissement de la tranche d’âge dans laquelle se recrutent les auditeurs de justice (21 à 35 ans) ;
-  l’obligation de non cumul de la fonction de juge avec toute autre activité salariée publique ou privée ;
-  l’absence de dispositions relatives à la jouissance de la liberté syndicale et de certains droits civils et politiques (droit syndical, droit d’exprimer ses opinions philosophiques et politiques) ;
-  l’automaticité en matière d’un avancement d’échelon ;
-  une nouvelle liste de sanctions disciplinaires.
Au sujet de l’inamovibilité, le texte dispose dans son article 11 que « sauf faute disciplinaire, et après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, les magistrats du siège ne peuvent être ni révoqués, ni déplacés. Toutefois, quand les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être déplacés par l’autorité de nomination, sur avis conforme et motivé du conseil du Conseil supérieur de la magistrature »
Malgré les nombreuses modifications , le statut de la magistrature en vigueur (la loi n°02-054 du 16 décembre 2002) institue un « corps unifié des magistrats de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif » et reconduit les acquis relatifs à l’indépendance des magistrats.
Ainsi, selon l’article 3 de ladite loi, « les magistrats du siège sont inamovibles. Sauf faute disciplinaire de second degré, ils ne peuvent avant trois ans recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable et après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être déplacés par l’autorité de nomination, sur l’avis conforme et motivé du Conseil supérieur de la magistrature.
Les magistrats ne peuvent être révoqués qu’après décision du Conseil supérieur de la magistrature ».
Ces dispositions relatives à l’inamovibilité sont complétées par celles instituant le Conseil supérieur de la magistrature.
2°) Le Conseil supérieur de la magistrature
La loi de 1979 consacre également un Conseil supérieur de la magistrature dont la composition a parfois alimenté les controverses au sein des opinions publiques. Pour les uns, l’indépendance de la justice repose en partie sur un Conseil supérieur de la magistrature composé uniquement ou majoritairement de magistrats. Pour les autres cette option est source de dérives ; les juges étant assurés de la compréhension ou de la complicité de leurs pairs siégeant au Conseil, n’hésitent pas à commettre des abus. Ce type de considération explique en partie les nombreuses modifications qui ont affecté la composition du Conseil supérieur de la magistrature depuis son institution.
Ainsi l’article 16 de la loi de 1979 avait confiée au Président de la République la présidence du Conseil composé de sept (07) membres élus par leurs pairs magistrats pour un mandat de cinq (05) ans et de six (06) membres de droit que sont :
-  le ministre chargé de la justice, vice-président ;
-  le Premier Président de la Cour suprême,
-  le Procureur général près la Cour suprême ;
-  le Directeur général de l’Administration judiciaire ;
-  les deux magistrats les plus anciens dans le grade le plus élevé.
A la faveur de la loi n°86-86/AN-RM du 12 septembre 1986, la composition du Conseil supérieur de la magistrature subit une légère modification avec la substitution de l’Inspecteur en chef des services judiciaires au Directeur général de l’administration judiciaire.
La loi n°88-42/AN-RM du 7 avril 1988 introduit un profond changement dans la composition du Conseil en y introduisant des personnels étrangers au corps des magistrats . En effet, aux termes de l’article 19 nouveau, « le Conseil supérieur de la magistrature comprend en outre cinq (05) autres membres de droit, quatre (4) fonctionnaires de la catégorie A choisis en raison de leur compétence et trois (3) membres tous magistrats élus par le suffrage de leurs pairs au bulletin secret ».
Ce format est à son tour modifié par le statut de 1992 qui porte l’effectif du Conseil de quatorze (14) à dix-huit (18) membres dont neuf (09) membres élus et neuf (09) membres de droit qui sont :
-  le Président de la République ;
-  le Ministre chargé de la Justice,
-  le premier Président de la Cour suprême ;
-  le Procureur général près la Cour Suprême ;
-  le Secrétaire Général du Gouvernement ;
-  le Directeur national de l’Administration de la Justice ;
-  le Directeur national de la Fonction Publique et du Personnel ;
-  le magistrat le plus ancien dans le grade le plus élevé ;
-  le magistrat le plus jeune dans le grade le moins élevé.
Le statut en vigueur a porté la composition du Conseil à vingt-trois (23) membres dont treize (13) membres élus et dix (10) membres de droit dont l’Inspecteur en chef des Services judiciaires.
Dotée d’un statut et assurée du soutien du Conseil supérieur de la magistrature la justice malienne va user et parfois abuser de l’indépendance reconnue par la constitution.
B- LES EXPRESSIONS DE L’INDEPENDANCE
L’indépendance de la justice s’exprime à travers la jurisprudence dont certains éléments méritent d’être connus de l’opinion publique :
1°) L’arrêt CS-SA du 15 juin 1981 sieur D.F : Au cours d’une opération de maintien d’ordre le 21 avril 1969, le sieur DF, élève malade et alité à l’infirmerie du lycée technique de Bamako au moment des faits, perd son œil gauche à la suite d’un coup de ceinturon donné par un agent de maintien d’ordre. Il réclame quinze millions de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, successivement aux ministères chargés de l’Education et de la Santé puis devant la section administrative de la Cour suprême. Malgré les pressions et le menaces proférées, la Section administrative de la Cour suprême condamne le ministère chargé de la Sécurité à payer au requérant la somme de sept millions de francs maliens.
2°) L’arrêt CS-SA du 04 octobre 1990 Madame M.D : Présidente du tribunal de première instance de Bamako à l’époque des faits la dame MD a, sur requête de la société STA- Mali, autorisé une saisie-revendication sur un aéronef que la société requérante prétendait avoir acheté mais qui se trouvait en possession d’un tiers. A la suite de cette autorisation, le ministre chargé de la Justice engagea contre la requérante une action disciplinaire dont l’issue fut la sanction disciplinaire de révocation sans suppression de ses droits à pension prononcée par décret n°355/P-RM du 2 décembre 1988.
La requérante a déféré devant la Section administrative de la Cour suprême ledit décret qui, au moment où le régime en place ne pouvait l’imaginer, fut annulé pour composition irrégulière du Conseil supérieur de la magistrature ayant statué sur le cas d’espèce.
3°) L’arrêt CS-SA du 14 novembre 1989 sieur I.N : Professeur de philosophie, le requérant est convoqué le 19 janvier 1988 par la Direction des Enseignements Supérieurs. Il lui est proposé une nomination à l’Ecole Nationale des Ingénieurs où il pourrait prendre en charge la formation des formateurs. Le sieur I.N accueille cette offre avec beaucoup de circonspection et demande à son interlocuteur, en raison de ses responsabilités d’encadrement d’étudiants en fin de cycle à l’ENSup, de son profil et de ses appréhensions au sujet du nouveau poste, de lui donner un temps de réflexion. Et lorsqu’il fut convoqué une deuxième fois, il fit connaître sa décision de ne pas accepter l’offre à lui faite.
Malgré ce refus clairement exprimé le 17 février 1989, Monsieur I.N est mis en demeure de rejoindre son nouveau poste avant le 22 février 1989, suspendu de ses fonctions pour faute grave par décision n°219 du 17 février 1989 du Ministre chargé de l’Education, puis licencié pour abandon de poste par arrêté n°1045/ du 27 février 1989 du Ministre chargé de la Fonction publique.
Réservé sur la légalité des deux actes, le sieur I.N saisit la Section administrative de la Cour suprême qui, sur la base du détournement de procédure, annule l’arrêté du ministre de l’Education qui a prononcé son licenciement.
4°) L’arrêt CC-EL 97-046 du 25 avril 1997 par lequel la Cour constitutionnelle a annulé la totalité des « opérations électorales » du premier tour des élections législatives du 13 avril 1997 « pour absence totale de toute liste électorale ». Quoique discutable au regard de sa jurisprudence ultérieure, on peut remarquer que la juridiction constitutionnelle a fait preuve d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique dans un contexte marqué par l’emprise de l’Alliance pour la Démocratie au Mali- Parti Africain pour la Solidarité et la Justice (ADEMA-PASJ) sur la scène politique.
Pour conclure, on peut soutenir qu’un minimum de démocratie est nécessaire à l’indépendance de la justice qui, à son tour, alimente l’Etat de droit. Le juge n’aurait jamais pu rendre les arrêts susvisés s’il n’avait bénéficié d’un environnement juridique et institutionnel qui lui permet de résister aux pressions du pouvoir politique. A l’évidence, cet environnement repose sur la double existence d’un statut propre au juge et d’un Conseil supérieur de la magistrature.
Cependant, il faut méfier des dérives regrettables sur lesquelles peuvent déboucher une certaine acception de l’indépendance du magistrat qui caresse hélas l’idée qu’il n’a de compte à rendre à personne, y compris le peuple au nom duquel la justice est rendue. Dès lors, il méprise le droit et expose le citoyen à l’arbitraire. C’est contre cette perception d’une indépendance dévoyée que la justice dans son ensemble doit s’élever pour asseoir sa crédibilité dans l’exercice dans la fonction de juger. /.

M. Michel CARRIÉ,
Spécialiste de programme à l’Organisation internationale de la Francophonie

En introduction à un court article sur cette thématique en 1979, le Professeur TERRÉ écrivait alors « entre la justice et le temps de crise, il y a, probablement plus qu’ailleurs, un antagonisme évident : celui du stable et du mouvant. La justice pense Pascal, « c’est ce qui est établi ». Or les crises menacent, ébranlent ou même détruisent ce qui est établi. Pendant ou après la tourmente, il s’agit de savoir comment la justice se comporte », ou serais-je tenté d’ajouter ici : comment la justice est en mesure de se comporter.

En effet, d’ordinaire, la justice, la justice efficace et garante de l’État de droit, bien que généralement en retard sur les besoins du présent pour les citoyens, supporte sans rupture les répercussions de l’évolution sociale.

En situation de crise, en revanche, il est patent que la justice ne peut jouer son rôle d’organisateur, de régulateur des rapports sociaux et de garant de la norme, dans ou pendant le chaos, puisque par essence le chaos n’est ni organisable, ni régulable.

Il faut alors constater que la justice fait défaut.

Toutefois dans les faits, la société, l’État, ne peuvent fonctionner longtemps sans justice. Il incombe alors aux deux autres pouvoirs d’aider, de contribuer, au rétablissement du fonctionnement ou d’un fonctionnement du troisième, le pouvoir judiciaire.

Ce, d’autant plus que la crise implique nécessairement une forte atteinte aux droits, à tous les droits, et par voie de conséquence ure non moins forte et prégnante attente de justice de la part de la population, des citoyens et de la société.

Le sujet est donc vaste, d’autant plus que les types de crises sont variés et imprévisibles, et je ne saurais prétendre ici à l’exhaustivité.

Dans tous ces cas les deux pouvoirs, exécutif et législatif, sont atteints, entravés, dévoyés, illégitimes ou détruits plus ou moins profondément et durablement. La justice dysfonctionne alors parce qu’elle ne peut plus compter sur les éléments de l’État, un ordre public minimal qui appuient son action et l’exécution de ses décisions.

Longtemps sur la base de la « théorie des pouvoirs de crise », on a pu et l’on peut encore expliquer et justifier l’existence « d’atteintes à la légalité » qui légitimeraient alors la création, au nom de la « raison d’État » ou d’un pouvoir révolutionnaire, de juridictions spéciales aussi diverses et variées que l’a permis l’imagination des hommes, constituant une « justice d’exception ».

Ainsi étaient habituellement traitées les réponses judiciaires aux crises de régime, aux crises avec déstructuration du tissu économique et social, du lien national, ou encore de perte de souveraineté sur une partie du territoire national.

L’action de ces cours pouvait aller des procès politiques qui s’apparentent à une parodie de justice à la mise en œuvre de lois spéciales restreignant les droits et libertés. Dans tous les cas, elles contribuaient aussi à jeter le discrédit plus ou moins durablement et profondément, sur les juridictions ordinaires et entravaient le plein exercice de la justice dans les pays concernés. Ce fut longtemps le sort réservé à la justice en temps de crise, et en sortie de crise, la bonne administration de la justice étant un accessoire à la solution politique. La justice traditionnelle, ordinaire, passe au second plan parce qu’elle est un pouvoir qui n’est pas immédiatement perçu comme un acteur du retour à l’ordre.

Toutefois l’adoption et la diffusion de normes internationales de protection des droits de l’Homme, combinée à la mise en place de dispositifs internationaux de veille et d’alerte tant intergouvernementaux qu’issus de la société civile, et de mécanismes de réaction internationale très en amont dans la survenue des crises, ont sensiblement modifié ce schéma. Il en a résulté en particulier la mise au point de nouveaux mécanismes transitionnels plus englobant et participatifs.

A cet égard, je voudrais aborder plus précisément ici comment les processus de transition, justice, vérité et réconciliation apparus globalement dans les années 1990 d’abord en Amérique latine, puis ensuite en Afrique et dans le reste du monde, ont ouvert un nouveau champ de traitement et d’organisation de la sortie de crise dans les États, et auquel la justice devrait et pourrait être encore mieux associée.

Ces dispositifs, que la communauté internationale qualifie généralement de justice transitionnelle sont définis par les Nations unies comme « englobant l’éventail complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de rendre la justice et de permettre la réconciliation ».

C’est un sujet sur lequel la Francophonie a développé une approche spécifique, d’une part parce que l’espace francophone a connu et connait un certain nombre de situations de crises graves, et d’autre part parce que depuis vingt-cinq ans l’action de la Francophonie fondée sur ses grands textes de référence en matière d’appui à la paix, à la démocratie et aux droits de l’Homme, les Déclarations de Bamako (2000) et de Saint Boniface (2006), les récentes Déclarations adoptées par les Chefs d’États et de gouvernement francophones aux XIIIe et XIVe Sommets de Montreux (2010) et Kinshasa (2012) auxquelles il convient d’ajouter les Déclarations qui ont conclu les 3e et 4e Conférences des ministres francophones de la justice au Caire (1995) et à Paris (2008), s’est progressivement construite, structurée et rationalisée, en particulier sur le soutien à ses États membre en situation de crise.

La démarche francophone dans ce domaine est explicitée et illustrée dans un ouvrage paru en janvier 2014, le guide pratique sur les processus de transition, justice, vérité et réconciliation dans l’espace francophone. Unique en son genre, ce guide pratique recense l’ensemble des expériences (actuellement 29 et peut être bientôt 30, un nouveau dispositif étant évoqué au Burkina Faso), expériences conduites ou envisagées dans l’espace francophone tout en mettant en évidence la grande variété de ces mécanismes nationaux (commissions d’enquêtes et d’établissement des faits, commissions vérité et réconciliation, justice coutumière ou traditionnelle) et internationaux (tribunaux mixtes et ad hoc).

A titre liminaire la Francophonie préfère parler de processus de transition, justice, vérité et réconciliation, ou de justice en période de transition, plutôt que de justice transitionnelle, non pas par coquetterie, mais parce qu’il apparaît que si la notion de justice en anglais intègre une dimension sociétale, en français elle est plus restrictivement assimilée à la fonction institutionnelle.

L’appellation est donc parfois interprétée comme une justice d’exception qui remplacerait la justice ordinaire, alors même que pratiquement aucun des dispositifs mis en place dans les différentes expériences conduites ou en cours, en particulier dans l’espace francophone, n’ont une dimension juridictionnelle. Le terme soulève alors de faux espoirs et peut même nuire durablement à la confiance des citoyens en leur système judiciaire national.

La reconstruction de la structure étatique et des institutions d’un côté, et la restauration de la Nation au sens du « vouloir vivre ensemble » de l’autre sont les objectifs principaux qui justifient l’instauration d’un processus de justice, vérité et réconciliation. Le projet de reconstruire un État de droit et de restaurer une gouvernance apaisée après la violence politique ou les exactions commises doit en effet permettre, à terme, la refondation d’un rapport politique solide au sein d’une société bien ordonnée et organisée. Car, sans la reconstruction du sentiment d’appartenance commune, point de dialogue national et de réconciliation possibles. Sans la refondation de la mémoire collective en appelant à l’établissement des faits, au pardon, à la réparation, point de possibilité pour les individus de se retrouver dans une identité commune après une période –partagée par force- de violation massive des droits de l’Homme.

Comme vous le savez, les processus de justice, vérité et réconciliation s’ordonnent autour de quatre grands piliers mis en évidence par Louis JOINET dans son rapport sur la lutte contre l’impunité, présentée à la Commission des Droits de l’Homme en 1997 :

Le droit à la justice tout d’abord. La justice en période de transition ne doit pas exclure le droit au juge ; elle doit au contraire garantir l’effectivité de ce droit.

