Renforcer l'entraide, la coopération
et la solidarité entre les institutions judiciaires

A propos

L’AHJUCAF est une association qui comprend cinquante cours judiciaires suprêmes francophones.

Elle a pour objectif de renforcer la coopération entre institutions judiciaires, notamment par des actions de formation et des missions d’expertise.

PRIX DE l’AHJUCAF POUR LA PROMOTION DU DROIT
L’AHJUCAF (Association des hautes juridictions de cassation ayant en partage l’usage du français) crée un prix destiné à récompenser l’auteur d’un ouvrage, d’une thèse ou d’une recherche, écrit ou traduit en français, sur une thématique juridique ou judiciaire, intéressant le fond du droit ou les missions, l’activité, la jurisprudence, l’histoire d’une ou de plusieurs hautes juridictions membres de l’AHJUCAF.

La jurisprudence des cours suprêmes

Juricaf

Partenaires

1 1 1
 

Les modalités du recours des établissements de crédit devant la Cour de Justice de la CEMAC, Georges TATY Magistrat Hors Hiérarchie Juge à la Cour de Justice de la CEMAC. Communication lors de la 7ème Réunion annuelle de concertation avec la profession bancaire et financière, Douala, le 3 juillet 2015

 

Introduction

Réfléchir sur les caractères généraux de la procédure des recours devant la Cour de Justice de la CEMAC dans les litiges opposant la COBAC et les établissements de crédit assujettis, implique avant tout de présenter l’architecture juridictionnelle de la Communauté.
Trois idées essentielles à retenir.
La première, c’est que le système juridictionnel de la Communauté vient d’être modifié par le traité révisé de la CEMAC du 25 janvier 2008 qui met fin à la faveur des réformes institutionnelles engagées par la Communauté, à l’organisation de la Cour en deux chambres distinctes : une chambre judiciaire et une chambre des comptes .
La Cour de Justice, dans sa forme actuelle est ainsi appelée à disparaître pour laisser dorénavant la place à deux nouvelles institutions : la Cour des Comptes communautaire et la Cour de Justice de la CEMAC, régies chacune par une convention signée le 30 janvier 2009 à Libreville.
La deuxième, c’est que l’originalité de la Cour de Justice communautaire réside dans le fait qu’elle est une juridiction supranationale, permanente et indépendante des Etats, des organes et des autres institutions.
Les membres de la Cour de Justice exercent leurs fonctions en toute indépendance dans l’intérêt général de la Communauté (article 20 de la Convention).
Les décisions qu’elle rend souverainement ne sont elles mêmes soumises à aucun contrôle, ni censure des autres institutions, à fortiori des Etats membres.
Enfin, la troisième c’est que les compétences juridictionnelles de la Cour s’exercent dans le cadre de recours directs définis par la Convention du 30 janvier 2009 et qui sont dirigés contre les Etats membres, les Institutions et les organismes communautaires, mais également dans le cadre des demandes de questions préjudicielles formulées par les juridictions nationales .
A ce propos, il faut préciser que la Cour n’a pas vocation à connaître du contentieux né directement de l’application des normes communautaires dans l’ordre interne.
En effet, la majeure partie des litiges impliquant le droit communautaire sont liés à des problèmes d’application d’un règlement par des autorités nationales, ou d’application d’une disposition nationale dont il est allégué qu’elle est contraire au droit communautaire.
Dans ces différentes situations, c’est le juge national qui est compétent pour trancher le litige.
Il est le « juge communautaire de droit commun », le juge naturel de l’application du droit communautaire, en ce sens qu’il est compétent pour connaître de tous les litiges relatifs aux normes CEMAC dont un texte n’attribue pas expressément la connaissance à la Cour.
Outre sa compétence contentieuse, la juridiction communautaire s’est vue reconnaître également une compétence consultative et arbitrale .
C’est cette instance de jugement qui sera examinée dans les pages qui suivent, essentiellement sous les angles de la procédure, et la problématique de la délimitation des compétences entre la Cour de Justice de la CEMAC et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.
En effet, il n’est pas rare au cours des litiges opposant la COBAC aux dirigeants des établissements de crédit sanctionnés, que se pose subsidiairement la question de l’étendue du contrôle du juge de N’DJAMENA en cas de violation alléguée d’un acte uniforme OHADA.

I- La procédure contentieuse

Section 1- Les aspects généraux de la procédure contentieuse

La procédure devant la juridiction communautaire est régie par un texte spécifique.
Il s’agit du règlement de procédure qui sera appelé à évoluer en raison de l’entrée en vigueur prochaine du traité révisé .
Quel que soit le recours, la procédure suivie devant la Cour est contradictoire. Le principe du contradictoire est un principe général, voire fondamental du droit communautaire.
Toute partie mise en cause peut être entendue et peut présenter ses explications.
Les actes de procédure sont régulièrement portés à la connaissance de l’adversaire et la Cour ne statue que sur les documents dont les parties ont eu connaissance.
Cette procédure accorde une large place à l’écrit.
L’instance est appréhendée par la production de mémoires signifiés à la partie adverse et dont les magistrats ont pris connaissance avant l’audience.
Les recours formés devant la juridiction communautaire n’ont pas un caractère suspensif. Cependant, le Président ou le magistrat qu’il délègue peut, par voie de référé, ordonner le sursis à exécution de l’acte attaqué afin qu’il ne crée un préjudice grave et irréparable (article 32 de la Convention).
Cela étant, une fois la requête déposée, comment se déroule la procédure devant la juridiction communautaire ?

Section 2 – Le déroulement de la procédure

1- La saisine
Deux types de recours peuvent être introduits dans les litiges opposant la COBAC aux établissements de crédit.
• les recours concernant les sanctions disciplinaires prononcées à l’encontre des établissements de crédit assujettis en fonction de la gravité de l’infraction commise dans la gestion ;
• Le recours en contrôle de légalité des actes pris par la COBAC dans le cadre de son pouvoir administratif ou réglementaire.
Sans entrer dans le détail de ses compétences, on doit rappeler que la Commission bancaire peut prendre des mesures conservatoires en mettant un établissement de crédit sous le régime d’administration provisoire.
En matière réglementaire, elle peut définir le plan et les procédures comptables applicables aux établissements de crédit, ainsi que les différentes normes prudentielles.
Toutes ces mesures administratives ou réglementaires peuvent faire l’objet d’un contrôle de légalité, à l’initiative de toute personne physique ou morale.
Pour cela, il faut qu’elle soit destinataire de la décision (c’est-à-dire qu’elle lui soit adressée) ou qu’elle soit concernée ‘’’directement’’ ou ‘’individuellement’’ par l’acte en question.
C’est la formule de l’arrêt Plauman qui gouverne les conditions du recours en annulation que nous empruntons à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui nous sert de modèle (CJCE 15 juillet 1963, aff. 25/62, Plauman c/ Commission, Rec. CJCE, 197).

Le recours en annulation d’un acte de droit de la Communauté est la principale voie de droit qui permet aux particuliers (personnes physiques ou morales) de saisir la Cour de Justice.
En effet, en vertu de l’article 24 de la Convention, la Cour de Justice contrôle la légalité des actes adoptés par les autorités ou organismes de la Communauté, destinés à produire des effets juridiques à l’égard des tiers.

Selon la jurisprudence, un acte produit des effets juridiques s’il affecte la situation légale d’une personne morale ou physique en modifiant ses droits et obligations .

L’article 25 de la Convention mentionne quatre vices susceptibles d’affecter un acte juridique : l’incompétence, la violation des formes substantielles, la violation du traité ou de toute règle de droit relative à son application, le détournement de pouvoir.

Si l’acte annulé a causé un préjudice, la victime dispose d’une voie de recours contre l’institution responsable, lui permettant de demander une indemnisation pour les dommages subis.
Il s’agit d’une action en responsabilité non contractuelle qui doit être dirigée contre la Communauté .
La Cour l’a rappelé implicitement dans son arrêt du 7 avril 2005, à l’occasion d’une action intentée contre la COBAC :
« Considérant que la responsabilité de la Communauté pour mauvais fonctionnement d’un organe ou d’une institution communautaire ne peut être engagée que dans la mesure où la preuve d’une faute est rapportée par le requérant ; que cette faute doit non seulement être caractérisée mais aussi être à l’origine du préjudice » (arrêt n° 001/CJ/CEMAC/CJ-05 du 7 avril 2005, affaire TASHA c/ CEMAC).
Enfin, les actions contre la Communauté en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu.
La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution, l’organe ou l’institution spécialisée compétent de la CEMAC.
Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans un délai de deux mois à peine d’irrecevabilité (article 38 de la Convention).