En découle le droit à la vérité. Les enquêtes sont le plus souvent organisées dans le cadre d’institutions qui appartiennent à la famille des Commissions vérité (et réconciliation). Ces commissions ont pour mission « de recueillir […] des informations permettant de mieux comprendre les mécanismes d’oppression violatrice pour en éviter le renouvellement.

Le droit à réparation vient alors matérialiser la reconnaissance du préjudice établi. La réparation du préjudice peut prendre plusieurs formes. Il peut en effet s’agir d’une indemnisation matérielle, d’une restitution des biens, de mesures de réhabilitation pour les victimes, de mesures symboliques comme par exemple des excuses publiques, une commémoration ou un mémorial.

Enfin, des garanties de non-répétition et des réformes institutionnelles doivent être proposées.

L’instauration des mécanismes de transition, justice, vérité et réconciliation n’est pas exclusive de la poursuite de l’activité des institutions judiciaires quand ces dernières sont encore en place. Reste que les procédures de la justice institutionnelle, formelle, qui visent à réguler les rapports sociaux entre individus et entre les individus et le pouvoir dans une société stabilisée en rendant une justice basée sur la nature de la sanction, peuvent ne plus fonctionner. L’appareil juridictionnel en place est alors confronté à ses limites structurelles parce qu’ont été commises des exactions tellement massives d’une partie contre une autre que la justice classique est dépassée ; parce que les auteurs des exactions sont encore au pouvoir et empêchent, par là-même, la justice de fonctionner ; et enfin parce que la justice formelle fonctionnant sur la base de la preuve - une accusation est formulée, il appartient à la société d’apporter le bien-fondé de cette accusation -, à certaines périodes de l’histoire, la distinction victime-bourreaux peut être à ce point difficile que l’idée même de preuve ne peut être opératoire.

En effet, si la justice pénale, formelle, doit fonctionner normalement en période post conflictuelle, elle peut être, dans le cas de crises graves bien loin de remplir sa fonction en période de transition en raison du caractère à la fois dérogatoire et exceptionnel de la situation à laquelle elle est alors confrontée. Dans ces situations, les processus de transition, justice, vérité et réconciliation doivent permettre d’apporter les éléments de réponses les plus adaptés dans une perspective de lutte contre l’impunité et de refondation du tissu social. Éléments que la justice formelle aura à reprendre pour en assurer ensuite la mise en exécution effective. Car la justice devient dans ces circonstances extrêmes plus une exigence au nom de la pacification sociale que seulement une institution à mobiliser.

C’est là où une articulation plus étroite et impliquée doit être trouvée pour que le relais soit effectif entre transition et restauration de l’État de droit, et donc entre dispositifs de transition (temporaires par excellence) et pouvoir judiciaire garant institutionnel de l’État de droit. C’est aussi la raison du constat qu’en Francophonie l’essentiel des organes de transitions mis en place n’ont pas de compétences juridictionnelles à l’exception de dispositifs internationalisés (chambres mixtes au Cambodge, tribunal spécial au Liban) ou internationaux (tribunaux ad hoc, Rwanda). En revanche, les commissions d’enquête, d’établissement des faits, les commissions vérités et réconciliation font un travail préparatoire fondamental (témoignages, recueil de preuves, recensement des victimes, mobilisation de la population .et travail de restauration de la confiance et du projet de vie ensemble). Tous ces éléments doivent, par-delà la mise en œuvre effective des recommandations qui concluent le travail de ces commissions par les pouvoirs publics (souvent difficile à rendre effective), doivent nourrir et appuyer l’action de la justice et contribuer à son efficacité.

Un autre effet induit de ces processus est à noter. La mobilisation qu’ils engendrent, leurs recommandations mettent au premier plan la justice, son indépendance, son rôle au service de l’État de droit et la promotion des droits de l’Homme, et créent une dynamique en faveur de la modernisation et de la réforme de la justice nationale (États généraux de la justice, etc.).

En outre la démarche francophone repose aussi sur le conciliation des impératifs inhérents à la lutte contre l’impunité : veiller à ce que les besoins de justice ne soient pas un obstacle à la paix ; éviter l’amnistie sans discernement et les stigmatisations infamantes ; savoir installer dans le temps les formes de justice (de l’immédiat et du post-conflit à la stabilisation du post-conflit) ; veiller au contenu des accords de paix pour qu’ils ne soient pas des textes de circonstance, trop ambitieux ou irréalistes qui entendent régler de manière radicale et non coordonnée tous les problèmes (apaisement, réconciliation, vérité…) ; et veiller à la complémentarité des mécanismes de justice en période de transition avec les autres formes de justice, locale, nationale, régionale et internationale.

Car si la justice pénale internationale n’est pas, a priori, traditionnellement considérée comme un maillon des processus de justice en période transitionnelle, sa vocation étant essentiellement répressive, la CPI participe incontestablement au processus global par la sanction des responsables des violations massives des droits de l’Homme et la lutte contre l’impunité dans laquelle elle est pivot et, plus généralement, par la veille juridictionnelle qu’elle opère. La conception francophone de la justice en période transitionnelle implique donc la CPI pour plusieurs raisons :

en raison des quatre principes d’intervention sur la base desquels le procureur a bâti sa stratégie : enquêtes ciblées sur les crimes les plus graves ; poursuite des plus hauts responsables seulement ; approche coopérative ; enfin approche positive de la complémentarité, la CPI n’intervenant que si les États se déclarent incompétents. Elle peut donc être une arme pour poursuivre les premiers responsables dont on sait que les actes commis relèvent de sa compétence et dont il est manifeste qu’ils ne seront pas poursuivis au niveau national. Les poursuites et le jugement pouvant avoir un effet sur les situations de conflit ou de sortie de crise, la Cour devient bien, ainsi, un soutien à la justice en période de transition :

-  au regard de la vocation de plus en plus dissuasive de la CPI et des analyses préliminaires qui contribuent à donner plus de visibilité et d’impact à l’action de la Cour. La CPI prend date et prend acte de certaines situations, ce qui influence indéniablement le processus de transition à venir.

-  en raison de la logique d’articulation et de complémentarité entre les niveaux judiciaire internationaux, nationaux et para judiciaires dans laquelle s’insère la justice pénale internationale, qui permet à la dimension juridictionnelle d’être présente dans ces processus, sans pour autant être dominante.

Sur la base de ce constat, la CPI est un partenaire incontournable des processus de reconstruction de la paix et, donc, de la justice en période de transition et un maillon indispensable dans le processus de reconstruction, à condition qu’elle soit saisie dans un temps compatible avec celui du travail des Commissions vérité ou institutions équivalentes. Sous cette réserve, la CPI est une des réponses possibles pour la recherche de vérité et la demande de réparation, prolongeant le travail d’établissement des faits mené par les Commissions vérité et les Commission d’enquête, en sanctionnant les responsables des violations massives des droits de l’Homme. L’établissement de la vérité étant au cœur de toute action de reconstruction, de restauration et de pardon, l’objectif de réconciliation nationale par l’identification de la vérité est le premier moyen de lutte contre l’impunité permettant, ensuite, la poursuite et la sanction des auteurs de violations graves des droits de l’Homme.

L’affirmation croissante de ce rôle de la justice pénale internationale très en amont dans la gestion des crises et des sorties de crise a suscité un débat parfois passionné sur l’opposition qui pourrait exister entre l’objectif de justice et l’objectif de paix, entre justice et réconciliation. Leur mise en œuvre concomitante serait de nature à empêcher la paix et la réconciliation. Il y aurait une hiérarchie politique dans la gestion des crises qui mettrait au premier plan la paix devant le besoin de justice. A ce jour le débat reste vif et n’est pas tranché.

Toutefois, les enseignements de l’analyse des différentes situations de transition conduites dans la Francophonie mettent très clairement en avant le fait que la justice est un facteur indispensable à la paix et à la réconciliation. La reconstruction de l’État de droit reste artificielle et fragile tant que le droit à la justice et à la vérité n’ont pas été satisfaits. Il ne faut pas confondre paix politique, plus déclaratoire qu’effective, et pacification de la société.

La conduite conjointe de ces deux objectifs est assurément plus complexe que leur séquençage mais là aussi l’histoire démontre que l’oubli ou la mise en œuvre partielle du devoir de justice recrée systématiquement les conditions de la Crise (question des Balkans, commissions mémorielles en Espagne et en Roumanie).
En conclusion, permettez-moi de souligner que les récentes journées des réseaux institutionnels de la Francophonie tenues à Paris en mai dernier, avaient réfléchi sur l’apport que les réseaux pourraient apporter à la réflexion francophone sur ces questions de transition et je voudrais souligner la réactivité de l’AHJUCAF qui nous a permis d’aborder ici cette problématique importante.
L’OIF s’en réjouis et vous redit toute sa disponibilité pour appuyer l’action de ses réseaux, en particulier sur la base des propositions faites alors, comme par exemple une réflexion sur la gestion du contentieux en période de crise et de sortie de crise.
Je vous remercie de votre attention.

Justice et paix civile
Président de Séance : Bertrand Louvel
Premier Président de la Cour de cassation de France

C’est la première fois, mes chers collègues que je siège parmi vous depuis qu’il m’a été donné de succéder à M Vincent Lamanda en juillet dernier.

M .Lamanda aurait eu toute sa place dans les thèmes de notre colloque car il était un défenseur de l’indépendance des juges et un défenseur de la francophonie en tant que vecteur de la promotion des droits de l’homme.

Un de ses derniers actes fut de donner son accord à la constitution d’une association francophone des Conseils supérieurs de la magistrature, acte que je suis allé signer à Ottawa il y a quelques jours.

Je l’ai fait avec nos partenaires dans l’esprit de la recherche ensemble d’un standard commun de Conseil de Justice doté de tous les pouvoirs nécessaires à l’indépendance véritable de la magistrature dans une authentique séparation des pouvoirs.

A cet égard, il faut bien comprendre que nous avons dépassé en France le débat sémantique sur le pouvoir judiciaire ou l’autorité judiciaire. D’abord parce que notre constitution ne parle ni de pouvoir exécutif ni de pouvoir législatif et qu’il n’y a donc pas de raison qu’elle parle de pouvoir judiciaire. Ensuite, parce que nous avons compris que l’indépendance de la Justice est moins une affaire de pouvoir au singulier qu’une affaire de pouvoirs au pluriel.

En vérité, l’indépendance de la Justice se mesure à quatre pouvoirs d’un Conseil de Justice : la nomination directe des magistrats, juges et procureurs, car les fonctions de ces derniers menacent directement les hommes de pouvoir et qu’ils doivent donc en être indépendants, la déontologie et la discipline, la gestion des moyens personnels et matériels de la Justice négociés directement avec le Parlement, et la formation des magistrats. La France est encore loin du compte dans la longue marche de sa Justice vers l’indépendance.

Cet accord entre nos Conseils de Justice francophones est à l’image des accords signés par la Cour de cassation française qui reposent sur ce même esprit de recherches de standards communs dans l’interprétation et l’application des textes internationaux afin que les justiciables transfrontaliers de plus en plus nombreux rencontrent partout dans le monde, conformément à l’idéal des Nations Unies, des systèmes judiciaires reposant sur les mêmes valeurs.

C’est dans cet esprit que notre Cour a accueilli la proposition des Nations Unies transmise par M Laborde, de travailler à l’unité d’application des règles de lutte contre le terrorisme issues des multiples conventions internationales et résolutions du Conseil de Sécurité sur ce sujet.

Et c’est dans ce même esprit que nous pensons que notre réseau des cours suprêmes francophones pourrait être un vecteur utile de coopération à cet égard
La francophonie, en effet, et où peut-on mieux le dire qu’au Sénégal du président Senghor dont la mémoire est vénérée à travers toute la francophonie ? la francophonie est vecteur de solidarité, de fraternité et d’humanité, toutes valeurs au cœur de l’idéal des Nations Unies qui tend à l’unité de l’humanité mais qui ne se réalisera pas tant que subsisteront des phénomènes comme le terrorisme et son cortège de misères et de haines.

Le président Senghor a dit : "nous ne recevons pas la terre de nos parents ; nous l’empruntons à nos enfants". On ne peut mieux exprimer nos devoirs vis à vis des générations à venir pour la construction d’un monde meilleur que celui que nous avons reçu.

Mme Souhair Al-Harakeh,
Présidente de la 3ème chambre pénale
de la Cour de cassation du Liban

Le Liban, pays sociologiquement complexé et diversifié avec ses dix-huit communautés religieuses réparties sur 10452 Km2.
Vu les phénomènes de violence qui déchiraient son tissu social durant sa guerre civile (1975 – 1990) ; Il devient urgent d’œuvrer pour restaurer la paix et la cohésion sociale, choisir « l’Etat de Droit » et l’emporter sur « l’état de fait » qui avait sévit durant une quinzaine d’année.
Un nouveau pacte social surgit le 20 septembre de 1989. Et Ceci tient essentiellement à ce que la majorité du peuple libanais avait opté pour la restauration des institutions et pour la suprématie de la règle de Droit. Une reconstitution et reconstruction dans tous les secteurs.
Là, les juridictions qui enduraient déjà pendant la guerre civile pour se maintenir, et tout en boitant ; vu que chaque parti politique a mis en place sa propre juridiction et ses propres lois. En dépit de cette situation, les juges libanais ont réussi à surmonter le défi, et ont vraiment résisté : Un Travail persévérant des juges eux-mêmes ( individus ) ainsi que les administrateurs de la justice : c’est ce qu’on appelle La résistance de la justice .
Et alors que la société restait encore pour longtemps divisée selon des lignes religieuses malgré tous les progrès.
Malheureusement, dirais – je.
Après une quinzaine d’année, face à tous les défis confrontés, dans le but de maintenir une certaine “ paix civile “, et tout en combattant pour rebâtir un système judiciaire efficace (1990 – 2005)
De nouveau, (depuis février 2005) la République risque de s’orienter vers une forme de chaos civil, une situation de fragilité et même une situation de “ non guerre non paix ". Est-ce un retour de la guerre civile ? Une crainte de fragmentation des institutions de l’Etat et de son affaiblissement. Alors, les institutions de l’Etat et les juridictions face à l’épreuve avec des critères influents :
Pression politique médias société civile répartie entre plusieurs camps politiques

Et encore plus avec un facteur inattendu ou prévu : l’afflux massif des réfugiés syriens qui compliquent de plus la situation et surtout la tâche des magistrats, vu l’augmentation du taux de criminalité.
Dans sa guerre contre le terrorisme le Liban et ses juridictions ont opté pour l’Etat de Droit. Les terroristes n’ont pas été battus sur les lieux lors des batailles ambulantes avec l’armée libanaise, mais déférés devant la Cour de justice et tout en respectant les principes du procès équitable.
« Justice et paix civile »
Deux valeurs qui élèvent une problématique
Comment maintenir l’Etat de Droit dans un pays où les institutions sont fragiles ?
L’application des règles de Droit dans l’absolu, ne perturbe-t-elle pas la paix civile ?
Appliquer les règles de Droit sans tenir compte de l’impératif politique ne mène – t-il pas à une certaine instabilité ?
Quid de La théorie de Raison d’Etat , qui d’après ses nombreux partisans, justifie la violation de la loi , sous prétexte de maintenir la sécurité et l’ordre social ? : Une thématique source de plusieurs controverses.
Mais, qu’est- ce qu’une bonne gouvernance ? c’est celle qui est fondée sur : la primauté du Droit.
2- Des institutions efficaces transparentes soumises à la redevabilité.
3- Le respect des Droits de l‘Homme.
Et en plus et l’important, c’est celle qui s’attaque aux causes profondes des conflits, notamment les questions économiques et de justice sociale.
Et là où l’impunité et la corruption sont combattues.
Entre recherche de la sécurité et paix civile et désir de justice, Nul ne peut ignorer le rôle crucial du judiciaire. Le pouvoir judiciaire est la pierre angulaire de tout système fondé sur la démocratie et la primauté du Droit.
Quel modèle judiciaire peut atteindre cet objectif ? C’est celui qui assure :
la Sécurité Judiciaire

1- Promouvoir ce rôle ne peut se réaliser qu’en présence d’une institution judiciaire Indépendante, impartiale et garante des droits et des libertés. Et surtout accessible à tout le monde.
2- l’importance de soutenir une politique administrative qui fait rationaliser les rapports entre le juge et la société, ce qui est de la responsabilité des administrateurs de la justice :
Les Conseils de magistrature Le Ministère de la justice

3- Favoriser les modes alternatifs au règlement des conflits : Médiation et Conciliation. ce qui permet d’aboutir à une solution amiable du différend.
4- L’engorgement des tribunaux apparaît comme obstacle à l’accès à la justice : Célérité de la justice s’impose.
5- Faciliter la procédure d’exécution des décisions judiciaires.
6- L’amélioration de la qualité des jugements.
7- L’application uniforme des règles juridiques et l’adoption d’objectivité lors de l’élaboration de solutions discrétionnaires. Une justice sélective inégale implique le désordre. Il est inacceptable que les jugements et les décisions soient contradictoires à l’égard des mêmes faits. Il en est de même en ce qui concerne l’interprétation de la loi. Et surtout au niveau des hautes juridictions.
Quid du parquet ? Permettre au procureur de suspendre une enquête si le fait de la poursuivre ne servirait pas les intérêts de la paix civile : l’opportunité des poursuites.
La justice “ moderne “ consiste à donner une solution aux conflits même si la solution n’est pas équitable et non équivalente aux valeurs morales ?

A) la justice civile et sa mission dans la paix civile
Les Techniques permettant à la justice civile d’assurer sa mission pacificatrice ?
La conception coopérative du procès civil ?
La tendance à la contractualisation de la justice et du procès ?
Le rôle des modes alternatifs de règlement des conflits ?
L’effet du jugement et force de la chose jugée ?
L’exécution effective du jugement ?
L’administration de la justice, Quel mode de gestion faut-il promouvoir ?
Des questions , à trouver les réponses avec M. Loïc Cadiet, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 , président de l’Association internationale de droit processuel.
B) Interventions du juge dans le fonctionnement de l’économie et les relations commerciales
L’intervention judiciaire quand est- elle sujette à des résistances ?
A qui assure t- elle la protection dans le secteur économique ?
Les effets de l’intervention judiciaire sur les entreprises importantes ?
la libre concurrence sans limitation ?
Sous quels angles intervient le juge, dans quels domaines ?
Des questions, à trouver les réponses avec Mme Florence Aubry Girardin, Avocate, Docteure en Droit, Juge au Tribunal fédéral suisse.
C) La justice pénale :
La mission de La justice pénale dans la protection de la population ?
En quoi peut-elle contribuer à maintenir ou restaurer l’état de droit ?
JUSTICE ET PAIX SOCIALE à travers la politique pénale marocaine : Avec Madame Atika Sentissi, Président de la 6ème section pénale à la Cour de cassation du Maroc.
Merci pour votre Attention.

M. Loïc CADIET
professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Université Panthéon-Sorbonne Paris 1
président de l’Association internationale de droit processuel

La feuille de route qui nous a été donnée pour la préparation de cette table ronde part du principe que la paix civile est indispensable à l’existence d’un Etat de droit, car on ne peut parler d’Etat de droit que lorsque, dans un Etat pacifié, les rapports entre les personnes et entre les personnes et l’Etat sont régis par des règles stables, applicables à tous, connues de tous et dont l’effectivité est assurée. Dans ce cadre, la sécurité des personnes et des biens est présentée comme un élément primordial de l’Etat de droit.
La fonction de juger est une mission assurée ou contrôlée par la puissance publique car elle est destinée à satisfaire, au-delà des intérêts des particuliers, un besoin d’intérêt général : la paix civile dans le respect des lois. Justice, paix, sécurité, effectivité sont les notions-clefs qu’il nous est demandé d’ausculter dans leurs déclinaisons en matière civile, pénale et commerciale. Au regard de la justice civile, à laquelle revient de régler les conflits de droit privé, la feuille de route précise que la sécurité juridique devient une préoccupation majeure, que l’égalité entre les parties doit être respectée et que la corruption doit être efficacement combattue.

Le tableau peut paraître décousu, car le lien unissant ces différents éléments sous le rapport de la justice civile ne saute pas immédiatement aux yeux. Une mise en ordre préalable n’est donc pas inutile, qui me conduit à deux observations à mes yeux fondamentales (I), avant d’en venir plus précisément aux techniques permettant à la justice civile d’assurer sa mission pacificatrice (II).

I Observations fondamentales

A-Distinction des juridictions
La première observation fondamentale est qu’il ne faut pas prendre comme une donnée d’évidence la distinction entre la justice civile, la justice commerciale et la justice pénale. D’abord, la justice commerciale est souvent rendue par les juridictions civiles et, du reste, ce sont les règles du code de procédure civile qui, en France du moins, s’appliquent aux procédures commerciales, à quelques réserves près. Par ailleurs, si la distinction de la justice civile et de la justice pénale apparaît mieux marquée, elle n’exclut bien sûr pas de nombreux points de rencontre, qu’il s’agisse de l’exercice de l’action civile devant la juridiction pénale, de son renvoi possible devant la juridiction civile, de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ou du recours à des instruments de droit civil, comme l’injonction de payer, pour l’exécution de certaines mesures alternatives au jugement pénal (médiation : art. 41-1 et composition : art. 41-2 CPP). Et l’on ne dit rien des formes hybridées de justice, que ce soit à l’intérieur de l’institution judiciaire, avec les procédures de contrainte devant le juge des libertés et de la détention, ou en dehors de l’institution judiciaire, avec les procédures disciplinaires ou avec les procédures de sanction devant les autorités administrative ou publiques indépendantes. En vérité, la différenciation de la justice civile et de la justice pénale à l’échelle de l’histoire du droit reste un phénomène assez récent qui se cristallise principalement au XVIIe siècle1. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un rapprochement assez sensible de la justice pénale et de la justice civile, sous l’effet de divers facteurs comme une tendance à la dépénalisation de certains contentieux, aussi différents que les contentieux de masse et que les contentieux d’affaires, ou comme l’évolution du sens de la peine et la montée en puissance d’une justice de type restauratif, ce qui ne nous éloigne pas de notre sujet, au contraire, car la justice restauratrice a pour objectif une reconstitution plus efficace du lien social endommagé par la commission de l’infraction2. C’est bien de paix civile qu’il s’agit ici.

B. Rendre justice
La deuxième observation fondamentale est que la justice, en tant qu’institution, ne doit pas être conçue comme une juxtaposition et un empilement de juridictions hétérogènes dont l’existence est largement le fruit, aléatoire, de l’histoire : si je m’en tiens à la France, quoi de commun entre le tribunal de commerce hérité du XVIème siècle et les juridictions de la sécurité sociale créées au lendemain de la deuxième guerre mondiale ?

En vérité, ces juridictions apparemment disparates ont l’essentiel en commun et cette communauté essentielle est de rendre justice (1°), ce qui emporte de claires conséquences (2°).
1°) Il est curieux que les juristes ne se soient pas vraiment interrogés sur ce que signifie rendre justice ou rendre la justice.

L’empire contemporain du droit fait oublier que le droit est ordonné à la justice, qu’il n’est qu’un des moyens pour y parvenir et qu’il faut donc se défier d’un culte trop absolu du droit pour le droit. En vérité, juger consiste plus à rendre la justice en disant le droit, qu’à dire le droit en rendant la justice3.

Rendre, c’est restituer.

Rendre la justice, c’est sans doute, d’abord, rendre à chacun le sien, volonté de faire à chacun le sien selon la définition qui nous vient du Digeste : Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuere 4, ou suum cuique reddere dans la formulation de Cicéron 5, que théorisera Thomas d’Aquin pour mettre l’accent sur la dette de justice incombant au souverain6, d’où viendra la notion médiévale de « procès dû », dont sont issus le due process of law et le droit au procès équitable, qui n’est donc pas une création de l’époque contemporaine7. Rendre la justice, c’est aussi restituer au peuple la fonction qu’il a attribuée aux juridictions de trancher les litiges en son nom : « Le jugement est rendu au nom du peuple français », dispose l’article 454 CPC8.


 [1]

Le souverain n’est plus ce qu’il était car la société contemporaine, dite post-moderne, est devenue complexe. L’État est moins perçu comme un pouvoir souverain que comme une communauté de citoyens9. Pour autant, cette parole juridictionnelle, prononcée par le juge au nom du peuple français, est le résultat de la confrontation des multiples paroles qui s’expriment au cours d’un procès, parole profane des parties, et des témoins, parole professionnelle des avocats, des techniciens et de tous ceux que la loi habilite à dire ; elle est partage dans son élaboration. Elle est aussi et surtout partage dans son effet, dans les deux sens du mot partage, lumineusement mis en relief par le philosophe Paul Ricoeur10, mentionné ce matin par mon collègue malien Baba Berthe. L’acte de juger n’est pas seulement celui qui partage au sens de « dé-partage », qui sépare le tien du mien en redonnant à chacun le sien, suum cuique tribuere ; cela, c’est ce qu’il appelle la « finalité courte » du jugement, répondant à sa fonction technique de trancher le litige en disant le droit à partir des faits avérés et, partant, de mettre fin à l’incertitude dont le litige est porteur. L’acte de juger, c’est aussi celui qui nous fait partager, au sens de, « prendre part à », qui fait reconnaître par chacun la part que l’autre prend à la même société que lui11 ; cela, c’est ce qu’il nomme la « finalité longue » du jugement, exprimant sa fonction éthique de contribuer à la vie bonne en œuvrant à la paix sociale.

Le juge, institué par l’Etat, est le « gardien des promesses » de la démocratie, comme l’a si bien rappelé Antoine Garapon, ce qui fait de lui le dépositaire d’un mandat exigeant, renvoyant à un autre aspect de la mission de rendre la justice, souvent méconnu, sinon négligé. On doit rendre la justice comme on rend des comptes, reddition dans les deux cas. Comme vient encore de le rappeler le Conseil consultatif des juges européens dans son avis n° 17, rendu public le 27 octobre 2014, « l’indépendance des juges ne signifie pas que ces derniers ne doivent pas rendre compte de leur travail »12. Le magistrat est un mandataire13 et l’article 15 de la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen prend alors tout son sens : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », ce que l’on réfère aujourd’hui, en anglais, à l’accountability, qui renvoie aussi à l’exigence de transparence, évoquée tout à l’heure par la présidente Souhair Al-Harakeh à travers la notion de redevabilité. Derrière cette exigence, se profile la prohibition des situations de conflits d’intérêts et, a fortiori, de corruption que surveille attentivement le GRECO au sein du Conseil de l’Europe14. A cet égard, la progression, en France, des dispositifs déontologiques va dans le bon sens, même si des marges de progression sont encore à accomplir du côté des juridictions composées de juges non professionnels comme les


 [2]

tribunaux de commerce et les conseils de prud’hommes qui sont d’ailleurs, aujourd’hui, au centre des attentions réformatrices 15.

2°) Cette fonction primordiale du procès, de tout procès, postule deux sortes d’exigences.
Il est permis, pour l’essentiel, de faire découler, pour mon pays, de l’article 16 de la Constitution de 1958, aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

D’une part, elle impose de considérer que les institutions juridictionnelles et les autres mécanismes de résolution des conflits, y compris les modes alternatifs, constituent un système pluriel, mais global, dont les éléments sont solidaires les uns par rapport aux autres. Il appartient à l’Etat d’organiser ce système de telle sorte qu’il fonctionne efficacement et harmonieusement. Cette dette de l’Etat suppose, en termes institutionnels, que l’indépendance de ce système de justice soit parfaitement assurée dans l’architecture des pouvoirs étatiques ; elle suppose aussi, en termes budgétaires, que le système de justice soit doté des moyens nécessaires à son autonomie institutionnelle et à son bon fonctionnement, ce qui n’est pas le cas actuellement et, paradoxalement, encore moins pour la justice judiciaire que pour la justice administrative. Cela, c’est pour la séparation des pouvoirs.

D’autre part, elle impose de conformer l’ensemble des modes de résolution des conflits à d’équivalentes garanties de bonne justice, qu’il est convenu de référer, s’agissant des procédures juridictionnelles, aux exigences du procès équitable, fondées, pour la France, outre l’article 16 de la Constitution, sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cela, c’est pour la garantie des droits et ce n’est pas là qu’une simple exigence technique. Comme l’écrit Paul Ricoeur, « Le sens de la justice, qui garde son enracinement dans le souhait de la vie bonne (…), trouve sa formulation rationnelle la plus ascétique dans le formalisme procédural »16. Mécanisme destiné à assurer la paix sociale à l’issue d’une procédure réglée, le procès doit être ce lieu unique de la société, « où la parole l’emporte sur la violence », à la faveur d’épreuves d’acceptabilité qui excèdent l’enceinte du tribunal et mettent en jeu l’auditoire universel si souvent évoqué par Chaïm Perelman17, ce en quoi la motivation du jugement contribue également à la mission pacificatrice du jugement.18

A partir de ces fondations, peuvent alors être envisagées, mais ce n’est pas le plus important, d’autres institutions de nature à permettre à la justice civile d’assurer sa mission pacificatrice.


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II. De nombreuses institutions

Ces institutions sont nombreuses. Deux d’entre elles sont particulièrement référées à la paix civile. Je ne ferai que les évoquer car elles pourraient nous emmener trop loin.

A. La diffusion d’un modèle coopératif de procès.

Ce n’est pas seulement au développement des modes alternatifs de règlement des conflits que ce modèle coopératif du procès se réfère ; c’est aussi à la définition d’une conception coopérative, on dit aussi participative, de la procédure juridictionnelle elle-même. La coopération est, de mon point de vue, la notion cardinale du droit processuel moderne.19

Cette conception coopérative du procès transcende la distinction de la conception accusatoire et de la conception inquisitoire de la procédure, qui n’ont qu’une valeur pédagogique, essentiellement en matière pénale, mais qui n’ont jamais vraiment fait sens en procédure civile, encore moins depuis le nouveau code de procédure civile français. Le procès civil ne peut être ni la seule chose du juge, ni la seule chose des parties ; il est à la fois la chose du juge et des parties car s’il a pour objet de trancher des litiges d’intérêt privé, cette solution mobilise le service public de la justice et est au demeurant destinée à satisfaire un besoin d’intérêt général : la paix civile et le respect des lois. Cette coopération nécessaire se lit de manière évidente dans les dispositions que le nouveau code de procédure civile réserve aux principes directeurs du procès20. Depuis les années 1970, tant l’évolution de la législation que celle de la jurisprudence n’ont fait que renforcer cette coopération, coopération des parties entre elles, coopération des parties et du juge, qu’illustre par exemple la récente introduction en droit français de la convention de procédure participative21 et que consacrent également certaines évolutions procédurales récentes, tant à l’étranger22 que dans l’ordre international. Comme l’exprime excellemment l’article 11.2 des Principes UNIDROIT de procédure civile transnationale : « Les parties partagent avec le tribunal la charge de favoriser une solution du litige équitable, efficace et raisonnablement rapide ». 23

Le phénomène contemporain de contractualisation du procès, caractérisé par la multiplication des contrats individuels de procédure et autres accords processuels relatifs à la compétence, à l’instance, à l’office du juge ou aux voies de recours, est l’expression optimale de ce caractère coopératif du système de justice et les protocoles collectifs de procédure sont, pour leur part, l’expression la plus récente et la plus originale du phénomène de contractualisation du procès.24


 [4]

J’ajouterai simplement que cette conception coopérative du procès doit s’adosser à une administration concertée de la justice. Il faut corriger les défauts du modèle jacobin et centralisé d’administration de la justice qui place l’institution dans les mains du ministère de la justice, c’est-à-dire du pouvoir exécutif. A cet effet, il faut promouvoir un mode de gestion des moyens de la justice plus déconcentré, qui associe l’ensemble des juridictions et, au-delà des juridictions, c’est-à-dire des juges, des procureurs et des fonctionnaires de justice, qui associe également les partenaires locaux de l’institution judiciaire, avocats, huissiers et, ponctuellement, les associations régulièrement en lien avec la justice, ainsi que les collectivités locales sur le territoire desquelles l’institution judiciaire exerce ses missions. Des propositions ont été faites en ce sens25 ; on en trouve la trace dans les préconisations que vient de faire la ministre de la justice dans le cadre de ses projets de réforme sur la justice du 21ème siècle.26
Il faut inscrire plus fortement l’administration de la justice dans la cité, au-delà de ce que permettent aujourd’hui les Maisons de justice et du droit et les Conseils départementaux d’accès au droit. Comme le souligne le Conseil consultatif des juges européens, dans son avis n° 11, « la qualité du fonctionnement du système judiciaire dépend clairement des interactions entre de nombreux intervenants : la police, les procureurs, les avocats, les greffiers, les membres du jury le cas échéant, etc. Le juge n’est qu’un des maillons de cette chaîne de co-acteurs ». Le CCJE a d’ailleurs élaboré, en 2013, un avis n° 16 sur les relations entre les juges et les avocats et les moyens concrets, dans cette perspective coopérative, d’améliorer l’efficacité et la qualité des procédures judiciaires27.

B. Le jugement
La deuxième institution, à l’issue du processus juridictionnel, tient à l’effet du jugement, à la fois comme acte juridictionnel (1°) et comme titre exécutoire (2°).