2- Dans quel délai introduire son recours ?
Quel que soit le recours envisagé, les délais pour attaquer un acte d’une institution communautaire est de deux mois .
Ce délai court en cas de notification, le lendemain du jour où l’intéressé a reçu notification .
Lorsqu’il se termine un samedi, un dimanche ou un jour férié légal (la Cour doit en principe déterminer la liste), l’expiration est reportée à la fin du jour ouvrable suivant .
Il convient de préciser que les délais ne sont pas suspendus durant les vacances judiciaires et que seule la date de dépôt ou de réception des mémoires au greffe est prise en compte.
3- L’obligation du ministère d’avocat
La saisine se fait au moyen d’une requête déposée au greffe par l’intermédiaire d’un avocat.
Le ministère d’avocat est donc obligatoire devant la Cour .
L’exigence d’un avocat est d’autant plus compréhensible, que l’interprétation du droit communautaire requiert une grande technicité juridique et procédurale que seuls les avocats, les praticiens sont à même de posséder.
Une meilleure coordination entre avocats lorsqu’ils sont plusieurs à défendre une cause, est souhaitable pour que l’affaire ne soit pas renvoyée inutilement, ce qui alourdit les délais de traitement de procédure.
A ce propos, précisons que si les parties ont la libre disposition de l’instance, l’office du juge est de veiller au bon déroulement de celle-ci dans un délai raisonnable, la faculté d’accepter ou de refuser le renvoi à une audience ultérieure, d’une affaire fixée pour être plaidée, relève du pouvoir discrétionnaire du juge, dès lors que les parties ont été mises en mesure d’exercer leur droit à un débat oral.

4- La requête introductive d’instance
La requête introductive d’instance est adressée au greffe de la Cour en cinq exemplaires et autant de copies qu’il y a des parties en cause . Elle doit être datée et signée du demandeur ou de son avocat et comporter un certain nombre de mentions obligatoires relatives notamment à l’identité du requérant (nom, domicile), la désignation de la partie contre laquelle la requête est formée, l’objet du litige, l’exposé sommaire des moyens invoqués et les conclusions du requérant.
L’original de l’acte de procédure doit être signifié à l’avocat de la partie adverse.
Seule la date de dépôt au greffe sera prise en considération au regard des délais de procédure.
Les envois par envoi postal recommandé sont à privilégier, au regard des lenteurs de la poste dans la distribution du courrier.
Ouvrons une parenthèse pour dire que les règles touchant à la recevabilité du recours sont d’ordre public, ce qui signifie qu’il appartient à la Cour de s’assurer de leur respect, même d’office.
Il en va par exemple de l’obligation faite aux parties (autres que les Etats, les institutions et les organes de la Communauté) d’être représentées par un avocat.
Enfin, la requête introductive enregistrée appelle une décision. La juridiction saisie ne peut en effet se dispenser de statuer sous peine de déni de justice.
Jusqu’à l’issue de la procédure, le requérant peut toujours se désister en renonçant à son action quelle que soit la forme du désistement : par offre du demandeur au défendeur qui l’accepte (désistement d’instance), par renonciation au droit d’agir en justice (désistement d’action), par désistement conventionnel ou unilatéral.
Le requérant avertit alors la Cour de son renoncement à l’instance. La juridiction prononce le désistement par voie de décision et radie l’affaire.
Le désistement est possible dans les litiges opposant la COBAC aux établissements de crédit (recours en appel ou recours en annulation).

5- La phase écrite

Dès réception au greffe, le greffier inscrit la requête au registre du greffe et lui donne un numéro.
Ensuite le Président de la Cour désigne le juge rapporteur.
L’affaire est également transmise à l’avocat général qui suit celle-ci au plus près en collaboration avec le juge rapporteur.
La requête est notifiée immédiatement au défendeur qui dispose d’un délai d’un mois à compter de la signification pour présenter un mémoire en défense.
La requête introductive d’instance doit être suivie d’un mémoire ampliatif (ou mémoire en demande) dans les 45 jours à compter du dépôt ou de l’envoi de la requête (article 7 du règlement de procédure).
Le requérant est tenu à peine d’irrecevabilité de consigner une somme de 100 000 FCFA pour garantir le paiement des frais de procédure .
Il peut être amené à compléter cette provision en cas de besoin.
Tout au long de la procédure écrite, les parties échangent leurs arguments en rédigeant des mémoires.
Le mémoire qui a servi à introduire l’instance est appelé « mémoire en demande » ou « requête », le mémoire contenant les arguments du défendeur est appelé « mémoire en défense » ; puis les mémoires suivants « mémoire en réplique » et « mémoire en duplique ».

6 – Le rôle du juge rapporteur
A la fin des échanges de mémoires, le juge rapporteur rédige le rapport d’audience qui contient un résumé de l’affaire, ainsi que les arguments des parties et les contributions des éventuels intervenants à l’instance.
Ce rapport est communiqué à l’avocat général et aux avocats des parties un mois avant l’audience.
Les avocats vérifient si l’essentiel de leur argumentaire a été correctement résumé et si les points développés dans leurs écritures ont été fidèlement reproduits.
Le rapport d’audience est soumis à l’examen de tous les juges de la Cour à la réunion générale.
Le juge rapporteur peut faire des propositions concernant la nécessité d’une note de recherche établie par la Direction de la recherche et documentation de la Cour ou des mesures d’instruction par exemple, l’envoi de questions écrites aux parties en vue soit d’une réponse écrite avant l’audience, soit d’une réponse orale lors de l’audience.
Enfin, le rapport doit être lu au début de l’audience.

7 – L’audience
Le Président fixe la date de l’audience et désigne les juges qui siègent dans chaque affaire. Par ailleurs, si pour une raison spéciale, un juge estime ne pas pouvoir participer au jugement ou à l’examen d’une affaire déterminée, il en fait part au Président.
Au cas où le Président estime qu’un juge ne doit pas, pour une raison spéciale, siéger dans une affaire déterminée, il en avertit l’intéressé.
Selon l’article 19 de la Convention du 30 janvier 2009, la Cour siège en formation plénière (cinq juges) ou en formation ordinaire de trois juges.
L’audience est publique. C’est un principe général de droit très important. Pour que le public ait confiance en la justice, il doit être en mesure de voir comment fonctionne le système, de comprendre les décisions qui en résultent.
Si la justice est secrète, le public ne saisira ni comment ni pourquoi les décisions ont été rendues, même si elles sont justes, et il risque d’avoir des doutes sur la qualité des décisions ou sur l’équité du processus.
Les exceptions à la publicité des audiences sont très rares. Elles doivent être justifiées et être des plus restreintes possible. Dans une affaire où la sécurité publique est en cause, par exemple, il pourra s’avérer nécessaire de tenir l’audience à huis clos.
L’affaire est plaidée devant la formation de jugement et l’avocat général.
Chaque juge a un rôle égal à jouer lors de l’audience et est libre de poser des questions aux avocats des parties. En pratique, le juge rapporteur est le premier à poser des questions, suivi de l’avocat général.
A la fin des plaidoiries, l’avocat général présente ses conclusions .
La formation de jugement a la possibilité d’ordonner la réouverture de la procédure orale, d’office ou à la demande des parties, en particulier suite à la découverte d’un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision à intervenir.
Interviennent alors un rapport d’audience et des conclusions complémentaires.