1°) Comme acte juridictionnel
Le principal effet du jugement, c’est d’interdire le renouvellement des procès. C’est là le rôle de l’autorité de chose jugée qui s’attache en principe au jugement dès son prononcé (art. 480 CPC). Avec l’autorité de chose jugée, c’est l’efficacité du jugement qui se joue.

Comme l’a écrit Henri Lévy-Bruhl, « ce qui est recherché, sans bien souvent que l’on s’en doute, c’est, par-delà le juge, l’adhésion du groupe social qu’il représente, au nom de qui il prononce sa sentence. En d’autres termes, qu’il me soit permis de le répéter, la preuve judiciaire a pour objet de faire obtenir par l’intéressé la ratification, l’homologation de la collectivité »28. L’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement ne signifie pas autre chose : res judicata pro veritate habetur, le jugement n’est pas la vérité, il est seulement censé l’être, pour des raisons de paix sociale, parce qu’il faut mettre un terme aux procès qui troublent la paix publique. « La vérité en droit n’est rien d’autre que la part du passé qu’il faut faire revivre afin de remettre les parties à bonne distance et donc de restaurer les liens de droit ».29


 [5]

Mais il ne faut pas abuser de l’autorité de chose jugée, sauf à ce que cette institution pacificatrice crée plus de difficultés qu’elle est supposée en prévenir. Tel est le cas lorsque l’autorité s’attache à une chose qui n’a pas été vraiment jugée, qui ne l’a pas vraiment été à l’égard de personnes qui étaient en vérité des tiers à l’instance, qui ne l’a pas non plus été à l’égard des parties elles-mêmes sur des moyens, voire des prétentions qu’elles n’avaient pas présentées. Ce risque d’excès n’est pas hypothétique. Il s’est réalisé à plusieurs reprises depuis que la Cour de cassation a posé, dans un arrêt Césaréo, en 2006, une règle dite de concentration des moyens, aux termes de laquelle « il incombe aux parties de présenter dès l’instance initiale l’ensemble des moyens qu’elles estiment de nature, soit à fonder la demande, soit à justifier son rejet total ou partiel »30. Une illustration de cette application excessive est notamment fournie par un arrêt dit du commodat, dans lequel la Cour de cassation a fait de façon injustifiée une application rétroactive de la règle de concentration.31

Acte juridictionnel, le jugement doit également être envisagé comme titre exécutoire, si son autorité intrinsèque n’a pas suffi. Avec les procédures d’exécution, c’est l’effectivité du droit qui se joue alors.

2°) Comme titre exécutoire
Le procès ne s’éteint pas toujours avec l’instance. Précédée par l’action, l’instance est normalement suivie par la phase d’exécution du jugement, à moins que le jugement fasse l’objet d’une voie de recours.

L’exécution des jugements est comme la ligne de crête du droit processuel, aboutissement de l’œuvre juridictionnelle d’une part, expression de l’imperium du juge de l’autre, le glaive après la balance32. L’étymologie du mot exécution confirme le continuum : exécution, executio en latin, du verbe exsequi, qui signifie suivre jusqu’au bout33. « Le procès consacre le droit, l’exécution prolonge le procès », ont pu écrire Pierre Catala et François Terré34. En vérité, l’exécution prolonge moins le procès que l’instance ; elle est une autre phase du procès, au même titre que l’instance, avec laquelle elle ne se confond pas35. On parlait d’ailleurs autrefois, selon des expressions qui ont encore parfois cours à l’étranger36, de la procédure d’instance et de la procédure d’exécution37. Même s’il n’en a pas toujours été ainsi38, le point n’est guère contestable aujourd’hui que la Cour européenne des droits de l’homme a fait du droit à l’exécution effective des jugements une des garanties du droit à un procès équitable, donc un élément du procès.39


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Chacun savait bien, de longue date, avant qu’il y eût la Cour de Strasbourg, qu’un droit qui ne peut être exécuté est comme un droit qui ne peut être prouvé : il ne sert à rien. Autrement dit, seule l’exécution marque la fin du procès conçu, à la fois, comme procédure et comme litige ; le doyen Normand l’avait parfaitement exprimé, il y a soixante ans, dans sa thèse de doctorat : « les litiges ne s’apaisent qu’une fois la décision exécutée ».40

L’effectivité du droit permise par l’efficacité du jugement est source de sécurité juridique pour ceux qui en bénéficient. Mais, au-delà de la sécurité individuelle, la sécurité juridique résulte aussi d’une certaine prévisibilité du droit, ce que doit traditionnellement permettre d’assurer la jurisprudence, en particulier la jurisprudence des juridictions suprêmes dans le cadre de leur mission normative. Ignorance, divergences et revirements de jurisprudence peuvent contrarier cette prévisibilité. Mais ceci est, pour partie, une autre histoire que je ne développerai pas, car elle a déjà été l’objet de réflexions antérieures de l’AHJUCAF, notamment lors de son premier congrès, à Marrakech, en 2004.41 En revanche, une nouvelle dimension émarge depuis quelque temps aux débats contemporains sur la prévisibilité du droit. Sous l’appellation discutable de « jurisprudence concrète »42, c’est celle du recours par le juge aux barèmes et, plus généralement, à l’ensemble des évaluations juridictionnelles, quantums d’indemnité, de réparation, de pension, particulièrement utiles dans certains contentieux comme le contentieux familial et le contentieux des accidents43. Ce recours est un autre axe des réformes actuellement envisagées dans le cadre de la justice du 21ème siècle. Permettre aux citoyens d’être en capacité de mieux évaluer l’opportunité d’engager une action en justice ou bien de transiger, cela participe aussi de la mission de contribuer à la paix sociale incombant à la justice civile dans un Etat de droit44 .


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Mme Atika SENTISSI,
Président de la 6ème section pénale à la Cour de cassation du Maroc

Tout d’abord, je tiens à remercier Monsieur Macky Sall ,Président de la République du Sénégal, Monsieur Ousmane Batoko , Président de la Cour Suprême du Bénin et Président de l’AHJUCAF, Monsieur Dominique Loriferne, Secrétaire Général de l’AHJUCAF, Monsieur Oumar Sakho , Premier Président de la Cour Suprême du Sénégal pour l’invitation de la Cour de Cassation du Maroc et Monsieur Mostapha Faress, Premier Président de la Cour de Cassation du Maroc de m’avoir choisi pour représenter notre institution à ce colloque ; j’essayerai de respecter le temps accordé pour traiter le sujet : Justice et paix civile, en son aspect pénal .
L’élaboration d’une politique pénale est une tâche délicate eu égard aux proportions du phénomène de la criminalité, à la complexité de ses formes, à la diversité de ses méthodes et de ses moyens technologiques développés et du danger qu’il présente à l’égard des sociétés et des valeurs .Il est donc nécessaire de préconiser des mesures d’accompagnement tendant à combattre de manière efficace les différents aspects de la criminalité dans le cadre d’un système juridique garantissant les droits de la société et de l’individu .
La législation pénale englobe entre autres, le Code Pénal, le Code de Procédure Pénale et l’organisation de la justice pénale. C’est ce qui reflète l’importance et la nature de la politique pénale des nations. Elle constitue également l’image du régime constitutionnel, démocratique et social dans lequel la justice pénale est exercée .Elle démontre l’efficacité et l’importance de la politique pénale suivie en matière de lutte contre la criminalité conformément aux principes constitutionnels, aux conventions internationales.
Je me propose de discuter dans mon intervention, des questions posées dans le programme cadre du sous- thème : JUSTICE ET PAIX SOCIALE à travers la politique pénale marocaine ;sans trop m’ attacher aux détails des étapes qui sont écoulées pendant des décennies influencées par le contexte politique, social et économique de l’époque (la période coloniale 1913-1953 , le lendemain de l’indépendance, des textes de lois des libertés politiques, le Dahir du code pénal de 1962, le Dahir de l’unification , d’arabisation et de marocanisation des juridictions….) . J’évoquerai néanmoins la réforme Judiciaire en 1974 avec les textes ayant pour principe directeur le rapprochement de la justice du justiciable, dans les dimensions géographiques en dehors de sa portée fonctionnelle. C’est ainsi que furent instituées les juridictions communales et d’arrondissements dont les prérogatives s’étendirent au domaine pénal renforçant encore plus répondant la proximité. Puis on retiendra à partir des années 80 ou Feu SM Hassan II avait annoncé des initiatives importantes pour notre processus constitutionnel, démocratique et juridique .On pourrait citer en particulier l’instauration du Conseil Consultatif des Droits de l’Homme ,l’Instance Indépendante d’Arbitrage , et enfin l’Instance de Vérité et de Réconciliation mise en place par le Roi Mohamed VI pour l’indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par les victimes et leur ayants droit de la disparition forcée et de la détention arbitraire commises sous le règne du Feu SM Hassan II, et ce, sur la même base arbitrale et principes de justice et d’équité.
Les démarches faites par le Maroc pour une justice sociale vise l’égalité des droits et la solidarité collective qui visent à leur tour à donner à chacun les mêmes chances de réussite tout au long de sa vie, se mettre aux services de la paix, proposer des services d’accès aux droits et s’assurer que chacun bénéficie équitablement de ces services .Elles reposent sur les valeurs telles que l’équité ,l’égalité, le respect et la diversité , et ce, pour identifier les meilleurs moyens de traiter l’équilibre entre la sécurité et la justice sociale. L’expérience marocaine va dans ce sens. Ainsi, elle répond en gros aux recommandations des instances Internationales, celles des institutions internationales et les dispositions des traités internationaux ; et celles de l’Instance du Dialogue National sur la réforme de la Justice et également à la Charte de la réforme de la justice présentée par cette dite Instance.
Le Maroc a choisi une modernisation en profondeur de sa nouvelle Constitution de 2011 pour instaurer un véritable état de droit ; 21 articles concernant le pouvoir judiciaire dont 5 articles touchent à notre sujet :
• Impartialité des juges, leur indépendance (art 109.)
• Présomption d’innocence jusqu’à la condamnation par décision ayant acquis la force de la chose jugée (art 119)
• Toute personne a le droit à un procès équitable et un jugement rendu dans un délai raisonnable, les droits de la défense sont garantis devant toutes les juridictions (art 120).
• Les dommages causés par une erreur judiciaire ouvrent droit à une réparation à la charge de l’Etat (art 122).
• Les jugements définitifs s’imposent à tous, les autorités publiques doivent apporter l’assistance nécessaire lorsque celle-ci est requise pendant le procès. Elles sont également tenues de prêter leur assistance pour l’exécution des jugements. (art 126)
Ces principes étaient déjà consacrés par la loi, mais leur élévation au rang constitutionnel visait à leur donner une primauté sur toutes autres sources de droit.
Le législateur marocain avait auparavant étoffé sa législation pénale en introduisant plusieurs crimes et délits pour lutter contre la criminalité, tels que le harcèlement sexuel, le blanchiment des capitaux, l’immigration clandestine, le terrorisme, la loi de la protection des témoins victimes et dénonciateurs, l’incrimination de la torture et les traitements inhumains et dégradants, l’atteinte aux systèmes de traitement automatisé des données, la protection de la femme contre toutes sortes de violences y compris la violence conjugale.(Des centres d’écoute ont été créés dans tout le Royaume à ce sujet).
Autres avancées dans l’édification de l’Etat de Droit :
• La suppression de la Cour Spéciale de Justice ( juridiction d’exception) chargée de la répression de certains crimes commis par les fonctionnaires ou les magistrats lorsque la valeur ou le montant en cause est supérieur à 25.000,00 DH comme la concussion ,la corruption, le trafic d’influence et le détournement des deniers publics .
• Le Projet de Loi 108-13 modifiant la compétence du tribunal militaire, adopté par le Conseil du Gouvernement puis par le Conseil des Ministres en Mars 2014. Le Législateur a pris des mesures de mise en conformité avec les dispositions internationales en la matière telle :
• Le Pacte International relatif aux droits civils et politique.
• L’Observation générale N°32 du Comité des Droits de l’Homme adoptée à la 90ème session de ce dernier.
• La Convention et le Protocole relatifs aux Droits de l’enfant concernant l’implication des enfants dans les conflits armés.
Les nouvelles dispositions adoptées ne permettent plus de déférer un civil quelles que soient sa qualité et la nature du crime commis en temps de paix y compris lorsque les membres des Forces Royales sont les co-auteurs des faits reprochés. Les militaires et les paramilitaires pourront également être jugés par les tribunaux civils si les crimes qui leur sont reprochés relèvent du droit commun. Les mineurs de moins de 18 ans ne seraient plus jugés devant la justice militaire quelles que soient leur qualité et la nature du crime qui leur est reproché. Le tribunal militaire sera désormais considéré comme une partie intégrante du système judiciaire. De ce fait, les verdicts de la justice militaire seront susceptibles d’un recours devant la Cour de Cassation .Se constituer partie civile sera désormais possible devant le tribunal militaire.
L’instauration d’un système de sanction équilibré en adéquation avec les objectifs de la Fondation Mohamed VI pour la réinsertion et la rééducation des détenus dans la plupart des établissements pénitentiaires munis de centres de formation et de qualification professionnelles ; spécialement en faveur des plus jeunes, afin de favoriser leur réinsertion par l’emploi et d’éviter la récidive.
Dans le domaine de la procédure pénale ; un avant-projet de loi mis en ligne pour concertation sur le site du Secrétariat Général du Gouvernement le 08/05/2014 dont 288 articles seront modifiés et 130 autres ajoutés, doit être prochainement étudié par les deux Chambres du Parlement. Cet avant-projet introduit des mesures alternatives à la détention préventive, telles que le port du bracelet électronique, le travail d’intérêt général, l’interdiction du prolongement de la détention préventive sauf en cas de nécessité majeure. La mesure de détention préventive peut être attaquée par la personne objet de cette mesure devant l’instance qui l’a ordonnée qui peut l’annuler. La garde à vue ne peut être ordonnée que dans les cas prévus par l’article 66 dudit projet. L’enregistrement audiovisuel des interrogatoires des suspects et des accusés dans le cas où la peine prévue est de deux ans de prison et plus. La remise partielle des peines de plein droit a été également introduite pour la première fois dans cet avant-projet de loi. Elle peut être accordée aux condamnés pour la bonne conduite après avoir purgé au moins les 25% de la durée de la peine encourue .Une remise des peines supplémentaires peut être aussi accordée à ceux ayant réussi à participer aux programmes d’intégration ou à la formation professionnelle ou ceux ayant bien réussi leurs études durant leur incarcération.
L’avant-projet de loi englobe la réconciliation comme alternative au procès public si les conditions sont réunies, et ce, sur proposition du Procureur du Roi ou d’un intermédiaire désigné par ce dernier ou par les deux parties. Le procès des mineurs ne peut revêtir une nature punitive. Tout l’appareil judiciaire doit agir dans l’intérêt supérieur du mineur. Le mineur de moins de 15 ans ne peut être en prison même de façon provisoire , quel que soit l’infraction qu’il aura commise, et s’il s’agit d’un délit ; le juge des mineurs demande une enquête pour fixer les mesures adéquates afin de garantir sa protection.
Parallèlement à la législation réprimant sévèrement tous les intervenants dans l’immigration clandestine ,le Maroc a lancé à la fin de l’année 2013 une action de régularisation de la situation de 30.000 immigrés en situation irrégulière afin qu’ils puissent jouir des droits et des libertés fondamentaux reconnus aux citoyens marocains et supprime toute discrimination à l’encontre de la personne en raison de son origine, sa couleur, son sexe ou tout autre facteur de discrimination.
En conclusion, maintenant que les principaux jalons sont plantés avec tout l’arsenal juridique, le pouvoir et les citoyens doivent s’y mettre avec conviction et optimisme. La période de la politique pénale que nous vivons, concerne beaucoup plus l’application des textes, mais à l’égard du dysfonctionnement que l’on peut relever, cette politique novatrice ne pourra véritablement se généraliser et porter ses fruits qu’avec le temps.

Mme Florence Aubry GIRARDIN,
avocate, docteure en droit, juge au Tribunal fédéral suisse

I. Paradoxe de l’intervention judiciaire
L’économie de marché s’oppose par nature à toutes les formes d’économies planifiées. Pour fonctionner, l’économie de marché implique que tous les acteurs qui interviennent sur un marché (fournisseurs de biens ou de services, clients, consommateurs) soient libres d’y agir aux conditions qu’ils choisissent, dans le respect d’une législation qui s’applique à tous de la même manière. La concurrence qu’ils créent est réputée assurer une dynamique d’échanges permettant aux tiers d’obtenir les meilleures conditions possibles. Bref, il n’y a pas d’économie de marché sans vraie concurrence. Une concurrence ouverte et loyale permet de garantir la confiance des acteurs économiques et partant la prospérité.