8 – Le délibéré
Après la clôture de la phase orale, l’affaire est mise en délibéré.
Si le juge rapporteur est en désaccord avec les conclusions de l’avocat général, il peut proposer aux autres membres de la formation un tour de table afin de permettre à celle-ci de prendre une décision sur l’orientation générale du projet de motifs.
Le juge rapporteur peut aussi indiquer qu’il envisage de suivre les conclusions de l’avocat général.
Dans la plupart des cas, il préparera un projet de motifs en délibéré qu’il soumettra aux autres membres de la formation qui pourront l’amender.
L’avocat général ne prend pas part au délibéré qui réunit uniquement les juges ayant siégé à l’audience.
Les délibérations de la Cour sont tenues à huis clos.
Le Président n’a pas plus de pouvoirs que ses collègues lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la solution du litige. Tous les juges de la formation de jugement sont sur un même pied d’égalité tant pour les délibérations que pour les décisions.
S’il s’avère que le consensus est difficile à trouver, il est alors procédé à un vote. La décision est prise à la majorité qualifiée et aucune opinion dissidente n’est admise.
L’arrêt est ensuite prononcé en audience publique et signé par tous les juges ayant participé au délibéré.
Il peut arriver que certains arrêts ne tranchent pas le fond du litige ; ils ne mettent pas fin à la procédure ; il s’agit d’arrêts avant dire droit .
Les décisions de la Cour ont l’autorité de la chose jugée dans tout l’espace CEMAC (article 30 de la Convention).
Cependant, le règlement de procédure ouvre certaines voies de recours permettant aux parties de remettre en cause les arrêts de la Cour.
Citons pèle mêle : l’opposition, la tierce opposition, le recours en rectification, la révision et le recours en rectification d’erreurs matérielles .
Enfin, il convient de relever que l’avant projet de règlement de procédure instaure une procédure accélérée de traitement des affaires.
En effet, l’article 84 de cet avant projet indique :
« A la demande, soit de la partie requérante, soit de al partie défenderesse, le Président peut, sur proposition du juge rapporteur, l’autre partie et l’avocat général entendu, décider de soumettre une affaire à une procédure d’urgence dérogeant aux dispositions du présent acte additionnel, lorsque l’urgence particulière de l’affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais ».
Selon cette procédure, le dépôt d’une réplique et d’une duplique ainsi que du mémoire en intervention des éventuels intervenants ne peuvent intervenir que si la Cour le décide dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure.
Cette procédure pourrait être utilisée pour le contentieux bancaire qui nécessite des prises de décision rapides. Il est impérieux que la justice intervienne de façon rapide et efficace car comme disait Montesquieu « souvent l’injustice n’est pas dans le jugement, elle est dans les délais » .

II- Le juge communautaire CEMAC peut-il étendre son contrôle à la violation des normes OHADA ?