Dans cette optique, toute intervention étatique et a fortiori judiciaire dans ce mécanisme peut paraître préjudiciable à l’économie de marché, car de nature à fausser la libre concurrence. Pourtant, ces interventions sont des moyens de contrôle indispensables. Même dans les systèmes économiques basés sur la primauté de la concurrence, le législateur a mis en place des moyens permettant une intervention judiciaire. La libre concurrence sans limitation aucune ne comporte en effet des risques de dérapages. L’intervention du juge en ce domaine apparaît ainsi comme un moyen de garantir le respect d’une économie de marché reposant sur des règles saines.
Le juge peut intervenir dans l’économie de marché sous deux angles :
- tout d’abord, lorsqu’il applique des règles qui visent à défendre des intérêts extérieurs au fonctionnement de l’économie, mais qui, indirectement, restreignent la concurrence. En font parties toutes les normes protectrices, en matière de droit du travail ou d’environnement notamment. Si le juge intervient, pour faire respecter par exemple les horaires de travail dans une entreprise ou qu’il impose des mesures de protection de la santé ou de la sécurité des travailleurs, sa décision a un impact sur la concurrence ;
- le juge peut aussi intervenir directement sur la libre concurrence. Il a cette compétence dans des situations où les seules lois du marché présentent des riques de dérapage. Ces décisions judiciaires qui ont un impact direct sur le fonctionnement de l’économie sont moins connues que les premières. Je me propose de focaliser la suite de cette intervention sur celles-ci.

II. Domaines concernés
Sans que cette liste ait la prétention d’être exhaustive, voici quelques domaines dans lesquels le juge peut rendre des décisions de nature à influencer l’économie. Evidemment, il ne peut intervenir qu’en fonction de la compétence que lui donne la législation nationale.
1. Le juge peut rendre des décisions sanctionnant les entreprises qui ne se comportent pas de manière honnête. Ce domaine comprend tous les actes de concurrence déloyale. L’idée est de préserver la " morale des affaires ". Par exemple, une entreprise qui commercialise un produit concurrent en imitant celui-ci de façon à ce que le consommateur puisse être induit en erreur quant au fait qu’il n’achète pas le produit original agit déloyalement.
2. Le juge peut avoir le pouvoir d’intervenir pour éviter des ententes entre entreprises qui ont pour résultat d’empêcher le jeu de la concurrence. Ainsi, le juge peut être amené à casser, en les déclarants illicites, des accords cartellaires. Tel était le cas en Suisse pour le marché de la bière, où les entreprises productrices avaient, par avance, convenu d’un prix de vente minimal de la bière livrée aux restaurateurs.
3. Le juge peut être saisi lorsque le marché, pour un produit, est dominé par une entreprise qui fixe des règles qui excluent toute concurrence, ce que l’on désigne sous l’expression " abus de position dominante ". Le Tribunal fédéral a eu à juger récemment du cas d’une entreprise qui dominait le marché de la publicité dans la presse écrite. Cette entreprise passait, avec les journaux, des contrats, qui revenaient à exclure la création d’autres entreprises actives sur le même marché. A nouveau, en déclarant ces contrats illicites, le juge influence directement la concurrence.
4. Alors que, dans les trois catégories précitées, le juge intervient dans les relations entre entreprises, la dernière catégorie - peut-être la plus délicate pour le juge – recouvre les situations dans lesquelles il faut examiner si une collectivité publique a respecté les règles de la libre concurrence. Tel est le cas lors de l’attribution de marchés publics, soit lorsqu’une collectivité confie l’exécution d’une tâche publique ou la construction d’infrastructures étatiques à une entreprise privée. Lors de l’attribution du contrat, il faut éviter que le choix de l’entreprise ne soit dicté non par la qualité du produit ou des services offerts en relation avec le prix, mais par d’autres éléments qui n’ont rien à voir avec le marché. On pense évidemment au versement de pots-de-vin. Pour parer ce risque, les règles sur les marchés publics imposent une certaine transparence dans l’attribution des contrats, afin de sauvegarder la concurrence et, par conséquent, une saine utilisation de l’argent public. Si une entreprise concurrente qui n’a pas obtenu le marché soupçonne une violation de la procédure de marché public, elle doit ainsi avoir la possibilité de faire appel au juge. Celui-ci devra alors s’assurer que la procédure a été respectée et que le marché a bien été attribué à l’entreprise qui offrait le meilleur rapport qualité-prix.

III. Importance de l’intervention judiciaire
Les interventions judiciaires qui ont directement pour but d’influencer le fonctionnement de l’économie sont souvent mal perçues. Elles sont sujettes à des résistances, car elles peuvent avoir pour résultat d’assurer une protection à l’acteur économique le plus faible et d’empêcher des entreprises importantes qui dominent un marché d’agir librement. Dans le domaine des marchés publics, elles peuvent en outre revenir à empêcher une collectivité publique de conclure un contrat avec l’entreprise qu’elle avait initialement choisie. Il est cependant indispensable que la justice puisse avoir les moyens d’agir en ce domaine et que les décisions rendues soient acceptées dans leurs conséquences, car une économie de marché ne peut assurer la paix sociale que si elle repose sur une concurrence libre et loyale.

JUSTICE ET ELABORATION DE LA NORME
Président de Séance : Ousmane Batoko
Président de la Cour suprême du Bénin

Rapporteur : Frédéric Joël Aïvo
Professeur de Droit public au Centre de droit constitutionnel
de l’Université d’Abomey-Calavi, Bénin

Il n’y a pas d’Etat de droit sans normes générales et chaque Etat dispose d’organes chargés d’élaborer les lois (au sens large). Mais les règles effectivement appliquées n’émanent pas toutes des institutions politiques. Quelle place tient la justice dans la création des normes ?
Ainsi, trois sujets vont être examinés :

Le contrôle et l’interprétation par les juridictions internes, Cours suprêmes, Conseils constitutionnels etc... des normes édictées par l’Etat.

Le rôle normatif de la jurisprudence des Cours suprêmes et des Cours internationales (africaines, européenne..), la prise en compte de cette jurisprudence par les autorités étatiques, notamment dans les textes postérieurs.

La reconnaissance de coutumes ou normes propres à certaines populations autochtones par les Etats et les juridictions étatiques.

Rapporteur :

« Le Juge, le Législateur et la Loi. Nouveaux rapports de forces ? » Propos introductifs de M. le Professeur Frédéric Joël AÏVO, Centre de droit constitutionnel de Université d’Abomey-Calavi (Bénin)

Intervenants :

« Le contrôle et l’interprétation des normes juridiques en droit français », Par M. le Président Alain Lacabarats, Cour de cassation (France)

« Le rôle normatif de la jurisprudence des Cours suprêmes et des Cours internationales » Par M. le Président Paul Maffei, Cour de cassation (Belgique)

« La réception des droits coutumiers dans les droits nationaux : l’exemple du Canada », Par M. le Professeur Sébastien Grammond, Université d’Ottawa, (Canada).

M. Alain LACABARATS
Président honoraire de la Chambre sociale à la Cour de cassation de France

La formulation impérative de ce principe, prévu par l’article 12 du code de procédure civile, révèle la caractéristique du système judiciaire français, fondé sur la prééminence de la loi, et illustre les limites du rôle du juge, investi d’une mission d’interprétation et d’application de celle-ci.
Le jugement en équité est, en principe, interdit ( 2e civ., 10 juillet 2014, pourvoi n° 13-19498 : “l’équité n’est pas une source de droit” ).
Certes, dans l’exercice de ses prérogatives, le juge crée du droit, en adaptant la loi à des situations particulières, dès lors qu’il est impossible de tout prévoir par la voie législative, mais, pour reprendre l’analyse d’un juriste américain du début du XXe siècle, le “droit fabriqué par les juges est un droit secondaire et subordonné au droit confectionné par le législateur” ( Benjamin N. Cardozo, “La nature de la décision judiciaire”, Dalloz, collection Rivages du droit, 2011, page 27 ).
Dans ce contexte, le rôle de la Cour de cassation française, qui doit veiller à l’unité d’application de la loi, est, aux termes de l’article 604 du code de procédure civile, de “censurer la non-conformité du jugement [que le pourvoi attaque] aux règles de droit”.
On observera à cet égard que ce n’est pas la référence à la “loi”, votée par le Parlement, qui émerge de cette disposition : la notion de “règles de droit” est nécessairement plus large, pour comprendre celles qui, dans le domaine interne, auraient une autre source, mais aussi les principes juridiques issus de traités internationaux régulièrement ratifiés par la France.
On s’aperçoit alors immédiatement que des conflits peuvent naître entre différentes sources du droit, de sorte que le juge, qui tient de l’article de l’article 4 du code civil, non seulement le pouvoir, mais surtout le devoir, de juger les litiges qui lui sont soumis, va être contraint d’opérer entre les règles invoquées par les parties une conciliation qui, dans certains cas, le contraindra à privilégier l’une au détriment de l’autre.
A ce point de vue, deux questions principales méritent d’être examinées : celles du juge confronté, soit à la Constitution de l’Etat ( I ), soit aux traités internationaux ( II ).
I - Le juge et la Constitution
La Constitution est, en droit interne, la norme suprême.
Cette suprématie s’est traduite pour le juge français de deux manières :
L’absence de contrôle de la Cour de cassation sur toute norme de valeur constitutionnelle. (Cass., Ass. Plen., 2 juin 2000, pourvoi n° 99-60274) ;
L’absence d’appréciation par la Cour de cassation de la conformité des lois à la Constitution (1re civ., 20 mai 2009, n° 08-10576).
Mais cette réserve du juge dit “ordinaire” à l’égard de toute forme de contestation de la Constitution ou des normes qui seraient critiquées pour contrariété aux principes constitutionnel, relevant en principe de l’appréciation du Conseil constitutionnel, ne signifie pas que cette charte fondamentale de l’Etat est absente des décisions du juge, lorsque celle-ci se révèle nécessaire à la solution d’un litige.
En réalité, la Constitution sert fréquemment de fondement juridique à la décision du juge (A), lequel s’est en outre, dans une époque récente, approprié la dimension constitutionnelle du droit ( B ).
A - Le règlement des litiges par l’application des normes constitutionnelles
Dans un nombre significatif d’hypothèses, le juge fonde ses décisions sur des principes constitutionnels directement issus du bloc de constitutionnalité ou de l’interprétation qu’en a donné le Conseil constitutionnel.
Sans entrer dans le détail de cette question, il suffit d’illustrer le propos par quelques exemples, où la Constitution est visée par le juge :
- Pour rappeler le principe de la hiérarchie des normes, l’article 55 de la Constitution consacrant la primauté des traités internationaux ratifiés par la France ( Soc., 15 décembre 2010, n° 08-45242 : rappel, au visa de ce texte, de la primauté des traités ou accords internationaux régulièrement ratifiés ou approuvés par la France, pour faire prévaloir, contre des dispositions nationales instaurant le contrat dit “nouvelles embauches”, celles de la Convention n° 158 de l’O.I.T. ; 1re civ., 25 avril 2006, n° 02-17344 : visa du même texte de la Constitution, outre les principes régissant les immunités de juridiction et d’exécution, pour poser en principe que “si les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies s’imposent aux Etats membres, elles n’ont, en France, pas d’effet direct tant que les prescriptions qu’elles édictent n’ont pas, en droit interne, été rendues obligatoires ou transposées ; [...] à défaut, elles peuvent être prises en considération par le juge en tant que fait juridique” ).
Mais la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’applique pas dans l’ordre interne face à des dispositions de valeur constitutionnelle (Cass., Ass. Plen., 2 juin 2000, précité).
- Pour garantir la protection des droits et libertés des personnes, en ce qui concerne, soit les libertés individuelles, soit les libertés collectives.
L’article 66 de la Constitution fait ainsi partie des normes constitutionnelles les plus fréquemment visées par la Cour de cassation, pour rappeler les pouvoirs et devoirs des juges judiciaires, gardiens de la liberté individuelle ( par exemple : 2e civ., 22 mai 1996, n° 95-50012 et 1re civ., 31 janvier 2006, n° 04-50093,, sur les vérifications incombant au juge judiciaire en cas d’interpellation et de placement en rétention administrative d’un étranger en situation irrégulière ).
Les décisions appliquant la Constitution dans le domaine des libertés collectives sociales sont tout aussi importantes :
Pour le droit de grève : Soc., 2 juin 1992, n° 90-41368, selon lequel le juge ne peut substituer son appréciation à celle des grévistes sur la légitimité ou le bien-fondé des revendications professionnelles formulées.
Pour le principe de la liberté syndicale ( Soc., 2 juin 2010, n° 08-43277, se référant à la “liberté garantie par la Constitution qu’a tout homme de pouvoir défendre ses intérêts par l’action syndicale”).
Pour le droit à la santé et au repos (Soc., 26 septembre 2012, n° 11-14540 : “Le droit à la santé et au repos est au nombre de exigences constitutionnelles”).
A la lumière de ces quelques illustrations, il n’est guère douteux que la jurisprudence de la Cour de cassation est déjà imprégnée des principes découlant des textes formant le bloc de constitutionnalité.
L’ouverture du droit, pour les justiciables, de contester la conformité à la Constitution de textes législatifs déjà promulgués par des questions prioritaires de constitutionnalité ( QPC ) n’en a pas moins provoqué une évolution qu’il convient d’analyser.

B - La QPC : vers un approfondissement de l’application des normes constitutionnelles par le juge
Les années récentes se caractérisent, d’une part par un élargissement du spectre des normes constitutionnelles auxquelles la Cour de cassation fait référence, d’autre part par une véritable appropriation par la Cour de la constitutionnalité du droit privé.
1- L’élargissement du spectre des normes constitutionnelles appliquées
Outre les textes mêmes relevant du bloc constitutionnel, la Cour de cassation s’appuie désormais régulièrement sur les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, dont l’autorité à l’égard des pouvoirs publics et de l’ensemble des juridictions est garantie par l’article 62 de la Constitution.
Ainsi, la 1re chambre civile a-t-elle pu justifier une décision de rejet de la demande d’autorisation de mariage formée par une personne en curatelle par application de l’article 460 du code civil, ce texte ayant été déclaré conforme à la Constitution par une décision du Conseil citée par la Cour ( 1re civ., 5 décembre 2012, n° 11-25158 ).
C’est par le même mécanisme de référence à une décision déterminée du Conseil constitutionnel que la chambre sociale a , par une nouvelle jurisprudence, précisé les conditions d’opposabilité à l’employeur du mandat d’un salarié protégé, pour une cause de protection extérieure à l’entreprise ( Soc., 14 septembre 2012, n° 11-21307 ), ou encore s’est prononcée sur les prérogatives des syndicats représentatifs ( Soc., 10 novembre 2010, n° 09-72856 ).
Une approche identique a été adoptée par la 2e chambre civile afin de déterminer les préjudices réparables pour un salarié victime d’un accident de travail imputable à une faute inexcusable de l’employeur (2e civ, 4 avril 2012, n° 11-15393).
Il convient néanmoins de souligner que, dans son travail d’investissement du champ constitutionnel, la Cour de cassation ne s’est pas bornée à une simple transposition mécanique de ces normes, textuelles ou jurisprudentielles.

2- L’appropriation par la Cour de cassation de la constitutionnalité du droit privé

Cette appropriation s’est manifestée, au fil du temps, de diverses manières :
a - L’interprétation de la Constitution
Allant au-delà du règlement des litiges par référence aux normes constitutionnelles prises en tant que telles, la Cour de cassation a, de manière exceptionnelle, interprété directement certaines dispositions de la Constitution (Cass., Ass. Plen., 10 octobre 2001, n° 01-84922 : “L’article 68 [de la Constitution] doit être interprété...” ).
b - L’appréciation de la portée d’une décision constitutionnelle.
Plus fréquente est la détermination par la Cour de cassation du sens d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel, par exemple :
- Pour délimiter sa portée ( 2e civ., 4 avril 2012, n° 11-10308 : le caractère forfaitaire de la rente due à la victime d’un accident du travail n’a pas été remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 “qui ne consacre pas le principe de la réparation intégrale du préjudice causé par un tel accident” ; 1re civ., 15 décembre 2011, n° 10-27473, qui analyse une décision du Conseil constitutionnel pour déterminer si certains de ses motifs en sont le soutien nécessaire et doivent à ce titre bénéficier de l’autorité absolue prévue par l’article 62 de la Constitution).
- Pour constater que la qualification donnée à un acte par le Conseil constitutionnel n’en n’exclut pas une autre (Soc., 31 mai 2012, n° 11-10762 : La C.S.G., “imposition de toute nature” selon le Conseil constitutionnel, revêt également la nature de cotisation sociale, au sens d’un Règlement européen appliqué par la Cour ).
c - Le contrôle de la constitutionnalité de la loi
Cette appropriation des normes constitutionnelles va-t-elle jusqu’à contredire l’incompétence traditionnellement affirmée du juge judiciaire en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois ?
La Cour de cassation répond toujours négativement, lorsqu’il lui est demandé d’écarter une disposition légale pour non-conformité à la Constitution :
Même si l’inconstitutionnalité, au vu notamment des décisions antérieures du Conseil constitutionnel, est évidente, la Cour de cassation refuse toujours au juge judiciaire d’en écarter lui-même l’application (3e civ, 8 juillet 2011, n° 11-40025, pour une loi antérieure au texte identique codifié et déjà déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel).
Mais si les citoyens peuvent désormais contester la conformité des lois à la Constitution en posant, dans le cadre des litige dans lesquels ils sont engagés pour l’application de ces lois, une QPC, ils ne peuvent saisir directement le Conseil constitutionnel et doivent soumettre la question au juge et c’est, en dernière analyse, à la Cour de cassation, pour les litiges relevant de la compétence des juridictions judiciaires, de déterminer s’il y a lieu à saisine du conseil constitutionnel, seul compétent pour déclarer une loi non conforme à la Constitution.
Dans l’exercice de son rôle de “filtre” en matière de QPC, la Cour de cassation doit apprécier le “caractère sérieux” de la question.
Elle doit donc exercer un contrôle de fond sur la disposition critiquée, de sorte que c’est seulement s’il existe un doute raisonnable quant à la conformité du texte à la Constitution qu’il y aura lieu de saisir le Conseil constitutionnel pour faire trancher la difficulté.
Et la Cour, lorsqu’elle dénie à une Q.P.C. tout caractère sérieux, opère parfois un véritable jugement de constitutionnalité, avec des formulations qui pourraient se trouver dans des décisions du Conseil constitutionnel ou qui en sont directement inspirées :
(1re civ, 14 mai 2013, n° 13-10109 ; Soc., 5 juin 2013, n°12-27478 ; 3e civ., 11 juillet 2013, n° 13-11429 ; Com., 5 septembre 2013, n° 13-40034 ; 2e civ., 5 septembre 2013, n° 13-40037).
Il convient néanmoins d’insister sur le fait que le juge judiciaire reste privé du pouvoir de refuser d’appliquer une loi pour une éventuelle contrariété à la Constitution.
Mais, lorsque sont en cause des dispositions de traités internationaux, ses prérogatives sont bien plus importantes.
II - Le juge et les traités internationaux
Il est possible qu’à l’origine, les droits et libertés définis par les conventions internationales aient été conçus dans une perspective verticale, comme un ensemble de prérogatives susceptibles d’être invoquées contre l’Etat.
Mais l’idée d’une diffusion horizontale de ces droits s’est progressivement inscrite dans la pratique des juridictions, avec d’ailleurs l’aval du Conseil constitutionnel :
Le juge, saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec le droit de l’Union européenne, doit faire “ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient appliquées dans ce litige” (Conseil constitutionnel, 12 mai 2010, décision n° 2010-605).
La Cour de cassation avait énoncé un tel principe pour la première fois dans un arrêt Jacques Vabre de sa chambre mixte du 24 mai 1975 ( pourvoi n° 73-13556 ) soulignant que le droit de la Communauté européenne s’intègre à celui des Etats membres et s’impose à leurs juridictions qui doivent le faire prévaloir sur les textes de droit interne, fussent-ils postérieurs.
Et ce qui est vrai pour le droit de l’Union l’est également pour celui de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention), applicable également par n’importe quel juge au nom de la prééminence du droit conventionnel.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi décidé, dès 1976, que “La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...] ayant été régulièrement ratifiée, a force de loi en France” (Crim., 30 juin 1976, n° 75-93296).
Et l’une des premières applications de la Convention à l’un de ses domaines essentiels, celui de la liberté d’expression, résulte d’un arrêt de la 1re chambre civile du 31 janvier 1989 ( n° ) qui, pour censurer un arrêt de cour d’appel ayant en référé prononcé une mesure de saisie de publication sur le fondement de l’article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, se fonde explicitement sur l’article 10 de cette Convention et la nécessité de respecter la proportionnalité de la mesure par rapport aux droits et libertés en conflit.
Le rôle du juge national à l’égard des textes internationaux applicables sur son territoire revêt ainsi un double aspect d’application de ces normes ( A ), voire d’éviction des normes internes contraires ( B ).
A - L’application de normes internationales
Dans le système de la Convention comme dans celui du droit de l’Union, le juge national doit être tenu pour “le juge de droit commun” des principes qui en résultent. Cette charge, clairement assignée au juge par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de justice de l’Union européenne, implique de ne pas se contenter de l’application faite par ces juridictions de telles normes et de s’en approprier le sens pour les mettre directement en œuvre, soit exclusivement, soit en concours avec des normes de droit interne, pour, en quelque sorte, renforcer l’autorité et l’efficacité de celles-ci.
C’est dans cet esprit que, notamment, la Cour de cassation a fondé exclusivement sur les dispositions de l’article 6§1 de la Convention des décisions posant le principe de la motivation impartiale des jugements (2e civ. 14 septembre 2006, n° 04-20524) ou celui de loyauté dans l’administration de la preuve en matière civile ( Cass., Ass. Plen., 7 janvier 2011, n° 09-14667), ou sur les articles 5 et 5§1 de la même Convention le droit à réparation de ses préjudices pour la personne hospitalisée sans son consentement dans des conditions irrégulières (1re civ., 23 juin 2010, n° 09-66026 ).
B - L’éviction des normes internes
Le juge doit néanmoins aller plus loin, puisqu’il dispose aussi du pouvoir de régler les éventuels conflits susceptibles d’affecter les rapports entre les normes internationales et les règles du droit national.
La prééminence des premières découle, en France, de l’article 55 de la Constitution, comme le rappellent assez régulièrement les arrêts de la Cour de cassation (par exemple : 1re civ., 25 avril 2006, n° 02-17344 ; Soc., 15 décembre 2010, n° 08-45242).
Ce principe de prééminence permet au juge, d’abord de s’assurer, lorsqu’elle est contestée, de la conformité d’un texte national aux normes supra-nationales ( 3e civ., 16 mars 2011, n° 09-69544, à propos de la limitation des possibilités d’indemnisation en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique ), ou de lui donner une interprétation éclairée par des dispositions de textes européens et compatible avec celles-ci ( 1re civ., 5 février 2014, n° 12-25748, appliquant un texte du code de la consommation, “interprété à la lumière” d’une Directive ).
Mais la prééminence donne aussi et surtout au juge le droit d’évincer l’application d’un texte de droit interne, contraire aux engagements internationaux de la France.
Par application de ce principe, et parmi de nombreux exemples, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé non conformes à la Convention les dispositions de droit interne n’assurant pas la présence d’un avocat dès le début de la garde à vue d’une personne soupçonnée, ni lors de ses interrogatoires ( Cass., Ass., plen., 15 avril 2011, n° 10-17049 ).
A aussi été écartée, comme non conforme au droit de l’Union européenne, une disposition de la charte du football professionnel restreignant la liberté de circulation de jeunes joueurs formés dans un club (Soc., 6 octobre 2010, n° 07-42023).
Plus récemment, a également été écartée, comme constitutive d’une “ingérence injustifiée dans l’exercice du droit au respect dû à la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales”, l’application de l’article 161 du code civil, pour le prononcé de la nullité du mariage d’un beau-père avec sa bru, dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de 20 ans ( 1re civ., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-26066).
Sans qu’il soit nécessaire de multiplier les exemples, il convient d’ajouter que ce pouvoir d’éviction vise aussi, s’il y a lieu, les textes de lois jugés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Le Conseil l’a précisé lui-même dans sa décision précitée du 12 mai 2010 :
“ L’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements [ internationaux ] sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution”.
Il est en définitive indéniable que les juges contribuent de manière essentielle à la mise en œuvre des normes juridiques applicables aux litiges qu’ils ont pour mission de résoudre.
Ils tiennent leur légitimité de la Constitution elle-même et des textes internationaux consacrant la séparation des pouvoirs comme une exigence essentielle des sociétés démocratiques.
Mais séparation des pouvoirs ne signifie pas absence de dialogue entre le juge et les autres institutions : quel que soit le champ d’action du juge judiciaire, confronté à l’application des textes internationaux comme des normes de l’ordre constitutionnel, la construction d’une “politique jurisprudentielle” ne peut être menée efficacement qu’avec le concours des Hautes cours en charge de tels contentieux dont elles sont les premiers interprètes.
Il n’est plus concevable, dans un système juridique moderne, d’agir sans se préoccuper des orientations données aux questions posées par les autres ordres juridictionnels.
Au-delà de la recherche de sécurité juridique, c’est un constat de bon sens qui doit justifier l’instauration d’un dialogue permanent entre ces institutions, nationales et européennes, pour parvenir à l’instauration d’un Etat de droit conforme aux attentes des justiciables.

M. Paul MAFFEI,
Président de la Cour de cassation de Belgique

I. Le rôle normatif de la jurisprudence des cours suprêmes,
des cours constitutionnelles et des cours internationales

• Dans tout Etat de droit, la Cour suprême a pour mission de contrôler la légalité des décisions rendues en dernier ressort par les juridictions inférieures. A cette fin, elle interprète les dispositions normatives sur lesquelles sont fondées ces décisions dont elle vérifie la légalité et assure de la sorte l’unité de la jurisprudence. A cela s’ajoute le rôle particulier que joue la Cour constitutionnelle dans les pays qui en sont dotés et qui influe sur la jurisprudence de la Cour suprême et sur la législation. Quant aux juridictions internationales, elles ont une place particulière dans l’interprétation des conventions et des actes qui sont de leur compétence. Par cette interprétation, elles assurent également l’unité de la jurisprudence dans les Etats membres ayant ratifié ces conventions.
• On s’accorde à dire que ce pouvoir d’interprétation confère aux cours suprêmes, aux cours supranationales et internationales, ainsi qu’aux cours constitutionnelles un pouvoir quasi-normatif, voire même véritablement normatif, dans la mesure où elles exercent une influence déterminante sur le contenu et la portée de la norme. Le but de notre propos est d’examiner en quoi consiste ce pouvoir.

II. Les cours suprêmes nationales
• Par l’interprétation qu’elle donne à la loi dans une cause qui lui est soumise, la cour suprême détermine le sens et la portée de la loi. Cette interprétation indique la manière dont la loi doit être appliquée. C’est là l’effet quasi-normatif de la jurisprudence, qui sera renforcé dans la mesure où l’interprétation donnée est maintenue par la Cour suprême. Bien sûr, cette interprétation n’est pas contraignante pour les juges du fond qui demeurent libres de donner leur propre interprétation, mais s’ils s’écartent de celle donnée par la cour suprême, ils risquent d’être censurés par cette dernière. Par ailleurs, la qualité de la décision de la cour suprême, garantie par le soin donné à la motivation, confère à cette décision une autorité morale qui incite les juges du fond à suivre la voie indiquée par celle-ci. Enfin, si la cour suprême n’est-elle-même pas tenue par ses précédents, sa fidélité à ceux-ci renforce évidemment son autorité, garante de l’unité de la jurisprudence.

A. L’effet sur la législation
• Cette jurisprudence a indubitablement un effet sur la législation. A cet égard, plusieurs hypothèses peuvent se présenter.
Soit le législateur ne réagit pas à la jurisprudence de la Cour suprême. Dans ce cas, on peut en déduire qu’il ne désavoue pas l’interprétation donnée à la loi par cette jurisprudence. Celle-ci sera considérée comme traduisant le contenu et la portée de la loi, sans toutefois figer celle-ci car la jurisprudence peut toujours connaître un revirement ultérieur qui modifie l’interprétation donnée à la loi.
Soit le législateur désavoue l’interprétation donnée par la jurisprudence et, dans ce cas, modifie la loi dans le sens qui lui semble opportun.
Soit l’interprétation donnée par la cour suprême met en évidence une lacune de la loi et le législateur adopte un texte normatif de nature à combler celle-ci.
Soit le législateur approuve l’interprétation de la loi donnée par la jurisprudence et adopte un texte de loi qui confirme celle-ci.

B. Création de droit
• La cour suprême a également un rôle créateur du droit, c.-à-d. qu’elle crée une règle qui n’est pas expressément prévue par la loi.
• Un exemple remarquable en est la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique sur la preuve obtenue de manière illicite. Dans son arrêt du 14 octobre 2003, la Cour dit que le juge ne peut écarter la preuve obtenue illicitement que si l’on se trouve dans l’une des trois hypothèses suivantes :
• lorsque la loi prévoit elle-même la sanction de nullité pour l’irrégularité en question ;
• lorsque l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ;
• lorsque l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.
Cette jurisprudence, qui crée une règle de droit essentielle dans le procès pénal a été tantôt saluée, tantôt décriée par les praticiens et a fait l’objet de nombreux commentaires dans la doctrine. La question tranchée par cette jurisprudence fut même soumise à la censure de la Cour européenne des droits de l’homme et à celle de la Cour constitutionnelle de Belgique. Dans plusieurs arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que cette jurisprudence n’est pas contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la CEDH). La Cour constitutionnelle de Belgique a également considéré dans son arrêt 158/2010 du 22 décembre 2010 que cette jurisprudence ne viole pas en soi les libertés fondamentales garanties par la Constitution. En fin de compte le législateur est intervenu pour approuver cette jurisprudence en lui donnant un ancrage légal par le nouvel article 32 du Code d’instruction criminelle inséré par la loi du 24 octobre 2013, article qui reprend la règle énoncée par l’arrêt de la Cour de cassation.
• Un autre exemple du rôle créateur de droit de la Cour suprême se trouve dans la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique relative aux effets du constat du dépassement du délai raisonnable dans lequel toute cause doit être jugée. Dans son arrêt du 25 janvier 2000, la Cour de cassation considère que dans ce cas, pour autant que la preuve n’ait pas été perdue et que l’exercice des droits de la défense ne soit pas devenu impossible entre-temps, le juge détermine la réparation la plus adéquate pour le dommage subi par le prévenu. La Cour considère que cette réparation peut consister, soit dans le fait d’infliger une peine inférieure à la peine minimum, soit dans le fait de ne prononcer que la seule déclaration de culpabilité.
Ici aussi il y création d’une règle que la loi ne prévoyait pas. Le législateur ne désavoua pas la Cour de cassation, bien au contraire, dès lors que par la loi du 30 juin 2000, il inséra un article 21ter au Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle, qui donne un ancrage légal à la règle adoptée par la jurisprudence de la Cour.
C. Combler une lacune
• La Cour suprême peut également jouer un rôle important en créant une règle de droit visant à combler une lacune de la loi.
Ainsi, la Cour de cassation de Belgique a été confrontée à l’absence de disposition légale permettant d’exercer un pourvoi immédiat contre une décision de la chambre des mises en accusation prise en vertu de l’article 235ter du Code d’instruction criminelle relatif au contrôle des méthodes particulières de recherche en matière pénale. En réponse à une question préjudicielle, la Cour constitutionnelle de Belgique considère dans son arrêt du 31 juillet 2008 que la situation prévue par l’article précité est comparable à celle prévue par l’article 235bis du même code relatif au contrôle de la régularité de l’instruction pénale pour lequel la loi prévoit un pourvoi immédiat et que cette inégalité de traitement entre ces deux situations juridiques semblables est discriminatoire au sens des articles 10 et 11 de la Constitution. Sur la base de cet enseignement, la Cour de cassation a considéré dans son arrêt du 14 octobre 2008 rendu en audience plénière qu’il est possible de mettre fin à l’inconstitutionnalité en complétant la disposition légale dans le sens de la recevabilité du pourvoi immédiat, ce qui, dans le cas soumis à la Cour, était parfaitement possible sans intervention du législateur. Ici aussi, la Cour de cassation a créé une nouvelle norme.