La question posée est la suivante : le juge CEMAC dont la compétence est limitée , peut-il au cours d’un litige entre la COBAC et un établissement de crédit, étendre son contrôle à la violation des actes uniformes issus de l’OHADA ?
En d’autres termes, le juge de N’djaména dispose t- il d’une compétence générale pour connaître du contentieux résultant des actes uniformes OHADA ?
A cette question, la Cour de Justice a répondu par la négative.
Deux exemples :
Le premier concerne une demande d’interdiction de toute augmentation de capital ou modification de la structure du capital d’un établissement bancaire.
La Cour dans son arrêt du 15 janvier 2002 (affaire TASHA contre COBAC et Amity Bank Cameroun) ne pouvait que se déclarer incompétente, ce qu’elle fit en ces termes :
« Attendu en effet que la modification du montant ou de la structure du capital d’une banque est régie par l’Acte uniforme de l’OHADA du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et de groupements d’intérêt économique et notamment les articles 893, 894, 895 sanctionnant les mauvais comportements des dirigeants du Conseil d’administration et des sociétés anonymes ; que les articles 174, 184 et 170 de l’acte précité stipulent que « tout litige entre associés relève de la juridiction compétente du ressort de laquelle est située le siège de la société » ; que l’intervention directe ou indirecte de la COBAC autorisant la modification du montant ou de la structure du capital d’Amity Bank ne constitue pas une décision susceptible d’appel devant la Chambre Judiciaire au sens de l’article 4 alinéa 3 de la Convention régissant la Cour de Justice »’.
Le second exemple est tiré d’une autre affaire TASHA Loweh Lawrence .
Dans ce litige, TASHA contestait la modification de la composition du Conseil d’administration d’Amity Bank et l’attribution de sa présidence à un tiers (en l’occurrence à Victor ANOMANGUY) en violation des articles 2, 457, 459, 460 et 489 de l’acte uniforme OHADA sur le droit des Sociétés commerciales.
L’arrêt est motivé comme suit :
« Le contentieux relatif a l’application des actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions nationales et en cassation par la CCJA, selon les dispositions des articles 13 et 14 du Traité de l’OHADA ; qu’en conséquence la Cour est incompétente pour connaître des moyens tirés de l’inobservation des dispositions du droit OHADA » .
Cette position du juge communautaire ne doit ni surprendre, ni être regardée comme un déni de justice, dans la mesure où les deux cours ne relèvent pas d’un même système juridique. En effet, l’OHADA et la CEMAC sont deux organisations internationales distinctes instituées par deux traités différents, de sorte que les actes pris par l’une ne peuvent pas être considérés comme émanant de l’autre.
Conséquence, la Cour de Justice de la CEMAC, dans sa fonction contentieuse ne peut intervenir que dans des litiges mettant en cause l’application d’une norme de droit communautaire CEMAC , et ne peut donc pas ‘’grignoter’’ d’une certaine façon une partie de la compétence de la CCJA.
Dès lors, on peut aisément affirmer que la CCJA a l’exclusivité pour interpréter et contrôler la bonne application des actes uniformes OHADA.
Elle l’a d’ailleurs rappelé dans un avis du 2 février 2000 rendu à propos du code communautaire des investissements de l’UEMOA, disant pour droit que « l’interprétation par la CJ-UEMOA des actes uniformes OHADA porterait atteinte à l’exclusivité de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA dans l’interprétation et l’application des actes uniformes » .
Nous avons eu l’occasion d’affirmer l’incompétence de la Cour de Justice de la CEMAC, à connaître des actes uniformes de l’OHADA, dans nos conclusions présentées à l’audience dans l’affaire Banque Atlantique , en ces termes :
« dans l’optique des concepteurs du traité CEMAC, la Cour de Justice n’a pas à résoudre d’une manière générale un conflit de normes.
Elle doit simplement vérifier que la situation qui se présente à elle entre dans le champ d’application du droit communautaire de son espace d’intégration…
Si tel n’est pas le cas, elle n’a pas à déterminer quel autre droit que son droit est applicable puisqu’elle n’a ni qualité, ni intérêt à donner efficience à un autre droit » .
Et comme le souligne si justement LEVOA OWANA dans sa thèse consacrée à la problématique des rapports entre les juridictions communautaires :
« La compétence des juridictions communautaires est une compétence d’attribution et à ce titre chaque juridiction communautaire dispose sur les litiges qui font partie de son domaine d’une compétence exclusive » .
En bref, il ressort de cette analyse un enseignement principal à savoir que toute compétence communautaire doit trouver son fondement dans une disposition du traité, et que seule une révision dudit traité peut modifier l’étendue de cette compétence .

En guise de conclusion, soulignons simplement que le contrôle juridictionnel des actes de la COBAC est une bonne chose, car il est essentiel que d’une manière générale, les actes des institutions communautaires qui affectent les droits et intérêts des particuliers soient soumis au juge communautaire apte à vérifier leur conformité au droit communautaire.
Il n’en reste pas moins que la dynamique du processus d’harmonisation en matière bancaire repose avant tout sur une plus grande appropriation des règles communautaires par tous les acteurs concernés : avocats, magistrats, dirigeants des établissements de crédit, juristes chargés du contentieux….
En effet, outre que des obligations pèsent sur le juge communautaire pour qu’il garantisse la bonne application du droit bancaire, les acteurs cités plus haut ont quant à eux une obligation de maîtrise des normes communautaires dans leurs différentes sources : le droit originaire (le traité de la CEMAC, les conventions), le droit dérivé ou ’’légiféré’’ (règlements, décisions…), la pratique décisionnelle de la COBAC , et la jurisprudence de la Cour, car « nul n’est censé ignorer la loi ».
C’est pourquoi la multiplication de ce genre de rencontres s’avère nécessaire pour favoriser l’information et les échanges.

 
  • Facebook
  • RSS Feed