D. Examen de conformité
• Il convient de noter également que la Cour de cassation de Belgique examine la conformité de la loi au droit international. Dans son arrêt du 27 mai 1971, la Cour de cassation a écarté l’application d’une loi interne contraire à une disposition directement applicable du Traité instituant la Communauté économique européenne. Elle a de la sorte consacré la primauté du droit international sur le droit interne, considérant qu’il s’agit là d’un principe général du droit qui résulte « de la nature même du droit international conventionnel ». Cette jurisprudence constante depuis cet arrêt n’a pas été désavouée par le législateur.
II. Les juridictions supranationales et internationales
• Il est inutile de dire combien ces juridictions ont acquis depuis quelques décennies une importance considérable dans la pratique judiciaire nationale des différents Etats qui reconnaissent leur autorité. Elles ont, parmi les compétences qui leur sont attribuées, celle, essentielle, d’interpréter les conventions à l’application desquelles elles doivent veiller.
• Ainsi, l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que la Cour de justice de l’Union européenne statue à titre préjudiciel sur l’interprétation des traités et sur la validité et l’interprétation des actes pris par les organes ou organismes de l’Union.
L’article 32 de la CEDH, quant à lui, dispose que la compétence de la Cour européenne des droits de l’homme s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles, qui lui sont soumises.
La Cour de Justice Benelux est compétente pour interpréter par voie préjudicielle les règles juridiques qui sont communes aux trois pays du Benelux, c.-à-d. la Belgique, les Pays-Bas et le Grand-Duché de Luxembourg, dans des domaines tels que le droit de la propriété intellectuelle (marques de produits et de services, les dessins et les modèles), l’assurance de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, l’astreinte, le recouvrement des créances fiscales, la protection des oiseaux et l’égalité de traitement fiscal.
La Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a également une large compétence, allant notamment de l’interprétation et de l’application des actes des différentes institutions de cette communauté au jugement des litiges relatifs à la violation des droits de l’homme par les Etats membres de celle-ci. Elle se prononce également sur la légalité des actes des diverses instances de la CEDEAO et sur les litiges pouvant exister entre celles-ci. La Cour de justice de la Communauté économique et monétaire d’Afrique (CEMAC) a une compétence similaire.
Quant à la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), elle est consultée pour avis sur l’application et l’interprétation des Actes uniformes. Elle statue également comme juge de cassation, en lieu et place des cours de cassation nationales des Etats membres de l’OHADA, pour tout contentieux relatif au droit uniforme. Cette compétence implique l’interprétation des règles de ce droit uniforme.
• Les arrêts rendus par les cours supranationales et répondant à une question préjudicielle sont contraignants pour le juge qui a posé celle-ci dans l’affaire qui en fait l’objet. Mais, même dans d’autres affaires, ces décisions auront une autorité particulière. En effet, si le juge est dispensé de poser une question préjudicielle qui a déjà été posée à la Cour de justice de l’Union européenne ou à la Cour de justice Benelux et à laquelle une de celles-ci a répondu, il appliquera la solution imposée par ces hautes juridictions dans la cause qui lui est soumise. Ainsi, ces décisions jouissent d’une autorité particulière, celle de la chose interprétée (res interpretata).
• Quant aux avis de la Cour commune de justice et d’arbitrage statuant sur l’interprétation et l’application des Actes uniformes, ils ne seront certes pas contraignants, dès lors que cette juridiction n’a qu’une compétence d’avis, mais ici aussi, ils jouiront d’une autorité particulière, semblable à celle de la chose interprétée. En effet, le but de ces avis est d’assurer une interprétation unique ses Actes uniformes.
• La Cour européenne des droits de l’homme ne se prononce pas en réponse à une question préjudicielle, mais bien dans les contentieux qui lui sont soumis. Elle est appelée à interpréter la convention et les protocoles additionnels. L’interprétation ainsi donnée s’imposera bien entendu à l’Etat membre qui est condamné dans l’affaire sur laquelle la Cour s’est prononcée. C’est l’autorité de la chose jugée (res judicata) de la décision de la Cour européenne. Mais ces décisions auront une portée beaucoup plus large. En effet, la Cour européenne a pour mission d’interpréter la Convention (article 32) et l’article 19 de celle-ci précise que la Cour est instituée pour assurer le respect des engagements résultant pour les Etats membres de ladite Convention et de ses protocoles. Il s’ensuit que l’interprétation donnée à la Convention et ses protocoles par la Cour européenne jouit de l’autorité de la chose interprétée et qu’il appartient aux juges nationaux d’appliquer la Convention telle qu’interprétée par la Cour européenne et ce même dans d’autres affaires que celles dans lesquelles cette dernière s’est prononcée.
• Il faut admettre que les arrêts de la Cour commune de justice et d’arbitrage statuant comme juge de cassation ainsi que ceux de la Cour de justice CEDEAO et de la Cour de justice CEMAC auront également valeur de jurisprudence dans des affaires semblables dont les juridictions nationales seront saisies par la suite.
• Ainsi qu’on le voit, l’autorité de la chose interprétée dont sont revêtues les décisions des juridictions supranationales et internationales qui interprètent les dispositions des conventions, protocoles et actes uniformes, confère à ces juridictions un pouvoir véritablement normatif. C’est leur interprétation qui définira le contenu et la portée exacts de la norme conventionnelle à laquelle les Etats membres sont soumis.
Cet effet normatif est double : il se manifeste sur la jurisprudence des juridictions nationales et sur la législation.
• Une illustration de cet effet sur la jurisprudence se trouve dans l’arrêt de la Cour de cassation de Belgique du 9 mars 1999 concernant la recevabilité du pourvoi formé par le prévenu condamné à une peine privative de liberté, qui ne s’est pas constitué prisonnier. L’article 421 du Code d’instruction criminelle prévoyait que pour que son pourvoi soit recevable, le demandeur devait préalablement se constituer prisonnier. La France connaissait une disposition semblable qui fut soumise à la censure de Strasbourg. La Cour européenne des droits de l’homme condamna la France par ses arrêts Omar et Guérin du 29 juillet 1998, considérant que cette disposition comportait une sanction disproportionnée et que son application était contraire à l’article 6.1 de la CEDH. La Cour de cassation de Belgique ayant été amenée à trancher la question de la recevabilité d’un pourvoi d’un demandeur condamné à une peine privative de liberté qui ne s’était pas constitué prisonnier, a, dans son arrêt du 9 mars 1999 , considéré en se fondant sur les arrêts Omar et Guérin de la Cour européenne des droits de l’homme, que l’article 421 du Code d’instruction criminelle était contraire à l’article 6.1 de la CEDH et, mettant hors d’application cette disposition, a donc reçu le pourvoi.
• Un autre exemple emblématique est celui de la motivation de la déclaration de culpabilité donnée par le jury de la cour d’assises. Une disposition du Code d’instruction criminelle prévoyait, comme c’était d’ailleurs le cas en France, que les jurés ne devaient pas rendre compte de leur décision et juger uniquement en honneur et conscience selon leur intime conviction. Dans son arrêt Taxquet du 13 janvier 2009, La Cour européenne a considéré que cette absence de motivation est contraire à l’article 6.1 de la CEDH et a condamné la Belgique. Cette décision a été confirmée par l’arrêt de la Grande Chambre du 16 novembre 2010. La Cour de cassation a tout de suite pris la mesure de cette décision et modifié sa jurisprudence pour la rendre compatible avec la Convention. Par un arrêt du 10 juin 2009, elle a cassé sur un moyen pris d’office une décision d’une cour d’assises pour défaut de motivation de la déclaration de culpabilité. Elle a jugé dans le même sens dans plusieurs autres cas. Quant aux cours d’assises, elles ont adapté leur pratique à cette nouvelle situation en veillant désormais à motiver les déclarations de culpabilité.
• Il convient de remarquer que la Cour européenne des droits de l’homme est elle-même soucieuse de veiller à ce que sa jurisprudence soit effective et appliquée par les Etats membres. Ainsi, lorsqu’elle est saisie d’une requête dont l’objet est semblable, voire identique à celui d’une autre affaire dans laquelle elle s’est déjà prononcée, il lui arrive d’interroger l’Etat membre concerné sur les conséquences pratiques que ce dernier a tiré de ses arrêts antérieurs. Ainsi, la Cour européenne confère elle-même indubitablement un effet normatif à ses arrêts.
• Quant’ à l’effet d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme sur la législation en vigueur les exemples sont nombreux. En voici quelques-uns relatifs à la Belgique.
• Le législateur belge ne resta pas insensible à la jurisprudence précitée relative à l’article 421 du Code d’instruction criminelle. Il abrogea cette disposition par la loi du 12 février 2003.
• Dans son arrêt 6833/74 Marck contre Belgique, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les dispositions du Code civil relatives à la filiation et aux successions applicables à l’époque sont discriminatoires à l’égard des enfants nés hors mariage, dont les droits à la filiation et à la succession sont limités. A la suite de cet arrêt, le législateur belge, qui examinait déjà une modification de la législation relative à ces questions, a abrogé les dispositions incriminées du Code civil considérées comme discriminatoires par l’arrêt de Strasbourg. La France qui a été condamnée pour le même motif par la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt 34406/96 Mazurek contre France du 4 mai 1999) a fait de même suite à cette condamnation.
• Quant à la motivation de la déclaration de culpabilité devant la cour d’assises, la législation a été modifiée par la loi du 21 décembre 2009, l’article 344 du Code d’instruction criminelle prévoyant désormais cette motivation.
III. Les cours constitutionnelles
• Depuis quelques années, le contrôle de la constitutionnalité des lois a influencé sensiblement la manière dont est perçu le rapport entre les lois et la Constitution. Les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, dont la cour suprême fait partie, s’interdisent d’examiner la conformité des lois à la Constitution. Un tel contrôle est considéré comme incompatible avec le principe de la séparation des pouvoirs. En effet, dans un système démocratique où le parlement est l’émanation de la Nation, il est inconcevable que le pouvoir judiciaire sanctionne le pouvoir législatif souverain.
• La plupart des pays démocratiques se sont dotés d’une cour constitutionnelle ou d’un conseil constitutionnel ou ont créé une section constitutionnelle au sein de leur cour suprême et ceux qui n’en ont pas encore, s’interrogent sur la nécessité d’en créer une.
• La compétence de ces cours ou conseil constitutionnels est souvent multiple, mais les compétences suivantes ont une réelle portée normative :
• le contentieux de l’annulation des normes adoptées par les assemblées parlementaires nationales ou régionales, dont la conformité à la Constitution est contestée ;
• les questions préjudicielles ou questions prioritaires de constitutionnalité concernant la conformité d’une norme législative avec la Constitution.
• Dans le premier cas (contentieux de l’annulation), la Cour constitutionnelle est saisie par une requête de toute personne physique ou morale intéressée, adressée dans un délai déterminé à partir de la promulgation de la norme attaquée.
• En Belgique, les décisions d’annulation prises par la Cour constitutionnelle ont l’autorité absolue de la chose jugée . C’est normal, dès lors que l’annulation a pour effet de faire disparaître la norme attaquée. Par ailleurs, lorsque la requête en annulation est rejetée, les points de droit tranchés par la juridiction constitutionnelle auront une autorité particulière que la loi lui reconnaît. Ainsi, l’article 9, § 2, de la loi spéciale belge sur la Cour constitutionnelle prévoit que « les arrêts rendus par la Cour constitutionnelle portant rejet du recours en annulation sont obligatoires pour les juridictions en ce qui concerne les questions de droits tranchées par ces arrêts ». Ces arrêts ont donc une autorité « erga omnes ».
• Dans le second cas, les arrêts répondant à une question préjudicielle ou à une question prioritaire de constitutionnalité posée par la cour suprême ou par toute juridiction de l’ordre judiciaire interne s’imposent à celles-ci. En effet, ces juridictions sont tenues de se conformer à la réponse à la question qu’elles ont-elles-même posée. Mais ces arrêts ont aussi une autorité plus large, dès lors qu’ils s’imposent dans toutes les affaires qui concernent une question identique ou semblable. En Belgique, un juge ne posera pas la question préjudicielle lorsque la Cour constitutionnelle s’est déjà prononcée sur une question identique.
• Ainsi, tant le contentieux de l’annulation que la question préjudicielle confèrent à la Cour constitutionnelle de Belgique un pouvoir véritablement normatif dès lors que ses décisions sont contraignantes pour les juges de l’ordre judiciaire. Il en va de même pour les décisions du Conseil constitutionnel de France et pour la section constitutionnelle des cours suprêmes.
• Ce rôle normatif de la Cour constitutionnelle n’a pas seulement un impact sur la jurisprudence des juridictions de l’ordre judiciaire, mais également sur l’action du législateur. En effet, dès lors qu’une norme législative est annulée ou déclarée inconstitutionnelle dans le cadre d’une question préjudicielle, le législateur interviendra soit pour abroger la disposition légale déclarée inconstitutionnelle dans le cadre d’une question préjudicielle, soit pour la modifier et la rendre conforme à la Constitution. On voit ainsi que la Cour constitutionnelle joue un rôle essentiel dans l’élaboration de la norme.
• Un aspect important mérite notre attention : celui d’un conflit éventuel entre les attributions des cours suprêmes et des cours constitutionnelles.
• En règle, la Cour constitutionnelle de Belgique s’interdit de pénétrer dans le domaine de l’interprétation de la loi. En effet, elle n’a pas à remettre en cause l’interprétation du juge qui a posé la question préjudicielle. Rappelons à cet égard que ce sont les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire qui interprètent la loi en vue de son application. Cette interprétation se fait sous le contrôle de la Cour de cassation. Comme c’est le cas lorsque la question est posée par la Cour de cassation, la réponse à la question préjudicielle posée par le juge du fond est donnée sur la base de l’interprétation de la norme incriminée, faite par ce dernier.
• Cependant, il arrive que la Cour constitutionnelle de Belgique donne une réponse alternative à la question préjudicielle posée. Si elle considère que la norme incriminée telle qu’interprétée par le juge qui l’a posée, viole la Constitution, elle examine s’il n’existe pas une autre interprétation possible, conforme à la Constitution. En réalité, la Cour constitutionnelle applique ici la règle de l’interprétation conforme à la Constitution, partant du principe que le juge a l’obligation d’assurer le respect de celle-ci. Il s’agit d’une application analogue à celle de la règle du droit de l’Union européenne, consacrée par la Cour de justice, qui veut que le juge donne à la loi interne, dans toute la mesure du possible, une interprétation conforme aux exigences du droit de l’Union. Dans le cas de cette interprétation alternative, le juge qui a posé la question se trouve devant un choix cornélien : soit il reste fidèle à l’interprétation qu’il a donnée à la norme incriminée et il doit en exclure l’application si cette interprétation a été jugée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle, soit il se conforme à l’interprétation constitutionnelle donnée par cette dernière, mais risque d’aller à l’encontre de la chose jugée que constitue l’interprétation qu’il a donnée de la norme dans sa décision antérieure. Dans la première hypothèse, le juge qui a posé la question préjudicielle n’encourra pas la censure de la Cour de cassation si son interprétation est conforme à la jurisprudence de cette dernière. Mais, cela est-il conforme à la finalité du contrôle de la constitutionalité des normes ? Dès lors que la Cour constitutionnelle donne une interprétation de la norme qui la rend conforme à la Constitution, le juge ne doit-il pas préférer cette interprétation ? C’est de plus en plus dans ce sens que vont les juridictions de fond et même la Cour de cassation a dans certains cas donné à la loi une interprétation qui s’écarte de sa jurisprudence antérieure afin qu’elle soit en accord avec celle, conforme à la Constitution, prônée par la Cour constitutionnelle.

IV. Réflexions finales
• Ainsi qu’on le voit, la jurisprudence des cours suprêmes, constitutionnelles, supranationales et internationales joue désormais un rôle essentiel dans l’élaboration de la norme. De quasi-normative en ce qui concerne les cours suprêmes, elles sont véritablement normatives en ce qui concerne les cours constitutionnelles, supranationales et internationales dont l’interprétation est contraignante pour les juridictions de l’ordre judiciaire nationales.
• La pénétration de la jurisprudence de ces juridictions dans celle des juridictions de fond n’est possible que grâce au dialogue entre les juges qui veut que ceux-ci tiennent compte des enseignements mutuels de leurs jurisprudences respectives. Toutefois, ce dialogue ne va pas toujours sans difficulté. En effet, par leur jurisprudence les cours constitutionnelles, supranationales et internationales empiètent souvent sur le terrain des cours suprêmes et des juridictions de l’ordre judiciaire interne d’une manière qui remet radicalement en question des pratiques judiciaires qui étaient incontestées en droit interne. Cela cause souvent de l’incompréhension chez les juges de l’ordre judiciaire interne qui ont parfois – à tort ou à raison - le sentiment que les juridictions internationales n’ont pas une exacte perception des réalités judiciaires nationales.
• Mais cette situation a également des effets positifs, car le dialogue entre les juges oblige ceux-ci à se remettre en question et à affiner leur jurisprudence dans un sens qui favorise l’administration d’une bonne justice. Les exemples cités ci-dessus en sont l’illustration éloquente. En plus, le dialogue avec les cours internationales et supranationales a pour effet d’intégrer de plus en plus une vision commune sur la justice dans les ordres juridiques internes.
• Et il n’y a pas que le dialogue entre les juges. Il y a aussi celui entre les juges et le législateur. Celui-ci suit la jurisprudence et la prend en considération pour modifier, amender, compléter et améliorer la législation. Quant au juge, il doit, bien entendu, respecter la volonté du législateur. L’indépendance des pouvoirs implique aussi le respect des pouvoirs entre eux.
• En réalité, les cours « suprêmes » ne sont plus les seules à avoir cette qualité. A une structure pyramidale au sommet de laquelle elles se trouvaient, s’est substitué un réseau dans lequel chaque ordre juridique n’est plus qu’un des éléments. Dans cet ensemble, les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire interne joueront toujours un rôle déterminant. Ainsi, la Cour suprême veillera toujours de manière décisive à exercer son contrôle de légalité sur les décisions des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire en étant la garante de l’unité de l’interprétation du droit. La valeur quasi-normative de ses décisions restera ainsi entière. Quant à la Cour constitutionnelle, elle aura toujours une mission unique dans le contrôle constitutionnel. Cependant, ces deux cours doivent, chacune, remplir leur mission en recueillant leurs enseignements mutuels et ceux des autres juridictions qui font partie du réseau : Cour de Justice de l’Union européenne, Cour européenne des droits de l’homme, Cour Benelux, Cour commune de Justice et d’Arbitrage, Cour de justice CEDEAO, Cour de justice CEMAC. Ces dernières devraient sans doute également être plus à l’écoute des juridictions internes, plus à même de les éclairer sur les réalités nationales. Ce n’est qu’à cette condition que le dialogue entre ces diverses cours sera véritable et effectif. Tout cela ne vise qu’une seule finalité : celle d’une meilleure justice au service du justiciable et de l’Etat de droit.

M. Sébastien GRAMMOND,
Professeur de droit civil à l’Université d’Ottawa, Canada
Introduction
Tendance générale à une plus grande acceptation du pluralisme juridique ; notamment comme instrument pour améliorer les relations entre les peuples autochtones et l’État

Exemples de reconnaissance des systèmes juridiques autochtones :
o Dispositions constitutionnelles (ex. : Afrique du Sud, Colombie, Canada)
o Instruments internationaux (Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ; Convention no 169 de l’Organisation internationale du travail)
o Action autonome du juge (tradition coloniale britannique, Canada)
Peut-on faire confiance au juge de l’ordre étatique pour reconnaître les systèmes juridiques autochtones ? Un certain nombre de difficultés peuvent être évoquées à l’aide d’exemples canadiens, ainsi que des avenues de solution

I. L’ignorance du juge étatique
À la différence du pluralisme découlant des phénomènes transnationaux, le droit dont il est question ici prend des formes qui ne sont pas toujours reconnaissables pour un juriste formé aux traditions occidentales
L’ordre juridique autochtone peut être composé d’histoires ou de légendes qui ne sont pas directement prescriptives, de valeurs qui ne déterminent pas entièrement la conduite à suivre dans un cas donné, de processus de résolution des conflits...
Exemple de la Loi sur la faune et la flore du Nunavut
Même lorsque les systèmes juridiques autochtones sont rédigés sous forme d’un code de règles, la prudence est de mise ; il faut s’interroger sur les conditions de rédaction ; et la lecture de ces règles ne peut être complètement isolée d’une immersion dans la culture qui les sous-tend

II. Le pouvoir du juge étatique
Le juge étatique peut être saisi de litiges dans lesquels deux interprétations opposées du contenu d’un ordre juridique autochtone sont mises de l’avant (exemple des affaires reliées aux « élections coutumières » des communautés autochtones canadiennes)
Face à un tel désaccord, le juge étatique peut être tenté de s’en remettre à des experts pour identifier la « vraie » coutume, mais le risque est alors de favoriser ceux qui se présentent comme adhérant à la tradition historique, au détriment de ceux qui veulent faire évoluer la coutume
Au contraire, le juge étatique peut être tenté d’appliquer des concepts de démocratie majoritaire propres aux sociétés occidentales
De tels conflits s’inscrivent souvent dans un processus d’évolution de la coutume et de transformation au sein des sociétés autochtones
Il n’y a pas de manière objective de déterminer quelle version de la coutume est « authentique », « vraie », etc.
En retenant les prétentions de l’une des parties, le juge se trouve à faire un choix politique entre les factions en cause, et il est probable qu’il effectue ce choix en se fondant sur des prémisses philosophiques occidentales, par exemple la démocratie majoritaire

III. L’assimilation par le juge
Le juge qui reconnaît une situation juridique issue de l’ordre autochtone a ensuite tendance à la faire cadrer dans le moule des institutions juridiques d’inspiration occidentale
Exemple de l’adoption autochtone, souvent assimilée à l’adoption plénière des sociétés occidentales, qui coupe tout lien avec les parents biologiques

IV. Les solutions
La meilleure solution pour assurer l’intégrité des ordres juridiques autochtones est de reconnaître le pouvoir de certains représentants des peuples autochtones de dire le droit autochtone et de certifier une situation juridique découlant de l’ordre juridique autochtone

Deux exemples provenant du nord du Canada :

o la reconnaissance de l’adoption coutumière par les lois de deux territoires ; le juge étatique n’a donc pas à chercher à définir le droit autochtone et ne construit pas une jurisprudence à ce sujet ; les juges de ces territoires ont aussi conclu que les conséquences de l’adoption étaient régies par le droit autochtone, mais il n’existe pas de mécanisme pour faire certifier ces conséquences ; le projet de loi québécois sur ce sujet permet aussi à l’autorité autochtone de certifier les conséquences de l’adoption en droit autochtone, ce qui règle le problème
o les systèmes de détermination de l’identité inuit dans les traités conclus au Nunavut et au Nunavik : le droit canadien réfère directement aux « us et coutumes des Inuit » quant à cette question, mais met en place une procédure rigide que les autorités autochtones doivent suivre ; de plus, les gouvernements ont consenti à ce système après que les Inuit aient divulgué l’essentiel des règles qu’ils entendaient appliquer et qu’ils aient convaincu les gouvernements que ces règles n’étaient pas discriminatoires.

[11 V. L. Cadiet, « Procédure civile et procédure pénale : unité ou diversité ? Rapport de synthèse », in S. Amrani Mekki (dir.), Procédure civile et procédure pénale : unité ou diversité ?, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 207 et s.
2 La justice restaurative est entrée dans le Code de procédure pénale français, à l’article 10-1, par l’effet de la loi n° 2014-896, 15 août 2014 : « A l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en oeuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République ». Une circulaire de la ministre de la justice, attendue en 2015, devrait préciser les contours de cette justice restaurative.
3 V. L. Cadiet, J. Normand, S. Amrani Mekki, Théorie générale du procès, Paris, PUF, 2ème éd. 2013, p. 43. - Comp. D. d’Ambra, L’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges, préf. G. Wiederkehr, LGDJ, 1994.
4 Ulpien, D, 1, 1, 10.
5 Iustitia praecipit suum cuique reddere, De Republica, 3, 15, 24.
6 V. L. Cadiet et B. Bernabé, « Le procès équitable avant la Convention européenne des droits de l’homme », in L. Cadiet, S. Dauchy et J.-L. Halpérin, Itinéraires d’histoire de la procédure civile, Paris, IRJS Editions, 2014, pp. 139-152, spéc. p. 175.
7 V. L. Cadiet et B. Bernabé, « Le procès équitable avant la Convention européenne des droits de l’homme », préc.
8 Que complète l’article 1er du décret n° 47-1047 du 12 juin 1947 relatif à la formule exécutoire : « Les expéditions des arrêts, jugements, mandats de justice, ainsi que les grosses et expéditions des contrats et de tous les actes susceptibles d’exécution forcée, seront intitulées ainsi qu’il suit : ‘République française. Au nom du peuple français’ ». V. F. Terré, « Au nom du peuple français » – Au-dessus de l’autorité judiciaire, le peuple souverain, JCP 2010, 457. - J.-P. Jean, « Au nom du peuple français ? La justice face aux attentes des citoyens-usagers », in D. Soulez-Larivière et H. Dalle (dir.), Notre Justice, Robert Laffont, 2002, p 103 et s.

[29 Rapp. O. Beaud, « Fragments d’une théorie de la citoyenneté chez Carré de Malberg. Ou comment articuler le citoyen, l’État et la démocratie », Jus Politicum, n° 8, 2012.
10 P. Ricoeur, Le Juste, Paris, Ed. Esprit, 1995, spéc. p. 185-192.
11P. Ricoeur, op. cit., p. 192.
12 CCJE, Avis n° 17 (2014) sur l’évaluation du travail des juges, la qualité de la justice et le respect de l’indépendance judiciaire, Strasbourg, 24 octobre 2014, spéc. n° 4..
13 Comp. art. 1993 C. civ. : « Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant ».
14 V. Groupe d’Etats contre la corruption, Rapport général d’activités (2013), 19 juin 2014 : www.coe.int (sur lequel V. J. Jehl, « Corruption : l’avancée timide de la France dans l’Europe des 47 », JCP 2014, 876).

[315 V. l’avant-projet de loi, en cours de concertation, sur la justice commerciale, les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les conseils de prud’hommes.
16P. Ricoeur, op. cit., p. 192.
17 C. Perelman,
18 P. Texier, « Jalons pour une histoire de la motivation des sentences », in La motivation, préc. p. 7 sq

[419 V. L. Cadiet, “Avenir des catégories, catégories de l’avenir : perspectives”, Rapport de clôture, in Common Law – Civil Law, The future of categories/Categories of the future, Looking ahead, Toronto, 4-5 juin 2009, The Supreme Court Review – Second series, volume 49, 2010, pp. 635-655, ainsi que in J. Walker & O. G. Chase (eds), Common Law, Civil Law, the Future of categories, Toronto, LexisNexis, 2010, pp. 635-655.
20 Spécialement aux articles 1er à 13. Rappr. G. Cornu, « Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes (fragments d’un état des questions) », in Etudes offertes à Pierre Bellet, Litec, 1991, pp. 83 et s., spéc. p. 91.
21 Art. 2062-2068 C. civ., compl. Art. 1542-1567 CPC.
22 Y compris en common law : V. p. ex. l’Overriding objective des nouvelles règles de procédure civile anglaise, faisant suite au rapport de Lord Woolf (1.3 Duty of the parties : “The parties are required to help the court to further the overriding objective”. – 1.4 Court’s duty to manage cases : “(1) The court must further the overriding objective by actively managing cases. (2) Active case management includes : (a) encouraging the parties to co-operate with each other in the conduct of the proceedings…”).
23 Principles of transnational civil procedure, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, pp. 76-78.
24 V. not. L. Cadiet, « Faire lien, propos introductifs », in S. Chassagnard-Pinet et D. Hiez (dir.), La contractualisation de la production normative, Dalloz, 2008, pp. 169-184 ; « La contractualisation des règles de procédure » : « Etat des lieux » et « La sanction des accords processuels », Les cahiers de Droit et Procédure, 2011, pp. 11-18 et 45-58 ; « Les pouvoirs du juge dans le cours de la procédure civile et de la procédure pénale », Les cahiers de la justice, 2013/3, pp. 61-72. Adde P. Ancel, V° « Contractualisation », in L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2004.

[525 V. p. ex. L. Cadiet (dir.), Pour une administration au service de la justice, Paris, Le Club des juristes, 2012.
26 V. C. Taubira, Présentation en Conseil des ministres du projet de justice du 21ème siècle, 10 septembre 2014, spéc. Préconisation n° 5 « Ouvrir la justice à la société par la création de conseils de juridiction » : « La justice doit s’ouvrir à la société afin d’expliquer son fonctionnement, ses contraintes, et ses priorités. Des conseils de juridiction seront créés auprès des cours d’appel et des tribunaux de grande instance. Ils seront présidés par les chefs de juridiction et réuniront des magistrats du siège et du parquet, des fonctionnaires de la juridiction et de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, des parlementaires, des organisations syndicales, des représentants locaux de l’État, des professions du droit, des collectivités locales, et des représentants associatifs. Ces conseils permettront une réflexion commune sur des problématiques transversales telles que l’aide juridictionnelle, l’accès au droit, l’accès à la justice, la conciliation, la médiation et l’aide aux victimes. L’activité juridictionnelle et l’organisation de la juridiction seront exclues de ces échanges. Afin de faciliter les échanges entre tribunaux de grande instance, les conseils de juridictions d’une même cour d’appel auront la possibilité de se réunir sur des problématiques communes. »
27 Avis n° (2013) 16 sur les relations entre les juges et les avocats adoptés lors de la 14 ème réunion plénière du CCJE (Strasbourg, 13-15 novembre 2013).
28H. Lévy-Bruhl, La preuve judiciaire - Étude de sociologie juridique, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1964, p. 29.
29E. Jeuland, Droit processuel, LGDJ, 2003, p. 9.

[630 Cass. ass. plén., 7 juill. 2006, Césaréo, Bull. civ. 2006, ass. plén., n° 8 , compl. par Cass. com., 20 févr. 2007, Bull. civ. 2007, IV, n° 49.
31 Cass. 1re civ., 24 sept. 2009, no 08-10.517, Bull. civ. I, no 177 ; RTD civ. 2010, 129, obs. Gautier, 147, obs. Théry et 155, obs. Perrot.
32Voir J. Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, Quadrige, 1994, p. 408, qui parle de jus gladii à propos de l’exécution forcée.
33G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, V° « Exécution ».
34P. Catala et F. Terré, Procédure civile et voies d’exécution, Paris, PUF, 2e éd. 1976, p. 421.
35V., très nettement, Cass. 2e civ., 24 mars 2005, Bull. II, no 85 ; RTD civ. 2006, 603 et les observations éclairantes de Ph. Théry : « Une saisie immobilière n’est pas une instance ».
36Voir M.-T. Caupain, Préface à M.-T. Caupain et G. de Leval (dir.), L’efficacité de la justice civile en Europe, Larcier, Bruxelles, 2000, p. 7-14.
37Qui, du reste, a désormais son code : Code des procédures civiles d’exécution, entré en vigueur à compter du 1er juin 2012, réd. Ord. no 2011-1895, 19 déc. 2011 et D. no 2012-783, 30 mai 2012 (JCP 2012, 1254, no 10 et les références citées), même si, sauf dispositions contraires, les dispositions communes du livre 1er du code de procédure civile sont applicables, devant le juge de l’exécution, aux procédures civiles d’exécution (art. R. 121-5 CPC ex.).
38V. p. ex. H. Motulsky, Droit processuel, préc. et R. Martin, Théorie générale du procès (droit processuel), préc., qui n’incluaient pas l’exécution dans leur étude du droit processuel.
39CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, JCP 1997, II, 22949, note Dugrip et Sudre ; D. 1998, 74, note Fricero. Voir J. Normand, « L’émergence d’un droit européen de l’exécution ? », in Mélanges Jacques van Compernolle, Bruxelles, Bruylant, 2004, p. 445 et s. Le principe en est régulièrement rappelé : V. en dernier lieu CEDH 10 avr. 2014, n° 5238/10, Terebus c. Portugal, Procédures 2014, n° 173, obs. Fricero.

[740Voir J. Normand, Le juge et le litige, préf. R. Perrot, LGDJ, 1965, no 21 à 24, spéc. no 24. Rappr. d’ailleurs Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, no 09-11.582, D. 2012, 2577, note Pailler ; Gaz. Pal. 7-8 déc. 2012, 30, obs. Bléry, jugeant que la transaction ne met fin au litige que sous réserve de son exécution.
41 AHJUCAF, Le juge de cassation à l’aube du 21ème siècle.
42 V. L. Cadiet, « Quelques observations, en demi-teinte, sur la prévisibilité du jugement et la jurisprudence concrète », in La justice du 21ème siècle – Le citoyen au coeur du service public de la justice, Les actes du débat national, Paris, Ministère de la justice, 2014, pp. 156-159.
43 I. Sayn (dir.), Le droit mis en barèmes ?, Paris, Dalloz, 2014.
44 V. C. Taubira, Présentation en Conseil des ministres du projet de justice du 21ème siècle, 10 septembre 2014, spéc. Préconisation n° 8 « Permettre aux citoyens de mieux évaluer les possibilités de succès de leurs actions en justice » : « Les citoyens doivent être en capacité de mieux évaluer l’opportunité d’engager une action en justice. Pour ce faire, ils doivent pouvoir compter sur des normes claires et stables et connaître les décisions habituellement rendues par les juges. Dans certains contentieux civils (pension alimentaire, prestation compensatoire, indemnisation du préjudice corporel…) des informations sur les décisions habituellement rendues par les juridictions au niveau national seront mises en place sans pour autant limiter la libre appréciation du juge au regard de la singularité de chaque affaire. Elles seront mises à disposition du public grâce au portail internet Portalis. Au niveau local, des juridictions pilotes engageront un partenariat avec les universités afin d’analyser leur jurisprudence. Utiles aux magistrats pour assurer la cohérence de leurs décisions, ces analyses permettront en outre aux avocats de disposer d’un document facilitant leurs missions et un éventuel règlement amiable du litige. »

 
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